Outils personnels
Navigation

Aller au contenu. | Aller à la navigation

Vous êtes ici : Accueil RessourcesTTG et adakites : cas particuliers de magmas de zone de subduction

Article | 09/01/2004

TTG et adakites : cas particuliers de magmas de zone de subduction

09/01/2004

Jean-François Moyen

Université de Stellenbosch, Afrique du Sud.

Florence Kalfoun

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Définition et composition chimique des adakites et des TTG (Tonalite - trondhjémite - granodiorite), implications géodynamiques.


Introduction

Dans les zones de subduction, la plus grande partie des magmas qui se forment sous la croûte sont des magmas appartenant à la série calco-alcaline. Il est maintenant acquis que ces magmas sont formés par des réactions de fusion de péridotite hydratée, qui sont en général des réactions de fusion-déshydratation de l'amphibole ; celle-ci provient de la recristallisation, en présence d'eau, des lherzolites de la lithosphère. Cette eau est libérée par les réactions métamorphiques qui ont lieu lors de l'entrée en faciès éclogite de la croûte océanique subductée.

Toutefois, à coté de ces magmas « ordinaires », il existe un certain nombre de laves particulières se formant en contexte de subduction; un groupe entre autre, connu sous le nom d' adakites (d'après l'île d'Adak, dans les Aléoutiennes, où elles ont été décrites initialement), a attiré beaucoup d'intérêt depuis le début des années 1990. En effet, ces adakites ont des compositions chimiques voisines de celles des TTG (Tonalite-Trondhjémite-Granodiorite), les roches dominantes de la croûte archéenne : on pense donc que la formation des adakites reproduit localement des phénomènes qui étaient généralisés à l'Archéen.

Que sont les adakites ?

Les adakites sont des cas particuliers de roches de contexte de subduction; elles vont donc être décrites en les comparant aux roches calco-alcalines « normales ».

Pétrologie

Les adakites sont le plus souvent des laves, bien que quelques plutons adakitiques soient connus. Il s'agit en général d'andésites et de dacites, souvent avec des phénocristaux de plagioclase, de biotite ou d'amphibole; dans certains types d'adakites, on trouve aussi des cristaux de pyroxène.

Contrairement aux laves calco-alcalines classiques, on ne trouve pas de termes basiques (basaltiques); la série calco-alcaline classique est d'ailleurs souvent appelée « BADR », « Basalte-Andésite-Dacite-Rhyolite » (ce terme sera utilisé ici par commodité).

Sans qu'on sache vraiment pourquoi, les adakites sont souvent associées à des gisements d'or ou de cuivre, en tout cas plus fréquemment que les laves BADR.

Sur le terrain ou pétrologiquement, on ne différencie donc pas réellement les adakites des autres laves de subduction.

Éléments majeurs

Le tableau ci-après figure la composition moyenne des adakites, et celle de dacites appartenant à la série BADR.

 

Adakites

Dacites C.A. « normales » (B.A.D.R.)

Éléments majeurs (% poids)

  

SiO2

64,66

68,22

Al2O3

16,77

14,63

Fe2O3

4,20

4.28

MgO

2,20

1,22

CaO

5,00

2,88

Na2O

4,09

4,15

K2O

1,72

3,37

TiO2

0,51

0,46

[(K2O/(Na2O)]

0,42

0,81

Éléments en traces sélectionnés (ppm)

  

La

19

48,1

Yb

0,93

4,4

Sr

706

380

Y

10

47

[(La)/(Yb)]N

14,2

7,5

Sr/Y

68,7

8,1

Comparaison des compositions chimiques des adakites (moyenne de 81 analyses), et des dacites BADR (80 analyses). (Martin, 1998).

Les adakites sont donc assez peu différentes de la série BADR ; elles sont plus calciques et légèrement plus alumineuses et magnésiennes, mais la principale différence est leurs faibles teneurs en potassium (ce qui se traduit par des rapports [(K2O)/(Na2O)] bas).

