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Image de la semaine | 18/05/2015

L'allée couverte immergée de Guinirvit, Baie de Kernic, Plouescat (Finistère) et le cromlech semi-immergé de l'île d'Er Lanic (Morbihan), témoins des mouvements relatifs mer/continent en partie liés au rebond post-glaciaire

18/05/2015

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Déglaciation, isostasie et mouvements verticaux : affaissement des bombements périphériques accompagnant le soulèvement isostatique central.


Ruines de l'allée couverte de Guinirvit, Baie de Kernic, Plouescat (Finistère) photographiées à marée basse

Figure 1. Ruines de l'allée couverte de Guinirvit, Baie de Kernic, Plouescat (Finistère) photographiées à marée basse

Il y a de nombreuses allées couvertes plus ou moins bien conservées en Bretagne, sortes de dolmens précédés d'une allée de pierre et parfois entourés d'une couronne de pierres dressées (péristalithe). Celle de Guinirvit est particulièrement ruinée, et, en particulier, a perdu ses dalles horizontales faisant office de plafond. Elle daterait, comme toutes ses homologues, du début de l'âge du bronze (-2 500 a avant notre ère). Ce qui fait son originalité, c'est qu'elle est entièrement située sur l'estran. Découverte à marée basse, elle est entièrement immergée lors des grandes marées. Comme les bâtisseurs de l'âge du bronze n'ont certainement pas bâti cette allée dans la zone de balancement des marées, cela signifie que la mer est montée ou que cette zone de la Bretagne s'est enfoncée de quelques mètres depuis 4 500 ans.


Vue plus lointaine de l'allée couverte de Guinirvit, Baie de Kernic, Plouescat (Finistère)

Figure 2. Vue plus lointaine de l'allée couverte de Guinirvit, Baie de Kernic, Plouescat (Finistère)

Cette allée était entourée d'un enclos externe dont il reste le côté oriental (à gauche).



Panneau explicatif indiquant l'existence et précisant les particularités archéologiques et géologiques de l'allée couverte de Guinirvit

Figure 4. Panneau explicatif indiquant l'existence et précisant les particularités archéologiques et géologiques de l'allée couverte de Guinirvit

On peut remarquer que le panneau touristique "accuse" une montée de la mer, mais n'envisage pas un enfoncement de la Bretagne, ce qui s'est aussi produit.


Vue, depuis l'Ouest, de l'allée couverte de Guinirvit, Baie de Kernic, Plouescat (Finistère)

Figure 5. Vue, depuis l'Ouest, de l'allée couverte de Guinirvit, Baie de Kernic, Plouescat (Finistère)

On remarque que les bases des pierres dressées sont couvertes d'algues vertes (des entéromorphes). Les zones recouvertes d'algues vertes sont immergées à chaque marée. Le haut des pierres, dépourvu d'algues vertes, n'est recouvert que pendant les grandes marées.


Vue, depuis le Nord-Ouest, de l'allée couverte de Guinirvit, Baie de Kernic, Plouescat (Finistère)

Figure 6. Vue, depuis le Nord-Ouest, de l'allée couverte de Guinirvit, Baie de Kernic, Plouescat (Finistère)

On remarque que les bases des pierres dressées sont couvertes d'algues vertes (des entéromorphes). Les zones recouvertes d'algues vertes sont immergées à chaque marée. Le haut des pierres, dépourvu d'algues vertes, n'est recouvert que pendant les grandes marées.


Vue, depuis le Nord, de l'allée couverte de Guinirvit, Baie de Kernic, Plouescat (Finistère)

Figure 7. Vue, depuis le Nord, de l'allée couverte de Guinirvit, Baie de Kernic, Plouescat (Finistère)

On remarque que les bases des pierres dressées sont couvertes d'algues vertes (des entéromorphes). Les zones recouvertes d'algues vertes sont immergées à chaque marée. Le haut des pierres, dépourvu d'algues vertes, n'est recouvert que pendant les grandes marées.


Vue, depuis le Sud, de l'allée couverte de Guinirvit, Baie de Kernic, Plouescat (Finistère)

Figure 8. Vue, depuis le Sud, de l'allée couverte de Guinirvit, Baie de Kernic, Plouescat (Finistère)

On remarque que les bases des pierres dressées sont couvertes d'algues vertes (des entéromorphes). Les zones recouvertes d'algues vertes sont immergées à chaque marée. Le haut des pierres, dépourvu d'algues vertes, n'est recouvert que pendant les grandes marées.






Vue aérienne de la plage où est située l'allée couverte de Guinirvit , Baie de Kernic, Plouescat (Finistère)

Figure 13. Vue aérienne de la plage où est située l'allée couverte de Guinirvit , Baie de Kernic, Plouescat (Finistère)

On voit très bien le quadrilatère principal (flèche rouge) et on devine l'enclos externe. L'ensemble est entièrement situé dans la zone de balancement des marées.


