Image de la semaine | 14/09/2020
Le volcanisme rhyolitique permien du Sud de la France : Estérel, Corse, Briançonnais et Béarn
14/09/2020
Résumé
Exemples français de volcanisme rhyolitique tardi-hercynien, explication du magmatisme bimodal tardi-orogénique.
Nous avons vu les deux semaines précédentes qu'un important volcanisme rhyolitique avait eu lieu au Viséen supérieur (Carbonifère inférieur, 330 à 340 Ma) dans le Nord-Est du Massif Central (cf. Des rhyolites aux granites d'anatexie : le volcanisme hercynien acide de la région de Roanne (Loire et Rhône), un exemple de volcanisme de zone de collision). Ce volcanisme acide est l'expression superficielle d'un magmatisme qui se manifeste aussi sous forme de granites, voisins et contemporains (cf. Le granite de Saint-Julien-la-Vêtre (Loire), un granite hercynien ordinaire mais riche d'enseignements) Nous avons vu que ce magmatisme acide, volcanisme comme plutonisme, provient de la fusion partielle de la croute continentale. Ce magmatisme acide viséen massif est associé à un magmatisme basique (issu de la fusion partielle du manteau) beaucoup plus limité. Ces magmatismes ont eu lieu en contexte d'extension tardi-collisionnel, qui a débuté au Carbonifère inférieur dans ce secteur de la chaine hercynienne, et impliquent les fusions partielles et de la croute continentale et du manteau.
Nous allons voir que, dans le Sud de la France, des phénomènes apparemment similaires ont eu lieu au Carbonifère terminal / Permien inférieur (310 à 260 Ma) : association de magmatismes acide (en général dominant) et basique, association du volcanisme et du plutonisme. Il semble donc que ce qui s'est produit au Viséen dans le Nord-Est du Massif Central se soit reproduit quelques dizaines de millions d'années plus tard plus au Sud dans la chaine hercynienne. Sans rentrer dans les détails de l'origine de ce magmatisme tardi-collisionnel, nous allons vous montrer que ce volcanisme acide associé aux zones de collision finissante n'est absolument pas un phénomène marginal, mais qu'il est répandu, et qu'il est aussi à l'origine de splendides paysages ce qui ne gâche rien. Nous allons vous montrer paysages, affleurements et roches de l'Estérel (Var), de la presqu'ile de Scandola (Corse du Sud), de la vallée du Guil (Hautes Alpes) et du Pic du Midi d'Ossau (Pyrénées-Atlantiques). Le volcanisme en France métropolitaine n'est pas limité au volcanisme tertiaire et quaternaire du Massif Central !
Source - © 2010 Gilbert Crevola |
Source - © 2011 Tobi 87 – CC BY-SA 3.0 |
Les rhyolites de l'Estérel sont interstratifiées dans les grès et pélites permiennes, entre Cannes et Saint-Raphaël. Ce Permien sédimentaire et volcanique remplit un bassin semblable aux nombreux autres bassins permiens (et stéphano-permiens) de France (Lodève, Saint-Afrique, Le Creusot…). Ces bassins sont des grabens (ou des demi-grabens) limités par failles normales, conséquences de l'extension et de la relaxation tardi-hercynienne. Ce volcanisme est daté autour de 275 Ma. Le volcanisme de l'Estérel est majoritairement acide, mais pas exclusivement. Il est en effet accompagné d'un volcanisme basique (basaltique) limité, présent sous forme de sills et de quelques coulées. Les laves intermédiaires sont très rares. L'origine de ce volcanisme bimodal (acide et basique) sera discutée plus loin.
Source - © 2010 Gilbert Crevola, colorisé | |
On retrouve en Corse (et aussi en Sardaigne) les mêmes roches qu'en Estérel, avec une différence majeure : en plus des rhyolites (et d'un faible pourcentage de roches basiques), il y a aussi des granites, de même chimie et de même âge que les roches volcaniques. Cette similitude Estérel/Corse n'est pas étonnante, puisqu'au Permien la Méditerranée occidentale n'existait pas et que la faille Nord-pyrénéenne n’avait pas encore joué. L'actuel bloc corso-sarde était alors contigu du Languedoc. Les cendres rhyolitiques du bassin permien de Lodève (cf. Uranium : des gisements aux usages) ont d’ailleurs peut-être pour origine un volcanisme corse contigu à l’époque. Au Crétacé supérieur, le jeu de la faille Nord-pyrénéenne entraine la dérive du bloc ibérico-corso-sarde vers l’Est et, de fait, la Corse se trouve face à l’Estérel au début de l’ouverture du bassin algéro-provençal (Méditerranée occidentale) (voir figure 19 de Un volcanisme bien méconnu et pourtant si riche d'enseignement : le volcanisme du Crétacé supérieur du Pays Basque, ses pillow-lavas et la salinité de l'eau de mer).