Diagrammes alcalins-silice et K-Na-Ca

Figure 1. Diagrammes alcalins-silice et K-Na-Ca

A gauche : diagramme alcalins-silice, montrant la nature calco-alcaline des adakites (Al : Alcalin, Th : Tholéitique, champ grisé : calco-alcalin); à droite : diagramme triangulaire K-Na-Ca, mettant en évidence la nature sodique des adakites (ronds noirs), et la nature plus potassique des BADR (ronds blancs). (Source : Martin, 1999).


Dans un diagramme alcalins-silice, on constate que les adakites se trouvent dans le champ calco-alcalin; mais un diagramme triangulaire K-Na-Ca met bien en évidence leur appauvrissement en potassium, comparé à la série BADR (figure 1). Les adakites peuvent donc être décrites comme des laves calco-alcalines particulières, à rapport K/Na faible.

Éléments en traces

Les éléments en traces permettent de mieux distinguer les adakites des BADR. En particulier, les adakites présentent deux caractéristiques significatives (figure 2).

1/ Des teneurs en Sr (strontium) assez élevées, et des teneurs en Y (yttrium) faibles, ce qui se traduit par des rapports Sr/Y élevés.


Des teneurs en terres rares lourdes (Yb : Ytterbium, Lu : Lutétium) faibles, ce qui correspond à des rapports La/Yb (La : Lanthane) faibles.

Cette dernière caractéristique se manifeste aussi si on observe des « spectres de terres rares » : ces diagrammes, fréquents en géochimie, figurent en abscisse les différentes terres rares (lanthanides), de la plus légère, le lanthane, à la plus lourde, le lutétium. En ordonnée, on représente (en échelle logarithmique) le rapport entre la teneur en l'élément considéré dans la roche, et dans une référence (une météorite chondritique, en général) : on parle donc de teneur « normalisée ». La composition d'une roche en terres rares est donc représentée par une série de points (un par terre rare), dessinant une courbe plus ou moins régulière, ce qui permet d'un coup d'œil de visualiser les principales particularités géochimiques.


Les teneurs basses en terres rares lourdes se manifestent dans ces diagrammes par des spectres de terres rares très déprimés dans leur partie droite, et les valeurs [(La)/(Yb)]N élevées correspondent à des spectres de terres rares à forte pente (figure 3). On voit aussi que les BADR présentent un petit « pic » négatif pour une des terres rares, Eu (europium), qui n'existe pas ou peu pour les adakites.

Où les trouve-t-on ?

Adakites et dorsales

La plupart des adakites connues se trouvent dans la ceinture volcanique péri-Pacifique ; l'observation plus précise d'une carte de leur répartition (fig.4) montre qu'elles se localisent préférentiellement au voisinage, ou à l'aplomb, de dorsales océaniques.

Localisation des adakites (triangles blancs) dans la ceinture péri-Pacifique

Figure 4. Localisation des adakites (triangles blancs) dans la ceinture péri-Pacifique

Noter le lien géographique avec les dorsales (traits noirs épais), sauf aux Iles Aléoutiennes.


L'exemple de la Patagonie

Si l'on considère plus précisément une des provinces à adakites, celle du Sud du Chili, il est possible de préciser cette répartition.

En Patagonie, la plaque Nazca (au Nord), et la plaque Antarctique (au Sud), séparées par la dorsale (active) du Chili, entrent en subduction sous la plaque sud-Américaine. Cette subduction est oblique, ce qui fait que l'âge de la croûte qui rentre en subduction (ou sa distance à la dorsale) varie du Nord au Sud (fig. 5).

Les Adakites de Patagonie

Figure 5. Les Adakites de Patagonie

A gauche : carte géologique schématique au voisinage du point triple du Chili. La dorsale séparant les plaques Nazca et Antarctique entre en subduction sous la plaque sud-Américaine ; l'âge de la croûte est figuré. Au milieu : âge de la croûte rentrant en subduction le long de la fosse. A droite : teneurs en Yb des laves formées le long de la fosse. Symboles noirs : adakites; blancs : BADR.


