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Image de la semaine | 07/10/2019

Le Parc-Musée de la Mine du puits Couriot, Saint-Étienne (Loire) et des affleurements, hélas maintenant disparus, situés près de l'ancien puits Pigeot, La Ricamarie (Loire)

07/10/2019

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Un musée de la mine “classique”, sans géologie, à proximité d'un site rare d'affleurement de Stéphanien fertile à charbon dans son bassin historique de définition, site malheureusement comblé et inaccessible.



Les débuts attestés de l'exploitation du charbon dans le bassin carbonifère de la Loire, dit Bassin de Saint-Étienne (de Firminy à Rive-de Giers) datent du Moyen-Âge. C'étaient des exploitations artisanales ou semi-industrielles, qui devinrent industrielles vers 1810.

L'extraction du charbon dans ce secteur de l'agglomération stéphanoise s'est développée à partir du développement du chemin de fer vers 1840. L'exploitation était assurée par diverses compagnies privées. Trois puits furent forés et mis en service dans le secteur occupé actuellement par le musée et le parc, chaque nouveau puits remplaçant ou complétant l'ancien : Châtelus 1 (1850), Châtelus 2 (1870) et Couriot (1919), baptisé du nom d'Henry Couriot, président de la Société Anonyme des Mines de la Loire. Le puits Couriot avait une profondeur de 727 m. La mine et toutes les installations de surface attenantes furent nationalisées juste après la Seconde Guerre Mondiale (1946) comme toutes les mines de charbon françaises. Au maximum de son rendement, le puits Couriot fournissait 900 000 tonnes de charbon par an. Il y avait 22 000 mineurs dans tout le bassin houiller de Saint-Étienne en 1948. Le premier des deux crassiers (= terrils) qui dominent le site fut “mis en service” en 1938 ; il est relayé par un deuxième en 1948. Rappelons que les crassiers (terme du Sud de la France, appelé terrils au Nord) correspondent aux tas des déblais et autres déchets (principalement des grès dans les bassins houillers carbonifères) que l'on est obligé de sortir de la mine en même temps que le charbon.

L'exploitation du puits Couriot cessa progressivement de 1965 à 1973. La mine est définitivement fermée en avril 1973. La dernière mine du bassin houiller de Sain-Étienne (le puits Pigeot, à la Ricamarie) ferme en 1983. Juste avant cette fermeture, d'anciens “employés” des mines eurent l'idée de sauvegarder ce qui pouvait encore l'être et de garder des traces de ce riche passé industriel et humain. Ils sensibilisèrent des industriels et des élus stéphanois à l'idée d'un musée installé dans (ou immédiatement sous) les installations de surface du puits Couriot. La première pierre est posée en 1988 par le maire de Saint-Étienne. Le Musée de la mine est ouvert en 1991, le site est classé monument historique en 2011, le Parc Joseph Sanguedolce et les espaces actuels d'exposition sont ouverts en 2013 et 2014. Le Parc-Musée de la Mine à un site web qui donne, entre autres, toutes les informations pratiques utiles.

Cet extrait du site de la ville de Saint-Étienne résume ce qu'on voit dans le musée :

La visite libre ou guidée fait découvrir la plupart des espaces parcourus quotidiennement par les mineurs : l'impressionnant lavabo, la lampisterie mais aussi la salle de la machine d'extraction, la salle des compresseurs et le chevalement, élégante tour de métal de 35 mètres de haut. Le parcours dans les bâtiments du puits permet de découvrir le travail des hommes et leur vie quotidienne. Simplement aménagées, les salles semblent avoir juste été abandonnées par les mineurs.

La galerie minière souterraine reconstituée peut seulement être découverte lors des visites guidées, accessibles sans réservation. Les départs des visites guidées ont lieu toutes les 30 minutes environ. Une fois emprunté l'ascenseur qui simule la descente à 700 mètres de profondeur, les visiteurs cheminent dans un univers minutieusement reconstitué avec l'aide d'anciens mineurs. Après avoir voyagé avec le petit train de la mine, ils découvrent le travail et la vie des hommes au fond. Comme dans une vraie mine, il faut serpenter dans la pénombre entre les étais : un vrai moment d'exploration qui enchante petits et grands.

