Image de la semaine | 07/01/2019
Les ophiolites en 180 photos – 1/7 Le manteau
07/01/2019
Résumé
Le manteau ophiolitique : lherzolite, harzburgite, pyroxénite et dunite, mais aussi poches et filons de gabbro, “migmatite”, déformations et serpentinisation.
Avant-propos
Le but de cette série de sept “images de la semaine“ n'est pas d'expliquer la genèse de la lithosphère océanique, ni la mise en place des ophiolites sur les continents, ni la géologie précise des ophiolites prises en exemple, mais simplement d'être un album d'environ 180 photos (un clin d'œil au concours Ma thèse en 180 secondes), une banque de données photographiques que chacun pourra utiliser pour illustrer/démontrer ses propos. Ces images montreront divers aspects de divers cortèges ophiolitiques, ophiolites “complètes” car issues de dorsales rapides, ou beaucoup plus “réduites” car issues de dorsales lentes. Il s'agira uniquement de photos prises sur le terrain, sans photo de lame mince, sans diagramme, sans analyse chimique… On se limitera à ce qui découle de l'histoire océanique de l'ophiolite, sans aborder ce qui est lié aux phénomènes de subduction/obduction/collision. Cet album photo comporte sept semaines/chapitres : (1) le manteau, (2) les gabbros, (3) le cortège filonien, (4) les basaltes en coussins (pillow lavas), les coulées et les sédiments, (5) le Moho, (6) l'extension spatiale et temporelle du magmatisme, et (7) l'hydrothermalisme. Un schéma des deux types d'ophiolites sera placé à la fin de chaque article, pour que chacun puisse (1) situer les divers objets photographiés dans le(s) modèle(s), et (2) comparer réalité naturelle et modèles. Le choix des photos est forcément subjectif, intersection entre ce que je connais personnellement et ce que je pense utile à tout un chacun selon ses besoins, pour que les ophiolites ne soient pas réduites ou à un (des) modèle(s) théorique(s) ou au seul Chenaillet pour les plus chanceux qui peuvent y aller.
Sauf pour les ophiolites “françaises” (les Alpes et la Désirade en Guadeloupe), toutes les photographies de ces articles ont été prises lors d'excursions géologiques organisées par le Centre briançonnais de géologie alpine (CBGA) et encadrées par Romain Bousquet (Université de Kiel) pour Chypre, par Jean Pierre Bouillin (Université de Grenoble) pour l'ile d'Elbe, par Emmanuel Ball (Université de Montpellier) ou Aymond Baud (Université de Lausanne) pour l'Oman, et par Thierry Juteau (Université de Brest) pour la Turquie. Sans eux, je n'aurais jamais pu prendre ni commenter ces 180 photographies.
La croute océanique se forme en (et près de la) surface par solidification d'un magma basique issus de la fusion partielle profonde du manteau, manteau qui remonte très lentement (à quelques cm/an) sous la dorsale. La fusion partielle débute vers −50 km, donc beaucoup plus bas que le Moho. Ce magma, basique, remonte à travers le manteau avant d'atteindre la base de la croute qu'il forme en s'accumulant sous différentes formes (gabbro, dolérite, basalte). Il peut remonter en percolant à travers les cristaux du manteau, mais aussi et surtout en empruntant des fractures. Il remonte alors assez vite (0,1 à 1 km/h en ordre de grandeur), bien plus vite que le manteau lui-même ne remonte. Si ces fractures ne se referment pas quand l'alimentation en magma cesse, ce magma cristallisera lentement, et cela formera un filon de gabbro. Nous vous montrons 6 photographies de ces filons gabbroïques, toutes prises dans l'ophiolite d'Oman. Ces filons de gabbro traversant le manteau représentent une situation très classique, bien que très rarement montrée dans les livres et autres cours.
