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Image de la semaine | 15/10/2018

Deux mines d'or romaines en Espagne : Las Médulas (Castille et Léon) et Montefurado (Galice)

15/10/2018

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Exploitations de l'or et modification des paysages : abattre des montagnes (ruina montium) et assécher des méandres (percement de tunnel).


Les exploitations romaines d'or de Las Médulas (Castille et Léon, Nord-Ouest de l'Espagne)

Figure 1. Les exploitations romaines d'or de Las Médulas (Castille et Léon, Nord-Ouest de l'Espagne)

En haut, ce qu'il reste aujourd'hui d'un plateau fait de conglomérats miocènes et qui mesurait approximativement 1000×1000 m, sur une épaisseur d'environ 100 m. Ce n'est pas une érosion naturelle qui a donné une allure de badlands à cette région, mais son “exploitation” par les Romains entre le 1er et le début du 3ème siècle de notre ère. La photo a été prise depuis le Mirador d'Orellan.

En bas, une galerie romaine ouverte à la visite.

Le site de Las Médulas est classé au patrimoine mondial de l'humanité.

Localisation par fichier kmz du site de Las Médulas.


Depuis le début de l'âge des métaux, l'or a depuis longtemps fasciné les hommes, que ce soient les Égyptiens, les Romains, les Incas… C'est d'autant plus étonnant que, jusqu'à une époque récente, l'or n'avait pas d'usage pratique (jusqu'à son usage en dentisterie, puis en électronique). Mais son inaltérabilité et sa rareté en faisaient (et en font encore) une matière première idéale pour la bijouterie, la monnaie, la thésaurisation… Pour rester dans l'antiquité de l'Europe occidentale, l'or a été intensément exploité par les Gaulois, puis par les Romains. La Roumanie et surtout l'Espagne ont été les principales régions aurifères de l'empire romain. Les exploitations de Las Medulas, classées au patrimoine mondial de l'humanité par l'Unesco sont caractéristiques de ce que pouvaient faire les Romains pour extraire de l'or.

Les paragraphes qui suivent (entre »» et ««) sont très largement inspirés du livret guide élaboré par J.I. Gil Ibarguchi (de l'Université du Pays Basque) et Thierry Juteau (professeur émérite) pour accompagner une excursion géologique organisé en juillet 2017 par le CBGA et consacrée à la chaine hercynienne en Espagne.

»» La fièvre de l'or des Romains a extrait des mines de Galice, Léon et régions voisines des dizaines de tonnes de ce métal, qui circulait ensuite sous la forme de pièces de monnaie appelées aureos, durant les deux à trois siècles pendant lesquels l'Empire romain a exploité le riche patrimoine minéral du Nord-Ouest de la péninsule ibérique. Une carte complète des mines d'or exploitées pendant les 1er et 2ème siècles après Jésus-Christ, élaborée par les chercheurs de l'équipe du Dr. Sánchez Palencia, du CSIC (le CNRS espagnol), montre, seulement pour le Bas Miño, jusqu'à 144 mines, qui attestent de l'intensité de l'exploitation aurifère.

Les habitants du Nord-Ouest espagnol avant la romanisation avaient déjà découvert l'or, mais l'exploitaient seulement par des batées dans les rivières, et à une échelle très réduite. L'exploitation systématique et intensive des ressources aurifères commence et se termine avec l'empire romain. Après la conquête, Rome a mis en marche une prospection systématique de l'or à l'échelle de tout le Nord-Ouest ibérique. Les résultats furent si précis qu'à l'heure actuelle, les cartes métallogéniques modernes ne signalent aucun indice de minéralisation qui n'ait été exploité antérieurement par les romains !

Les exploitations minières d'or les plus rentables correspondaient à deux types fondamentaux de gisements. En premier lieu, les gisements dits primaires. Il s'agit de l'exploitation directe des veines de quartz aurifère en roche, demandant la mise en place de mines à ciel ouvert, de tranchées, et de mines en galeries souterraines. C'est ce que faisaient les Gaulois en Limousin. Et en second lieu, les gisements dits secondaires, où on exploitait des matériaux fluviatiles (actuels ou anciens) où l'or se trouve en particules libres, en particulier dans les parties basales des paléochenaux où la forte densité de l'or (ρ=19,3 g/cm3) concentrait ces petites particules. Il fallait cribler puis trier l'or au moyen de la force hydraulique – ce que les romains appelaient les arrugiae – et en employant des canalisations d'eau, tant pour le déplacement des terres et leur excavation, que pour le lavage des sables.

