Image de la semaine | 06/06/2011
Les tunnels de lave islandais, leurs exceptionnels spéléothèmes (stalactites et stalagmites basaltiques) et leur festival de couleurs
06/06/2011
Résumé
Splendeurs basaltiques d'Islande.
Nous avons vu la semaine dernière des stalactites de carbonates de cuivre. Nous continuons cette série par des spéléothèmes (concrétions des grottes, comme les stalactites et stalagmites) exceptionnels, en basalte : les spéléothèmes des tunnels de lave d'Islande.
Parmi les 200 volcans actifs en Islande durant les derniers 10 000 ans (Holocène) on considère que la moitié possèdent des tunnels de lave. Sur Terre, les tunnels de lave se forment préférentiellement dans des environnements de points chauds et de provinces tholéitiques et alcalines caractérisés par des laves fluides et pauvres en silice. Les tunnels de lave se forment à l'occasion d'éruptions volcaniques effusives alors qu'une lave généralement basaltique (pahoehoe ou aa), chaude (1 100 à 1 200 °C) et très fluide, s'épanche à des vitesses généralement élevées (15 à 50 km/h). La lave coule en profitant de la topographie et envahit progressivement l'espace, entraînée par son propre poids et par l'appel au vide. Très rapidement la coulée commence à se solidifier en surface et sur les bords alors que de véritables rivières se constituent en son sein et permettent à la coulée de continuer à progresser. Ces rivières souterraines de lave en fusion s'organisent en réseau(x) de complexité croissante (monotube, confluents, anastomoses, multi-étages en 3D) en fonction de leur distance par rapport au point d'émission. Ce(s) réseau(x) s'isole(nt) du reste de la coulée par des parois ignifugées naturelles qui permettent à la lave de rester chaude et fluide en minimisant les déperditions énergétiques. Alors que l'éruption prend fin, la lave continue de progresser au sein de ces drains naturels créant derrière elle un vaste réseau de cavités longues et souvent profondes – certaines pouvant se trouver jusqu'à 50 mètres sous la surface de la coulée. Plus la lave se trouve éloignée de son point d'émission plus sa viscosité augmente, du fait de son refroidissement, et plus la géométrie du tunnel de lave sera complexe. Parfois, les mêmes tunnels canalisent le flux de lave de plusieurs éruptions successives. On trouve souvent des tunnels latéraux provenant de phénomènes de rétro-drainage dans le tube principal. Les tunnels seront plus tard visitables, quand la lave sera refroidie, si tant est qu'un accès à l'air libre soit créé soit à l'occasion d'un effondrement du toit du tunnel (« skylight », = lucarne) ou encore lors de travaux de terrassement. C'est ainsi que se forment et se découvrent les tunnels de lave, véritables fantômes des rivières souterraines de lave où le plein a créé le vide. La genèse des tunnels de lave a déjà été vue pour des tunnels de lave d'Hawaii, des Canaries, de La Réunion ou des tunnels de lave des Açores.
Avant de regarder leurs exceptionnels spéléothèmes, visitons rapidement quelques tunnels de lave islandais.
Intéressons nous maintenant aux spéléothèmes de basalte exceptionnels que l'on trouve dans ces tunnels de lave.
Contrairement aux grottes formées dans les environnements calcaires, qui sont en perpétuelle évolution, les tunnels de lave se forment au cours d'une éruption et restent figés pour « l'éternité » dès que la lave s'est refroidie. Cependant, l'une et l'autre renferment des spéléothèmes. De même que l'on observe dans les grottes calcaires des stalactites et des stalagmites, on trouve dans les tunnels de laves des spéléothèmes connus sous le terme de lavacicles. Ils se créent en fin de cycle éruptif, lorsque le tunnel se vide et qu'il y circule des gaz à haute température. Ils peuvent se présenter sous différents aspects : en forme de tubes, de dents de requin ou d'hélictites. Les stalactites tubulaires – les plus fréquentes – se sont formées après que la lave a cessé de couler. Il semble cependant que chaque tunnel, voire chaque portion de tunnel, puisse avoir des spéléothèmes aux caractéristiques légèrement différentes (nature, abondance, composition des phénocristaux, présence de verres intercalaire, etc) car les conditions de mise en place (température, viscosité, composition minéralogique résiduelle, etc) auront été différentes. Pour simplifier, on peut considérer que les spéléothèmes proviennent d'une extrusion en goutte-à-goutte d'un magma partiellement cristallisé qui subit une baisse de température (passant de 1 070°C à 1 000°C). En termes de densité et de composition minéralogique et chimique, les lavacicles ont des caractéristiques intrinsèques légèrement différentes de celles du magma qui leur a donné naissance. Les verres intercalaires, par exemple, semblent provenir d'une refonte partielle (12 à 26% de la roche d'origine).