Entre les filons de gabbro qui le traversent, le manteau n'est pas toujours homogène. Parfois, la harzburgite est “zébrée” de niveaux de pyroxénite (roche grenue constituée presque exclusivement de pyroxène). C'est une situation classique bien que largement ignorée, classique dans les massifs de péridotite de type Lers (cf. Lherzolite et pyroxénite (Niveaux lités de lherzolite et pyroxénite de Lers)), classique bien que plus rare dans les nodules des basaltes (cf. Les nodules péridotitiques "extraordinaires" de la coulée basaltique du Ray Pic, Burzet (Ardèche)) et classique aussi dans le manteau ophiolitique. L'origine de ce litage n'est pas claire, et peut avoir plusieurs causes non incompatibles. Il peut s'agir du produit d'une fusion partielle très profonde. Si le magma recristallise en profondeur (profondeur > ~80 km), à une pression tellement forte que les plagioclases ne sont pas stables, le magma cristallise sous forme de filons ou d'amas de pyroxénite. Il peut aussi s'agir d'une ségrégation minérale liée à de la déformation, un peu comme la déformation d'un granite isotrope entraine la ségrégation entre des lits micacés et des lits quartzo-feldspathique (gneiss). Nous vous montrons ci-dessous six photos prises dans l'ophiolite de Chypre, qui montrent que, dans ce cas chypriote au moins, ce litage est parallèle à une schistosité due à une déformation, et que litage et schistosité sont recoupés par les filons de gabbro. Les gabbros et la fusion qui les a engendrés sont donc postérieurs au litage et à la déformation. La déformation pourrait être très ancienne et n'avoir rien à voir avec la mise en place de la lithosphère océanique. Elle pourrait aussi être liée à la remontée précoce du manteau sous la dorsale. Une étude pétro-structurale devrait être faite pour trancher entre ces diverses hypothèses.
Puisque du magma remonte à travers le manteau (ce qui se voit maintenant grâce aux filons de gabbro) pour aller former la croute océanique, c'est qu'il y a eu une importante fusion partielle encore plus bas, en dessous de cette zone riche en filons. Cette zone de fusion partielle “intellectuellement obligatoire”, n'est que très rarement illustrée par des photographies. C'est ce que nous allons essayer de montrer avec des images des ophiolites de Chypre et d'Antalya (Turquie), sachant qu'il est très difficile de distinguer formellement une zone de péridotite traversée/recoupée par un réseau dense de filons de gabbro venus de plus bas d'une zone de péridotite avec fusion partielle, où le magma (maintenant devenu gabbro) est resté sur place, à peine rassemblé sous forme d'amas et de poches. Souvent, les amas et poches de gabbro sont entourés d'une roche devenant très sombre avec l'altération et la serpentinisation partielle : de la dunite, une péridotite ne contenant quasiment plus de pyroxène mais simplement des olivines. Il s'agit des zones où la fusion partielle a été la plus intense :
lherzolite (Ol + OPx + CPx) → magma basique + résidu harzburgitique (Ol + Opx),
puis
- harzburgite (Ol + OPx) → magma basique + résidu dunitique (Ol).
Souvent, de gros volumes du manteau océanique sous-crustal sont très serpentinisés par la circulation hydrothermale, en particulier au voisinage des failles transformantes. On retrouve bien évidemment les effets de cette serpentinisation dans le manteau des ophiolites. Les serpentines correspondent à une famille de phyllosilicates. Les roches constituées majoritairement de serpentines sont les serpentinites. Il existe 3 familles de serpentines : l'antigorite, la lizardite dont les cristaux forment des lamelles planaires, et le chrysotile dont les feuillets cristallins s'enroulent pour former des fibres. Si ces fibres sont ultra-fines (diamètre de quelques micromètres), le chrysotile est alors une amiante (l'autre groupe d'amiante étant constitué de crocidolite, une variété d'amphibole).
Le mot serpentine vient du latin serpens, le serpent, parce que les lamelles d'antigorite et de lizardite font penser à de la peau de serpent. On peut remarquer qu'en grec ancien, serpent se dit ὄφις, óphis, et que c'est là l'étymologie du mot ophiolite (“pierre serpent”).
Le manteau sous-crustal des ophiolites issues des dorsales rapide est donc assez complexe. Il a subi une importante fusion partielle. Rien d'étonnant donc que le manteau des ophiolites omanaise, chypriote ou turque soient parcourues de nombreux filons de roches magmatiques (gabbro) et montrent des zones de “migmatites”. Et avant ce magmatisme, nous avons vu que le manteau révèle parfois une histoire plus ancienne, sous forme d'un litage de pyroxénite et de déformations. Mais cette ancienne histoire est-elle due au fonctionnement précoce de la dorsale, ou à une histoire indépendante bien plus vieille ? Enfin ce manteau est intensément (mais irrégulièrement) serpentinisé sur une assez grande épaisseur. Le manteau de la lithosphère océanique est donc plus complexe que ne le laisserait supposer la teinte homogène des schémas classiques.