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Image de la semaine | 22/06/2020

Faire de la géologie en visitant les calanques de Marseille

22/06/2020

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Urgonien, structuration pyrénéo-provençale, canyons et érosion karstique, variations du niveau de la Méditerranée (Messinien et cycles glaciaires).


La calanque de Sugiton vue depuis le col de Sugiton en direction du Sud-Est

Figure 1. La calanque de Sugiton vue depuis le col de Sugiton en direction du Sud-Est

Les roches du premier et de l'arrière-plan sont en calcaire Urgonien (ici, Barrémien, 130 à 125 Ma). Les roches au fond de la vallée sont constituées de Valanginien et d'Hauterivien (140 à 130 Ma), légèrement plus marneux et un peu moins résistants. Les couches ne montrent pas de déformations évidentes, si ce n'est un pendage apparemment monoclinal vers le Sud-Est.


La calanque de Morgiou vue en direction du Sud-Ouest

Figure 2. La calanque de Morgiou vue en direction du Sud-Ouest

Les roches du premier et de l'arrière-plan sont en calcaire Urgonien (ici, Barrémien, 130 à 125 Ma). Le fond de la vallée en amont du village de Morgiou est en Tithonien, Valanginien et Hauterivien (152 à 130 Ma). Les couches d'Urgonien sont inclinées vers le Sud-Ouest.


La calanque d'En-Vau, vue prise en direction du Sud-Est

Figure 3. La calanque d'En-Vau, vue prise en direction du Sud-Est

La calanque est entièrement creusée dans le calcaire Urgonien (ici, Barrémien, 130 à 125 Ma). La morphologie karstique formant des pinacles laisse supposer que l'Urgonien est ici légèrement dolomitique (cf. Un très bel exemple d'érosion karstique ruiniforme dans des calcaires dolomitiques : le cirque de Mourèze (Hérault) ou Le bois de Païolive (Ardèche), un exemple de méga-lapiaz dolomitique). À l'avant-dernier plan, on voit les falaises “rousses” du Cap Canaille faites de Crétacé supérieur. Fermant l'horizon, on devine le Paléozoïque du Cap Sicié.


Le Parc national des Calanques est situé au sein d'un massif calcaire, principalement constitué de calcaire Urgonien (ici, Barrémien, 130 à 125 Ma) qui forme les principaux reliefs, par exemple le Mont Puget (584 m). La notice de la carte géologique d'Aubagne-Marseille décrit ainsi ce faciès dit Urgonien : « C'est une puissante masse (250 à 450 m) de calcaires biodétritiques compacts à patine très blanche et dont la cassure varie du blanc très pur au beige parfois rosé. Des joints de stratification découpent l'ensemble en très gros bancs (calanque de Port-Miou), les joints stylolithiques pouvant être localement très abondants. Les formations construites sont absentes, mais les biostromes à Rudistes sont très fréquents : Requienia ammonia, Toucasia carina ». Des vues rapprochées de calcaire urgonien (mais ne venant pas des calanques) peuvent être retrouvées dans l'article de la semaine dernière Découvrir les rudistes en parcourant les rues de Saint-Sébastien (Pays basque espagnol) et en visitant le musée d'Orgon (Bouches du Rhône). C'est l'érosion de cet Urgonien calcaire qui “plonge” dans la mer entre Marseille et Cassis qui est à l'origine de paysages extraordinaires : les Calanques.

