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Article | 29/01/2025

Les terres rares, un enjeu contemporain majeur mais méconnu

29/01/2025

Cyrielle Bernard

Lycée Louis Pasteur, Marmilhat

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Présentation générale des caractéristiques, usages, gisements, exploitation et enjeux des terres rares.


Introduction

Vous ne le savez peut-être pas, mais vous interagissez avec des terres rares tous les jours. En fait, en utilisant votre smartphone ou votre ordinateur pour lire cet article, peut-être à la lumière de vos ampoules LED, en ayant chaussé vos lunettes, vous utilisez les terres rares. L'appellation « terres rares » fait référence à un groupe de métaux aux propriétés physiques similaires. Ces métaux sont critiques dans notre société, car ils ont de très nombreuses applications, notamment dans les énergies renouvelables, et les gisements restent relativement peu nombreux dans le monde. Les enjeux scientifiques, économiques, politiques et sociétaux concernant les terres rares sont donc extrêmement nombreux et importants, et pourtant peu de personnes savent exactement ce dont il s'agit. Essayons donc d'y voir plus clair sur ce groupe d’éléments en passant par l'histoire des sciences, les propriétés de ces matériaux, et leurs usages en lien, notamment, avec la transition énergétique.

Qu'appelle-t-on « terres rares » ?

Découverte et identification des terres rares

Carl Axel Arrhenius (1757-1824), un chimiste suédois amateur de minéralogie [à ne pas confondre avec Svante A. Arrhenius (1859-1927), plus connu, qui a établi la loi montrant la dépendance de la vitesse d'une réaction chimique à la température], se promène en forêt un jour de 1787, et tombe sur une masse noire faite d'un minéral non identifié à l'entrée de la mine d'Ytterby, en Suède. Sans le savoir, il a découvert le premier minéral de terre rare : la gadolinite (Ce,La,Nd,Y)2Fe2+Be2O2(SiO4)2), formellement identifiée dans un second temps par Johan Gadolin (1760-1852).

Ce nouveau minéral suscite l'intérêt de nombreux scientifiques, dont Friedrich Wölher (1800-1882) qui parvient à isoler une première terre sous sa forme pure : c'est l'yttrium (Y). Les découvertes s'enchainent alors et 16 éléments sont trouvés et identifiés comme des terres rares, le dernier étant le lutécium (ou lutétium, Lu), mis en évidence par Georges Urbain (1892-1938) en 1907 (Chakhmouradian et Wall, 2012 [3]).

Caractéristiques des terres rares

Les terres rares regroupent donc 16 éléments : les lanthanides, du lanthane – La – au lutécium – Lu, et l’yttrium, Y (figure 1). Certaines classifications ajoutent à cette liste le scandium (Sc), mais son comportement géochimique différant un peu des autres éléments, nous ne l'inclurons pas ici.

Le nom de « terres rares » vient du fait qu'elles se trouvent en petites quantités dans les minéraux. Pour autant, à l'échelle du globe terrestre, elles ne sont pas rares du tout. Par exemple, le cérium (Ce) est respectivement 2,3 et 3,7 fois plus abondant dans la croute continentale supérieure que le cuivre (Cu) et le plomb (Pb) (Rudnick et Gao, 2003 [10]).

Les terres rares dans le tableau périodique des éléments

Les éléments chimiques qui forment les terres rares sont principalement trivalents (3+), à l'exception du cérium (Ce) et de l'europium (Eu) qui peuvent être respectivement quadrivalent (Ce4+) et divalent (Eu2+). Les terres rares ont toutes un rayon atomique relativement petit et une forte charge positive, ce qui les place dans la catégorie des HFSE, ou High Field Strength Elements, catégorie qui contient également le niobium (Nb), le tantale (Ta), le zirconium (Zr), l’hafnium (Hf), l'uranium (U), le thorium (Th), l'étain (Sn) et le titane (Ti). Tous ces éléments ont la particularité d'être incompatibles, c'est-à dire qu'ils rentrent difficilement dans les réseaux cristallins lors du refroidissement d'un magma, et sont donc particulièrement concentrés dans les derniers jus magmatiques (Linnen et al., 2014 [6]).