Depuis décembre 2014, la visite de Couriot s'est considérablement enrichie avec l'ouverture de 1 000 m² de nouvelles salles d'exposition, dans une architecture et une scénographie résolument contemporaines : la figure du mineur, la grande histoire de Couriot, six siècles d'aventure houillère de Saint-Étienne et de son territoire. Les visiteurs peuvent notamment y observer le grand plan-relief du bassin présenté à l'Exposition universelle de 1889, profiter du théâtre animé qui fait revivre la transformation du paysage de Couriot, mais aussi découvrir des affiches, des objets du quotidien...

Des ressources pédagogiques sont mises en ligne pour que les enseignants puissent préparer leur visite avec des élèves, avec 3 niveaux de dossiers concernant la géologie, cycle 3, cycle 4 et lycée/post-bac.

J'ai visité ce musée en juillet 2019. Qu'y ai-je vu et pas vu ?

Ce qu'on y voit

Voici quelques photographies de la galerie reconstituée, de l'intérieur restauré, des installations de surface, de salles du musée, de l'extérieur…

Le départ-arrivée des ascenseurs, remontant le charbon (ou les stériles) qui sera déversé dans les wagonnets et descendant-remontant les mineurs, puits Couriot, Saint-Étienne

Figure 2. Le départ-arrivée des ascenseurs, remontant le charbon (ou les stériles) qui sera déversé dans les wagonnets et descendant-remontant les mineurs, puits Couriot, Saint-Étienne

C'est par l'arrière de cette cage que les visiteurs pénètrent dans l'ascenseur qui les fait descendre (fictivement) 700 m plus bas dans la galerie reconstituée (en fait cette galerie est située dans les sous-sols, à quelques mètres de profondeur.


Une fois arrivés au fond du puits, les visiteurs prennent le train qui va les amener vers les fronts de taille

Figure 3. Une fois arrivés au fond du puits, les visiteurs prennent le train qui va les amener vers les fronts de taille

Le charbon revient des fronts de taille vers les ascenseurs par un tapis roulant (à gauche).


Creusement d'un travers banc à l'époque moderne (des mannequins figurent les mineurs)

Figure 4. Creusement d'un travers banc à l'époque moderne (des mannequins figurent les mineurs)

Une perforatrice pneumatique perfore la roche (ici un béton à allure de grès). Des explosifs seront mis dans ces trous, puis mis à feu, ce qui agrandira la galerie. On rappelle que l'expression “travers bancs” désigne une galerie horizontale creusée dans un niveau stérile pour rejoindre des niveaux productifs (ici des couches de charbon).


Le même travail de creusement d'un travers banc effectué quelques décennies plus tôt, avant l'introduction des perforatrices à air comprimé

Figure 5. Le même travail de creusement d'un travers banc effectué quelques décennies plus tôt, avant l'introduction des perforatrices à air comprimé

Les trous pour placer les explosifs sont creusés à la masse et à la barre à mine (on comprend l'étymologie du terme “barre à mine”).


Le “soutènement marchant”, vue d'ensemble

Figure 6. Le “soutènement marchant”, vue d'ensemble

Il s'agit d'un système de vérins et d'étais qui empêchent les éboulements du toit de la couche de charbon une fois qu'elle a été localement évidée. La couche de charbon continue à droite de la photo. Elle est excavée manuellement (comme sur la photo suivante) ou mécaniquement. Au fur et à mesure que la couche est de plus en plus vidée (ici vers la droite), les systèmes de vérins qui soutiennent le toit progressent automatiquement vers la droite, protégeant les mineurs des effondrements. Cette progression de la partie soutenue libère (ici sur la gauche) une cavité non étayée qui va s'effondrer quelques mètres à l'arrière. Cet effondrement contrôlé est appelé foudroyage. Cette technique du “soutènement marchant” date des années 1960. Il est beaucoup plus sûr et prend beaucoup moins de temps (une fois installé) que les anciens soutènements de bois dont le retrait ou la démolition étaient difficiles à contrôler.