Les adakites ne s'observent que dans la partie la plus méridionale de l'arc chilien (« Zone Volcanique Australe »), c'est à dire là où la croûte océanique subductée est la plus jeune.

Le lien avec l'âge de la croûte

Il est possible de généraliser ces observations, en construisant (pour l'ensemble des laves calco-alcalines connues, BADR comme adakites) un diagramme figurant en abscisse l'âge de la croûte rentrant en subduction à l'aplomb du volcan étudié, et en ordonnée la teneur en Yb ou en Y des laves de ce volcan (on a vu plus haut que ces éléments permettent de discriminer de façon très sûre adakites et BADR) (fig. 6).


Un tel diagramme met très nettement en évidence le fait que les laves à tendance adakitiques (pauvres en Yb et/ou Y) n'existent que quand l'âge de la lithosphère océanique subductée est inférieur à 30 Ma. Les adakites sont donc inféodées à la subduction d'une croûte océanique jeune.

Un modèle de formation des adakites

Sources possibles

Pour les adakites comme pour l'ensemble des laves de subduction, on peut envisager plusieurs sources, présentes dans ce contexte :

  • Des roches de la croûte continentale : mais celles-ci ont typiquement des teneurs en SiO2 plus élevées ou au mieux comparables à que celles des adakites, ce qui rend ce processus improbable.
  • Des roches du manteau (péridotites), hydratées ou non ; il n'y a pas d'impossibilité théorique, mais les roches issues de la fusion d'un manteau non-hydraté sont plutôt des tholéites ou des basaltes alcalins, celles venant d'un manteau hydraté appartiennent typiquement à la série BADR. Néanmoins, on peut envisager des cas particuliers de manteau dont la fusion pourrait former les adakites, ou leurs précurseurs.
  • Des roches basiques, comme celles de la croûte océanique.

Il importe donc de trancher entre les deux dernières hypothèses.

L'apport de la géochimie

Le comportement des éléments en trace obéit à des lois chimiques relativement bien connues; à l'occasion d'un épisode de fusion partielle, la teneur en un élément trace donné du liquide formé dépend :

  • de la teneur en cet élément dans la roche source ;
  • de la nature des minéraux qui restent au résidu ;
  • du taux de fusion.

Tout repose ici sur la notion de « coefficient de partage » : c'est le rapport entre la concentration d'un élément dans un minéral, et la concentration de cet élément dans le magma qui coexiste avec ce minéral. Si le coefficient de partage est élevé, l'élément chimique reste préférentiellement dans le solide, et les liquides formés sont donc pauvres en cet élément; à l'inverse, un coefficient de partage faible signifie que l'élément va passer préférentiellement dans le liquide.

Les coefficients de partage pour les éléments classiques dans les minéraux courants sont relativement bien connus, malgré quelques incertitudes. On peut donc calculer assez précisément la composition théorique d'un liquide formé à partir d'une source choisie, lors d'un épisode de fusion qui laisse un résidu qu'on fixe.

Pour trancher le problème exposé plus haut, on veut tester la fusion partielle de deux sources possibles :

  • une péridotite à grenat, qui fond avec un résidu à olivine, pyroxènes et éventuellement grenat (dans des proportions différentes de celles de la source) ;
  • un basalte, ou plus précisément une amphibolite, c'est à dire un basalte métamorphisé, dans des conditions telles que le grenat est, ou n'est pas, présent dans le résidu.
Spectres de terres rares comparant les adakites (ronds noirs) avec les liquides modélisés, formés dans différents cas : fusion d'une péridotite à grenat; fusion d'une amphibolite; fusion d'une amphibolite à grenat

Figure 7. Spectres de terres rares comparant les adakites (ronds noirs) avec les liquides modélisés, formés dans différents cas : fusion d'une péridotite à grenat; fusion d'une amphibolite; fusion d'une amphibolite à grenat

Dans chaque cas, les ronds blancs figurent la composition de la source. La composition (modélisée) des liquides formés varie plus ou moins largement en fonction du taux de fusion F, créant des compositions dans le champ grisé.


