Image de la semaine | 12/11/2018
Les triangles de calcite (calcite triangulaire) de la grotte du Grand Roc, les Eyzies-de-Tayac-Sireuil, Dordogne
12/11/2018
Résumé
Surfaces à triangles de calcite, cristallisation de pyramides de calcite dans des “flaques” saturées.
La grotte du Grand Roc est l'une des curiosités géologiques de la commune des Eyzies-de-Tayac-Sireuil en Dordogne, moins connue que d'autres curiosités “préhistoriques” locales comme la grotte de Font-de-Gaume, le Musée national de la Préhistoire… Cette grotte a été creusée par l'eau dans des calcaires du Crétacé supérieur (Coniacien-Santonien). Il s'agit d'une grotte ouverte aux touristes, et on ne peut y pénétrer qu'en visite guidée. Cette grotte est très connue pour la beauté et la fragilité de ses concrétions, en particulier de ses excentriques (cf. Les excentriques, des concrétions spéléologiques bien étranges). C'est cette fragilité qui a amené les exploitants de la grotte à limiter par des barrières le chemin par où passent les touristes, et à protéger certaines concrétions par des vitres ou des grillages. Cette protection est nécessaire vu le nombre des visiteurs, mais empêche parfois de faire des photographies de près, avec l'angle de prise de vue que l'on voudrait… Et, à moins de demander une visite individuelle, on ne peut pas trop s'attarder devant telle ou telle concrétion pour la photographier. Pendant une visite guidée en 2014, le guide nous a rapidement signalé ces concrétions extraordinaires que sont les triangles de calcite. Toutes les photographies de cet article ont été prises en moins de 3 minutes (il fallait bien suivre le guide et le reste du groupe). Ces triangles de calcite sont assez rares dans les grottes françaises ouvertes aux touristes. Je n'en connais (de réputation) que deux autres : le gouffre de Proumeyssac, également en Dordogne, et la grotte de l'Aguzou dans l'Aude.
Ces triangles de calcite sont des triangles équilatéraux, avec, donc, une symétrie d'ordre 3. C'est normal pour de la calcite qui cristallise dans le système trigonal (encore appelé système rhomboédrique) et qui cristallise avec de très nombreuses morphologies possédant cette symétrie (cf. Les macro-cristaux de calcite de la Carrière du Boulonnais, Pas de Calais).
Quelle peut être l'origine de ces “triangles”, cristallisations assez atypiques de calcite ? La surface de ces triangles, quand ils sont pleins, ou leurs bords, quand ils sont creux, matérialisent une surface parfaitement horizontale, au fond d'une petite dépression (figures 3 et 4). Cette cristallisation a été “influencée” par la surface d'un micro-lac (un petit gour en langage spéléologique). Deux solutions sont théoriquement possibles et intellectuellement envisageables.
- Soit la cristallisation part de la surface, et le cristal grandit latéralement en augmentant de surface et grandit en épaisseur, en poussant vers le bas, comme le fait la fleur de sel (cf. La fleur de sel, une forme cristalline de la halite (chlorure de sodium), lien avec les trémies et cubes de sel et Les cristallisations de halite (NaCl) dans et autour de l'étang de Lavalduc, Bouches du Rhône), mais sans pouvoir pousser vers le haut qui est hors d'eau. Il arrive en effet qu'un mini-lac saturé en ions Ca2+ et HCO3− se recouvre d'un voile de calcite [ Ca2+ + 2 Ca2+ → CO2(qui part dans l'atmosphère) + CaCO3(qui forme un voile superficiel) + H2O], cf. figures 19 à 21 de Les sources thermominérales d'Auvergne : aspects géologiques. Pourquoi certains des cristaux de ce voile ne grandiraient-ils pas en prenant le dessus sur les autres ? Dans ce cas, on explique bien la surface supérieure plate. Dans le cas des triangles creux, ce seraient des phénomènes de capillarité qui feraient “monter” les bords du triangle.
- Soit la cristallisation part du fond du micro-lac, sous forme d'une pyramide à base triangulaire poussant vers le haut. Quand la pointe de la pyramide en croissance atteint la surface de l'eau, elle s'arrête de croitre en hauteur, mais les trois faces immergées continuent de croitre horizontalement, engendrant ainsi un triangle plat de plus en plus grand. La croissance cristalline se faisant préférentiellement par les faces, si le niveau du micro-lac se met à monter, les bords du triangle grandissent à la fois latéralement et verticalement, alors que la croissance du centre du triangle (qui ne correspond pas à une face naturelle du cristal) grandit beaucoup moins vite. De la capillarité pourrait accentuer cette croissance verticale des bords. On expliquerait ainsi les triangles creux.
L'examen des affleurements internes à la grotte, examen forcément très rapide vu les conditions de la visite que j'ai effectuée en 2014, privilégie très fortement la deuxième hypothèse. Les photographies qui suivent (1) montrent des détails de ces triangles, et (2) mettent en valeur des morphologies montrant que l'hypothèse 2 (cristaux partant du bas et dont la croissance verticale cesse quand leur terminaison atteint la surface) est très vraisemblablement la bonne. Une étude plus approfondie serait nécessaire pour confirmer, ou infirmer, cette hypothèse.
Quand la grotte fut aménagée pour pouvoir accueillir des touristes, des tunnels furent creusés et des galeries élargies, qui recoupent d'anciennes mini-cavités karstiques ou de mini-lacs maintenant hors d'eau car situés au moins 1 m plus haut que le niveau piézométrique local. On peut alors y faire des observations qui confirment l'hypothèse 2.
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