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Image de la semaine | 06/06/2016

Un peu de géologie en visitant Rome

06/06/2016

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Marbre, granite, serpentinite... un aperçu géologique d'une visite artistico-historico-géologique des basiliques majeures de Rome (Saint Jean de Latran et Saint Pierre de Rome).


Marbres polychromes recouvrant le sol d'une salle des musées du Vatican

Figure 1. Marbres polychromes recouvrant le sol d'une salle des musées du Vatican

Le pied d'un visiteur, en haut à droite donne l'échelle de la photo et donne un idée de l'échelle des autres photos de cet article.

La symétrie du rond central, en brèche polychrome, est due à l'accolement de deux dalles issues d'une même coupe et montrant donc la même surface. Le joint entre les deux dalles est visible dans la partie basse, plus claire.


Pour un géologue, les voyages permettent de découvrir des constructions impressionnantes par leur taille (cf. La pyramide de Khéops (Gizeh, Égypte) : le plus gros tas de calcaire À nummulites du monde) ou par la diversité de leurs matériaux reflétant la géologie régionale... voire terrestre (cf. Une maison représentative de 84% de la Terre à Burzet (Ardèche)).

À Rome, il est possible de réactiver ses souvenirs de latin et d'admirer la richesse historique, architecturale et artistique de la ville dans laquelle se côtoie des édifices de toutes les époques, de la Rome antique à nos jours. On peut aussi se rendre compte de la diversité des roches utilisées au cours du temps non seulement pour les constructions mais aussi, et surtout, pour les ornementations. Nous verrons ici, essentiellement, la richesse géologique présentes dans les deux principaux édifices religieux de la ville, la basilique Saint Jean de Latran et la basilique Saint Pierre de Rome (visites qui complètent celle du Grossmünster de Zurich avec ses vitraux en agate)

Les constructions de la Rome antique mêlaient pierre de taille et briques (l'extérieur du Colisée, par exemple, est en travertin, l'intérieur et les retouches / réparations en brique). Les ornementations murales étaient souvent des peintures sur enduit. Les mosaïques étaient aussi répandues dans les riches demeures, mosaïques composées de tesselles de verre coloré ou de pierre et représentant des scènes variées. Parfois, outre des dallages simples, des dallages composés jouaient sur les couleurs et motifs de roches différentes.

Rappelons que le terme "marbre" sera ici employé au sens du marbrier, des architectes ou des décorateurs, à savoir des roches susceptibles d'un beau poli. Parmi ces marbres au sens "ornemental", il y a bien sûr les marbres au sens géologique du terme (calcaire métamorphisé), mais aussi des péridotites, des calcaires non métamorphisés, des brèches sédimentaires ou mantelliques, des roches volcaniques, des granites (que les marbriers écrivent alors "granit" sans "e")...

Une visite du Pallazzo Massimo alle Terme, par exemple, permet d'admirer de nombreuses réalisations antiques et atteste de l'utilisation de multiples techniques et roches pour l'ornementation.

Tête féminine en marbre noir (Pallazzo Massimo, Rome)

Figure 2. Tête féminine en marbre noir (Pallazzo Massimo, Rome)

On remarque une veine d'aspect différent sur l'épaule gauche, à la base du cou.


Urne funéraire en albâtre, ou marbre onyx (Pallazzo Massimo, Rome)

Figure 3. Urne funéraire en albâtre, ou marbre onyx (Pallazzo Massimo, Rome)

L'albâtre est ici calcitique (il existe des albâtres gypseuses) et colorée.


Buste masculin mêlant tête en marbre blanc et torse en brèche colorée (Pallazzo Massimo, Rome)

Figure 4. Buste masculin mêlant tête en marbre blanc et torse en brèche colorée (Pallazzo Massimo, Rome)

Deux roches différentes sont ici associées, un marbre blanc et une brèche à clastes colorés et à veines blanches (calcite ?) ou orangées (oxydes de fer ?).