On différencie deux catégories au sein des terres rares : les terres rares légères, du lanthane (La) à l'europium (Eu), d’une part, et les terres rares lourdes, du gadolinium (Gd) au lutécium (Lu), auxquels ont ajoute l'Y, d’autre part. Les terres rares montrent une diminution significative de leur rayon atomique et ionique du La vers le Lu du fait d’un faible effet d’écran des électrons de la sous-couche 4f qui ne compensent pas la charge positive croissante du noyau lorsque le numéro atomique augmente (les électrons de valence sont alors de plus en plus “attirés” par le noyau et le rayon atomique diminue). Cet effet de réduction du rayon atomique est appelé la « contraction des lanthanides », et a plusieurs conséquences, dont la forte densité des lanthanides et leur température de fusion élevée. Conséquence particulière de cette contraction, les terres rares légères sont plus incompatibles que les terres rares lourdes, ce qui mène à une répartition différente de ces éléments lors de la cristallisation des magmas notamment. La croute étant formée par fusion partielle du manteau, les terres rares légères y sont enrichies par rapport aux terres rares lourdes ; c'est l'inverse dans le manteau supérieur. Cette différence de comportement est également exploitée dans l'industrie.

Où trouve-t-on les terres rares ?

Minéralogie

Les terres rares se retrouvent surtout en traces dans de nombreux minéraux (figure 2). Les terres rares légères sont principalement localisées dans des carbonates et des phosphates, et les terres rares lourdes dans des oxydes. Les silicates incorporent toutes les terres rares sans distinction (Kanazawa et Kamitani, 2006 [5]).

On compte toutefois environ 350 minéraux de terres rares actuellement, et 10 d'entre eux sont activement exploités, les principaux étant la bastnaësite-(pour le Ce) (CeCO3F), la monazite-(Ce) (CePO4), et le xénotime-(Y) (YPO4). La grande majorité des minéraux des terres rares est en réalité composée de 4 d'entre elles : Ce, Y, La et Nd (néodyme).

Enfin, certains minéraux ne se composent pas classiquement de terres rares, mais celles-ci peuvent se substituer à leurs composants en concentrations importantes. Il s'agit notamment de l'apatite [Ca5(PO4)3(OH,F,Cl)], du zircon (ZrSiO4) et du groupe des pyrochlores, A2–mNb2O6–wF1–n – avec A = Ca ou Na ; m, w, n indiquant une occupation incomplète des sites.


Gisements

Il existe deux grands types de gisements de terres rares sur Terre : les gisements primaires, magmatiques ou hydrothermaux, et les gisements secondaires, sédimentaires, liés aux remobilisations des éléments des gisements primaires par des fluides (eau et gaz divers à haute pression).

On retrouve dans les gisements primaires de nombreuses roches magmatiques alcalines, des carbonatites et des veines hydrothermales, et, dans les gisements secondaires, des placers, des latérites et des argiles à adsorption d'ions (figure 3). Le type, la quantité et la concentration des terres rares dans ces gisements dépendent de très nombreux paramètres, qui ne sont pas tous contraints à ce jour et qui incluent la source du magma, le degré de fusion partielle, les processus de cristallisation fractionnée, la circulation de fluides et l'altération. En comparaison avec les autres métaux minés, les gisements de terres rares sont globalement à faible teneur et faible tonnage.

Les contextes géodynamiques propices à la formation de gisements de terres rares

En France, nous ne connaissons pas de gisement suffisamment concentré en terres rares pour être exploité rentablement, mais certains sites pourraient fournir quelques ressources en cas de crise : il s'agit notamment de la Bretagne, en Ille-et-Vilaine, dans les Côtes-d'Armor et dans le Finistère, où l’on retrouve de la monazite-(Ce), et de la Guyane. L’exploitant de la carrière de talc de Trimouns, en Ariège, extrait par ailleurs des terres rares en complément de son activité principale ; on y trouve notamment de l'allanite-(Ce) [CaCeAl2Fe2+Si3O12(OH)], de la bastnaësite-(Ce), et de la synchiste-(Y) [CaY(CO3)2F]. Enfin, les recherches continuent, et de nouveaux gisements potentiels sont actuellement mis en évidence. C'est le cas d'Evisa en Corse, où un granite alcalin présente des concentrations intéressantes en terres rares lourdes (Monnier et al., sous presse [8]).