On peut résumer ainsi l'histoire de la région des calanques. La région est constituée d'une série sédimentaire continue qui va du Jurassique moyen au Barrémien (de faciès urgonien), surmonté localement d'une faible épaisseur de marnes de la fin du Crétacé inférieur. Toute la région des calanques émerge au milieu du Crétacé (émersion bauxitique) puis se ré-enfonce au Cénomanien, début du Crétacé supérieur. Une puissante série gréso-calcaire se dépose sur l'Urgonien, du Cénomanien (96 Ma) au Santonien (84 Ma). Cette série a été érodée sur le massif des Calanques mais affleure encore à l'Est de Cassis, où elle forme les plus hautes falaises de France (presque 400 m) au Cap Canaille. Du Crétacé terminal à l'Éocène (de 70 à 40 Ma), la région subit la tectonique pyrénéo-provençale, ce qui entraine sa surrection. Au niveau du Parc des Calanques, la tectonique est relativement modérée, et ne se traduit que par des failles et des plis à grand rayon de courbure et faible pendage des flancs. L'ouverture de la Méditerranée occidentale à l'Oligocène supérieur-Miocène inférieur (≈ 23 Ma) entraine le jeu de failles normales et la création de bassins (comme le graben de Marseille) dominés par des blocs soulevés, comme le massif des Calanques. Pendant tout le Miocène et le Plio-quaternaire, ce massif des Calanques est la proie d'une intense érosion karstique, avec creusement de multiples gorges et petits canyons à la morphologie caractéristique des pays calcaires, avec le développement d'un réseau karstique souterrain… Le creusement de ces gorges et canyons est guidé par les failles et diaclases héritées de la tectonique pyrénéo-provençale et de l'extension oligo-miocène associée à l'ouverture de la Méditerranée occidentale, failles majoritairement NO-SE et NE-SO. Cette érosion est particulièrement intense au Messinien (entre 6 et 5,3 Ma), quand le niveau de la mer Méditerranée a baissé d'environ 2000 m. Cette baisse du niveau de base a certainement entrainé un surcreusement intense des gorges qui entaillaient déjà la masse de calcaire urgonien. Cette érosion et ce creusement des gorges ne s'est pas arrêté au niveau 0 actuel comme il le fait aujourd'hui, mais s'est poursuivi jusqu'à la profondeur du niveau de la Méditerranée résiduelle messiniene (−2000 m). L'érosion de ces gorges et canyons redevint “normale” à partir de 5,3 Ma quand le niveau de la Méditerranée revint à peu près à son niveau actuel. Mais depuis, le développement et la fonte plus ou moins importante des calottes glaciaires dans les hautes latitudes de l'hémisphère Nord entrainent des variations du niveau de la mer. En période interglaciaire comme maintenant, la mer est 120 m plus haute qu'en période glaciaire comme il y a 20 000 ans. Pendant les périodes glaciaires (qui durent plus longtemps que les périodes interglaciaires), l'érosion continue de creuser gorges et canyons jusqu'à −120 m. Et pendant ces périodes de bas niveau marin, les torrents déblaient les alluvions qui aurait pu se déposer au niveau 0 aux périodes interglaciaires, là où les torrents (temporaires) ayant creusé les gorges atteignaient la mer. Les calanques correspondent donc à d'anciennes gorges creusées depuis le Messinien, puis alternativement surcreusées pendant les périodes glaciaires et ennoyées pendant les périodes interglaciaires, comme maintenant. Les calanques sont majoritairement orientées NO-SE et NE-SO, comme les failles et diaclases qui ont guidé le creusement des vallées.

Vue d'ensemble du massif des Calanques, depuis le Cap Canaille avec un éclairage matinal de fin d'été

Figure 4. Vue d'ensemble du massif des Calanques, depuis le Cap Canaille avec un éclairage matinal de fin d'été

Le premier plan est constitué par des grès du Turonien (93 à 89 Ma). La Baie de Cassis qui traverse l'image de gauche à droite est creusée dans du Cénomanien (100 à 93 Ma). Tout l'arrière-plan est constitué d'Urgonien (130 à 125 Ma). On y voit le débouché des principales calanques. À gauche, les iles de l'archipel de Riou.


Carte topographique IGN du massif des Calanques entre Marseille et Cassis et localisation des images

Figure 5. Carte topographique IGN du massif des Calanques entre Marseille et Cassis et localisation des images

Les principales calanques de direction NO-SE ont été surlignées en rouge et les calanques NE-SO en bleu. La direction NO-SE des iles de l'archipel de Riou (surligné en violet) a sans doute aussi une origine tectonique. Les numéros cerclés renvoient aux numéros des figures et correspondent approximativement à l'endroit d'où ont été prises les photos. À l'Est, on voit la localisation du Cap Canaille d'où a été prise la photo 4.


Carte géologique au 1/50 000 du massif des Calanques avec la même échelle et le même cadrage que la figure 5

Figure 6. Carte géologique au 1/50 000 du massif des Calanques avec la même échelle et le même cadrage que la figure 5

JS correspond au Jurassique supérieur, V et H au Valanginien et à l'Hauterivien, U à l'Urgonien (Barrémien), CS au Crétacé supérieur et O à l'Oligocène.