L'exploitation aurifère de Las Médulas, sur le flanc Nord-Ouest des monts Aquilanos est située en pleine chaine hercynienne, dans un secteur surélevé durant le Cénozoïque. Les exploitations se situent en bordure de la vallée du Sil, à 6 km de sa rive gauche. En cet endroit se sont accumulées des alluvions fluviatiles d'âge miocène (limons, sables et galets), sur une épaisseur de 100 à 170 m. Contenant de l'or finement disséminé, ces terres rouges étaient particulièrement favorables pour une exploitation en grand, soit en faisant ruisseler de grandes quantité d'eau sur ces terres, sables et galets rouges, soit par la technique romaine dite ruina montium, qui consiste à creuser des tranchées, des puits et des galeries dans ces formations, puis à les inonder brutalement par le haut afin de provoquer leur effondrement au pied de la montagne. Suivaient ensuite des opérations de criblage et de lavage dans des canaux de lavage ou agogae, pour récupérer les pépites et particules du précieux métal. Ces canaux de lavage, la plupart du temps en bois, avaient leur fond rainuré par des sillons perpendiculaires à la direction du courant ; parfois leur fond était tapissé de toison de mouton. Très dense, l'or était concentré dans les rainures ou entre les fils de laine des toisons. Au bout de quelques temps, on arrêtait l'eau, et on ramassait l'or concentré dans les sillons, ou on “secouait” les peaux de mouton. Avant de passer par ces canaux de lavage en bois, les mineurs retiraient les galets roulés et les entassaient en formant des murs ou des pitons, qui constituent aujourd'hui les murias dans le paysage.

Ces techniques, et en particulier la technique du ruina montium, demandent de grandes quantités d'eau, que les Romains faisaient arriver à travers un impressionnant réseau de canaux creusés à flancs de montagnes sur des dizaines de kilomètres, avec une pente constante comprise entre 0,6 et 1 %. On estime que la longueur totale de ces canaux devait être de l'ordre de 300 km : un travail titanesque, pour ne pas dire un « travail de Romains » ! On a calculé qu'il fallait environ 30 000 tonnes d'eau par jour (soit 10 millions de m3 d'eau par an, ce qui correspond à un débit d'environ 300 L/s) pour faire fonctionner le système, quantité que le réseau de canaux était tout à fait capable d'assurer. On a calculé aussi la production totale d'or de Las Médulas pendant les deux siècles à deux siècles et demi qu'a duré l'exploitation : environ 1200 à 1500 tonnes, soit environ 5 tonnes d'or par an. Ces chiffres peuvent être obtenus de deux façons : (1) en extrapolant pour 200 à 250 ans les chiffres que donne Pline l'Ancien (23-79 de notre ère), chiffre concernant l'exploitation pendant qu'il était administrateur des mines vers le milieu du 1er siècle, et (2) les archéologues ont estimé que le volume de sédiments traités correspondaient à 500 millions de m3, et que les Romains extrayaient au maximum 3 g d'or par tonne de sédiment. Enfin, les historiens ont estimé à 15 000-20 000 le nombre de travailleurs (esclaves comme travailleurs libres) liés chaque année à la mine, aux creusements et à l'entretient des canaux… ««

On peut comparer ces 5 t/an du temps des Romains à la production des deux principales mines d'or françaises du 20ème siècle (Salsigne dans l'Aude et les mines de Saint-Yrieix en Haute-Vienne) qui produisaient chacune environ  t/an. Quant aux 15 000 à 20 000 travailleurs romains, c'était beaucoup beaucoup plus qu'à Salsigne ou Saint-Yrieix.

Nous allons vous montrer 13 photographies prises sur le terrain à Las Médulas, et aussi 6 autres prises dans le musée local (musée nommé Aula arqueológica de Las Medulas), photos de panneaux, de maquettes…

Panorama de Las Médulas, vu depuis le Mirador d'Orellan

Figure 2. Panorama de Las Médulas, vu depuis le Mirador d'Orellan

Tout ce qui manque entre les piliers et les pinacles résiduels a été enlevé par les romains du 1er jusqu'au début du 3ème siècle de notre ère. L'érosion naturelle pendant les 1700 ans qui ont suivi n'a que peu modifié le paysage laissé par les Romains à la fin de l'exploitation.