La figure 7 montre le résultat de ces trois modèles, représentés sous la forme d'un spectre de terres rares. On constate que, quel que soit le taux de fusion, il est impossible par fusion partielle de péridotites de former des liquides adakitiques : les liquides formés sont trop riches en terres rares lourdes, quel que soit le taux de fusion, et sont trop pauvres en terres rares légères dès que l'on considère des taux de fusion un peu élevés.

De même, la fusion partielle d'amphibolite sans grenat donne systématiquement des liquides trop riches en terres rares lourdes; seule la fusion partielle d'une amphibolite, dans des conditions où le grenat est présent au résidu, permet de former des liquides adakitiques (ceci est du principalement au fort coefficient de partage du grenat pour les terres rares lourdes, impliquant qu'un liquide coexistant avec un résidu à grenat sera toujours pauvre en terres rares lourdes : caractéristique essentielle des adakites !).

En conclusion, la source probable des adakites est une amphibolite à grenat.

L'apport de la pétrologie expérimentale

Cette hypothèse peut assez facilement être vérifiée expérimentalement. Il « suffit » d'utiliser des dispositifs tels qu' un autoclave à pression de gaz ou une presse à piston-cylindre pour reproduire des conditions « géologiques » de pression et de température. En plaçant dans ces appareils des assemblages minéraux de composition soigneusement contrôlée, on peut reproduire les processus pétrogénétiques. Les produits de la réaction sont alors montés dans de la résine et étudiés au microscope électronique à balayage.

En faisant fondre des amphibolites à grenat, on obtient des liquides dont la composition (dans un diagramme triangulaire K-Na-Ca) est présentée figure 8; on constate aisément que la composition des liquides expérimentaux est très similaire à celle des adakites.


Conditions de formation

Le raisonnement précédent ne donne d'informations que pétrologiques; il n'apprend rien sur le contexte géologique de formation de ces roches. Dans le contexte d'une zone de subduction, et vu le lien entre l'âge de la croûte plongeante et la présence d'adakites, il semble évident que les roches basiques, sources des adakites, sont les basaltes (hydratés) de la croûte océanique subductée. Dans quelles conditions arrive-t-on :

  • à créer des amphibolites à grenat dans la croûte océanique plongeante;
  • à faire fondre ces amphibolites ?
Diagramme P-T, figurant la réaction de fusion-déshydratation de l'amphibole dans un basalte hydraté et les courbes de déshydratation des minéraux hydratés le composant (chlorite, actinote ...).

Figure 9. Diagramme P-T, figurant la réaction de fusion-déshydratation de l'amphibole dans un basalte hydraté et les courbes de déshydratation des minéraux hydratés le composant (chlorite, actinote ...).

FDA : fusion-déshydratation de l'amphibole ; D : déshydratation des minéraux hydratés composant le basalte. La courbe G correspond à la limite inférieure de stabilité du grenat, H correspond à la disparition de l'amphibole (hornblende). Le champ grisé figure la « fenêtre adakitique ». Les traits épais représentent les gradients géothermiques dans une zone de subduction.


Le diagramme figure 9 montre les domaines de stabilité de différents minéraux, ainsi que les courbes de fusion du basalte (fusion-déshydratation de l'amphibole et d'autres minéraux, c'est à dire fusion d'un basalte hydraté; et fusion d'un basalte sans eau libre ni minéraux hydratés). Pour faire fondre une amphibolite à grenat, il faut se trouver dans une zone assez étroite de l'espace P-T :

  • Il faut que l'amphibole (et les autres minéraux hydratés) demeurent stables, c'est à dire qu'on reste à gauche de la courbe D de déstabilisation des minéraux hydratés (actinote, chlorite ...) au profit de pyroxène, et de vapeur d'eau (qui va quitter le système) ;
  • Il faut que le grenat soit stable (faute de quoi les liquides ne sont pas adakitiques), donc il faut être au dessus de la courbe G ;
  • Il faut enfin que la fusion (fusion-déshydratation de l'amphibole) puisse se dérouler, donc il faut être à droite de la courbe FDA.

