Article | 13/09/2019
Pluton, une petite planète à la morphologie étonnante !
13/09/2019
Résumé
La géologie surprenante de la planète naine Pluton révélée par la sonde New Horizons lors du survol de juillet 2015.
Cet article est le résultat d'une “commande” des Cahiers Clairaut pour son numéro de juin 2019. La version présentée ici correspond à l'intégralité de cet article, auquel nous avons rajouté cinq figures et quelques lignes de textes supplémentaires, n'étant pas soumis aux mêmes impératifs éditoriaux qu'une publication papier.
Toutes les images de Pluton présentées ici proviennent de, et sont disponibles sur les différents sites web de la NASA et de l'Université Johns Hopkins de Washington, en particulier pluto.jhuapl.edu et photojournal.jpl.nasa.gov.
À part les études télescopiques effectuées depuis la Terre, la planète naine Pluton n'est connue que grâce au survol unique qu'a effectué la sonde New Horizons le 14 juillet 2015. Cette mission a permis de préciser certains paramètres physiques et chimiques : rayon = 1186 km, masse volumique = 1860 kg.m-3, température superficielle ≈ 40 à 50 K, pression au sol au sol ≈ 1 Pa, composition de l'atmosphère (90 % N2, 9 % CO, traces de CH4…). Pour le reste, on s'attendait à des résultats inédits sur la composition des glaces de surfaces, sur la dynamique de la très faible atmosphère, sur l'interaction entre ces glaces et l'atmosphère… et on n'a pas été déçu. Mais c'est surtout de la morphologie et de l'activité géologique de surface de cette petite planète que sont venues les principales surprises.
Mais il n'y a eu qu'un seul survol, et seule la moitié éclairée lors de ce survol est connue avec une bonne résolution. Les conclusions “générales” doivent donc être considérées avec réserve.
Un examen morphologique global de la planète révèle trois résultats majeurs.
- Il y a une bande sombre à l'équateur, entre les latitudes +15° et −15°. Cette zone correspond à la bande latitudinale globalement la plus chaude au long des toutes les années plutoniennes (une année plutonienne dure 248 ans terrestres) qui se suivent pendant un cycle de variation de l'inclinaison de l'axe de rotation (inclinaison variant de 103° à 127° avec une périodicité de 2,8 Ma), bande où il n'y a jamais de nuits polaires. Toutes les glaces superficielles de cette zone se sont sublimées, et il ne reste qu'un mélange de composés “organiques” rougeâtres. Seules les hautes montagnes peuvent être recouvertes de neige de méthane.
- La topographie de Pluton est assez monotone, avec une anomalie majeure : une dépression de plus de 3000 m de profondeur et de plus de 1000 km de diamètre, Sputnik Planitia, centrée sur le point de coordonnées +30° lat. N et 180° long. Cette dépression est sans doute un ancien bassin d'impact, bien qu'on n'en ait pas la preuve formelle. Cette dépression est remplie de glace de diazote (mélangée à un peu de monoxyde de carbone) alors qu'ailleurs dominent les glaces d'eau et/ou de méthane associées à des macro-molécules organiques.
- La cratérisation de la surface est très variable, ce qui signifie que l'âge de la surface (hors Sputnik Planitia) varie de −4 Ga à −1 Ga. Des processus (érosion, volcanisme…) ont donc rajeuni inégalement la surface de Pluton. La surface de la dépression Sputnik Planitia se caractérise par une absence de cratère de météorite, et a donc un âge géologiquement “nul”.
Dans le détail, l'examen des images (hors Sputnik Planitia) permet de tirer des conclusions de premier ordre sur la structure superficielle de la croute, la nature de l'érosion, le volcanisme, la tectonique… et aussi des conclusions de deuxième ordre sur l'évolution dans le temps des conditions P et T de surface, sur la structure profonde…
Source - © 2008 dreamX - CC BY-NC-SA 2.0 / avax.news |
En plus de l'érosion par le vent qui, si elle génère des formes étonnantes par leur taille, n'est pas une surprise, la surface de Pluton montre des morphologies ressemblant étonnement à des figures d'érosion par un liquide (dissection des versants, réseaux “fluviatiles” dendritiques…). Si cette interprétation est exacte, cela signifie qu'à certaines périodes, un liquide a coulé à la surface de Pluton. Quel composé pourrait être liquide à 45 K et 1 Pa ? De tous les composés présents dans l'atmosphère, c'est le diazote qui semble le plus facile à liquéfier. Mais pour être liquide, N2 doit être à une température > 63,15 K et à une pression > 1252 Pa (T et P du point triple du diazote). Il faudrait donc, au moins localement et temporairement, augmenter la température d'une vingtaine de degrés (ce qui ne semble pas insurmontable), et aussi multiplier la pression par plus de 1000, ce qui semble plus difficile.