En se rendant à la basilique Saint Jean de Latran, siège du diocèse de Rome, on admirera les beaux pavements du sol de la basilique après avoir repris quelques cours d'histoire et de latin.

Façade principale de la basilique Saint Jean de Latran, Rome

Figure 5. Façade principale de la basilique Saint Jean de Latran, Rome

À droite, on aperçoit une partie du Palais du Latran, édifié sur le site d'un ancien palais romain et modifié à plusieurs reprises, qui fut la principale résidence papale (le pape étant aussi évêque de Rome, sa résidence aux côtés du siège de son diocèse semble naturelle) du 4ème siècle jusqu'au départ des papes en Avignon, puis ensuite du retour des papes à Rome jusqu'en 1871, date à laquelle les autorités papales s'installent sur le site du Vatican, vers la Basilique Saint Pierre de Rome. C'est dans ce palais que sont signés en 1929 les Accords du Latran entre les représentants du pape et les autorités italiennes, accords sur la création de l'État du Vatican et ses relations avec l'Italie. La basilique, rattachée au Vatican, n'est donc pas sous administration italienne.

Au fronton de cette façade en travertin, on peut lire ˢCLEMENS XII PONT MAX ANNO V - CHRISTO SALVATORI - IN HON SS JOAN BAPT ET EVANGۢ, ce qui nous ramène à nos souvenirs de latin... à condition de savoir lire le latin... et ses abréviations. Si l'édifice est consacré au "Christ sauveur" (Christo salvatori), il est aussi dédié (in honorem) à saint Jean Baptiste et à Saint Jean Évangéliste (d'où le double "S", un pour chaque saint). Le début de l'incription, lui, nous montre la relative continuité, à Rome, entre la religion chrétienne et la religion romaine. En effet, Clement XII (Clemens XII) fut pape de 1730 à 1740 et son titre est ici ndiqué comme pontifex maximus (PONT MAX) qui était le titre porté par le plus haut prêtre de la religion romaine avant que ce titre ne soit repris par l'empereur Auguste et ses successeurs jusque vers la fin de l'empire romain. Ce titre fut ensuite adopté par le pape à partir de l'an 642 et explique l'origine des expressions "souverain pontife", "pontifical" et "pontificat" qui se rapportent à la papauté. De plus, comme pour les empereurs romains, la date est donnée dans le calendrier de l'empereur régnant, ici, il sagit de la cinquième année (ANNO V) du règne (du pontificat) de Clément XII, ce qui correspond à 1734, date non pas de la construction de la basilique mais de l'édification de cette façade.


Pavement en mosaïques de marbres colorés, basilique Saint Jean de Latran

Figure 6. Pavement en mosaïques de marbres colorés, basilique Saint Jean de Latran

Le sol de la basilique est composé essentiellement de dalles de marbre blanc ("classique") comme on en voit ici en périphérie. La particularité de l'édifice est l'usage important de décors de type mosaïque mêlant les tons rouges (calcaires rouges plus ou moins noduleux) et verts (brèches de serpentinites).




Pavement à effet 3D usant trois teintes de marbres, basilique Saint Jean de Latran

Figure 9. Pavement à effet 3D usant trois teintes de marbres, basilique Saint Jean de Latran

Cet effet d'optique en escalier est obtenu par l'usage de 3 teintes différentes. Si la teinte noire (ombre franche) est ici utilisée systématiquement pour les lignes de losanges traversant l'image horizontalement, on remarque une alternance de l'usage du blanc et du gris, d'une rangée à l'autre. La rangée horizontale du bas montre des "marches grises" et des contre-marches blanches, les couleurs sont inversées pour la rangées supérieures.


Pavement à décor de marbres colorés, basilique Saint Jean de Latran

Figure 10. Pavement à décor de marbres colorés, basilique Saint Jean de Latran

Un cadre de marbre gris, un marbre rouge à nodules et veines blanches en fond et une composition en brèches rosées à jaunâtre : l'étoile guidant les bergers ?


