Image de la semaine | 03/05/2021
Les terrasses fluvio-lacustres de l'Himalaya, Ladakh indien
03/05/2021
Résumé
Terrasses alluviales simples ou étagées dans les vallées d'altitude de l'Himalaya.
La rivière Tsarap creuse son étroite vallée actuelle dans une terrasse de terrains fluvio-lacustres remplissant une vallée beaucoup plus large. L'étroite vallée actuelle où divaguent les nombreux bras de la rivière mesure environ 200 m de large (de crête à crête). Le fond de la vallée est à une altitude de 4330 m. Le sommet plat des terrasses qu'on voit au même niveau de part et d'autre de la vallée est environ 40 m plus haut. Les sommets barrant l'horizon ont une altitude d'environ 4900 m. Les pluies de mousson érodent et dissèquent les versants creusés par la rivière dans le remplissage alluvial.
Localisation par fichier kmz des terrasses fluvio-lacustres de la région de Sarchu.
La rivière Tsarap creuse son étroite vallée actuelle dans une terrasse de terrains fluvio-lacustres remplissant une vallée beaucoup plus large. L'étroite vallée actuelle où divaguent les nombreux bras de la rivière mesure environ 200 m de large (de crête à crête). Le fond de la vallée est à une altitude de 4330 m. Le sommet plat des terrasses qu'on voit au même niveau de part et d'autre de la vallée est environ 40 m plus haut. Les sommets barrant l'horizon ont une altitude d'environ 4900 m. Les pluies de mousson érodent et dissèquent les versants creusés par la rivière dans le remplissage alluvial.
Le mécanisme de formation des terrasses alluviales est assez classique. Cela se produit quand il y a des alternances entre (1) des périodes où une rivière alluvionne plus qu'elle n'érode et (2) des périodes où cette rivière érode plus qu'elle ne dépose d'alluvions. Quand dans une vallée la rivière dépose localement plus d'alluvions qu'elle n'en érode, en particulier pendant les crues quand la rivière sort de son lit mineur, il se forme une plaine alluviale qui comble progressivement la vallée. Par exemple, dans une région de climat relativement froid mais sans glacier (comme la vallée de la Seine pendant la dernière période glaciaire), les débits de printemps sont importants à cause de la fonte de neiges sur le haut de son bassin versant (le Morvan et le plateau de Langres dans le cas de la Seine). La rareté de la végétation, limitée à cause du climat, y favorise l'érosion. Au printemps, la rivière (la paléo-Seine) dans son cours supérieur charriait beaucoup d'alluvions. Arrivée dans son cours inférieur où la pente est beaucoup plus faible, la paléo-Seine déposait ses alluvions, en quantité supérieure à ce qu'elle érodait.
Si le climat se réchauffe (période interglaciaire), les débits de printemps sont, en moyenne, plus faibles (moins de neige tombée l'hiver), et l'amont du bassin versant est beaucoup plus végétalisé. Moins d'érosion, moins de transport ! L'alluvionnement en aval est faible, plus faible que l'érosion. La rivière creuse alors ses alluvions déposées lors de la précédente période froide, voire atteint et creuse le substratum. Si la succession de période d'alluvionnement et d'érosion se reproduit plusieurs fois, on obtient des terrasses étagées et emboitées.
Figure 3. Schémas classiques représentant la formations de terrasses alluviales étagées et emboitées
Dans les étapes 1 et 3, la rivière dépose plus d'alluvions qu'elle n'en érode. Dans les étapes 2 et 4, la rivière érode plus qu'elle n'a déposé d'alluvions lors de la période précédente. Elle s'enfonce dans ces anciennes alluvions et peut même (cas dessinés ici) surcreuser le substratum de la vallée.
Dans les régions glaciaires, ou dans les zones tectoniquement actives, et à fortiori dans les régions à la fois englacées et tectoniquement actives comme l'Himalaya, des “complications” peuvent se surajouter au schéma général : en plus de se remplir de dépôts fluviatiles, les vallées peuvent être comblées de dépôts lacustres. En effet, les vallées glaciaires sont souvent surcreusées en amont de “verrous”, ou sont souvent barrées par des cordons morainiques. Ces reliefs forment des lacs après la déglaciation. Une vallée sans glacier peut être barrée par un glacier adjacent qui l'atteint, et il se forme un lac en amont du “confluent”. Dans ces lacs, la sédimentation (de type fluvio-lacustre) est évidemment supérieure à l'érosion, et ce lac fini par être totalement rempli d'alluvions pour devenir une plaine alluviale. Cette plaine alluviale fluvio-glaciaire peut ensuite être érodée, par exemple à cause du retrait du glacier ayant barré la vallée, à cause de l'érosion du cordon morainique ou du verrou ayant créé le lac… Dans des régions tectoniquement actives, des mouvements verticaux de failles peuvent aussi créer des lacs.
De telles terrasses fluvio-glaciaires sont très abondantes dans les Alpes, voir par exemple Les terrasses fluvio-glaciaires de la moyenne Durance : Mont-Dauphin, Chateauroux-les-Alpes et Embrun, Hautes-Alpes.