Ceux qui ont reconstitué la couche de charbon ont bien rendu le côté brillant de la houille. Mais sur tout le parcours reconstitué, je n'ai jamais vu quelque chose rappelant des fossiles, dommage !


Le “soutènement marchant”, vue de détail

Figure 7. Le “soutènement marchant”, vue de détail

Il s'agit d'un système de vérins et d'étais qui empêchent les éboulements du toit de la couche de charbon une fois qu'elle a été localement évidée. La couche de charbon continue à droite de la photo. Elle est excavée manuellement (comme ici) ou mécaniquement. Au fur et à mesure que la couche est de plus en plus vidée (ici vers la droite), les systèmes de vérins qui soutiennent le toit progressent automatiquement vers la droite, protégeant les mineurs des effondrements. Cette progression de la partie soutenue libère (ici sur la gauche) une cavité non étayée qui va s'effondrer quelques mètres à l'arrière. Cet effondrement contrôlé est appelé foudroyage. Cette technique du « soutènement marchant » date des années 1960. Il est beaucoup plus sûr et prend beaucoup moins de temps (une fois installé) que les anciens soutènements de bois dont le retrait ou la démolition étaient difficiles à contrôler.

Ceux qui ont reconstitué la couche de charbon ont bien rendu le coté brillant de la houille. Mais sur tout le parcours reconstitué, je n'ai jamais vu quelque chose rappelant des fossiles, dommage !


Avant la motorisation des “petits trains” internes à la mine qui amènent charbon et déblais stériles vers les ascenseurs, les wagonnets étaient tirés par des chevaux

Figure 8. Avant la motorisation des “petits trains” internes à la mine qui amènent charbon et déblais stériles vers les ascenseurs, les wagonnets étaient tirés par des chevaux

On a ici la reconstitution d'une écurie qui pouvait se trouver à 700 m sous terre. La dure vie des chevaux de mine a été bien décrite dans Germinal de Zola.


En plus du chevalet et de la galerie reconstituée, les intérieurs de certains bâtiments ont été restaurés et se visitent. Ce sont les “espaces patrimoniaux” dont nous vous montrons deux exemples : les lampisteries et le grand lavabo.

La lampisterie “moderne”, Musée de la Mine de Sain-Étienne

Figure 9. La lampisterie “moderne”, Musée de la Mine de Sain-Étienne

Chaque mineur disposait d'une lampe électrique (à fixer sur son casque) et d'une batterie. Il reposait sa lampe et mettait la batterie en charge à la fin de sa journée de travail. Il la reprenait le lendemain, batterie chargée à bloc. Cette lampe ne devait quitter la lampisterie que pour aller sur son casque, et réciproquement. Faire l'inventaire des lampes absentes de la lampisterie permettait de savoir qui était au fond ou ne l'était pas, donnée fondamentale en cas d'accident de mine.


Armoire contenant une quinzaine de lampes à flamme

Figure 10. Armoire contenant une quinzaine de lampes à flamme

Ces lampes à flamme ont été remplacées par des lampes électriques dès que cela a été possible, car les lampes à flamme sont un danger permanent ; elles peuvent en effet déclencher des coups de grisou ou de poussier malgré des dispositifs préventifs ingénieux.


Le grand lavabo, le vestiaire, Musée de la Mine de Saint-Étienne

Figure 11. Le grand lavabo, le vestiaire, Musée de la Mine de Saint-Étienne

Cet ensemble comprend un vestiaire (ici) et des douches attenantes (figure suivante, on y accède par les 3 portes à droite de la photo). Contrairement à un usage du Nord de la France, le vestiaire du grand lavabo n'était pas appelé « salle des pendus » dans le bassin stéphanois.


Le grand lavabo, les douches, Musée de la Mine de Saint-Étienne

Figure 12. Le grand lavabo, les douches, Musée de la Mine de Saint-Étienne

Cet ensemble comprend un vestiaire (photo précédente) et des douches attenantes (ici). Contrairement à un usage du Nord de la France, le vestiaire du grand lavabo n'était pas appelé « salle des pendus » dans le bassin stéphanois.