 

D'après tous les archéologues, les bâtisseurs de l'âge du bronze ont bâti cette allée couverte (sans doute une sépulture et ses "dépendances") dans une zone de bord de mer qui n'était jamais immergée, même pendant les plus fortes marées. La submersion actuelle à chaque marée indique que la mer est montée ou que ce secteur de la Bretagne s'est enfoncé de quelques mètres depuis 4 500 ans. Or, il y a 4 500 ans, on était à la fin de la période qu'on appelle l'« optimum climatique de l'Holocène », entre -8 000 et -4 000 ans. Pendant cette période, le Sahara était vert, la température moyenne de l'hémisphère Nord était légèrement supérieure à la moyenne actuelle, et le niveau de la mer était très voisin du niveau actuel (pré-industriel). Des études les plus précises possible essaient de reconstituer les variations du niveau de la mer depuis la fin de la dernière glaciation. C'est un sujet qui prend de plus en plus d'importance, justement à cause du réchauffement anthropique et de ses conséquences sur le niveau de la mer dans 10, 100, 200… ans. Des études géologiques archéologiques permettent plus ou moins facilement de reconstituer les variations relatives mer/continents. En France métropolitaine, des études ont été menées. Une synthèse publiée en 2014 par Pierre Stéphan et Jérôme Goslin (Quaternaire, 25, 4, 295-312). Pour résumer et simplifier, on peut dire que depuis 4 500 ans (la construction de l'allée couverte de Guinivirt), la mer est montée d'environ 4 m sur les côtes de la Manche, d'environ 2,5 m en Sud Bretagne et de 1 à 2 m en Vendée-Charente. Des études entreprises à l'échelle du globe (cf., par exemple, Élévation du niveau de la mer) montrent que (1) la majorité de la hausse post-glaciaire du niveau des mers était achevée il y a 4 500 ans (ce qu'on m'avait appris il n'y a pas si longtemps que ça), mais que (2) il y avait eu quand même une légère hausse globale de ce niveau (entre 1 et 1,5 m, arrondissons à 1,3 m).

Évolution globale du niveau des mers depuis le Dernier maximum glaciaire et au cours de l'Holocène

Figure 15. Évolution globale du niveau des mers depuis le Dernier maximum glaciaire et au cours de l'Holocène

Les pointillés violets indiquent l'âge de l'allée de Guinivirt (4 500 ans). En haut, on voit l'évolution du niveau marin depuis la fin du Dernier maximum glaciaire. La mer a quasiment atteint son niveau actuel il y a 7 000 ans. En bas, on voit l'évolution plus précise pendant ces 7 000 dernières années. Depuis 4 500 ans, le niveau de la mer est monté d'environ 1,3 m (sur plus de 100 m depuis le DMG).


Ce n'est donc pas une remontée de la mer qui est la seule responsable de la submersion de l'allée couverte de Guinirvit, mais bien aussi un enfoncement, uns subsidence, de ce secteur de la côte bretonne. On peut chiffrer cette subsidence postérieure à 4 500 ans avec une simple soustraction. Si la hausse relative mer/Bretagne Nord est d'environ 4 m et la hausse globale de la mer de 1,3 m, alors le secteur de Guinirvit a subsidé d'environ 2,7 m. Quelle(s) peu(ven)t être la(les) cause(s) de cette subsidence ? On ne peut pas exclure qu'une cause "tectonique" locale ait pu entraîner ce mouvement de subsidence, comme le jeu quaternaire d'anciennes failles hercyniennes... En effet, toute l'Europe de l'Ouest est en compression N-S (rapprochement Europe-Afrique) et cela a tendance à occasionner des ondulations à grande longueur d'onde (on parle de flambage), avec des zones en surrection et d'autres en subsidence. Cette explication purement tectonique peut avoir un rôle dans cette subsidence, mais on peut remarquer que cette subsidence historique et proto-historique est importante (de l'ordre de grandeur du mètre par millénaire). Si cette subsidence s'était effectué avec cette vitesse depuis le début du Quaternaire, cela signifierait une subsidence de 2 000 m depuis 2 Ma. Or l'Armorique n'avait pas une altitude de 2 000 m au début du Quaternaire. La "rapide" subsidence des derniers millénaires est forcément un phénomène bref et temporaire. De plus, cette subsidence sub-actuelle est plus fréquente d'une zone allant de la Bretagne au Danemark que dans le reste de l'Europe, par exemple en Hollande où elle est maximale et où elle cause les problèmes que l'on sait (inondations, nécessité de surélévation des digues...). Cette zone avec une subsidence actuelle et sub-actuelle assez générale se trouve en périphérie de la zone recouverte par la calotte glaciaire würmienne du Nord de l'Europe, zone actuellement en phase de surrection. Par exemple, le Nord et le centre de la Grande-Bretagne, là où la calotte würmienne était la plus épaisse, sont en surrection tout comme la Scandinavie. Par contre, la périphérie de cette zone (l'Ouest de l'Irlande, le Nord-Ouest de la France, dont la Bretagne …) ont tendance à être en subsidence. Quelle peut être l'origine de cette subsidence périphérique à l'ancienne calotte glaciaire Nord-européenne ?