Ce serait malgré tout possible parce que l'excentricité de l'orbite de Pluton est de 0,25 (Terre 0,016, orbite quasi-circulaire), parce que si l'inclinaison actuelle de l'axe de rotation de Pluton est de 120° (Terre 23,26°), elle varie de 103° à 127° (Terre de 22,1° à 24,5°) avec une période de 2,8 Ma (Terre 41 000 a). On peut donc modéliser l'insolation (locale ou globale), et calculer les températures superficielles. De là, on peut modéliser la sublimation du diazote et du méthane, calculer la pression, modéliser l'effet de serre et les feedbacks que cela produit (cf. S.A. Stern et al., 2017, Past epochs of significantly higher pressure atmospheres on Pluto). Avec la très grande excentricité de l'orbite, et avec l'inclinaison actuelle de l'axe de rotation (120°), on calcule que la pression peut varier d'environ 10-2 à 10 Pa au long des 248 ans (terrestres) d'une révolution de Pluton. Mais quand l'inclinaison de l'axe de rotation est minimale (103°), ce qui arrive tous les 2,8 Ma (c'est arrivé il y a 900 000 a, et cela arrivera de nouveau dans 1,9 Ma), la pression et la température peuvent dépasser légèrement les conditions du point triple de N2 pendant 1/10 de l'année plutonienne (25 années terrestres) au cours de cette année plutonienne. Il pourrait donc pleuvoir du diazote pendant quelques saisons chaudes et “humides” (saisons “humides” qui durent une vingtaine d'années terrestres), saisons “humides” qui reviennent tous les 11 300 années plutoniennes (2 800 000 années terrestres). Pendant ces “brèves” et rares saisons chaudes et humides, il pourrait pleuvoir, des lacs de diazote liquide pourraient exister quelques “mois” plutoniens (quelques années terrestres).
À côté des manifestations d'une activité géologique d'origine externe, la surface de Pluton montre aussi des manifestations d'activité d'origine interne : volcanisme et tectonique.
On trouve de nombreuses failles normales (associées en graben) semblables à celles de la figure 11 un peu partout à la surface de Pluton. Elles sont partout géologiquement “jeunes”. Et, chose étonnante, on ne connait aucune structure que l'on puisse interpréter en termes de compression (pas de plis, pas de faille inverse…). Si on voit de nombreuses structures extensives et aucune structure compressive, c'est que la surface de Pluton est partout en extension. Pluton aurait donc “gonflé”. Comment faire gonfler une “planète” ?
Pluton à une masse volumique de 1860 kg.m-3. Si on suppose qu'il est constitué d'un mélange de glaces, principalement de glace d'H2O (masse volumique voisine de 1000 kg.m-3) et de “roches” (mélange silicates + fer, de masse volumique voisine de 4000 kg.m-3), et si on suppose que Pluton est entièrement différencié (silicates + fer au centre, glaces en périphérie), on obtient un Pluton fait d'un manteau d'environ 300 km d'H2O et autres composés volatils et organiques, surmontant un noyau d'environ 900 km de rayon fait de “roches”. Les modélisations thermiques montrent qu'il est possible que la base de ces 300 km d'H2O ait été ou soit encore liquide et qu'il ait existé ou existe encore un océan liquide profond sous une épaisse couche de glaces. Pour faire gonfler Pluton, il suffit de faire geler entièrement ou partiellement cet océan majoritairement constitué d'H2O liquide, car l'eau augmente de volume en passant de l'état liquide à l'état solide. On peut peaufiner le raisonnement. Quand de l'eau gèle à basse pression, elle donne de la glace I, ce qui s'accompagne d'une augmentation de volume. Par contre, si elle gèle à haute pression, elle donne des glaces de haute pression (glace III, V, VI ou VII) ce qui s'accompagne d'une diminution de volume (cf. De l'eau à haute pression dans une presse à enclumes de diamant et de la glace à température ambiante, analogies avec le magmatisme et le métamorphisme). Sur Pluton, en fonction notamment de la faible gravité, de l'eau gelant à une profondeur < 260 km donnerait de la glace I, ce qui se traduirait par une augmentation de volume. Par contre, de l'eau gelant à une profondeur > 260 km donnerait des glaces III, V ou VI, ce qui se traduirait par une diminution de volume. Comme aucune structure compressive n'a été observée, c'est que jamais des glaces de haute pression n'ont cristallisé (cf. Hammond et al., 2016, Recent tectonic activity on Pluto driven by phase changes in the ice shell). Si la couche d'H2O fait bien 300 km d'épaisseur, cela signifie que le front de congélation n'a pas encore atteint 260 km de profondeur, et qu'il reste au moins 40 km d'épaisseur d'eau liquide.
Source - © 2016 Inspiré de Pam Engebretson / phys.org
Sputnik Planitia est une caractéristique morphologique majeure de Pluton. Sa position au centre de la face “anti-Charon” (Charon est le plus gros satellite de Pluton, le système étant en rotation synchrone pour les 2 corps) suggère qu'elle correspond à une anomalie de masse positive, due à une épaisseur de glace d'eau plus faible (donc à une épaisseur d'océan liquide plus forte) et à un remplissage par de la glace de diazote (de masse volumique 1 030 kg.m−3, supérieure à celle de la glace d'eau – 930 kg.m−3). Son origine, sans doute un ancien bassin d'impact de plus de 1000 km de diamètre, n'est pas totalement comprise. Mais, à côté de ces questions “géophysiques”, Sputnik Planitia montre des morphologies de surface étonnantes. Voyons en quelques-unes.