En plus des espaces patrimoniaux où les volumes intérieurs de bâtiments miniers ont été restaurés dans l'état où ils étaient avant la fermeture, d'autres bâtiments d'époque ont été complètement réaménagés et transformés en salles d'exposition. On y voit des objets et affiches d'époque, des spectacles-montages audiovisuels, des photographies d'époque… montrant le travail des mineurs, la vie en surface, des évènements historiques…

Une des salles d'exposition du Musée de la Mine de Saint-Étienne (Loire)

Figure 13. Une des salles d'exposition du Musée de la Mine de Saint-Étienne (Loire)

Au centre, on voit un plan relief du bassin de Saint-Étienne réalisé pour l'Exposition universelle (de Paris) de 1889.



Coupe d'un secteur des “Mines de la Loire” réalisée pour l'Exposition universelle de 1867 (à Paris) et exposée dans une salle du Musée de la Mine de Saint-Étienne

Figure 15. Coupe d'un secteur des “Mines de la Loire” réalisée pour l'Exposition universelle de 1867 (à Paris) et exposée dans une salle du Musée de la Mine de Saint-Étienne

En haut, l'affiche “brute” exposée, où l'échelle des hauteurs a été dilatée 2 fois. En bas, j'ai rectifié la coupe pour égaliser les échelles verticales et horizontales et rendre le pendage des couches identique au pendage réel. On voit très bien une faille normale et le basculement des couches, deux des caractéristiques des bassins d'extension en général, et des bassins limniques carbonifères en particulier. Mais, bien que ce soit parfaitement visible, les panneaux d'explication ne soufflent mot de ces questions géologiques.


Affiche éditée par le Parti Communiste Français juste après la Seconde Guerre Mondiale s'adressant aux mineurs

Figure 16. Affiche éditée par le Parti Communiste Français juste après la Seconde Guerre Mondiale s'adressant aux mineurs

Le mot d'ordre de l'époque était « produire pour reconstruire la France ».





Le secteur du puits Couriot vers 1950, Saint-Étienne

Figure 20. Le secteur du puits Couriot vers 1950, Saint-Étienne

Le premier crassier a atteint sa taille définitive, et un deuxième crassier commence à être établi à gauche.



Visite du maréchal Pétain au puits Couriot en 1941, Saint-Étienne

Figure 22. Visite du maréchal Pétain au puits Couriot en 1941, Saint-Étienne

La figure du mineur est une figure majeure de la révolution et de l'histoire industrielles (1850-1950), elle est l'emblème de la dure condition ouvrière, entre autre à cause des catastrophes minières. Entre 1810 et 1968, il y a eu 1214 morts “au fond” dans le bassin de Saint-Étienne pour cause d'éboulement, de coup de grisou ou de coup de poussier. La plus grande catastrophe eu lieu en 1889, avec 207 morts.

Le mineur a été parfois « caressé dans le sens du poil » (ici la visite du maréchal Pétain à Saint-Étienne, en 1941) ou au contraire et plus fréquemment heurté de front (par exemple les grandes grèves de 1948, très actives à Saint-Étienne), et ce par les divers pouvoirs politiques des XIXe et XXe siècles. La résultante de tout ça, c'est que le secteur des mines a été à la source de nombreuses conquêtes et avancées sociales.


Le chevalet du puits Couriot, Saint-Étienne, et ce qui reste des bâtiments (là où est implanté le musée) dans son état de juillet 2019

Figure 23. Le chevalet du puits Couriot, Saint-Étienne, et ce qui reste des bâtiments (là où est implanté le musée) dans son état de juillet 2019

Le grand et long bâtiment de droite abrite l'administration du musée, mais il doit y rester de la place “libre”. En dehors du champ de la photo, à gauche, un parc-jardin, le parc Joseph Sanguedolce, a été aménagé. Il y a encore de la place au premier plan, en avant du musée. Place vide possible dans les bâtiments, plusieurs milliers de mètres carrés disponibles sur l'ancien carreau, il reste de la place pour agrandir le musée et exposer-mettre en valeur ce qui ne l'a pas encore été. Les deux crassiers mis en place à partir de 1938 dominent le site, crassiers bien végétalisés 46 ans après l'arrêt définitif de l'exploitation de la mine.


