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Image de la semaine | 06/01/2020

Les Pénitents des Mées (Alpes de Haute Provence) : des figures d'érosion étonnantes mais classiques dans les conglomérats indurés

06/01/2020

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Piliers, lames, arches… figures d'érosion dans des conglomérats montrant quelques passées gréseuses à stratifications obliques.


Les Pénitents des Mées (Alpes de Haute Provence) forment une falaise constituée d'un alignement de piliers coniques ou de lames taillés par l'érosion dans une épaisse couche de conglomérats (et plus précisément de poudingues) d'âge mio-pliocène

Détail sur quelques pénitents des Mées (Alpes de Haute Provence)

Figure 2. Détail sur quelques pénitents des Mées (Alpes de Haute Provence)

Les pénitents forment une falaise constituée d'un alignement de piliers coniques et de lames taillés par l'érosion dans une épaisse couche de conglomérats (et plus précisément de poudingues) d'âge mio-pliocène.


Vue globale sur le principal ensemble des Pénitents des Mées (Alpes de Haute Provence), qui forme une falaise constituée d'un alignement de piliers coniques et de lames taillés par l'érosion dans une épaisse couche de conglomérats (et plus précisément de poudingues) d'âge mio-pliocène

Les Pénitents des Mées (Alpes de Haute Provence) constituent une des curiosités touristiques de la vallée de la Durance entre Manosque et Sisteron. Il s'agit de colonnes, de piliers et de lames taillés par l'érosion dans une épaisse couche de poudingues mio-pliocènes indurés. Ce site est parcouru par des sentiers balisés. Certaines falaises sont aménagées comme voies d'escalade. Il ne faut pas confondre ces piliers avec des cheminées de fées (ou demoiselles coiffées) qui sont taillées par l'érosion torrentielle dans des matériaux beaucoup plus meubles, et qui sont coiffées d'un rocher protecteur (cf., par exemple, La « Salle de bal des demoiselles coiffées », Théus, Hautes Alpes). Lors de l'aménagement hydroélectrique de la Durance dans les années 1960, EDF, pour épargner ce site pittoresque, a creusé un tunnel par où passe le canal de la Durance, ce qui a permis de préserver le site. L'ensemble des installations hydroélectriques de la Durance (hors barrage de Serre-Ponçon) a une puissance installée de 2000 MW (2 tranches de centrale nucléaire). L'ensemble de l'aménagement produit chaque année environ 6 milliards de kWh, soit 10 % de l'ensemble de la production hydraulique d'EDF.

Cette couche de conglomérat constitue le rebord occidental du plateau de Valensole. La notice de la carte géologique de Forcalquier décrit comme suit ces conglomérats de Valensole.

m-p. Conglomérats de Valensole.

Les Conglomérats de Valensole d'âge mio-pliocène sont représentés principalement à l'Est de la Durance (bassin de Digne-Valensole) par plus de 800 m de sédiments reconnus dans le sondage des Mées. [ …]. Les Conglomérats de Valensole n'ont pas livré de fossiles sur l'étendue de la feuille Forcalquier, excepté de rares Gastéropodes continentaux (Helix) indéterminables. La formation fait suite au Tortonien marin. Son sommet est rapporté, grâce à la faune de Mammifères de Puimoisson (feuille Moustiers-Sainte-Marie) au Pliocène terminal.

m-pA. Conglomérats comportant une proportion appréciable de galets d'origine lointaine.

Cette formation, qui se présente généralement sous une teinte jaunâtre, montre des conglomérats à ciment gréseux, alternant avec des marnes grises ou rougeâtres. Les galets généralement bien arrondis ont une origine extrêmement variée : ils appartiennent à tous les niveaux de la couverture subalpine, du Jurassique au Tertiaire, ce dernier représenté en particulier par le Grès d'Annot, et à des terrains dont les affleurements sont actuellement beaucoup plus éloignés : on reconnaît ainsi des galets empruntés au socle des massifs cristallins externes (granites, gneiss, quartz) ou aux unités alpines internes : les galets de f1ysch à Helminthoïdes sont la plupart du temps abondants (parfois plus de 50 %) et sont accompagnés de galets de Radiolarites, de roches vertes, de Permien à faciès verrucano, de Jurassique briançonnais à faciès ammonitico rosso, etc.

Ces conglomérats ont une origine principalement paléo-durancienne, attestée par le sens des paléo-courants. Toutefois, à l'Est de la feuille, les épandages paléo-duranciens se mêlent au front des épandages de la paléo-Asse (feuille Digne) caractérisés par la présence, parmi les roches endogènes, de rhyolite et d'andésite de provenance sud-orientale.

