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Image de la semaine | 24/06/2019

Exploitation du sel de sources salées sortant d'un diapir de Trias dans les montagnes basques

24/06/2019

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Les salines de Salinas de Añana, pays basque espagnol, des “marais salants” sur pilotis.


Vue générale des salines de Salinas de Añana, pays basque espagnol, vue prise depuis le bâtiment d'accueil des visiteurs

Figure 1. Vue générale des salines de Salinas de Añana, pays basque espagnol, vue prise depuis le bâtiment d'accueil des visiteurs

Plusieurs dizaines de bassins en bois, bâtis en terrasses sur pilotis, recueillent des eaux salées issus de sources naturelles (sources situées au fond du vallon en haut à gauche). Le soleil et le vent du versant Sud des Pyrénées permettent une évaporation efficace et la récolte de sel (environ 200 tonnes par an). Ce site est situé à l'aplomb d'un diapir d'évaporites du Trias supérieur (gypse et sel). Les trois images suivantes correspondent à des zooms photographiés depuis le même endroit sur des bassins avec des tas de sel (au centre), des dépôts de sel situés sous les bassins (à droite) et l'amont de la vallée d'où sourdent les sources salées (à gauche).




Zoom sur l'amont de la vallée (à gauche de l'image d'appel)

Figure 4. Zoom sur l'amont de la vallée (à gauche de l'image d'appel)

C'est de là que sortent les sources salées dont l'eau descend par simple gravité par des “rigoles” en bois, qui alimentent tous les bassins d'évaporation.


Depuis des millénaires, l'humanité exploite du sel (halite, NaCl), pour ses besoins physiologiques (et celui de ses animaux), pour ses qualités gustatives, pour la conservation des aliments, et, depuis le XIXe siècle, pour l'industrie chimique. Ce sel est souvent extrait de l'eau de mer par évaporation (dans des marais salants, cf. La fleur de sel, une forme cristalline de la halite (chlorure de sodium), lien avec les trémies et cubes de sel), de lacs endoréiques salés (cf., par exemple, Les évaporites de la Vallée de la Mort (Californie) et Un exemple de salar : le salar d'Atacama, Chili), de l'exploitation de couches de sel par des mines classiques ou par des injections d'eau douce ressortant salée (cf. Les mines de sel de Bex, canton de Vaud (Suisse) : anhydrite, gypse et sel), ou de l'exploitation de sources salées naturelles (ou obtenues par forage). On récupère souvent le sel contenu dans ces eaux salées “continentales” en chauffant et en faisant bouillir l'eau avec des feux, comme c'était pratiqué au XVIIIe siècle dans les salines d'Arc-et-Senans (Doubs) en utilisant les eaux salées de Salins les Bains (Jura), et comme c'est encore pratiqué dans les salines de Salies-de-Béarn.

À Salinas de de Añana (pays basque espagnol), des sources salées sortent naturellement à l'aplomb d'un diapir du Trias supérieur. De l'an −5000 à l'époque romaine, ce sel était exploité en utilisant l'évaporation par ébullition de l'eau dans des grandes jarres chauffées au feu de bois ; des restes de ces jarres ont été retrouvés par les archéologues. Depuis l'époque romaine, ce sel est exploité par évaporation dans des petits bassins artificiels en terrasse, bâtis en bois, sur pilotis, avec le simple effet du soleil et du vent. Le fond de ces bassins est imperméabilisé par de l'argile (et depuis peu par du carrelage). Ces bassins sont alimentés par des “rigoles”, sortes de canaux en bois d'une dizaine de centimètres de large, descendant depuis les sources situées en haut de la vallée. Le sel empêche le bois des rigoles et des bassins de pourrir. Avec des hauts et des bas dépendant des vicissitudes historiques, ce sel a été exploité avec ces mêmes méthodes depuis 2000 ans. Il est actuellement produit par une association, qui, en plus, restaure les bassins et leur système d'alimentation en eau. Ce site a reçu en 2015 le grand prix de l'héritage culturel européen (prix décerné par l'UE), et a été retenu en 2018 par la FAO (agence de l'ONU) comme Système du Patrimoine Agricole Mondial (SPAM). Il est ouvert à la visite : Valle Salado de Añana.