Le sommet d'un des deux crassiers du puits Couriot, Saint-Étienne

Figure 24. Le sommet d'un des deux crassiers du puits Couriot, Saint-Étienne

À gauche, on voit que grès et pélites ont une teinte rougeâtre, preuve que le Fe2+ des stériles a été oxydé en Fe3+ par d'anciennes combustions internes au crassier (cf. Combustion des mines de charbon et des terrils (ou crassiers) : du Germinal d'Émile Zola au Crassier Saint-Pierre à La Ricamarie (banlieue de Saint-Étienne, Loire).


Juxtaposition de deux photographies aériennes de l'IGN (1964-2010) du site du Parc-Musée de la Mine de Saint-Étienne

Figure 25. Juxtaposition de deux photographies aériennes de l'IGN (1964-2010) du site du Parc-Musée de la Mine de Saint-Étienne

À gauche, l'état de la mine en 1964, juste avant le début des opérations de fermeture. À droite, l'état en 2010, 9 ans après l'ouverture du musée. Sur la photo de gauche, j'ai entouré de vert les bâtiments sauvegardés et en rouge les bâtiments détruits. La photo de la figure 23 a été prise du point indiqué en vert sur la photo de droite.


La grande absente du musée dans son état actuel (2019) : la géologie

On ne peut que se féliciter que des initiatives privées puis publiques aient permis de sauver une partie importante du patrimoine “industriel et social” de Saint-Étienne en permettant (1) que certains des bâtiments et installations minières échappent à la destruction, et (2) que des objets et des archives soient valorisés dans le musée. Ce n'était pas acquis d'avance car beaucoup à Saint-Étienne voulaient « du passé faire table rase » et souhaitaient effacer les stigmates d'un passé regretté et le souvenir de fermetures douloureuses.

Le Musée de la Mine de Saint-Étienne est conforme à la définition de “musée de la mine” de Wikipédia : « Un musée de la mine est un espace muséographique, écomusée, centre d'interprétation consacré aux aspects historiques, techniques, sociologiques, culturels et patrimoniaux d'une exploitation minière. Il peut être installé directement dans des sites liées à la mine (site d'extraction, logements ouvriers) ou dans un bâtiment spécialement construit . » Cette définition correspond bien ce qu'on voit à Saint-Étienne et dans les autres musées de la mine de France, mais aussi, hélas, à ce qu'on ne voit pas (ou très peu et/ou très rarement) : la composante géologique. Or il n'y a des mines que parce que des circonstances géologiques particulières ont accumulé à une époque et en un lieu donnés une substance utile, du charbon au Carbonifère supérieur dans le cas de Saint-Étienne. Comment s'est fait le charbon, quel était le type de vie à Saint-Étienne au moment de la formation de son charbon, pourquoi s'est-il accumulé 1000 m de sédiments gréso-carbonés à Saint-Étienne et pas à Roanne ou à Annonay au Nord ou au Sud du département, pourquoi cette accumulation a eu lieu il y a 300 millions d'années et pas avant ou après ? Autant de questions qui ne sont pas (ou très peu) abordés dans le Musée de la Mine en 2019, ou qui, si elles le sont, le sont dans des salles discrètes, non signalées, fermées, non signalées sur le site web en 2019. Pourquoi ne sont pas exposer des roches, des fossiles, des documents originaux des différentes compagnies (puis des Charbonnages de France) ayant exploité les mines dans le bassin carbonifère stéphanois et même plus simplement (et provisoirement en attendant mieux) les documents que le musée propose sur son site de ressources pédagogiques ? Manque d'argent ou/et manque d'intérêt ?

Des partenariats avec le Musée des Confluences de Lyon, les universités locales (Lyon, Saint-Étienne), le(s) dépositaire(s) des archives des Charbonnages de France, et bien sûr avec l'École nationale des mines de Saint-Étienne permettraient de belles améliorations. Sur le site parlant des collections de l'École nationale des mines de Saint-Étienne, on trouve la description alléchante suivante : « Collections de paléontologie animale et végétale, avec en particulier un ensemble de fossiles végétaux servant à la définition de l'étage européen du Stéphanien (à la fin du Carbonifère ; nommé Gzhélien dans la classification internationale). Les collections du houiller sont multiples, avec en particulier un dépôt de divers sondages des bassins français par la Société des Houillères HBCM. » Ce même site écrit encore : « Ces collections sont vivantes (accueil de visites, prêts, participation à des expositions, etc.) », mais sans préciser les modalités de ces visites, qui doivent sans doute se faire au cas par cas, vraisemblablement par manque de moyens financiers, matériels (locaux) et humains.

