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Les ponces phonolithiques de Santo Antão, Cap-Vert
10/02/2013
Résumé
Volcanisme de point chaud et nappe de ponces sur une île de l'archipel du Cap-Vert.
Table des matières
L'île volcanique de Santo Antão, dans l'archipel du Cap-Vert, offre au géologue une belle collection d'objets volcaniques : coulées basaltiques recoupées par des dykes, nappes de cendres, bombes volcaniques, hyaloclastites, couches rubéfiées, etc. L'une de ces structures, la plus remarquable et la plus évidente, est la nappe de ponces blanchâtres qui a recouvert la quasi-totalité de l'île il y a 200 000 ans environ (Mortensen et al., 2009).
Les îles du Cap-Vert
Le Cap-Vert est un archipel de l'Atlantique composé de dix îles majeures et de nombreux îlots, formant un « fer à cheval » d'axe Ouest-Est, à près de 600 km (pour la plus proche) des côtes du Sénégal, entre 14 et 17° de latitude Nord. Il correspond à l'un des « points chauds » qui parsèment l'Atlantique (plus au Nord : l'Islande, les Açores, Madère et les Canaries ; au Sud : Sainte-Hélène, Tristan da Cunha et Bouvet).
Ces îles sont donc toutes volcaniques. Seules les plus orientales, également les plus anciennes (Sal, Boa Vista et Maio), possèdent une pellicule sédimentaire, résidu d'une phase d'immersion ancienne (lorsque le niveau marin était plus haut qu'aujourd'hui), qui leur confère une topographie plane... et des plages ! Les autres sont majoritairement constituées d'empilement de coulées de laves entaillés par l'érosion et de cônes volcaniques, et leurs rivages descendent assez abruptement jusqu'au plancher océanique (voir la carte bathymétrique ci-dessous).
Le climat du Cap-Vert est dépendant des alizés qui soufflent sur cette région (notamment, en hiver, l'harmattan, chargé de sable, arrivant du Sahara) et de la migration latitudinale saisonnière de la zone de convergence intertropicale (ZCIT). Les îles septentrionales (« au vent » : Santo Antão, São Vicente, Santa Luzia, Santo Nicolau et Sal) et méridionales (« sous le vent » : Maio, Santiago, Fogo et Brava) présentent donc des climats différents, mais généralement marqués par l'aridité et l'irrégularité des précipitations. Les îles les plus escarpées, comme Santo Antão, montrent des contrastes entre leur face Nord, plus humide, et Sud, plus sèche, au contraire des îles plates, que l'absence de reliefs capables d'arrêter les précipitations laisse globalement arides.
Cet article se concentre sur l'île de Santo Antão, la plus occidentale de l'archipel et la deuxième par sa superficie (779 km2, contre 991 km2 pour Santiago, la plus grande, et seulement 67 km2 pour son vis-à-vis méridional, Brava). Elle culmine à 1979 m au-dessus du niveau de la mer et ses côtes escarpées la rendent encore difficile d'accès.
Les affleurements de la nappe de ponces
Le relief de Santo Antão la prive d'aéroport. On y aborde donc par un ferry depuis São Vicente. Dès l'approche de l'île, par sa côte Sud-Est, on distingue facilement plusieurs "taches" blanches qui se détachent nettement sur les pentes sombres. Dans la région méridionale de l'île, aux pentes douces, ces zones claires se présentent comme des placages discontinus principalement préservés dans les régions basses ou abritées (figure 5). On retrouve cette formation sur un petit plateau au centre-ouest (figure 6) et sur les bordures occidentale et septentrionale de l'île, sous la forme d'une couche d'épaisseur variable, interstratifiée dans des formations volcaniques plus sombres (figure 1, figure 4, figure 7). En certains endroits, elle est elle-même recoupée par des dykes plus récents (figure 8). Au total, cette formation recouvrirait encore, malgré l'érosion, un dixième de la surface de l'île (Mortensen et al., 2009).
Vue de près, cette formation apparaît composée de grains anguleux blancs à jaunâtres, de taille centimétrique et de faible densité, accompagnés de fragments de lave figée. Ce sont donc, du point de vue granulométrique, des lapillis, dépôt pyroclastique allant de 2 à 64 mm et, pétrologiquement, des ponces. La granulométrie des dépôts varie selon l'endroit et la position verticale dans l'épaisseur de la couche (voir figures 6 à 8).
