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Le modelé ruiniforme et les canalettes (ou canoles) du plateau du Larzac (L'Hospitalet-du-Larzac, Aveyron)

03/11/2025

Auteur(s) / Autrice(s) :

  • Alexandre Aubray
    PRAG en sciences de la Terre, Aix-Marseille Université
  • Thomas Bertin
    PRAG en SVT, Université de Toulon
  • Julien Delandre
    Professeur de SVT, Lycée Delacroix, Drancy
  • Mathieu Quertigniez
    Professeur de SVT, Lycée Prévert, Boulogne-Billancourt

Publié par :

  • Olivier Dequincey
    ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

De l'érosion karstique dans les dolomies du Jurassique moyen du Causse du Larzac.


Piliers de dolomie dépassant de la forêt, L'Hospitalet-du-Larzac (Aveyron)
Figure 1.

Ces piliers de dolomies dépassant de la forêt donnent à la zone les caractéristiques du modelé ruiniforme. Ces piliers font plusieurs mètres de hauteur.

L'érosion karstique est à l'origine des paysages des causses, ces grands plateaux calcaires typiques du Sud de la France. Les paysages des causses avec leurs morphologies typiques et la problématique de la gestion de l'eau ont déjà été abordés sur Planet-Terre dans de précédents articles : Structures rencontrées dans un karsth, Se promener sur ou autour des causses, Aven, lavogne, toit citerne… Comment gérer l'eau sur les causses ?, Le lac d'Otjikoto (Namibie) et le lac des Rives (Causse du Larzac, Aveyron), une doline et un poljé inondés, Les sources karstiques au pied des plateaux calcaires.

Aujourd'hui nous présentons quelques morphologies karstiques des dolomies du Jurassique moyen (Bathonien) du Causse de l'Hospitalet (Causse du Larzac) visibles sur le chemin de randonnées des canoles / canalettes(lien externe - nouvelle fenêtre).

Les reliefs dolomitiques forment des pinacles typiques du modelé ruiniforme (terme qui provient de la ressemblance avec les ruines humaines comme les tours de châteaux en ruine) comme au cirque de Mourèze dans l'Hérault (cf. Un très bel exemple d'érosion karstique ruiniforme dans des calcaires dolomitiques : le cirque de Mourèze (Hérault)). Cette morphologie, résultat de l'altération des roches carbonatées en surface, est appelée lapiaz. La profondeur métrique des canyons et des rigoles pourrait même faire qualifier cette morphologie de “méga-lapiaz” (cf., pour d'autres exemples français, Le bois de Païolive (Ardèche), un exemple de méga-lapiaz dolomitique ou Le lapiaz de la Pierre Saint Martin (Pyrénées Atlantiques), l'un des plus grands lapiaz de France).

Les piliers de dolomie peuvent donner des formes baroques dont certaines sont à l'origine de noms donnant libre court à l'imagination. L'altération des dolomies dégage aussi de belles arches par érosion différentielle quand l'érosion affecte localement (soit par une faiblesse ou résistance préexistante, soit par du ruissellement ou un écoulement localisé, les deux phénomènes n'étant pas exclusifs) une zone de la base des pitons rocheux et préserve les roches au-dessus.

La surface du karst dolomitique montre des chemins entre les blocs rocheux. La végétation typique de la région et des sols calcaires (chênes pubescents, pins sylvestres…) se développe sur la surface du karst.

De nombreuses grottes et cavités sont visibles. Le toit de certaines cavités s'est effondré et/ou de l'eau a dissout les roches en s'infiltrant dans les diaclases donnant un creux dans le plafond des grottes appelées “avens”.

Dans les canalettes (ou canoles) l'érosion a creusé des canyons étroits et profonds de quelques mètres (environ 5 mètres) dans le karst.

Les roches constituant la zone sont des dolomies constituées de dolomite, un carbonate de calcium et de magnésium de formule CaMg(CO3)2. Ces dolomies présentent des aspects vacuolaires et bréchiques par endroits. La stratification dans les roches n'est que très peu visible (la stratification initiale des calcaires a pu être effacée lors de la dolomitisation). Les cristaux de dolomite, bien visibles, peuvent s'individualiser (par altération physique) et former un sable brun au pied des pinacles et reliefs.