Pourquoi exploiter les terres rares ?

Applications

Les usages “anciens” des terres rares sont la fabrication des pierres à briquet et des manchons des becs Auer pour l’éclairage au gaz. Aujourd’hui, les terres rares sont beaucoup utilisées dans les nouvelles technologies et dans le domaine de la transition énergétique pour leurs propriétés magnétiques, luminescentes et d'oxydo-réduction. Ce sont principalement les terres rares lourdes qui présentent ces propriétés, aussi elles sont plus recherchées que les terres rares légères. Elles servent en tant qu'aimants permanents (composants essentiels des générateurs des éoliennes et des moteurs des voitures électriques), de catalyseurs pour réduire la pollution des pots d'échappement, de poudres de polissage (par exemple pour les verres de lunettes), et dans les électrodes de batteries rechargeables (figure 4).

La demande mondiale en terres rares est donc en forte progression (du fait du développement des énergies renouvelables et des voitures électriques), mais les gisements sont inégalement répartis dans le monde et leur exploitation est limitée, ce qui les place dans la catégorie des métaux critiques.

Principales industries utilisant les terres rares et pourcentage de leur consommation à l'échelle mondiale

Exploitations dans le monde

La production des terres rares a explosé depuis le début de leur exploitation dans les années 1950, et les principaux sites d'exploitation évoluent au cours du temps. Les placers d'Australie et d'Inde ont d'abord été les seules sources de terres rares, avant que les États-Unis ouvrent la mine de Mountain Pass (Californie), dominant le marché pendant une vingtaine d'années. Cette mine a ensuite dû fermer et la Chine, qui détient de nombreux gisements secondaires de terres rares de type argile à adsorption d'ions, est restée le premier producteur mondial depuis les années 80, fournissant jusqu'à 90 % des terres rares extraites à l’échelle globale (figure 5).

Évolution de la production mondiale de terres rares entre 1992 et 2020

En 2010 et 2011, en prétextant un intérêt pour la préservation de l'environnement, la Chine a imposé des quotas d'exportation, ce qui a fait flamber le prix des terres rares et a incité les autres pays à plus d'indépendance vis-à-vis de ces ressources. Les recherches de nouveaux gisements se sont multipliées, et de nombreuses mines ont alors vu le jour (figure 6). Les gisements secondaires de Chine étant particulièrement riches en terres rares légères, ces nouvelles prospections se sont concentrées sur la maximisation du taux de terres rares lourdes, qui ont plus d'applications industrielles que les légères. Encore aujourd'hui, la grande majorité des gisements exploités sont des gisements secondaires ou des carbonatites, tous assez peu concentrés en terres rares lourdes. Les granitoïdes alcalins représentent une petite partie de ces exploitations, mais ont l'avantage d'être plus concentrés en terres rares lourdes. À suivre…

On estime actuellement que le Brésil et le Vietnam détiennent les plus grandes réserves de terres rares après la Chine, mais ces pays n'ont pour l'instant pas investi dans l'exploitation et la production de ces métaux.

Carte de la répartition mondiale des mines et des gisements de terres rares, ainsi que leur nature

Limites de l'exploitation des terres rares

Malgré le fait que les terres rares sont largement utilisées dans la transition énergétique, elles ne font pas exception aux problématiques générales du secteur minier. Le fait de creuser à la recherche de ces métaux critiques mène à la destruction des paysages et des écosystèmes locaux, et les produits chimiques utilisés pour séparer les terres rares du reste des autres éléments sont parfois directement injectés dans la roche, ou sont rejetés dans les cours d'eau. Cela est particulièrement visible en Chine, où les petites exploitations sauvages se multiplient malgré les efforts officiels du gouvernement pour les limiter.