Autrement dit, on ne peut former d'adakites que dans une étroite « fenêtre », entre 10 et 20-25 kbar, et entre 600 et 1 000°C.

Implications géodynamiques

La question qui se pose est donc de savoir quel processus, dans une zone de subduction, peut être à même de porter des basaltes hydratés à 10 à 25 kbar (30 à 75 km) et 600 à 1 000 °C. Le processus le plus évident est naturellement la subduction de la croûte océanique, qui est bel et bien formée de basalte, celui-ci hydraté par l'altération hydrothermale.

Mais les modèles thermiques montrent que le gradient thermique dans une zone de subduction « normale » est tel que le système est globalement trop froid, et qu'il ne rentre jamais dans la « fenêtre adakitique » : la plaque plongeante croise les courbes de déshydratation avant de croiser la courbe de fusion-déshydratation de l'amphibole (figure 9).

La seule solution est donc d'avoir une zone de subduction plus chaude que la normale. Or, on comprend aisément que plus la lithosphère océanique est jeune (et donc proche de la dorsale où elle s'est formée), et plus elle est chaude. : la figure montre le gradient thermique le long d'une plaque subductée, en fonction de l'âge de celle-ci. On constate aisément que la subduction d'une lithosphère jeune permet la création de gradients tels que la fusion partielle soit possible.


Pour cette raison, on ne peut former d'adakites que dans les cas où une croûte océanique jeune, donc chaude, est subductée ; il est alors possible de faire fondre la croûte basaltique avant qu'elle ne se déshydrate. De ce fait, la production d'adakite est restreinte aux secteurs dans lesquels c'est la dorsale (ou la croûte voisine) qui rentre en subduction, c'est à dire les points triple « dorsale-fosse-fosse ».

Adakites, TTG et croûte continentale

Une des raisons qui font que les adakites ont attiré l'attention des chercheurs est leur ressemblance géochimique avec une famille de roches archéennes, qu'on appelle « TTG » (pour Tonalite-Trondhjemite-Granodiorite), et qui constituent plus des 3/4 du volume des terrains archéens.

Les TTG et la croûte archéenne

Les provinces archéennes (c'est à dire, plus vieilles que 2.5 Ga) sont majoritairement composée de 3 lithologies :

  • Des orthogneiss gris, souvent très déformés (70-80 %);
  • Des bassins volcano-sédimentaires (« ceintures de roches vertes ») (10-20 %);
  • Des granites potassiques tardifs, recoupant ces éléments (10-20 %).

Les gneiss gris, composant dominant des provinces archéennes, ont la composition de granitoïdes sodiques : ce sont des tonalites, c'est à dire une variété de diorites quartzifères; des trondhjémites, correspondant aux plagiogranites dans la classification de Streckeisen); et des granodiorites, c'est à dire dans les trois cas des roches ou le plagioclase représente le feldspath dominant. On parle collectivement de série « T.T.G. ».

Quantité de croûte continentale formée, en fonction du temps, pour différents modèles

Figure 11. Quantité de croûte continentale formée, en fonction du temps, pour différents modèles

Tous les modèles se caractérisent par une croissance rapide à l'Archéen, plus lente depuis, de sorte qu'à la fin de l'Archéen (2.5 Ga) la plus grande partie de la croûte continentale était déjà formée.


Or, comme le montre la figure 11, c'est à l'Archéen que s'est formée la majeure partie de la croûte continentale terrestre. Une petite proportion est restée tel quel; la plus grande partie, impliquée dans des cycles orogéniques variés, a fondu, été déformée, métamorphisée, etc. pour former les continents actuels.