Ces conglomérats présentent un faciès massif (m-pAM) dans le voisinage de la Durance où ils forment toute la série. Ceci démontre le rôle permanent d'une paléo-Durance drainant le bassin le long de l'accident médio-durancien. Les rochers des Pénitents, près des Mées, montrent de pittoresques colonnes hautes de plusieurs dizaines de mètres, modelées dans des parties plus indurées des conglomérats massifs.

Ces Pénitents des Mées ont été brutalement projetés dans l'actualité à cause d'un éboulement qui a eu lieu le lundi 2 décembre 2019 à 16h15. Cet éboulement faisait suite aux deux épisodes très pluvieux de fin novembre-début décembre 2019. De 2000 à 3000 m3 de roches sont tombés sur trois maisons et les ont détruites. Heureusement, il n'y a eu que des blessés légers.

Nous allons vous monter 7 photographies sur la morphologie de ces pénitents (figures 1 à 7), 12 figures sur quelques aspects sédimentologiques de ces conglomérats (figures 9 à 20), et 7 concernant l'éboulement du 2 décembre 2019 (figures 21 à 27).


Détail sur des piliers coniques des Pénitents des Mées

Figure 5. Détail sur des piliers coniques des Pénitents des Mées

À gauche, deux piliers sont reliés par une lame étroite, percée d'une ouverture. On est assez près des pénitents pour bien en voir la stratification et la nature conglomératique.


Détail des Pénitents des Mées, Alpes de Haute Provence

Figure 6. Détail des Pénitents des Mées, Alpes de Haute Provence

Partie gauche de la photo précédente. À droite et à gauche, deux piliers “coniques”, réunis par une lame étroite percée. On est assez près des pénitents pour en voir la stratification et la nature conglomératique.



L'érosion dans les conglomérats indurés comme aux Mées est souvent à l'origine d'une morphologie assez typique, avec des falaises verticales, des piliers, des lames et des colonnes. Ce type de morphologie classique des conglomérats indurés se trouvent ailleurs qu'aux Mées dans la vallée de la Durance, où abondent les terrasses conglomératiques indurées d'origine fluvio-glaciaire et d'âge quaternaire (cf. Les terrasses fluvio-glaciaires de la moyenne Durance : Mont-Dauphin, Chateauroux-les-Alpes et Embrun, Hautes-Alpes). Ce type de morphologie se retrouve dans un site mondialement célèbre, les Météores dans le Nord de la Grèce, où de nombreux piliers “géants” sont coiffés de monastère (localisation par fichier kmz du site des Météores– Grèce).

Un des aspects des Météores en Grèce, avec l'érosion qui a taillé des piliers dans un conglomérat

Figure 8. Un des aspects des Météores en Grèce, avec l'érosion qui a taillé des piliers dans un conglomérat

Les moines orthodoxes ont construit des monastères au sommet de nombreux de ces piliers.


Des chemins et sentiers aménagés et balisés permettent d'arpenter les Pénitents des Mées et d'observer de près les poudingues, la nature des galets, l'allure et la géométrie des strates, les variations de faciès…





Détail des poudingues des pénitents des Mées, Alpes de Haute Provence

Figure 13. Détail des poudingues des pénitents des Mées, Alpes de Haute Provence

Détail du haut et de la droite de la photo précédente, où l'on voit un piton d'escalade scellé dans le conglomérat. L'utilisation et l'aménagement de ces falaises comme voies d'escalade montre que la roche est très indurée, que les galets sont très bien soudés par la matrice gréseuse elle-même très dure et résistante. La très bonne tenue des roches des Pénitents explique le caractère rarissime de l'éboulement du 2 décembre 2019. Cela explique que les “anciens” aient bâti le vieux village des Mées jusqu'au pied des falaises.



Détail de la stratification des Pénitents des Mées

Figure 15. Détail de la stratification des Pénitents des Mées

Au sein d'un ensemble très majoritairement conglomératique, on note la présence de lentilles gréseuses, dont une est bien visible au centre de l'image. La présence de telles lentilles qui forment des hétérogénéités dans la masse des conglomérats est peut-être responsable en partie de l'éboulement de décembre 2019.



Autre vue des strates des Pénitents des Mées

Figure 17. Autre vue des strates des Pénitents des Mées

Au centre de l’image, une couche (en retrait car moins indurée) montre des stratifications obliques (détail photo suivante).


Détail d'une couche montrant de belles stratifications obliques au centre de l'image

Figure 18. Détail d'une couche montrant de belles stratifications obliques au centre de l'image

Le pendage des strates élémentaires indique un courant allant de droite à gauche (du NE au SO). La genèse des stratifications obliques est détaillée dans de nombreux articles, par exemple dans Stratifications obliques dans les grès du Cuisien de La Caunette, Hérault.