Nous vous montrons ci-après des photographies de trois secteurs de cette région de l'Himalaya : (1) une terrasse “simple” mais avec un surcreusement n'atteignant pas le substratum (figures 1 à 10), (2) des terrasses emboitées, mais sans que le surcreusement n'atteigne le substratum (figures 11 à 16), et (3) des terrasses simples entaillées dans les sédiments d'un ancien lac, avec un surcreusement atteignant le substratum (figures 17 à 23). Les photographies 1 à 16 ont été prises dans la même vallée de Sarchu, où ont aussi été prises de belles photographies de plis (cf. Plis dans une zone de convergence (chaine de collision) : la vallée de Sarchu dans l'Himalaya, Ladakh (Inde)).
L'épaisseur totale des alluvions suggère un remplissage lacustre, mais c'est difficile d'être formel. Ce versant s'érode par ruissellement à chaque mousson, ce qui forme des ravines. Deux niveaux plus indurés et plus résistants à l'érosion sont mis en relief et forment des “lames” et des pinacles. | On voit ici le départ des ravines vues de face sur la photo précédente. |
![]() Source - © 2021 D'après Google Earth Figure 10. Vue aérienne de la vallée de la rivière Tsarap dans la région de Sarchu, Ladakh indien On voit très bien (1) la vallée principale d'environ 1000 m de large, (2) son fond très plat, sommet d'un remplissage alluvial de plus de 40 m d'épaisseur, et (3) son surcreusement par l'actuelle rivière qui a creusé une vallée d'environ 200 m de large pour 40 m de profondeur. Les restes du remplissage alluvial de la vallée principale forment deux magnifiques terrasses de part et d'autre de la rivière. |
À une douzaine de kilomètres en aval des photographies 1 à 10, un petit village est bâti sur la même terrasse, village nommé Sir Bhum Chun. Ce village est lui-même dominé par une haute terrasse plus ancienne. On a là typiquement un dispositif de terrasses emboitées (cf. figure 3, schéma 4). La structure interne de la terrasse inférieure y est bien visible.
Au-dessus et à gauche de ce village, on voit très nettement une terrasse supérieure qui domine la terrasse inférieure d'une quarantaine de mètres. Localisation par fichier kmz du village de Sir Bhum Chun (Ladakh indien). | |
La stratification des niveaux inférieurs n'est pas horizontale. Stratification oblique classique dans les sédiments fluvio-lacustres, déformations dues à des slumpings “gravitaires” ou déclenchés par des séismes… ? | |
La stratification sommitale de cette terrasse inférieure est régulière, celle du bas est irrégulière. | De bas en haut, (1) des strates irrégulières, (2) des strates bien horizontales mais peu indurées, (3) une strate horizontale bien indurée. |
On peut rejoindre la vallée d'un autre affluent de l'Indus en passant par le col du Lachulungla (5064 m, cf. Sols striés de l'Himalaya et de Sibérie du Nord). Cet affluent entaille jusqu'au substratum des sédiments alluviaux très vraisemblablement déposés dans un ancien lac et forme maintenant de très belles terrasses.
Cette vallée fait environ 200 m de profondeur ; le substratum n'est pas atteint, ce qui montre que l'épaisseur des alluvions est ici supérieure à 200 m. Localisation par fichier kmz de ce panorama depuis le bord d'une terrasse alluviale himalayenne. | |
Figure 19. Vue aérienne du secteur des figures 17 à 23 Les photos 17 et 18 ont été prises depuis la punaise rouge en direction du Nord-Est. Les vallées entaillent de 200 m une surface subhorizontale, de couleur orangée sur cette image Google Earth. Cette surface horizontale (d'altitude environ 4770 m) correspond très vraisemblablement au sommet du remplissage alluvial d'un ancien lac. Au premier plan (punaise jaune, figures 20 et 21) l'érosion a atteint le substratum des terrasses. Parfois, cette surface n'a pas du tout été entaillée par un cours d'eau et forme maintenant une “plaine” (punaise verte) où s'ébattent des hémiones. | |
Le ravinement des versants de cette terrasse a engendré des figures d'érosion spectaculaires. Localisation par fichier kmz de la base de cette terrasse alluviale atteignant le substratum. | Le ravinement des versants de cette terrasse a engendré des figures d'érosion spectaculaires. |
Figure 22. Certaines parties de cette surface alluviale n'ont pas du tout été entaillées par un cours d'eau Cela forme maintenant des “plaines” (punaise verte sur la figure 19) où s'ébattent parfois des hémiones. |
Quand on parcourt les hautes vallées de l'Himalaya, vallées qui souvent n'ont été libérées des glaciers qu'il y a 12 000 à 18 000 ans, on voit souvent des “modèles réduits” actuels de ce qui a pu constituer les dépôts alluviaux puis les terrasses de grandes tailles vus sur les photographies précédentes.
Figure 24. Petit torrent arrivant dans un ancien lac qu'il a presque fini de combler
Quand le verrou glaciaire ou la moraine à l'origine de ce lac aura été incisé par l'émissaire du lac, le torrent recreusera le remplissage alluvial ce qui engendrera deux terrasses de part et d'autre de la néo-vallée.
Cette géométrie est peut-être très récente et ne date que de la dernière mousson ; mais il s'agit peut-être d'une analogie rapide et de petite taille de ce qui s'est passé “en grand” ces quinze derniers milliers d'années dans les vallées himalayennes.
Toutes les photographies de cet article ont été prises lors d'un voyage organisé en 2010 par le CBGA et encadré, sous la direction de Raymond Cirio, par Jean-Luc Epard et Arnaud Pêcher.