On pourrait rêver qu'une nouvelle tranche soit créée au musée, après (1) l'inauguration en 1991, (2) le parc-jardin Joseph Sanguedolce ouvert en 2013, (3) les espaces d'exposition ouverts en 2014. On pourrait même proposer un nom à ces nouvelles salles : les “salles du charbon et du Stéphanien”.

Figure 26. Carte et coupes géologiques du bassin de Saint-Étienne datant de 1877 (issues des travaux F.-Cyrille Grand'Eury ?)

Dommage qu'on ne puisse pas voir ce document (ou une reproduction) ou d'autres objets d'intérêt géologique au Musée de la Mine de Saint-Étienne, et qu'il faille pour cela aller à la médiathèque de Saint-Étienne.


La fermeture du puits Pigeot : exemple d'une occasion manquée, voire d'un beau gâchis

L'étage “Stéphanien”, dernier étage du Carbonifère a été proposé en 1878 et adopté en 1893. Il a été défini dans la région de Saint-Étienne. Cet étage et son stratotype ont été officiellement abandonnés, car il s'agit de faciès continentaux, et la définition d'un étage et de son stratotype se doivent d'être marins pour permettre, à priori, de plus amples corrélations. Dans l'échelle stratigraphique actuelle, le Stéphanien correspond au sommet du Moscovien, au Kasimovien, et à la base du Gzhélien (de −304 à −299 Ma). Ce terme Stéphanien est encore très employé en Europe de l'Ouest, en particulier par le BRGM dans ses cartes géologiques. Et, aussi étonnant que cela puisse paraitre, il est très difficile de voir du Stéphanien (surtout du Stéphanien productif) à Saint-Étienne ou dans la région stéphanoise. On peut encore entrevoir des affleurements se dégradant sur des bords d'autoroute, au fond de parkings de supermarché, dans des zones et parcs industriels… Une liste d'affleurements (encore visibles ?) est consultables sur un document du site de la Société Amicale des Géologues Amateurs.

On peut remarquer que la région Auvergne-Rhône-Alpes abrite deux stratotypes (le Bérriasien et le Stéphanien) et qu'aucun d'eux n'est protégé, valorisé… Une honte !

À la fin des années 1980 – début des années 1990, les autorités compétentes (Charbonnage de France, communes, département, région, État, Europe… ?) auraient pu (dû) faire quelque chose pour protéger-valoriser le Stéphanien.

En 1983, le dernier puits, le puits Pigeot, situé à la Ricamarie, ferme définitivement. Toutes les installations de surface finissent rasées. Ce n'est pas gravissime, puisqu'au même moment on commençait à préserver certaines des installations du puits Couriot. Mais avant de tourner définitivement la page “charbon” à la Ricamarie, une découverte (carrière à l'aire libre) fut ouverte juste au Nord du puits, sur des terrains des charbonnages. Cette ouverture pouvait avoir eu deux buts : récupérer à peu de frais quelques milliers de tonnes de charbon facile à exploiter avec des engins de terrassement, et/ou sécuriser le sous-sol pour installer ultérieurement sur ces terrains une zone industrielle. Pendant l'été 1988, je suis allé dans cette découverte. On y voyait des couches de charbon et de grès ainsi que leurs relations stratigraphiques, le pendage des couches parfois redressées à la verticale ce qui est étonnant dans un bassin en extension, des fossiles, d'anciennes galeries de mine recoupées par le front de taille… J'y ai pris quelques diapositives (c'était avant le numérique). Un témoignage de richesses géologiques irrémédiablement perdues, par absence de « volonté politique ».