De ce fait, comprendre la formation de la croûte continentale terrestre revient donc à comprendre la formation des TTG.

La formation des adakites : implications pour la formation de la croûte archéenne

Si on considère la composition chimique des TTG, on constate qu'elle est extrêmement voisine de celle des adakites (à quelques détails près, sur lesquels on reviendra plus bas), que ce soit pour les éléments majeurs (enrichissement en Na, absence de termes basiques ...) ou les éléments en traces (spectres de terres rares fractionné, appauvrissement en Y et Yb, etc.). On peut donc considérer que TTG et adakites sont des équivalents, sans doute formés par le même processus.

Or, les modalités de formation de la croûte archéenne, et donc des TTG, sont l'objet d'un vif débat dans la communauté scientifique. On peut, bien entendu, appliquer aux TTG le raisonnement pétrogénétique exposé plus haut pour les adakites; on arrive donc à la conclusion que les TTG ne peuvent qu'être le produit de la fusion partielle d'un basalte hydraté, dans le champ de stabilité du grenat (10-25 kbar).

Mais il est concevable que ces conditions soient réalisées dans d'autres contextes qu'une zone de subduction : par exemple, des points chauds sont capables de créer des plateaux basaltiques épais de 50 à 60 km (Kerguelen, Ontong-Java ...) : à la base de ces plateaux, les conditions seraient telles que le grenat y est stable, et la fusion de la base d'un plateau océanique épais peut produire des liquides de nature TTG.

De plus, il n'y a nulle part, dans les terrains archéens, de preuves indiscutables de subduction. Le métamorphisme HP-BT est totalement absent; même les chevauchements et les failles inverses sont rares, et d'interprétation ambiguë.

Dans ce débat, l'existence des adakites montre qu'il est très facile de former des magmas de type TTG dans une zone de subduction, pourvu qu'elle soit assez « chaude » (subduction de croûte jeune, par exemple); dans la mesure ou la Terre se refroidit constamment, tout porte à croire que la Terre archéenne était plus chaude que la Terre présente, et donc qu'il était plus facile de se trouver dans la fenêtre adakitique à l'Archéen.

L'existence des adakites, et leur similarité avec les TTG, est donc un argument en faveur de l'origine des TTG elles aussi dans des zones de subduction.

Les différences entre adakites et TTG

Si on considère dans le détail les compositions chimiques des adakites et des TTG, on constate qu'il existe quelques différences systématiques, mineures mais significatives. La plus spectaculaire est sans doute l'écart systématique en MgO, Ni et Cr entre les adakites et les TTG, les premières étant systématiquement plus riches en ces éléments que les dernières (figure 12). Les TTG elles-mêmes sont systématiquement plus riches en ces éléments que les liquides expérimentaux.

Comparaison des compositions chimiques des TTG (champ hachuré) et des adakites (champ clair)

Figure 12. Comparaison des compositions chimiques des TTG (champ hachuré) et des adakites (champ clair)

Pour une même teneur en SiO2, les adakites sont toujours plus magnésiennes que les TTG, elles mêmes plus magnésiennes que les liquides expérimentaux (champ sombre).


Or, Mg, Ni et Cr sont des éléments très abondants dans le manteau, mais bien plus rares dans les magmas des zones de subduction. L'hypothèse la plus simple est donc de proposer que les magmas formés par fusion-déshydratation de l'amphibole dans la plaque plongeante soient similaires aux liquides expérimentaux, et donc pauvres en Mg ; au fur et à mesure qu'ils montent vers la surface et traversent le manteau, ils interagissent avec les péridotites et sont « contaminés » par celles-ci, ce qui a pour effet de les enrichir en Mg, Ni et Cr.