Localisation du massif des Calanques (rectangle rouge) dans le cadre morphologique de la Méditerranée au Messinien

Figure 8. Localisation du massif des Calanques (rectangle rouge) dans le cadre morphologique de la Méditerranée au Messinien

La localisation de ce massif calcaire perché au bord d'un à-pic dominant une dépression de 2000 m de profondeur explique la vigueur de l'érosion à cette époque. Les gorges et canyons creusés à cette époque ont continué à être surcreusées après le Messinien, surcreusement jusqu'à l'altitude −120 m pendant les périodes glaciaires. C'est l'immersion de ces gorges par la mer pendant les périodes interglaciaires qui est à l'origine des calanques.


De nombreux sentiers permettent de visiter les Calanques “par la terre” comme le montrent les photos 1 à 3. On peut également les visiter “par la mer”, soit au départ de Marseille, soit au départ de Cassis. Nous vous montrons 25 photographies prises lors d'une “croisière” au départ de Marseille un après-midi de fin novembre 2017. La date de cette croisière explique que le soleil est bas sur l'horizon et que les falaises orientées vers l'Est et les calanques les plus profondes soient à l'ombre. Les commentaires géologiques seront réduits au strict minimum. Les localisations des prises de vues sont (approximativement) localisées sur la figure 5.

Deux petites calanques entre Les Gouldes et Sormiou

Entre les Gouldes et Sormiou

Pseudo-anticlinal entre les Gouldes et Sormiou

Figure 11. Pseudo-anticlinal entre les Gouldes et Sormiou

On devine ce qui ressemble à un pli, mais qui est plus vraisemblablement un effet topographique entre des strates pendant vers la mer et une petite vallée créant une “encoche” topographique dans les terres.



L'entrée de la calanque de Sormiou

Dans la calanque de Sormiou

Au fond de la calanque de Sormiou

Vue globale de la “rive” Est de la calanque de Sormiou

Figure 16. Vue globale de la “rive” Est de la calanque de Sormiou

Les strates urgoniennes forment un vaste anticlinal à grand rayon de courbure. Cette falaise se termine à droite par le Cap Morgiou. C'est à 36 m sous le niveau de la mer, sous ce Cap Morgiou, que se situe l'entrée de la célèbre grotte Cosquer, grotte ornée découverte en 1985.




Dans la calanque de Morgiou

Figure 19. Dans la calanque de Morgiou

Cette calanque est vue “de haut” à la figure 2.


Vue globale sur la rive Est de la calanque de Morgiou


L'entrée de la calanque de Sugiton

Figure 22. L'entrée de la calanque de Sugiton

Le cap Sugiton (au 1er plan) et les trois-quarts supérieurs de l'arrière-plan sont constitués de calcaire urgonien avec un léger pendage vers la droite (vers le SE). Le quart inférieur gauche (plus végétalisés) est constitué d'Hauterivien.


Le fond de la calanque de Sugiton

Figure 23. Le fond de la calanque de Sugiton

Cette calanque de Sugiton est vue “de haut” à la figure 1. La grosse barre calcaire en haut à droite est constitué de calcaire urgonien. Le reste est constitué de calcaire ou de calcaire marneux hauterivien. Le milieu de la crête est détaillé sur la photo suivante.


Détail de la base de la barre urgonienne de la photo précédente, calanque de Sugiton

Figure 24. Détail de la base de la barre urgonienne de la photo précédente, calanque de Sugiton

Le calcaire hauterivien est un peu plus marneux. Sa stratification est visible et montre des plissements décamétriques (à moins que ce ne soit un effet de l'intersection entre pendage et topographie).


Prolongation en direction du Sud du contact Urgonien/Hauterivien de la photo précédente, calanque de Sugiton

Figure 25. Prolongation en direction du Sud du contact Urgonien/Hauterivien de la photo précédente, calanque de Sugiton

On voit très bien les calcaires massifs de l'Urgonien surmonter les calcaires légèrement marneux et bien stratifiés de l'Hauterivien. Ces strates hauteriviennes sont plissées avec des plis à “petit” rayon de courbure, ce qui n'est pas le cas des calcaires massifs. On a là soit une illustration classique du phénomène de disharmonie (cf. Les plis disharmoniques de Saint-Julien-en-Beauchêne, Hautes Alpes) soit l'effet local du passage d'une faille.



L'entrée de la calanque d'En-Vau

Dans la calanque d'En-Vau

Figure 31. Dans la calanque d'En-Vau

Cette calanque est vue “d'en haut” à la figure 3.


Dans la calanque d'En-Vau

Figure 32. Dans la calanque d'En-Vau

Cette calanque est vue “d'en haut” à la figure 3.