Il y a dans ce secteur Nord-Ouest de la Corse “hercynienne” trois unités magmatiques séparées par chronologie relative et/ou absolue, les unités U1, U2 et U3. L'unité U1 date du Carbonifère inférieur et est comparable aux formations magmatiques (granitiques et rhyolitiques) du Viséen du Nord du Massif central qui ont fait l'objet de l'article précédent et n'est pas concernée par le présent article. Les unités U2 et U3 se sont mises en place entre 308 et 275 Ma, la majorité en un court laps de temps (entre 293 et 278 Ma). L'unité U2 est composée majoritairement de monzogranite et de monzogranodiorite et de leurs équivalents volcaniques (rhyolite, dacite…). L'unité U3 est majoritairement composée de rhyolites et de granites alcalins. Ces deux unités contiennent aussi un faible pourcentage de roches basiques (synthèse d'après Rossi et al., 2015, Bull. Soc. géol. France, 2015, 186, 2-3, 171-192).
L'origine de ce magmatisme bimodal (majoritairement acide) sera, comme celui de l'Estérel, discuté ultérieurement. En attendant, nous vous montrons quelques photographies provenant de la presqu'ile de Scandola (Corse du Sud), une ancienne caldeira, et une carte de l'ensemble Scandola / Monte Cinto. Ces photographies et documents sont complémentaires de leurs pendants continentaux de l'Estérel.
Source - © 2008 Jean-Pol Grandmont – CC BY-SA 3.0 | Source - © 2007 Pinpin – CC BY-SA 3.0 |
Source - © 2013 Michael Clarke – CC BY-SA 2.0 | Source - © 2005 Bar-Christian – CC BY-SA 3.0 |
Source - © 2013 Michael Clarke – CC BY-SA 2.0 | |
Source - © 2015 D'après Rossi et al., colorisé |
En plus de l'ensemble Estérel/Corse, ce volcanisme acide permien affleure aussi en zone briançonnaise, la zone des Alpes comprise entre la zone dauphinoise et la zone liguro-piémontaise. Ces affleurements volcaniques permiens sont nombreux en France, mais très petits, trop petits pour être représentés sur la carte géologique au 1/1 000 000. Ils sont par contre abondamment représentés en Italie, au Sud du Piémont et en Ligurie (cf figure 30). Nous vous avons déjà montré des dacites et des micro-granodiorites permiens en Briançonnais, cf. Le Briançonnais, peut-être la meilleure région de France pour découvrir les histoires sédimentaires et volcaniques tardives des chaines de collision (chaine hercynienne) à partir de la figure 20. Pour rester dans le domaine des rhyolites rouges, nous vous montrons un secteur des gorges du Guil (Hautes-Alpes), secteur traversé mais souvent ignoré par les excursions qui vont en Queyras voir les ophiolites en faciès schiste bleu.
On trouve des manifestations de ce volcanisme bimodal acide-basique permien ailleurs que dans le quart Sud-Est de la France, en particulier à l'Ouest des Pyrénées, en Pays basque et en Béarn. Le plus emblématique de ces volcans permiens pyrénéens est le Pic du Midi d'Ossau (Pyrénées-Atlantiques). Comme en Corse pour le Monte Cinto ou à Scandola, il s'agit des restes d'un vaste édifice volcanique s'étant effondré en une caldeira, difficile à reconnaitre à cause de l'érosion (en particulier glaciaire) et parce que cet édifice et quelques autres à son voisinage ont été très déformés par l'orogenèse pyrénéenne, contrairement à ceux de Corse ou d'Estérel peu touchés par les orogenèses pyrénéo-provençale et alpine. La notice de la carte géologique à 1/50 000 de Laruns-Somport distingue deux épisodes principaux : un premier cycle essentiellement acide, avec rhyolite, ignimbrites… très dominantes, un second cycle plus basique, avec basalte, andésite, mais aussi dacite… Ce volcanisme est daté entre 304 et 265 Ma.
Source - © 2004 Notice de la carte géologique de Laruns-Somport à 1/50 000, colorisé |
Il reste maintenant à proposer la (les) source(s) de ces différents magmas, et le(s) contexte(s) géodynamique(s) de la fusion de ces sources.