Vue sur le site de Las Médulas depuis le Mirador d'Orellan

Figure 3. Vue sur le site de Las Médulas depuis le Mirador d'Orellan

Tout ce qui manque entre les piliers et les pinacles résiduels a été enlevé par les romains du 1er jusqu'au début du 3ème siècle de notre ère. L'érosion naturelle pendant les 1700 ans qui ont suivi n'a que peu modifié le paysage laissé par les Romains à la fin de l'exploitation.


Zoom sur le site de Las Medulas, vu depuis le Mirador d'Orellan

Figure 4. Zoom sur le site de Las Medulas, vu depuis le Mirador d'Orellan

Tout ce qui manque entre les piliers et les pinacles résiduels a été enlevé par les romains du 1er jusqu'au début du 3ème siècle de notre ère. L'érosion naturelle pendant les 1700 ans qui ont suivi n'a que peu modifié le paysage laissé par les Romains à la fin de l'exploitation.


Les alternances argilo-sablo-conglomératiques d'âge miocène laissées en place par les Romains, Las Médulas (Espagne)

Figure 5. Les alternances argilo-sablo-conglomératiques d'âge miocène laissées en place par les Romains, Las Médulas (Espagne)

C'est dans ces formations qu'on trouve des paillettes d'or avec une teneur de 1 à 5 g d'or par tonne de roche.


Les alternances argilo-sablo-conglomératiques d'âge miocène laissées en place par les Romains, Las Médulas (Espagne)

Figure 6. Les alternances argilo-sablo-conglomératiques d'âge miocène laissées en place par les Romains, Las Médulas (Espagne)

C'est dans ces formations qu'on trouve des paillettes d'or avec une teneur de 1 à 5 g d'or par tonne de roche.


Dans une galerie romaine de Las Médulas (Castille et Léon, Nord-Ouest de l'Espagne)

Figure 7. Dans une galerie romaine de Las Médulas (Castille et Léon, Nord-Ouest de l'Espagne)

Cette galerie est creusée dans un conglomérat à gros blocs.



Détail des strates miocènes, au débouché de la galerie romaine précédente, Las Médulas

Figure 9. Détail des strates miocènes, au débouché de la galerie romaine précédente, Las Médulas

Le Mirador d'Orellan est juste derrière les barrières visibles en haut de la falaise.





Vue aérienne du site de Las Médulas (Castille et Léon, Nord-Ouest de l'Espagne)

Figure 13. Vue aérienne du site de Las Médulas (Castille et Léon, Nord-Ouest de l'Espagne)

(1) indique ce que montrent les images 1 à 4.

(2) localise le Mirador d'Orellan et la galerie des figures 7 à 11.

(3) localise ce qui sera explicité par un panneau du musée à la fig 16.

(4) localise le musée Aula arqueológica de Las Medulas.



Maquette présenté par l'Aula arqueológica de Las Médulas montrant l'état de la zone à la fin du 2ème siècle

Figure 15. Maquette présenté par l'Aula arqueológica de Las Médulas montrant l'état de la zone à la fin du 2ème siècle

L'importance des excavations et des dépôts en résultant se voient très bien.


Panneau présenté par l'Aula arqueológica de Las Médulas montrant, dans son état actuel, la zone (3) de la vue aérienne du site

Figure 16. Panneau présenté par l'Aula arqueológica de Las Médulas montrant, dans son état actuel, la zone (3) de la vue aérienne du site

Les légendes sont en espagnol, mais compréhensibles par un locuteur français, autre langue d'origine latine.


Panneau présenté par l'Aula arqueológica de Las Médulas montrant une des deux méthodes de la technique romaine dite ruina montium

Figure 17. Panneau présenté par l'Aula arqueológica de Las Médulas montrant une des deux méthodes de la technique romaine dite ruina montium

La méthode consiste ici en l'érosion superficielle des pentes et leur sape par la base. La flèche, à droite, indique la zone où les ouvriers (esclaves ?) séparaient l'or des sédiments.