Le volcanisme de Santo Antão
Les plus anciennes formations de l'île de Santo Antão remonteraient à plus de 7,6 Ma et la dernière éruption reconnue est datée de 90 000 ans (Plesner et al., 2003). L'analyse des produits magmatiques de l'île y a identifié deux séries volcaniques, toutes les deux alcalines, sous-saturées en silice (donc à feldspathoïdes) et très enrichies en éléments-traces les plus incompatibles (figure 9) : une série majeure allant des basanites aux phonolites, entre 7,5 et 0,3 Ma, et une seconde allant des néphélinites aux phonolites, datées de 0,7 à 0,1 Ma. Ce sont donc des séries fréquentes dans le magmatisme de point chaud, interprétables par la fusion partielle à faible taux (1 à 4%) et à grande profondeur (90 à 125 km) d'un matériel mantellique, probablement hétérogène (Holm et al., 2006). Attention, si ce genre de série est fréquent au niveau des points chauds, elle n'est typique que des points chauds avec un faible taux de fusion partielle ayant lieu à grande profondeur. Il ne faut pas oublier qu'il existe aussi des points chauds à fort taux de fusion partielle ayant lieu à profondeur plus faible, qui donnent une série tholéïtique, non sous-saturée et donc sans feldspathoïdes, à Hawaï par exemple.
Les ponces claires, dites ponces de Cão Grande, du nom de la rivière intermittente où leur épaisseur est maximale (un peu moins de 9 m), appartiennent au volcanisme le plus récent. Leur âge, estimé à 200 000 ans n'est pas directement connu, mais elles sont encadrées par d'autres épisodes qui, eux, ont pu être datés par radiochronologie (par la méthode 40Ar-39Ar). Elles sont antérieures à l'édification de l'actuel point culminant, le strato-volcan Tope de Coroa, situé à l'Ouest de l'île, dans une dépression ouverte vers la mer, qui pourrait être une ancienne caldeira. Les variations d'épaisseur et de granulométrie des ponces indiquent qu'elles ont été émises depuis ce même endroit.
L'examen de cette formation a permis d'y reconnaître deux séquences d'émission successives, de volumes différents, la première étant la plus importante et correspondant à la majorité des dépôts encore observables à travers l'île. Ces ponces résultent d'éruptions sub-pliniennes à pliniennes, c'est-à-dire d'un dynamisme explosif caractérisé par l'émission de grands panaches de cendres et de coulées pyroclastiques, lié au dégazage violent d'un magma visqueux (le mécanisme devait ressembler à celui du Lascar en 1993, au Chili). Les auteurs qui ont étudié ces dépôts estiment que la première phase éruptive a vu se développer un panache d'une trentaine de kilomètres de hauteur (Mortensen et al., 2009) et qu'elle a émis entre 1,7 et 2,7 km3 de magma.
Les compositions chimiques de ces deux formations en font des phonolites (> 57% de SiO2, 15% d'alcalins, Na2O + K2O) mais les relient aux deux lignées reconnues dans l'île, et non pas à une seule : la première phase correspond à la série à néphélinite et phonolite, l'autre à la série à basanite, légèrement moins riche en alcalins. Il semble donc que les deux phases soient issues de magmas différents plutôt que d'une évolution d'un même corps magmatique (Mortensen et al., 2009). Par ailleurs, la chimie des pyroclastes d'une même phase évolue vers des compositions légèrement moins différenciées du bas vers le haut des dépôts, ce qui suggère la vidange d'une chambre magmatique stratifiée en densité, les liquides magmatiques moins différenciés et plus denses ayant été expulsés les derniers.
Conclusion
Les ponces de Cão Grande, du fait de leur couleur caractéristique et de leur étendue, sont la manifestation la plus évidente du volcanisme de cette île. Mais Santo Antão offre encore d'autres beautés aux volcanologues, notamment d'impressionnants "champs" de dykes volcaniques, qui feront l'objet d'un autre article. Mais ce volcanisme paraît désormais éteint. L'archipel du Cap-Vert ne comporte aujourd'hui qu'un seul volcan en activité, le Pico, sur Fogo, dont la dernière éruption, en avril 1995, contraignit les habitants des villages voisins à abandonner leurs maisons. Elle reste cependant très mineure en comparaison de l'événement qui ensevelit Santo Antão sous les ponces il y a 200 000 ans.
Références
P.M. Holm, J.R. Wilson, B.P. Christensen, L. Hansen, S.L. Hansen, K.M. Hein, A.K. Mortensen, R. Pedersen, S. Plesner, M.K. Runge, 2006. Sampling the Cape Verde Mantle Plume: Evolution of Melt Compositions on Santo Antão, Cape Verde Islands, Journal of Petrology, 47, 1, 145–189 [pdf]
A.K. Mortensen, J.R. Wilson, P.M. Holm, 2009. The Cão Grande phonolitic fall deposit on Santo Antão, Cape Verde Islands, Journal of Volcanology and Geothermal Research, 179, 1–2, 120–132
S. Plesner, P.M. Holm, J.R. Wilson, 2003. 40Ar–39Ar geochronology of Santo Antão, Cape Verde Islands, Journal of Volcanology and Geothermal Research, 120, 1–2, 103–121