Il n'y a à priori pas de problème pour la source des magmas basiques : ils proviennent de la fusion partielle du manteau. Ces magmas basiques appartiennent aux lignées tholéiitique et calco-alcaline, avec en particulier des basaltes et des andésites. Mais, attention, la présence de roches de la lignée calco-alcaline ne signifie pas “obligatoirement” fusion du manteau à l'aplomb d'une zone de subduction, contrairement à ce que beaucoup croient encore en 2020. Par exemple, pour les roches de l'unité U2 de Corse qui appartiennent à la lignée calco-alcaline, la notice de la carte géologique de Galéria-Osani écrit : « Cependant, d'après B. Cabanis et al. (1990), le rapport Th/Ta de ces andésites (5,2 à 9,1) est élevé mais il demeure toutefois inférieur à celui des andésites calco-alcalines des zones de subduction. Ce rapport est proche des valeurs moyennes de la croute continentale. Ainsi, le caractère « calco-alcalin » des andésites corses ne résulte pas du fonctionnement de paléo-plans de subduction néo-varisques. Ce caractère a été secondairement acquis par un magma basique tholéiitique alumineux qui a subi une hydradation et une contamination par la croute continentale (Rossi, 1986 ; Cocherie et al, 1993). »
Les magmas intermédiaires peuvent provenir (1) d'une différenciation partielle d'un magma basique, (2) d'une contamination d'un magma basique lors de sa traversée de la croute continentale, (3) d'un mélange entre un magma acide et un magma basique. Des études de terrains comme géochimiques suggèrent que les trois processus ont eu lieu. Il reste à déterminer leur importance relative, sans doute variable d'un massif à l'autre.
Les magmas acides devenus des rhyolites, les plus abondants au Carbonifère et au Permien, proviennent soit de la différenciation d'un magma basique, soit de la fusion partielle de la croute continentale. Ce sujet a longtemps été discuté. Mais la prédominance des rhyolites sur les roches basiques ou intermédiaires ne plaide pas pour la différenciation comme origine des magmas acides, les roches différenciées étant en théorie minoritaires par rapport aux roches non différenciées. Les reliques “continentales” trouvées dans certaines rhyolites et surtout des études géochimiques prouvent une origine crustale. Par exemple la notice de la carte de Laruns-Somport écrit : « Les signatures isotopiques, −10 < εNd < −7, des rhyolites et dacites peralumineuses du premier cycle du volcanisme de l'Ossau indiquent que les magmas de ce premier cycle volcanique proviennent de la fusion de matériel continental, comme en témoigne aussi la présence de zircons protérozoïques hérités. »
Jusque dans les années 1980, les derniers granites des Pyrénées, les granites de l'unité U2 de Corse… étaient souvent considérés comme tardi-tectoniques, comme les dernières manifestations de l'orogenèse hercynienne. Les roches volcaniques (et les granites) de l'unité U3 de Corse étaient, elles, souvent considérées comme indépendantes de l'orogenèse hercynienne. On parlait d'ailleurs de magmatisme anorogénique, comme celui des granites intra-cratoniques que sont les complexes annulaires du Niger. Depuis, les progrès et la multiplication des datations ont montré que volcanisme et plutonisme étaient contemporains, et reliés à l'histoire tardi-hercynienne. Les notices des cartes géologiques de carte de Laruns-Somport (Pyrénées) et de Galéria-Osani (Corse), qui synthétisent les derniers résultats connus à l'époque de leur rédaction (2004 et 1996) indiquent aussi que dans l'Ouest des Pyrénées et en Corse, ce magmatisme était contemporain d'un métamorphisme HT-BP affleurant dans la même région.
On peut synthétiser et résumer ainsi le relatif consensus quant à l'origine de ces phénomènes magmatiques du Carbonifère terminal et du Permien dans le Sud de la France. Il faudrait étendre ces études et réflexions au volcanisme rhyolitique permien que l'on trouve dans le Morvan, dans les Vosges… À cette époque, le raccourcissement hercynien vient de se terminer à l'emplacement de la France. La croute continentale épaissie par les chevauchements s'amincit sous l'effet des forces de volume, avec extension généralisée et remontée du Moho. La croute inférieure, chaude, se décomprime ce qui favorise sa fusion partielle. En même temps, il y a délamination lithosphérique (on parle aussi de lithospheric breakdown). Cette chute du manteau lithosphérique entraine une remontée de l'asthénosphère jusqu'au Moho, ce qui réchauffe encore la croute inférieure. Cette remontée de l'asthénosphère entraine sa fusion partielle par décompression et la production d'un important volume de magma basique. Ce magma basique se plaque en partie sous le Moho, et remonte aussi dans la croute inférieure. Cela réchauffe encore plus la croute inférieure. À cause de tous ces phénomènes, la croute inférieure fond partiellement, ce qui produit une grande masse de magma acide. Ce magma acide remonte, et donne des granites s'il s'arrête avant la surface, et des rhyolites s'il atteint cette surface. Une relativement faible quantité de magma basique atteint aussi la surface et la subsurface, magma plus ou moins modifié lors de la traversé de la croute et/ou de son mélange avec du magma acide.
Remerciements
Merci (1) à Philippe Rossi (BRGM, Orléans) de m'avoir résumé l'état des connaissances actuelles et de m'avoir fourni une abondante bibliographie, et (2) à Jacques Maillos de m'avoir fourni des photographies du Pic du Midi d'Ossau.