Image de la semaine | 30/11/2020
Les concrétions gréseuses, gogottes et autres poupées de la molasse sableuse miocène du Bas Dauphiné et leur utilisation par le facteur Ferdinand Cheval
30/11/2020
Résumé
Circulations de fluides, grésification partielle et formation de concrétions aux usages inattendus.
Source - © 2020 - 2015 Pierre Thomas - Scan the World, CC BY-SA 4.0 |
Les parois des canyons, les “falaises” du secteur de Saint-Fons (Rhône), et de très nombreux autres affleurements dans le triangle Lyon-Voiron-Valence laissent voir ces concrétions gréseuses in situ dans leur sable. On les voit partiellement dégagées, et avec des bords moins lisses (moins nettoyés) que celles montrées ci-dessus et trouvées dans le lit du ruisseau (à sec en été) au fond d'un canyon (cf. Les canyons dans la molasse miocène du Bas Dauphiné). On voit les relations de ces masses concrétionnées avec la stratification. La géométrie globale de ces concrétions oscille entre deux extrêmes : (1) le concrétionnement a affecté, plus ou moins irrégulièrement, toute une strate, ou (2) le concrétionnement n'a affecté que des masses isolées au sein du sable. Il existe tous les intermédiaires possibles, comme des masses isolées mais disposées au sein d'une même couche de sable. La circulation des eaux phréatiques internes au sable à l'origine de la grésification est bien sûr due aux écoulements gravitaires (l'eau à tendance à descendre “vers les points bas”) et aussi aux gradients de température (l'eau chaude à tendance à monter, l'eau froide à descendre). Elle est souvent mais pas toujours guidée par les irrégularités de porosité du sable, elles-mêmes issus des irrégularités de la sédimentation. Les premières zones où les fluides ont déposé du ciment (calcite et/ou silice) remplissant les interstices entre les grains de sable ont dû servir de germes localisés de dépôt et/ou de cristallisation et favoriser ainsi la croissance localisée centrifuge de masses concrétionnées pouvant s'interpénétrer. Ainsi naissent ces masses bizarres, parfois appelées « poupées de grès » et maintenant appelées « gogottes » depuis les années 1970, au moins pour celles qu'on trouve dans les Sables de Fontainebleau.
Le ciment de ces concrétions peut être de nature siliceuse et/ou calcaire, les deux constituants existant dans le sable de la molasse il faudrait un examen attentif de chaque gogotte (genre lame mince, par exemple) pour trancher. Les eaux phréatiques circulant dans la masse du sable doivent être saturées en ces deux composés. Si ces eaux circulantes se rapprochent de la surface topographique, soit parce qu'elles sont ascendantes, soit parce qu'elles se rapprochent d'un versant, leur température diminue. La solubilité de la silice diminuant avec une baisse de température, la silice a alors tendance à précipiter, et on aura une concrétion à ciment siliceux. Si, au contraire, ces eaux s'éloignent de la surface, leur température augmente en s'enfonçant. Or la solubilité de la calcite diminue avec une hausse de la température, et on aura une concrétion à ciment calcitique. Un fort contraste de température entre une nappe phréatique « tiède » et une surface topographique froide augmentera les gradients de température, favorisera les mouvements (convectifs) des eaux phréatiques, et donc favorisera le concrétionnement des sables. Or, pendant toutes les périodes glaciaires du Quaternaire, le triangle Lyon-Voiron-Valence était en zone péri-glaciaire, voire sous la calotte glaciaire comme durant la glaciation du Riss. La température extérieure était très basse. Plusieurs études suggèrent fortement ces relations climat-grésification dans la région des Sables de Fontainebleau (cf., par exemple, Sables et Grès de Fontainebleau : que reste-t-il des faciès sédimentaires initiaux ?, M. Thiry, 2013). Nous y reviendrons dans les deux prochaines images de la semaine, consacrées aux gogottes et aux concrétions calcitiques au sein des Sables de Fontainebleau.
En avril 1879, le facteur Ferdinand Cheval (1836-1924) arpentait le secteur d'Hauterives dans la Drôme pour ses tournées de distribution du courrier dans les fermes et hameaux isolés, tournées qu'il faisait à pied et dont les plus longues faisait près de 40 km. Or Hauterives est au cœur de la zone molassique du Bas Dauphiné. En 1879, il avait déjà certainement remarqué ces roches aux formes étranges que sont les concrétions gréseuses. Enfant, il avait sans doute joué avec certaines de ces pierres ressemblant à des personnages. Mais en avril 1879, au retour d'une de ses tournées, il butta sur une de ces pierres à la forme bizarre, une grosse concrétion gréseuse. Ce fut pour lui un “déclic”. Pendant les 33 ans qui suivirent, au retour de chacune de ses tournées, puis pendant ses années de retraite, il va ramasser des cailloux qu'il choisira pour leur forme, leur couleur… et va bâtir son “palais”. Les cailloux les plus fréquemment ramassés par Ferdinand Cheval sont des concrétions gréseuses, des galets fluvio-glaciaires (toute la région d'Hauterives est couverte de terrains quaternaires périglaciaires) et des morceaux de travertins (fréquents dans ce pays de grès calcaires). Et en rajoutant des granites ramassés sans doute de l'autre côté du Rhône, en Ardèche, des coquilles d'huitres et pièces de maçonnerie “moulées” selon sa fantaisie, Ferdinand Cheval a bâti tout seul un palais de rêve entre 1879 et 1909 (il a alors 76 ans) : le « Palais idéal ». D'abord moqué par les habitants, ce palais unique au monde attire les visiteurs et les artistes dès le début du XXe siècle. Il a été classé Monument historique par André Malraux en 1969. Quand vous irez visiter ce Palais idéal, admirez la construction, méditez le message philosophique (subliminal ou clairement exprimé par des inscriptions écrites sur certains murs par Ferdinand Cheval)… mais n'oubliez pas la géologie, visible partout pour qui sait regarder. Si l'administration postale de l'époque avaient nommé Ferdinand Cheval de l'autre côté du Rhône, en Ardèche, en dehors du pays de la molasse, sans doute n'y aurait-il pas de Palais idéal, car on ne fait pas un palais aussi délirant avec du granite ou du gneiss. Sans doute n'en aurait-il même pas eu l'idée.
Source - © 2020 Pierre Thomas | |