Image de la semaine | 20/01/2020
Le Far-West américain ? Non, les Bardenas Reales, des badlands au pied des Pyrénées, en Navarre espagnole
20/01/2020
Résumé
Érosion de type badlands dans le bassin argilo-gréseux miocène de l'Èbre : cuestas, buttes témoins et mini-canyons en paysage semi-désertique.
Nous venons de voir, en France (cf. Les Pénitents des Mées (Alpes de Haute Provence) : des figures d'érosion étonnantes mais classiques dans les conglomérats indurés) ou en Espagne (cf. Érosion et sédimentation syntectoniques oligo-miocènes : l'exemple des Mallos de Riglos sur le versant Sud des Pyrénées, Aragon, Espagne) à quoi ressemblent, classiquement, les morphologies engendrées par l'érosion dans les conglomérats indurés. Cette morphologie est très différente de ce qu'on trouve dans les carbonates (cf., par exemple, Un très bel exemple d'érosion karstique ruiniforme dans des calcaires dolomitiques : le cirque de Mourèze (Hérault)), dans les granites (cf. Altération, érosion en boule et chaos granitiques : Devils Marbles Conservation Reserve, Australie). La morphologie assez caractéristique des argiles (et des marnes argileuses) se nomme badlands, du nom qu'ont donné les pionniers américains dans leur progression vers l'Ouest à une région du Dakota du Sud où ce type de morphologie est très fréquente. Cette morphologie n'existe pas qu'aux États-Unis ou dans les pays semi-désertiques. On le trouve en France, cf., par exemple, Le ravin de Corbœuf (commune de Rosières, Haute Loire) : un bel exemple de badlands auvergnats, et aussi en Espagne, au pied des Pyrénées, en Navarre. Dans les Bardenas Reales, cette érosion cisèle des escarpements de type cuesta, et aussi les flancs de buttes témoins épargnées par l'érosion à grande échelle.
Nous vous montrons 22 photographies caractéristiques de ce type d'érosion dans la région des Bardenas Reales. Puis nous vous montreront quelques autres aspects de la géologie de cette région qui mérite une visite, qui n'est qu'à 100 km de la frontière française, et qui est couverte par la carte géologique de France au 1/1 000 000.
Source - © 2010 Fmoron |
Source - © 2015 Jean-Christophe BENOIST - CC BY 3.0 | |
Source - © 2005 Grabat – CC BY-SA 3.0 | |
Source - © 2009 Wenkbrauwalbatros – CC BY-SA 3.0 |
Les Bardenas Reales sont un lieu assez touristique et, comme très souvent en Espagne (beaucoup plus qu'en France), la géologie est expliquée sur des panneaux. On peut résumer ce que disent ces panneaux.
Durant le Cénozoïque, le rapprochement Europe-Ibérie a engendré les chaines pyrénéenne, ibérique et catalane. La surrection de ces chaines a isolé un grand bassin fermé (sans débouché vers la mer) à la place de ce qui est actuellement la vallée de l'Èbre. Ce bassin fermé était occupé par des lacs et des marécages. Les rivières issues de ces montagnes entrainaient dans ce bassin galets, sables et argiles. Les galets se déposaient au pied des montagnes, sables et argiles arrivaient dans la zone centrale. Quatre mille mètres de sédiments se sont ainsi déposés de l'Éocène supérieur au Miocène. Les couches de sable se sont cimentées et sont devenues grès. Ce bassin s'est ouvert sur la mer Méditerranée il y a 10 Ma (Miocène supérieur) et les lacs se sont “vidés” dans cette Méditerranée. Dans le bassin asséché, l'érosion a commencé et continue son travail en donnant aux Bardenas Reales son visage actuel, en grande partie dû à l'érosion différentielle entre argiles et grès.
Les panneaux (du moins ceux que j'ai vus) n'expliquent que les grandes lignes de l'histoire géologique de la région. Un œil averti de professeur de SVT ne manquera pas de remarquer, au gré de son parcours, d'autres aspects géologiques, par exemple des stratifications obliques, des niveaux de gypse, des déformations…
À la base de la série des Bardenas Reales, on peut voir des plis assez serrés, recouverts par des couches apparemment non déformées. La présence de ces plis affectant le Miocène (ou l'Oligocène terminal) dans une région globalement tabulaire pose question. La carte géologique de France au 1/1 000 000 (et son équivalent espagnol) indique des chevauchements internes au bassin de l'Èbre, chevauchements impliquant le Miocène. Ces plis peuvent être une manifestation locale d'une déformation syn-miocène, recouverte en discordance par du Miocène plus tardif. Il est également possible que ces plis soient une manifestation de slumping synsédimentaire (cf., par exemple, Les flyschs du Crétacé-Tertiaire du Pays Basque : slumps et méga-slumps, turbidites et méga-turbidites...). Il est enfin possible qu'il y ait eu une translation d'ensemble (origine tectonique, gravitaire… ?) des couches supérieures qui auraient glissé sur des couches inférieures beaucoup plus déformables. Une étude régionale devra être entreprise pour trancher entre toutes ces origines possibles, car une rapide visite touristique ne permet pas de trancher.