Les terres rares seules ne posent pas de souci majeur de santé, mais leur exploitation implique la production de beaucoup de poussières riches en métaux lourds, ce qui augmente le risque de cancer pour les mineurs et les populations locales. En outre, faisant partie de la famille des HFSE, les terres rares sont souvent trouvées en association avec les autres métaux de ce groupe qui eux peuvent être toxiques, comme l'uranium et le thorium.

Il est donc important d'avoir en tête les pour et les contre de l'exploitation des terres rares, afin de ne pas voir complètement la vie en rose concernant le développement des énergies vertes (pas plus que pour les autres usages plus anciens) !

Des éléments recyclables ?

On pourrait se tourner vers le recyclage des terres rares pour conserver les avantages de leur utilisation sans les désavantages de leur exploitation. Bien qu'il soit techniquement possible, le recyclage ne concernait que 1 % des terres rares minées en 2015 (Mueller et al., 2015 [9]). Plusieurs hypothèses sont évoquées pour expliquer ce chiffre, très faible, parmi lesquelles la grande durée de vie des objets contenant beaucoup de terres rares, l'absence de régulation, le manque d'information aux particuliers sur les autorités compétentes pour ce recyclage, l'absence de suivi par les vendeurs, la faible teneur en terres rares dans la plupart des objets, l'impossibilité de recycler une terre rare seule (les techniques utilisées permettent seulement d'isoler les terres rares légères et lourdes, mais pas un seul élément), et le cout énergétique et économique de ce recyclage qui dépasse souvent celui d'un nouvel approvisionnement.

Le recyclage des terres rares est donc techniquement possible, mais doit être amélioré et contrôlé avant de devenir la norme.

Bibliographie

C. Bernard, 2020. Concentration et fractionnement des terres rares dans les complexes alcalins : le rôle des fluides, thèse de doctorat, Univ. Toulouse 3, 330p [Accès en ligne]

A.R. Chakhmouradian, F. Wall, 2012. Rare Earth Elements: Minerals, Mines, Magnets (and More), Elements, 8, 5, 333-340 ]pdf]

H.A.L. Elliott, F. Wall, A.R. Chakhmouradian, P.R. Siegfried, S. Dahlgren, S. Weatherley, A.A. Finch, M.A.W. Marks, E. Dowman, E. Deady, 2018. Fenites Associated with Carbonatite Complexes: A Review, Ore Geology Reviews, 93, 38-59 [open access]

Y. Kanazawa, M. Kamitani, 2006. Rare Earth Minerals and Resources in the World, Journal of Alloys and Compounds, 408-412, 1339-1343

R.L. Linnen, I.M. Samson, A.E. Williams-Jones, A.R. Chakhmouradian, 2014. 13.21 - Geochemistry of the Rare-Earth Element, Nb, Ta, Hf, and Zr Deposits, in H.D. Holland, K.K. Turekian (Eds.), Treatise on Geochemistry (Second Edition), Elsevier, Oxford, 543-568 [pdf]

J. Lucas, P. Lucas, T. Le Mercier, A. Rollat, W.G. Davenport, 2015. Rare Earths: Science, Technology, Production and Use, Elsevier, 410p

L. Monnier, O. Laurent, S. Salvi, C. Bernard, M. Leisen, E. Estrade, P. de Parseval, C. Josse, A. Descamps-Mandine, Z. Duan, S. Gouy, C. Passos do Carmo, C. Dusséaux, sous presse. Of zircons and zircons: The tumultuous story of Zr-Hf and REE during cooling of the Evisa peralkaline rare-metal granite (Corsica, France), Geochimica et Cosmochimica Acta

S.R. Mueller, P.A. Wäger, R. Widmer, I.D. Williams, 2015. A Geological Reconnaissance of Electrical and Electronic Waste as a Source for Rare Earth Metals, Waste Management, 45, 226-234 [open access]

R.L. Rudnick, S. Gao, 2003. 3.01 - Composition of the Continental Crust, Treatise On Geochemistry, 3, 1-64 [pdf]