Pavement avec colombe portant une branche d'olivier, basilique Saint Jean de Latran

Figure 11. Pavement avec colombe portant une branche d'olivier, basilique Saint Jean de Latran

Le marbre noir du pourtour et le marbre blanc de la colombe sont légèrement sculptés en surface pour obtenir les effets désirés. Marbre rouge à nodules de calcite en fond. La colombe, aujourd'hui généralement associée à la paix, est l'une des représentations de l'esprit saint dans la symbolique chrétienne et est aussi présente dans le livre de la genèse (colombe au rameau annonçant la fin du déluge).


Pavement à marbres polychromes, basilique Saint Jean de Latran

Figure 12. Pavement à marbres polychromes, basilique Saint Jean de Latran

Le quadrilatère central montre un marbre rouge à schistosité soulignée par les alternances de teintes. Cadre de marbre noir.


Pavement à marbres polychromes, basilique Saint Jean de Latran

Figure 13. Pavement à marbres polychromes, basilique Saint Jean de Latran

Le quadrilatère central montre une brèche à fond rouge et clastes de tailles variées. Cadre de marbre noir.


Pavement à marbres polychromes, basilique Saint Jean de Latran

Figure 14. Pavement à marbres polychromes, basilique Saint Jean de Latran

Le quadrilatère central est un calcaire noduleux à veines de calcites bien visibles. Cadre d emarbre noir.


Pavement à marbres polychromes et granite, basilique Saint Jean de Latran

Figure 15. Pavement à marbres polychromes et granite, basilique Saint Jean de Latran

Ce quadrilatère n'est pas un marbre mais un granite (au sens géologique du terme puisqu'ici écrit avec un "e" final, alors que le terme de carrier "granit" correspond à toute roche à usage et aspect proche du granite) traversant par un petit filon leucocrate. Le petit filon en bas à droite est une cassure comme le montre son remplissage semblable au joint entre dalles.


Statue de Saint Thomas prêchant devant des colonnes de marbre rouge et de serpentinite, basilique Saint Jean de Latran

Figure 16. Statue de Saint Thomas prêchant devant des colonnes de marbre rouge et de serpentinite, basilique Saint Jean de Latran

Les différentes roches utilisées pour le sol de la basilique sont aussi utilisés pour des colonnes et pour des fonds muraux. En plus des colonnes de serpentinite et de marbre rouge, on observe en fond l'usage de plusieurs marbres colorés, jaunâtres à gris.


Ayant été construite, dans sa version actuelle, entre 1506 et 1626, c'est-à-dire après la basilique Saint Jean de Latran et ses dernières modifications majeures, et devant affirmer sa primauté sur cette dernière, la basilique Saint Pierre de Rome se devait d'être plus grande et plus richement ornée. En plus des très nombreuses statues, colonnes et décors muraux, nous trouvons ici un sol à marbres polychromes avec des roches plus variées et des découpes qui ne se limitent pas à des quadrilatères ou à des formes arrondies.

Pavement à marbres polychromes, basilique Saint Pierre de Rome

Figure 17. Pavement à marbres polychromes, basilique Saint Pierre de Rome

Le quadrilatère central est une brèche à dominante jaune et veines de calcite. Cadre de marbre noir et blanc avec quelques veines orangées.


Pavement à marbres polychromes, basilique Saint Pierre de Rome

Figure 18. Pavement à marbres polychromes, basilique Saint Pierre de Rome

Le quadrilatère central est une jolie brèche à éléments polychrome eux-mêmes préalablement recoupés de veines de calcite. Cadre de marbre noir à veines blanches et orangées.


Pavement à marbres polychromes, basilique Saint Pierre de Rome

Figure 19. Pavement à marbres polychromes, basilique Saint Pierre de Rome

Le disque central est un marbre jaune à schistosité recoupée de fractures et veines foncées.