Panneau présenté par l'Aula arqueológica de Las Médulas montrant l'autre méthode de la technique romaine dite ruina montium

Figure 18. Panneau présenté par l'Aula arqueológica de Las Médulas montrant l'autre méthode de la technique romaine dite ruina montium

Des puits verticaux et des galeries horizontales étaient creusées dans les sédiments miocènes, mais sans jamais atteindre les parois. Ces galeries étaient ensuite brutalement inondées en y vidant d'un coup l'eau contenue dans un réservoir élevé. La pression de l'eau faisait alors “exploser” la montagne. Il ne restait plus alors qu'à trier les déblais avec les méthodes classiques.


Les techniques du ruina montium et le tri/lavage des sédiments nécessitaient de grandes quantités d'eau. Les Romains avaient creusé tout un système de canaux (plus de 300 km) apportant sur le site 10 millions de m3 d'eau par an.

En aval de Las Médulas, les Romains ont exploité de l'or par une toute autre méthode, grâce au tunnel de Montefurado (Montefurado.kmz). Comme pour Las Médulas, les paragraphes qui suivent (entre »» et ««) sont largement inspirés du livret guide élaboré par J.I. Gil Ibarguchi (de l'Université du Pays Basque) et Thierry Juteau (professeur émérite) pour accompagner une excursion géologique organisé en juillet 2017 par le CBGA et consacrée à la chaine hercynienne en Espagne.

»» À 50 km en aval de Las Médulas, le Rio Sil coule capricieusement en formant de grands méandres contournant ainsi les bancs de roches dures. À 1 km avant que les eaux de la rivière Bibei se mêlent à celles du Rio Sil, existe un grand méandre dont la courbure dessine une boucle de presque 2,5 km. Les eaux du Rio Sil faisaient ce détour pour éviter une dure paroi rocheuse qui le séparait de l'autre flanc du méandre sur à peine 140 m. Les Romains savaient que le Sil transportait de l'or, et décidèrent pour l'extraire de construire un tunnel au 2ème siècle, du temps de l'empereur Trajan. Il y a plusieurs hypothèses pour expliquer le rôle de ce tunnel. Pour les uns, il s'agissait d'assécher le méandre en perforant la colline pour pouvoir dévier la rivière. Ainsi les 2,5 km du méandre asséché faciliteraient énormément la recherche et l'extraction du précieux métal dans les alluvions sub-actuelles du Rio Sil. Pour d'autres, de grandes portes de bois contrôlaient l'entrée de l'eau soit dans le tunnel, soit dans son ancien lit. En manœuvrant ces portes, la rivière se détournait de son lit naturel, passait par le tunnel au fond duquel se sédimentaient les alluvions les plus denses, contenant de l'or. Il suffisait de ré-envoyer l'eau dans son lit naturel pour ramasser l'or dans le tunnel.

Dans tous les cas, il nous reste peu de choses de son aspect authentique, depuis qu'en 1934, une crue du Sil a emporté une bonne partie du tunnel, le réduisant à moins de la moitié de sa longueur initiale, et lui donnant l'aspect qu'il a aujourd'hui. En réalité, tout indique que le tunnel, taillé majoritairement dans des matériaux schisteux, n'est pas fait pour résister au volume de l'eau du Sil multiplié par quatre ou cinq pendant ses crues les plus violentes ; ceci explique que les parois du tunnel ont cédé progressivement, provoquant des effondrements périodiques de la voûte. ««

Vue aérienne du méandre “asséché” de Montefurado (Galice, Nord-Ouest de l'Espagne)

Figure 22. Vue aérienne du méandre “asséché” de Montefurado (Galice, Nord-Ouest de l'Espagne)

Le pédoncule étroit du méandre a été percé par un tunnel creusé par les Romains, ce qui a asséché le méandre. Le Rio Sil actuel emprunte encore ce tunnel.

Localisation par fichier kmz du tunnel de Montefurado.





Vue sur l'entrée amont du tunnel romain de Montefurado

L'entrée amont du tunnel romain de Montefurado (Galice, Nord-Ouest de l'Espagne)

Localisation de Las Médulas (punaise jaune) et du tunnel de Montefurado (punaise rouge) au Nord-Ouest de la péninsule ibérique