La notice de la carte géologique de Nant à 1/50 000(lien externe - nouvelle fenêtre) décrit les roches du karst comme suit.

Les dolomies résultent de la transformation de calcaires marins mis en place au Bathonien supérieur (Jurassique moyen). Lors de circulations d'eau de mer, plus riche en Mg qu’en Ca, dans les failles ou diaclases ou dans les limites des strates (lors de la diagenèse), la calcite CaCO3 est transformée en dolomite CaMg(CO3)2 , par remplacement partiel du calcium (au maximum 1 sur 2) par du magnésium, cette substitution étant favorisée par la température plus élevée rencontrée en profondeur du fait du gradient géothermique. Ce processus de dolomitisation, non encore totalement résolu, pourrait faire intervenir l'activité de micro-organismes.

Cette dolomitisation n'étant pas homogène (à l'échelle de la formation, voire de la roche ce qui expliquerait l'aspect hétérogène des dolomies et de leur altération), lors de l'émersion, la calcite résiduelle est plus facilement altérée chimiquement (par la réaction de dissolution de la calcite CaCO3 + CO2 + H2O ⟶ Ca2+ + 2 HCO3) que la dolomite et donne ainsi les pinacles observés. L'eau issue des précipitations ou les circulations de l'eau dans le karst (aquifère karstique) peuvent contribuer à la dissolution des roches. La respiration par les racines des végétaux peut aussi favoriser cette altération chimique en libérant du CO2 acidifiant le sol ainsi que de l'altération physique lorsque les racines s'infiltrent dans la roche (cf. Les forêts et leurs arbres, des limiteurs d'érosion, La biosphère, un acteur géologique majeur).

Croissance de lierre sur les parois du karst montrant les relations étroites entre les roches et les végétaux, forêt du Causse de L'Hospitalet-du-Larzac (Aveyron)
Figure 22.

D'autres processus d'altération physique, comme la cryoclastie lors des alternances gel-dégel et éventuellement la thermoclastie avec dilatation différentielle des minéraux, ont pu contribuer à l'altération des roches (voir l'action de ces processus sur une roche granitique dans Les processus d'altération-érosion des granites en climat tempéré vus par l’exemple de chaos granitiques sardes).

La formation du karst dolomitique peut être résumée par la schéma (simplifié) suivant.

Schéma de formation du karst dolomitique et du modelé ruiniforme des canalettes
Figure 23.

(1) Mise en place de calcaires au Bathonien au niveau d'une plateforme continentale. (2) Formation de diaclases dans les roches.

(3) Dolomitisation des calcaires par circulation de fluides dans les diaclases et toutes les zones de fracture ou de faiblesse (les étapes 2 et 3 peuvent se produire en même temps sur une période de temps donnée). (4) Émersion (liée à la tectonique et/ou au variations eustatiques) et début d'altération notamment par les facteurs météorologiques et par la végétation.

(5) Le calcaire étant moins résistant que la dolomie, il y a altération et érosion différentielles, ce qui dégage les morphologies ruiniformes constituées de dolomies. Remarque : la densité de fractures sur le terrain étant plus grande que sur le schéma, le volume de roches dolomitisées représente probablement la majorité du karst.

Les canalettes, creusées dans les dolomies, résultent de la focalisation de l'érosion dans des points bas par ruissellement et écoulement de l'eau selon la gravité (en surface ou en profondeur du karst, les roches étant ensuite mises à l'affleurement par l'érosion). La forme allongée de direction Nord-Sud peut s'expliquer par une zone de faille (aucun tectoglyphe n'est cependant visible) ou de diaclases profondes, ayant pu localiser l'érosion en créant ces canyons. L'orientation de ces failles/diaclases étant Nord-Sud, et affectant les dolomies jurassiques, elles pourraient être rattachées à plusieurs épisodes ayant pu affecter la région et faisant rejouer d'anciennes failles ou créant des fractures : tectonique pyrénéenne, ouverture de la Méditerranée, surrection du Massif Central lors de la formation des Alpes, tectonique récente. Les panneaux explicatifs rattachent la formation des failles à l'orogenèse pyrénéenne (bien qu'aucun argument ne soit proposé pour justifier cela). À noter que la carte géologique de Nant à 1/50 000 ne cartographie pas de failles là où sont les canalettes.