Les runners, qui ressemblent à de petites éclaboussures, sont en réalité de même nature que les formes tubulaires. Elles se sont formées sur la surface du tunnel lors du dégazage de la lave. Quant aux « dents de requin », ce sont des formes assez communes, qui apparaissent généralement en grand nombre. Elles sont constituées par la lave tombant du sommet des tunnels lorsque celui-ci se refroidit. Enfin, les hélictites ont des formes excentriques évoquant celles de vermicelles tordus dans toutes sortes de directions. Les spéléothèmes se forment dans un environnement de gaz à haute température et parfois de vents violents.
On observe, dans ces tunnels, des processus de cristallisation secondaires et des coulées multicolores.
L'étude des dépôts secondaires permet d'observer des formations composées de minéraux spécifiques. Les dépôts que l'on rencontre dans les tunnels se forment à différentes phases de l'évolution du tunnel. De nombreux phénomènes se succèdent : circulation de gaz à haute température, dégazage, oxydation à l'air, circulation d'eau et activité biologique notamment. En Islande, certains dépôts ont été étudiés, sur l'île de Surtsey, mettant en évidence des sulfures, de la thénardite, de la galeite, de la mirabilite et de l'aphthitalite. Certains de ces minéraux étant découverts pour la première fois en Islande : glauberite, kainite, loeweite, kieserite, bloedite, carnallite, et ralstonite notamment. Les minéraux les plus fréquents étant la halite, la thénardite et le gypse. Il est certain que les études minéralogiques n'en sont qu'à un stade embryonnaire et que leur poursuite permettrait de découvrir de nouvelles occurrences de minéraux exotiques dans les tunnels de lave. Quoi qu'il en soit, tous ces minéraux peuvent donner des couleurs exceptionnelles aux tunnels, à leur parois et à leurs spéléothèmes, que ce soit par la couleur propre de ces minéraux ou par des irisations dues à la finesses de ces minéraux secondaires.
Ces tunnels de lave et leurs spéléothèmes sont des objets fragiles. L'Islande a pris très tôt conscience du caractère exceptionnel de sa nature. Elle a su prendre les mesures conservatoires nécessaires : création de parcs naturels, protection des sites remarquables, interdiction de circuler hors-pistes, etc. La recherche et l'exploration des tunnels de lave islandais sont longtemps restées une curiosité géologique, géographique, voire touristique. Une dizaine de grottes était connue dans le pays sans qu'aucun recensement systématique n'ait été entrepris. En 1989, l'« Icelandic Speleological Society » (ISS) a été fondée. En 1993, à l'occasion du congrès de Pékin, le groupe de travail dédié aux grottes volcaniques de l'Union International de Spéléologie devait donner naissance à la « vulcano-spéléologie » qui devenait ainsi une discipline à part entière. Enfin, le Xème symposium de Vulcano-spéléologie s'est tenu en Islande en septembre 2002. Les volcano-spéléologues islandais ont fait pression sur les autorités pour assurer la sauvegarde des tunnels de lave les pus fragiles. En effet, les spéléothèmes sont des objets fragiles qui se forment lors de l'éruption. Depuis 1974, les autorités ont déclaré que les stalactites et stalagmites de lave constituaient un trésor national. Depuis lors, certains tunnels ont été fermés au public. Ces tunnels ne sont visitables qu'après l'obtention d'une autorisation.
Source - © 2011 NASA/GSFC, MODIS RApid Response, modifié
Vous retrouverez des photographies de cet article (ou de très semblables) et bien d'autres encore, dans le livre de Michel Detay et Anne-Marie Detay, Islande - Splendeurs et colères d'une île - 2010 - Belin - ISBN 978-2-7011-5762-7.
Orientation bibliographique :
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- Decobecq D., 2010. Les tunnels de lave, LAVE, revue de l'association de volcanologie européenne, 146, 20-21
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- Detay M., 2011. Volcanospéologie en Islande, perspectives scientifiques et émergence du géotourisme, LAVE, revue de l'association de volcanologie européenne, 148, 18-31
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