Des glaciers de diazote coulent des montagnes Sud vers Sputnik Planitia et s'y étalent. Par contre, Sputnik Planitia semblent s'écouler vers le Nord, en direction de sa bordure, pourtant bordée de montagnes. Des modélisations climatiques, prenant en compte la topographie, les paramètres astronomiques… ont été développées par le Laboratoire de Météorologie Dynamique de Paris (cf. Forget et al., 2017, A post-new horizons global climate model of Pluto including the N2, CH4 and CO cycle) et peuvent expliquer ce qui ne semble pas logique. Ces modélisations montrent que sur un cycle de variation de l'obliquité de l'axe de rotation de Pluton (cycle de 2,8 Ma), la partie Nord de Sputnik Planitia perd de la matière par sublimation du diazote. Cette perte de glace de diazote peut être estimée à 1000 m sur un cycle de 2,8 Ma. Selon ces mêmes modèles, ce diazote va se condenser au Sud de Sputnik Planitia et sur les montagnes bordières (condensation estimée à 750 m sur un cycle de 2,8 Ma).
Si ces simulations montrent une condensation globale au Sud de Sputnik Planitia sur un cycle de 2,8 Ma, elles montrent que ce même Sud de Sputnik Planitia subit (temporairement) une sublimation globale au cours de l'année plutonienne (248 années terrestres) dans la situation orbitale actuelle. Cette sublimation qui a lieu au Sud depuis quelques années plutoniennes expliquerait les étranges puits que la sonde New Horizons a découvert dans ces régions.
La surface de Sputnik Planitia montre un réseau polygonal de bombements limités par des sillons. Ces figures sont interprétées comme l'expression superficielle d'une convection (à l'état solide) de la glace de diazote constituant le plancher de Sputnik Planitia. À un facteur 1000 près, cette surface ressemble à celle d'un lac de lave figée, comme on peut en voir à Hawaii par exemple. En donnant à la glace de diazote des paramètres physiques “normaux”, et avec un flux thermique “classique” vu la taille et la masse de Pluton, on peut calculer le nombre de Rayleigh du remplissage de Sputnik Planitia. On trouve alors que la convection est possible pour une épaisseur de remplissage supérieure à 1500 m (cf. Trowbridge et al., 2016, Vigorous convection as the explanation for Pluto's polygonal terrain et McKinnon et al., 2016, Convection in a volatile nitrogen-ice-rich layer drives Pluto's geological vigour).
Il y a une interaction “étrange” entre la convection interne à Sputnik Planitia et les glaciers venus des montagnes au Sud-Est de la région. Les glaciers de diazote “coulent” sur des montagnes faites de glace d'eau. Ces glaciers arrachent des blocs de glace (qui ont signification de moraines) et les transportent jusqu'à la plaine. Arrivés au niveau de la plaine, ces blocs de glace d'eau (ρ = 930 kg.m-3) flottent sur la glace de diazote (ρ = 1030 kg.m-3) et “dérivent” vers le centre de la plaine. Puisque ces iceberg de glace d'eau dérivent, c'est qu'ils flottent sur la glace de diazote sans en toucher le fond. L'estimation de la hauteur des plus grands de ces iceberg (500 m) et l'application du principe d'Archimède montrent que la glace de diazote a une épaisseur d'au moins 5000 m par endroits.
Depuis 1959 avec la face cachée de la Lune, puis 1965 avec la mission Mariner 5 qui a survolé Mars, l'humanité explore le système solaire, ses planètes et ses satellites. À quelques rares exceptions près, chaque survol a révélé un monde extraordinaire, avec une morphologie souvent totalement inattendue. Pluton, le dernier gros corps (Ø 1000 km) à être survolé a lui aussi fourni son lot de surprises. Qui aurait imaginé les terrains en lames, les réseaux “hydrographiques”, les champs de puits, l'extraordinaire Sputnik Planitia et ses glaciers d'azote… Espérons que chacun d'entre nous a bien profité des nouvelles de cette année 2015. En effet, Pluton est le dernier “gros” corps (à morphologie totalement inconnue) à être survolé, et il n'y aura pas de prochains survols semblables avant longtemps. Toutes les planètes et leurs satellites, les deux plus gros astéroïdes… ont déjà été survolés au moins une fois, et il va falloir attendre les survols des autres planètes naines de la ceinture de Kuiper (Eris, Makemake, Haumea…) pour avoir d'aussi belles surprises sur des “gros” corps. Aucune mission vers ces corps lointain n'est pour l'instant programmée. Et comme il faut compter de 5 à 10 ans pour “monter” une nouvelle mission et au moins une dizaine d'années de voyage pour dépasser l'orbite de Neptune, il va falloir attendre longtemps. Heureusement, il reste des petits corps à explorer, qui, eux aussi, révèlent des surprises comme nous l'a montré 2014 MU 69 (Ultima Thulé) survolé le 1er janvier 2019 par la même sonde New Horizons.