Toutes les observations sédimentologiques montrent que ces conglomérats des Mées, et l'ensemble du plateau de Valensole, constituent en fait un dépôt de piémont mio-pliocène. Un piémont, au sens géologique et géomorphologique, correspond à une vaste plaine située au pied d'un massif montagneux. Les piémonts sont formés de la coalescence des cônes de déjection des différents cours d'eau qui descendent des montagnes en charriant et déposant tous les produits qu'ils transportaient, alluvions constituées de galets, graviers, sables, argiles... Ici, les principales paléo-rivières ayant constitué ce giga-paléocône de déjection sont la paléo-Durance, la paléo-Bléone, la paléo-Asse… Cette masse de conglomérat mio-pliocène et la nature de leurs éléments montrent que la surrection des Alpes était bien avancée à cette période. Mais la déformation alpine continuait, et le bord Est de ces paléo-cônes est chevauché par des charriages alpins, dont la célèbre nappe de Digne. Les rivières comme l'Asse ou la Durance sont encaissées de plusieurs centaines de mètres dans le plateau ; le rebord du plateau de Valensole domine ainsi la Durance d'environ 400 m au niveau des Mées. Il y a donc eu une importante érosion des paléocônes par les rivières qui les avaient créés. Un dénivelé s'est donc établi entre le niveau de base (le niveau de la mer) et ce paléo-piémont : surrection de la région ou baisse du niveau de la mer, ou sans doute une combinaison des deux phénomènes. Reconstituer l'évolution des paléo-altitudes de la surface du piémont et des fonds de vallées permettrait de bien reconstituer l'histoire tectonique de la région.

Vue aérienne du secteur des Mées (croix violette) et projection géologique correspondante

Figure 19. Vue aérienne du secteur des Mées (croix violette) et projection géologique correspondante

L'ensemble principal de pénitents est entouré en vert sur la carte géologique. L'ensemble latéral de pénitents où a eu lieu l'éboulement du 2 décembre 2019 est entouré en rouge. On voit que les Pénitents des Mées constituent un niveau basal d'un vaste plateau, le plateau de Valensole, connu pour ses champs de lavande, et qui domine la Durance (au premier plan) et la Bléone (à gauche). Ce plateau est chevauché (à gauche) par les chainons alpins comme la nappe de Digne. On voit le canal EDF de la Durance à gauche et à droite, passant en tunnel sous les pénitents.


Localisation des Mées (flèche rouge) au sein des formations mio-pliocènes du plateau de Valensole (entourées en violet)

Figure 20. Localisation des Mées (flèche rouge) au sein des formations mio-pliocènes du plateau de Valensole (entourées en violet)

Ces formations conglomératiques mio-pliocènes sont chevauchées à l'Est par des nappes alpines.


Dans les figures suivantes, nous vous montrons des images prises sur le web et montrant des images du site de l'éboulement du 2 décembre 2019, images antérieures au 2 décembre 2019 (images 21 à 24) et images postérieures à cet éboulement (images 24 à 27).


Figure 22. Photographie aérienne du village des Mées, Alpes de Haute Provence

Au premier plan, l'ensemble principal de pénitents. En aval du village, on voit un deuxième ensemble de pénitents (flèche rouge). C'est l'un des piliers de ce deuxième ensemble qui s'est effondré le 2 décembre 2019.


Figure 23. Photographie aérienne du village des Mées, Alpes de Haute Provence

Au premier plan, l'ensemble principal de pénitents. En aval du village, on voit un deuxième ensemble de pénitents (flèche rouge). C'est l'un des piliers de ce deuxième ensemble qui s'est effondré le 2 décembre 2019.


Montage de 2 photos prises avant (en haut) et après (en bas) l'éboulement du 2 décembre 2019, Les Mées, Alpes de Haute Provence

Figure 24. Montage de 2 photos prises avant (en haut) et après (en bas) l'éboulement du 2 décembre 2019, Les Mées, Alpes de Haute Provence

Malgré la différence d'angle de prise de vue entre les deux clichés, on voit bien la localisation et l'importance de l'éboulement.


Vue d'ensemble de l'éboulement du 2 décembre 2019

Figure 25. Vue d'ensemble de l'éboulement du 2 décembre 2019

Un “pénitent” semble s'être fendu en deux ; la partie “côté vallée” a glissé et s'est effondrée sur les arbres et les maisons en contrebas.


Figure 26. Gros plan sur l'un des deux secteurs “avals” de l'éboulement du 2 décembre 2019

La nature conglomératique des blocs éboulés se voit très bien.


Figure 27. Gros plan sur l'un des deux secteurs “avals” de l'éboulement du 2 décembre 2019

La nature conglomératique des blocs éboulés se voit très bien.