Analogue à la figure 10, mais en montrant trois situations différentes, celles des subductions « normales » actuelles, celle des adakites actuelles et celles des TTG archéennes

Figure 13. Analogue à la figure 10, mais en montrant trois situations différentes, celles des subductions « normales » actuelles, celle des adakites actuelles et celles des TTG archéennes

Subduction « normale » actuelle : la plaque se déshydrate avant de pouvoir fondre ; adakites actuelles : la plaque fond à grande profondeur, les magmas interagissent fortement avec le manteau ; TTG archéennes : la plaque fond à profondeur faible, les interactions avec le manteau sont modérées. En bas : schémas des trois situations.


Plus les magmas ont un long trajet à faire, et plus ils ont d'occasions de contamination; on peut donc proposer que les adakites soient issues de régions plus profondes que les TTG (elles ont été plus contaminées, elles ont donc traversé des péridotites sur une plus grande distance). Cette idée est bien compatible avec le refroidissement progressif de la Terre évoqué plus haut : dans la Terre archéenne, chaude, la fusion pouvait avoir lieu à des profondeurs relativement faibles (figure 13); dans la Terre moderne, cette fusion -quand bien même elle arrive à se dérouler- a lieu à des profondeurs plus forte, permettant des plus grandes interactions avec le manteau.

Conclusions et perspectives

Il importe de préciser, à ce stade, que le sujet des adakites reste très largement une question ouverte : si les données et les descriptions du présent texte sont à peu près incontestables, il n'en est sans doute pas de même des interprétations ! Quelques questions actuelles sont :

  • Les adakites forment-elles un ensemble homogène ? Les travaux récents laissent supposer que non, qu'il en existe au moins deux familles, avec des différences au moins de détail dans le mode de formation.
  • Les adakites sont-elles si rares ? Plus les chercheurs travaillent dans la ceinture péri-Pacifique, et plus ils trouvent des adakites ; soit sous forme de laves, soit de façon plus discrète, sous forme d'inclusions dans des cristaux présents, quant à eux, dans des laves BADR normales. Est-ce à dire que toutes les subductions ont une composante adakitique ?
  • Est-on sûr de l'identité entre adakites et TTG ? On a vu au paragraphe précédent qu'il existe quelques différences, n'y en a-t-il pas d'autres ?
  • D'ailleurs, est-on certain que la composition des TTG elle-même ne varie pas au cours du temps ? L'Archéen dure 1,5 Ga, c'est long !
  • Que se passe-t-il précisément lorsque les adakites interagissent avec le manteau lors de leur remontée vers la surface ? Le manteau lui-même est sans doute modifié par ces processus, qu'advient-il de ce manteau modifié ?
  • Pour finir, on ne comprend pas si bien les processus de fusion partielle des basaltes hydratés, et on ne sait pas vraiment ce qui contrôle le détail de la nature des liquides formés ...

Bibliographie

De nombreuses figures et idées de ce texte sont tirées de quatre articles récents, que le lecteur anglophone (et ayant accès à une bibliothèque universitaire) lira avec intérêt. On y discute, en particulier, certaines des idées exposées en conclusion.

[1] Martin, H., 1999. Adakitic magmas: modern analogs of Archaean granitoids. Lithos 46-3, 411-429, doi:10.1016/S0024-4937(98)00076-0

[2] Smithies, R.H., 2000. The Archaean tonalite-trondhjemite-granodiorite (TTG) series is not an analogue of Cenozoic adakites. Earth and Planetary Science Letters, 182-1, 115-125, doi:10.1016/S0012-821X(00)00236-3

[3] Martin, H. et Moyen, J.-F., 2002. Secular changes in TTG composition as markers of the progressive cooling of the Earth. Geology, 30, 319-322, doi: 10.1130/0091-7613(2002)030<0319:SCITTG>2.0.CO;2

[4] Martin, H., Smithies, R.H., Rapp, R., Moyen, J.-F., et Champion, D., 2005. An overview of adakite, tonalite–trondhjemite–granodiorite (TTG), and sanukitoid: relationships and some implications for crustal evolution. Lithos 79, 1-24, doi:10.1016/j.lithos.2004.04.048

Jean-François Moyen, Université de Stellenbosch.