L'eau des sources est très salée, de 200 à 250 g de NaCl par litre, contre 35 g/L pour l'eau de mer “normale”. Chaque bassin d'évaporation a une surface moyenne de 10 m2 (105 cm2). Si on remplit ces bassins de 100 litres d'eau salée (105 cm3), cela forme une couche d'eau salée d'1 cm d'épaisseur. En été, s'il fait beau, ce centimètre d'eau s'évapore en 2 ou 3 jours laissant environ 20 kg de sel sur le sol du bassin. En 2018, vu le nombre de bassins en service et vu la météo estivale, environ 200 tonnes de sel ont été produites.

Nous allons maintenant faire une visite de ces salines et étudier (rapidement) sa géologie. Cette visite a été effectuée mi-mai 2019, après une semaine légèrement pluvieuse, et alors que la mise en évaporation des bassins avait à peine commencé : peu de bassins contenaient du sel. Une visite en août aurait montré un aspect bien différent de ces salines.

Vue globale de bassins en eau, mais sans dépôts de sel, Salinas de Añana, pays basque espagnol

Figure 5. Vue globale de bassins en eau, mais sans dépôts de sel, Salinas de Añana, pays basque espagnol

Chaque bassin est construit sur pilotis, en terrasse sur les pentes des deux rives de la vallée. Le fond du bassin est constitué de bois, et imperméabilisé par de l'argile ou par du carrelage.


Gros plan sur des bassins en eau, mais sans sel

Figure 6. Gros plan sur des bassins en eau, mais sans sel

Le fond de chaque bassin est tapissé d'argile et/ou de carrelage.


Gros plan sur des bassins en eau, partiellement évaporés et où se dépose du sel (en moyenne 20 kg par bassin)

Figure 7. Gros plan sur des bassins en eau, partiellement évaporés et où se dépose du sel (en moyenne 20 kg par bassin)

Dans les marais salants artisanaux de la côte atlantique française, ces bassins individuels sont appelés œillets ou encore placettes.


Vue globale sur des bassins contenant du sel obtenu par évaporation, Salinas de Añana, pays basque espagnol

Figure 8. Vue globale sur des bassins contenant du sel obtenu par évaporation, Salinas de Añana, pays basque espagnol

Quand l'eau est presque totalement évaporée, on rassemble le sel en tas avec des raclettes en bois, avant que ce sel soit mis à sécher sous les bassins.


Zoom sur des bassins contenant du sel obtenu par évaporation

Figure 9. Zoom sur des bassins contenant du sel obtenu par évaporation

Quand l'eau a été presque totalement évaporée, on rassemble le sel en tas avec des raclettes en bois, avant que ce sel soit mis à sécher sous les bassins.


Vue globale d'un bassin où des cristallisations de sel se sont développées sur les bords

Cristallisations de sel développées sur les bords d'un bassin

Détail des cristallisations de sel sur le bord d'un bassin

Vue sur des “rigoles” en bois alimentant en eau salée les bassins d'évaporation

Figure 13. Vue sur des “rigoles” en bois alimentant en eau salée les bassins d'évaporation

Le fond de ces rigoles est tapissé d'un mélange d'hydroxydes ferriques et de “microbes”. L'eau des sources doit contenir une faible teneur en Fe2+ dissout, Fe2+ qui s'oxyde avec l'O2 atmosphérique en hydroxyde de Fe3+, insoluble. Les “microbes” sont sans doute des archées halophiles souvent de couleur rose ou orange, cf. Les cristallisations de halite (NaCl) dans et autour de l'étang de Lavalduc, Bouches du Rhône et Les extrémophiles dans leurs environnements géologiques - Un nouveau regard sur la biodiversité et sur la vie terrestre et extraterrestre. Du sel cristallise sur les bords de ces canaux.


Vue sur des “rigoles” en bois alimentant en eau salée les bassins d'évaporation

Figure 14. Vue sur des “rigoles” en bois alimentant en eau salée les bassins d'évaporation

Le fond de ces rigoles est tapissé d'un mélange d'hydroxydes ferriques et de “microbes”. L'eau des sources doit contenir une faible teneur en Fe2+ dissout, Fe2+ qui s'oxyde avec l'O2 atmosphérique en hydroxyde de Fe3+, insoluble. Les “microbes” sont sans doute des archées halophiles souvent de couleur rose ou orange, cf. Les cristallisations de halite (NaCl) dans et autour de l'étang de Lavalduc, Bouches du Rhône et Les extrémophiles dans leurs environnements géologiques - Un nouveau regard sur la biodiversité et sur la vie terrestre et extraterrestre. Du sel cristallise sur les bords de ces canaux.