Dans les grottes de la zone comme dans les canalettes, la température diminue rapidement, l'air froid étant plus dense que l'air chaud et l'air étant moins agité et/ou de l'eau pouvant s'écouler dans le karst, cela maintient une température plus faible (cf., à propos des différents facteurs de contrôle de la température dans les grottes, Les grottes glacées d'Islande : comment est fixée la température à l'intérieur des cavités souterraines ?).

Le Bathonien de la région des Causses est aussi connu pour avoir livré des traces de pistes de dinosaures (cf. Des empreintes de dinosaures géants découvertes dans une grotte de Lozère).

Comme dans tous les causses, la problématique de la gestion (notamment pour les troupeaux) a conduit à l'aménagement de zones de stockage, souvent des dolines (zone de dissolution des carbonates remplies d'argiles de décarbonatation, présentes initialement en impuretés dans les carbonates et qui restent après dissolution et rendent le fond de la doline imperméable). Ces aménagements sont appelés “lavognes”.

Au pied du Causse de l'Hospitalet, les sources du Durzon constituent une résurgence d'un aquifère karstique dont la zone d'alimentation est le karst de ce causse. Cette source se situe au niveau de la faille Est-Ouest dite « faille de l'Hospitalet » qui fait chevaucher le Lias (Jurassique inférieur) marneux sur les dolomies du Dogger (Jurassique moyen). Son débit moyen récent a été estimé à 1,5 m3/s mais a pu décupler en période de crue. Cet aquifère karstique a été étudié par différentes méthodes d'études d'hydrogéologie et de géophysique (voir la thèse de Benjamin Fores soutenue en 2016(lien externe - nouvelle fenêtre) pour plus de détails). Pour d'autres exemples de sources au pied des plateaux karstiques on pourra (re)voir Les sources karstiques au pied des plateaux calcaires.

Les sources du Durzon au pied du Causse de l'Hospitalet (Aveyron)
Figure 29.

Dans les canalettes, un abri moustérien daté de −71 000 à −85 000 ans, occupé par l'Homme de Néandertal, a livré (entre autres) des restes de cerf, de cheval et d'auroch (voir, pour un autre exemple de la même époque, L'Homme de la Chapelle-aux-Saints (Corrèze) : la première preuve d'inhumation chez les Néandertaliens).

L'étude des restes d'organismes a montré que cet abri avait servi plusieurs fois au cours du temps, pendant la saison chaude (fin du printemps - début de l'automne), de lieu de vie, de lieu de découpe et de consommation du gibier (voir les travaux de thèse d'Audrey Roussel soutenue en 2023(lien externe - nouvelle fenêtre) pour les données sur l'analyse des restes d'organismes).

Des études d'anthracologie (étude des charbons) sur les restes végétaux et des études isotopiques utilisant le δ13C, (cf, à ce sujet, Fractionnement isotopique du carbone chez les plantes vasculaires) ont permis d'étudier les variations des climats pendant cette période (voir Audiard et al., 2021, Quaternary(lien externe - nouvelle fenêtre) pour les données, les discussions sur les méthodes et les résultats).

Panneau explicatif sur les découvertes faites dans l'abri des canalettes (accès barré par une grille), forêt du Causse de L'Hospitalet-du-Larzac (Aveyron)
Figure 30.

L'abri moustérien, situé derrière une grille, est inaccessible. La zone de fouilles comprend des dépôts et restes datés de −71 000 à −85 000 ans.

Vue aérienne et fond de carte géologique de la zone du karst dolomitique dans lequel se situent les canalettes de L'Hospitalet-du-Larzac et de la source du Durzon
Figure 31.

Extraits des cartes géologiques à 1/50 000 de Millau et de Nant (avec les canalettes). Les dolomies sont notées “j2b”. Les sources du Durzon sont au niveau de la faille Est-Ouest au centre de l'extrait de carte géologique.

L'étoile jaune localise les canalettes/canoles et l'étoile bleue les sources du Durzon.

Localisation des canalettes de L'Hospitalet-du-Larzac (Aveyron) sur fond de carte géologique de France au millionième
Figure 32.

La croix rouge localise les canalettes. Tous les arrêts de cet article sont répertoriés sur le circuit de randonnée des canoles(lien externe - nouvelle fenêtre).

Localisation par fichier kmz des canalettes de L'Hospitalet-du-Larzac (Aveyron) et des sources du Durzon.