On aurait pu alors imaginer, à la fin de la courte exploitation de cette découverte, une sécurisation-aménagement des parois, le traçage d'un sentier avec une mise en valeur d'affleurements sédimentologiques, tectoniques, paléontologiques, la sécurisation de l'entrée d'anciennes galeries… À quelques centaines de mètres, le crassier Saint-Pierre (issus des déblais du puits Pigeot), avec ses dépôts de soufre et de sels (cf. Combustion des mines de charbon et des terrils (ou crassiers) : du Germinal d'Émile Zola au Crassier Saint-Pierre à La Ricamarie (banlieue de Saint-Étienne, Loire)) aurait lui aussi pu être aménagé-valorisé. Au lieu de ce rêve, la carrière fut remblayée, et les nouveaux terrains récupérés furent transformés en zone industrielle et/ou artisanale (qui aurait pu être installée quelques centaines de mètres plus loin). Détruire un site géologique unique pour y établir un distributeur de matériel électrique qui aurait pu être installé 300 m plus loin ! Au XXe siècle, préserver le patrimoine, surtout le patrimoine géologique, n'était pas encore entré dans les mœurs ! Les choses ont elles changé ?

Vue globale de la moitié Est de la découverte creusée au Nord de ce qui restait des installations du puits Pigeot en juillet 1988 (le puits avait définitivement fermé 5 ans auparavant), Saint-Étienne

Figure 27. Vue globale de la moitié Est de la découverte creusée au Nord de ce qui restait des installations du puits Pigeot en juillet 1988 (le puits avait définitivement fermé 5 ans auparavant), Saint-Étienne

Les deux photos suivantes ont été prises au fond de la tranchée dont on devine la partie supérieure à droite en dessous de la pelle mécanique de droite.


Vue globale de la tranchée située au fond de la découverte creusée au pied de l'ancien puits Pigeot

Figure 28. Vue globale de la tranchée située au fond de la découverte creusée au pied de l'ancien puits Pigeot

De droite à gauche, on voit des strates très redressées (au moins 75°) de ce qui ressemble à des pélites (les fameux “schistes” houillers), puis une couche de charbon où on devine les strates penchées d'environ 50° (détail photo suivante). Le charbon est surmonté sur la gauche par ce qui ressemble à du grès dont le pendage semble encore plus faible. D'après cette photo, le pendage croît donc de gauche à droite. Serait-ce un crochon au pied d'une faille situé encore plus à droite ?


Détail des couches de charbon situées au centre de la photo précédente, au pied de l'ancien puits Pigeot

Figure 29. Détail des couches de charbon situées au centre de la photo précédente, au pied de l'ancien puits Pigeot

Le pendage d'une cinquantaine de degrés vers la gauche est parfaitement visible.


Zone de la découverte où les couches de charbon sont presque verticales, puits Pigeot, Saint-Étienne

Front de taille montrant de bas en haut une couche de charbon surmontée d'une couche de grès, elle-même surmonté de déblais

Ancienne galerie souterraine recoupée par le front de taille de 1988, , puits Pigeot, Saint-Étienne

Figure 32. Ancienne galerie souterraine recoupée par le front de taille de 1988, , puits Pigeot, Saint-Étienne

Le boisage de cette ancienne galerie est parfaitement visible.



Fossile de tronc de Calamites en 3D non en place car éboulé du front de taille

Figure 34. Fossile de tronc de Calamites en 3D non en place car éboulé du front de taille

Ce sont, entre autres, des fossiles de ce genre qui manquent cruellement au Musée de la Mine de Saint-Étienne dans son état de 2019 (à moins que certains aient échappé à ma vigilance).


Évolution du secteur du puits Pigeot, Saint-Étienne, entre 1983 (l'année de la fermeture) et 2013

Figure 35. Évolution du secteur du puits Pigeot, Saint-Étienne, entre 1983 (l'année de la fermeture) et 2013

La deuxième photo (1989) montre la découverte creusée au NNO des installations du puits Pigeot en cours de démolition et d'où viennent les photos 27 à 34 prises 1 an plus tôt. En 1993, la majorité des installation de surface étaient détruites, et la découverte était comblée. Dix ans plus tard (en 2013), des bâtiments industriels et artisanaux étaient installés à l'aplomb du dernier bel affleurement de Stéphanien productif du bassin de Saint-Étienne.