Une des sources principales situées au sommet de la zone aménagée, Salinas de Añana, pays basque espagnol

Figure 17. Une des sources principales situées au sommet de la zone aménagée, Salinas de Añana, pays basque espagnol

L'eau sort au fond d'un vaste bassin cuvelé par du bois. C'est de tels bassins aménagés que partent la majorité des rigoles amenant par simple gravité l'eau salée à tous les bassins d'évaporation situés en contrebas.


Source avec un débit plus faible que la source de l'image précédente laissée dans un état semi-naturel

Figure 18. Source avec un débit plus faible que la source de l'image précédente laissée dans un état semi-naturel

L'eau s'échappe par un petit déversoir visible à gauche et va rejoindre plus loin le réseau de rigoles en bois. Des plantes halophiles poussent sur les bords de cette source, comme Plantago coronopus. On peut noter que les murs sont faits de basalte et de cargneule.


Petite zone (entre une route interne au site et une rigole d'alimentation) où sourdent des petites sources salées non captées




Vue aérienne des salines de Salinas de Añana, pays basque espagnol

Figure 23. Vue aérienne des salines de Salinas de Añana, pays basque espagnol

Sur cette image, prise en août 2018, les bassins sont beaucoup plus blancs (tapissés de sel) qu'en mai 2019.


Les sources salées de Salinas de Añana sont situées sur la limite Nord-Ouest d'un diapir, principalement constitué de gypse et de halite, datant du Trias supérieur. Des eaux circulant dans cette masse d'évaporites se chargent de NaCl avant de sortir en amont de la vallée de Salinas de Añana. Halite et, dans une moindre mesure, gypse étant solubles, aucun affleurement de halite ou de gypse n'est visible dans le secteur, et le sous-sol, quand il affleure, est constitué des résidus insolubles laissés sur place par la dissolution des évaporites, ce qu'on appelle le cap-rock. En plus des argiles, les seules roches visibles sur place, et utilisées pour faire murets et bâtiments, viennent de ce cap-rock. Ce sont principalement des basaltes et des cargneules. Les cargneules sont des brèches tectoniques mélangeant intimement gypse et calcaire dolomitique. Ces roches sont souvent caverneuses, car le gypse a souvent été dissout, ainsi que les zones les plus dolomitiques solubles dans les eaux sulfatées. La présence de cargneule montre qu'à côté du gypse (et du sel), du calcaire dolomitique a été sédimenté au Trias et a été en partie entrainé vers le haut lors de l'ascension du diapir. Il se peut aussi que du calcaire dolomitique post-triasique se soit trouvé sur le chemin du diapir lors de son ascension et ait été englobé et “cargneulisé” dans la suite de l'ascension. On trouve aussi des blocs de basalte, datant du Trias supérieur, souvent à structure doléritique, et connu localement sous le nom d'ophite. Ces ophites sont communes dans les Pyrénées, et correspondent à des coulées et surtout des sills basiques interstratifiés dans le Trias supérieur. Ces ophites sont maintenant rattachés à la Central Atlantic Magmatic Province (CAMP, cf. Le dyke basaltique d'âge mésozoïque de Brenterc'h (Finistère Nord) : un marqueur excentré de la province magmatique géante CAMP, précurseur de l'ouverture de l'océan Atlantique central), province magmatique géante de même ampleur que celle ( du Crétacé terminal-Paléocène basal) du Dekkan ou que celle (du Permien terminal-Trias basal) de Sibérie. Cette CAMP serait responsable de la grande extinction Trias / Jurassique.

Et, contrairement à ce qui est souvent le cas en France dans les sites géologico-industriels ou miniers, la géologie n'est pas complètement oubliée par les gestionnaires et les guides du site.