La mise en glace du Nord de l'Europe, de la Grande Bretagne à la Scandinavie, a entraîné la flexion de la lithosphère Nord-européenne et sa subsidence. Quand une surcharge entraîne une flexion (vers le bas) d'une plaque mince élastique (que ce soit une plaque tectonique ou une tôle métallique), cela entraîne aussi une flexion, plus faible et vers le haut, de la plaque élastique autour de la zone de surcharge. Lors de la mise en glace de l'Europe du Nord, Grande-Bretagne, Scandinavie… se sont enfoncés, et leurs régions périphériques (Ouest de l'Irlande, Nord-Ouest de la France, Flandre, Hollande…) se sont surélevées. Avec la disparition de la calotte glaciaire, on revient à l'équilibre antérieur, et Grande-Bretagne, Scandinavie… remontent alors qu'Irlande, Nord-Ouest de la France, Hollande… redescendent.

Figure 16. Carte des mouvements verticaux actuels causée par les phénomènes isostatiques post-glaciaires en Grande-Bretagne et au Nord-Ouest de la France

Le centre de la Grande-Bretagne (là où la calotte würmienne était la plus épaisse) est en surrection (en vert). La périphérie, dont la Bretagne (en rouge foncé) est en subsidence. La localisation de la limite Sud zone en subsidence/zone stable est très approximative. À ces mouvements d'origine purement isostatique peuvent se rajouter des mouvements d'origine tectonique les renforçant où les amoindrissant.



Géométrie d'une plaque mince élastique soumise à l'application d'une force ponctuelle dirigée vers le bas (flèche violette)

Figure 18. Géométrie d'une plaque mince élastique soumise à l'application d'une force ponctuelle dirigée vers le bas (flèche violette)

La zone soumise à la force fléchit vers le bas, mais sa périphérie se bombe. Si on cesse d'appliquer cette force, il y a retour à la forme d'équilibre : la zone enfoncée remonte, et les bombements périphériques s'affaissent. Cette représentation modélise de façon très simplifiée l'action d'une calotte glaciaire sur une plaque lithosphérique élastique : enfoncement sous la calotte et surrection de ses bordures pendant la mise en glace, remontée de l'emplacement de l'ancienne calotte et subsidence des bordures pendant (et après) la fusion de la calotte.


L'allée couverte de Guinirvit n'est pas la seule indication archéologique d'une subsidence historique et proto-historique de la Bretagne, subsidence due en grande partie aux phénomènes post-glaciaires et pouvant être localement augmentée (ou diminuée) par des causes tectoniques et bien sûr amplifiée par la remontée de la mer. Il y a bien sûr les légendes de l'engloutissement de la ville d'Ys et de la forêt de Scissy (forêt qui est censée se trouver sous la Baie du Mont Saint Michel), et ces légendes ont peut-être comme fondement des submersions proto-historiques. Mais il y a aussi le double cromlech de l'ile d'Er Lanic dans le golfe du Morbihan, auquel on peut appliquer le même raisonnement qu'à l'allée couverte de Guinirvit, avec une amplitude de subsidence moindre et donc un effet de la hausse du niveau de la mer relativement plus important. Je n'ai pas d'images personnelles de ce cromlech, mais je ne peux résister à montrer quatre images, une prise sur le Géoportail et trois sur "panoramio".

Vue aérienne de l'île d'Er Lanic (à marée basse) dans le golfe du Morbihan

Figure 19. Vue aérienne de l'île d'Er Lanic (à marée basse) dans le golfe du Morbihan

On voit très bien la moitié du cromlech dans la lande et sur l'estran. Ce cromlech, comme tous ces homologues, devait dessiner un cercle complet. L'autre moitié du cromlech se trouve (en plus ou moins bon état) sous le niveau des basses mers.




Vue aérienne interprétée de l'île d'Er Lanic et de son double cromlech

Figure 22. Vue aérienne interprétée de l'île d'Er Lanic et de son double cromlech

La partie aérienne du cromlech se voit bien. Les pointillés jaunes indiquent (approximativement) la partie immergée du cromlech en partie émergé, ainsi qu'un deuxième cromlech entièrement sous l'eau en 2015.