Pavement à marbres polychromes, basilique Saint Pierre de Rome

Figure 20. Pavement à marbres polychromes, basilique Saint Pierre de Rome

Le disque central est une brèche à éléments variés. Quatre "triangles" de marbres orangé l'entourent et sont compris dans un marbre gris à schistosité fortement plissée.


Pavement à marbres polychromes, basilique Saint Pierre de Rome

Figure 21. Pavement à marbres polychromes, basilique Saint Pierre de Rome

La forme "rectangulaire" centrale est un calcaire noduleux rouge-orangé très certainement taillé dans un calcaire du faciès ammonitico rosso. Ce faciès est très fréquent dans le Jurassique des Alpes italiennes et de l'Apennin. Il est inclus dans un cadre de calcaire sombre à veines de calcite.


Pavement à marbres polychromes et serpentinite, basilique Saint Pierre de Rome

Figure 22. Pavement à marbres polychromes et serpentinite, basilique Saint Pierre de Rome

Un cadre de calcaire noduleux jaune entoure un quadrilatère de serpentinite.

On retrouve aussi de la serpentinite à la tribune de l'assemblée générale de l'ONU à New-York (cf. Carrière de serpentinite à Chatillon, Val d'Aoste, Italie).


Pavement à marbres polychromes et serpentinite, basilique Saint Pierre de Rome

Figure 23. Pavement à marbres polychromes et serpentinite, basilique Saint Pierre de Rome

Un cadre de calcaire de type ammonitico rosso entoure un "quadrilatère" de serpentinite.

On retrouve aussi de la serpentinite à la tribune de l'assemblée générale de l'ONU à New-York (cf. Carrière de serpentinite à Chatillon, Val d'Aoste, Italie).


Colonne se brèche de serpentinite avec socle et chapeau rouges, musées du Vatican

Figure 24. Colonne se brèche de serpentinite avec socle et chapeau rouges, musées du Vatican

Socle et chapeau sont en calcaire noduleux rouge, à nodules plus gros pour le chapeau.


Murs de calcaire vert métamorphisé dans un escalier des musées du Vatican

Figure 25. Murs de calcaire vert métamorphisé dans un escalier des musées du Vatican

Ce marbre vert montre un litage / une schistosité affecté(e) de plis anisopaques. En suivant les plissements, on distingue, grâce aux discontinuités, les joints de plaques qui sont quasi-parallèles au plan axial du pli général, ce qui en amoindrit la visibilité.


Pietà de Michel-Ange, basilique Saint Pierre de Rome

Figure 26. Pietà de Michel-Ange, basilique Saint Pierre de Rome

Si la Pietà, commandée en 1497, est l'une des œuvres majeures de Michel-Ange, on pourra aussi admirer les différentes roches qui l'entoure : marbres blancs, marbres rouges plus ou moins bréchiques, marbres bruns plus mou moins uniformes, marbre jaune et brèche de serpentinite aux tons verts clairs.

La statue elle-même est sculptée dans un seul bloc de calcaire métamorphique connu sous le nom de « marbre de Carrare », Carrara étant le nom d'une ville du Nord de la Toscane. Le protolithe du marbre de Carrare est un calcaire du Jurassique inférieur, son métamorphisme est cénozoïque.


Lorsque, de plus, l'origine des roches utilisées est connue, cela permet d'estimer la richesse du commanditaire des édifices et de révéler l'existence de circuits commerciaux dans la société d'alors. Attention toutefois à ne pas oublier les possibles réutilisations de matériaux au fil de l'histoire du fait de la destruction ou de l'abandon de certains monuments et de la réutilisation de leur matériaux pour l'édification de nouvelles constructions locales. Nous aurons certainement ici l'occasion de présenter d'autres exemples d'études géologico-historiques.