Guide devant un panneau géologique fixe où figurent une coupe et une carte du diapir (limité par un trait blanc ; le site des salines correspond à la tache orange sur la limite NO du diapir), Salinas de Añana, pays basque espagnol

Figure 24. Guide devant un panneau géologique fixe où figurent une coupe et une carte du diapir (limité par un trait blanc ; le site des salines correspond à la tache orange sur la limite NO du diapir), Salinas de Añana, pays basque espagnol

Voyant qu'elle avait affaire à un groupe plus géologue que la moyenne (un groupe de naturalistes du pays basque français), la guide a sorti des schémas supplémentaires, comme celui montrant une coupe plus détaillée du diapir, coupe sur laquelle les cargneules intra-diapir étaient figurées en blocs bleus clair, et les basaltes en blocs bleus foncé.




Gros plan sur le bloc d'ophite de l'image précédente

Figure 27. Gros plan sur le bloc d'ophite de l'image précédente

Des placages d'épidote de couleur vert-pistache (cf. Un exceptionnel affleurement de pillow-lavas hydrothermalisés, Eibar, Pays Basque espagnol) sont visibles, montrant que ce basalte a vraisemblablement subi une altération hydrothermale (éruption sous-marine ou interne à des sédiments gorgés d'eau).


Carte et coupe géologique simplifiées du bassin basco-cantabrique et des Pyrénées occidentales montrant le contexte géologique du diapir de Salinas de Añana (tache rose clair dans le carré noir au centre de la carte)

Figure 28. Carte et coupe géologique simplifiées du bassin basco-cantabrique et des Pyrénées occidentales montrant le contexte géologique du diapir de Salinas de Añana (tache rose clair dans le carré noir au centre de la carte)

La carte montre que ce diapir n'est que l'un des nombreux diapirs régionaux. Les plus orientaux de ces diapirs de Trias sont d'ailleurs visibles sur la carte géologique de France au 1/1 000 000. D'autres diapirs semblables existent aussi au Nord des Pyrénées, comme ceux du Sud et de l'Est-Sud-Est de Dax (Landes). Ces diapirs font partie intégrante de l'histoire sédimentaire et tectonique méso-cénozoïque de la région pyrénéenne. Le trait rouge localise la coupe géologique du bas de la figure. Un diapir non affleurant y est figuré. Un résumé de l'histoire de la région et de ses diapirs est disponible gratuitement à l'adresse ci-dessous.

Source : A. Frankovic, L. Eguiluz, L.M. Martinez-Torres, 2016. Geodynamic evolution of the Salinas de Añana diapir in the Basque-Cantabrian Basin, Western Pyrenees, Journal of Structural Geology, 83, 13-27.


Profil sismique interprété du diapir de Salinas de Añana, pays basque espagnol

Figure 29. Profil sismique interprété du diapir de Salinas de Añana, pays basque espagnol

Les deux traits verticaux blancs représentent des forages qui contraignent la géométrie du Nord du profil.

Source : A. Frankovic, L. Eguiluz, L.M. Martinez-Torres, 2016. Geodynamic evolution of the Salinas de Añana diapir in the Basque-Cantabrian Basin, Western Pyrenees, Journal of Structural Geology, 83, 13-27.


Coupe géologique du diapir de Salinas de Añana, pays basque espagnol

Figure 30. Coupe géologique du diapir de Salinas de Añana, pays basque espagnol

Cette coupe est fortement dépendante de l'interprétation du profil sismique de la figure précédente.

On peut comparer la structure de ce diapir avec celui de Lazer dans les Hautes Alpes (cf. Le diapir de gypse triasique de Lazer, Hautes Alpes).

Source : A. Frankovic, L. Eguiluz, L.M. Martinez-Torres, 2016. Geodynamic evolution of the Salinas de Añana diapir in the Basque-Cantabrian Basin, Western Pyrenees, Journal of Structural Geology, 83, 13-27.


Localisation de Salinas de Añana, au pays basque espagnol

Figure 31. Localisation de Salinas de Añana, au pays basque espagnol

On n'est pas si loin de la France.


Et puisque les vacances approchent, si vous allez en vacances au pays basque ou aux environs, Planet-Terre vous a déjà proposé de nombreuses curiosités géologiques, où l'on peut voir :

Bonnes vacances !