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Image de la semaine | 10/11/2012

Le 13-14 novembre 2012, éclipse de Soleil sur le Pacifique

10/11/2012

Pierre Thomas

ENS de Lyon - Laboratoire de Géologie de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Une éclipse de Soleil en novembre 2012, mais aussi dans un tableau du 17ème siècle, L'érection de la Croix, représentant la Crucifixion.


L'érection de la Croix, Cornelis de Vos (1584-1651), huile sur bois (0.766 x 0.513 m), Valenciennes, musée des Beaux-Arts

Huile sur bois (0.766 x 0.513 m), ~1625, Valenciennes, musée des Beaux-Arts.

Figure 1. L'érection de la Croix, Cornelis de Vos (1584-1651), huile sur bois (0.766 x 0.513 m), Valenciennes, musée des Beaux-Arts

De nombreux artistes interprétant les textes évangéliques ont représenté la Crucifixion pendant une éclipse de Soleil, que ce soit des peintres anciens comme Cornelis de Vos (1584-1651), ou des cinéastes contemporains comme William Wyler ou Richard Fleischer dans leurs films respectifs Ben-Hur (1959) ou Barabbas (1961). Cornelis de Vos, peintre flamand du XVIIème siècle a représenté une Crucifixion lors d'une éclipse de Soleil presque totale, ou 90% du Soleil était caché par la Lune, le tout visible à travers un ciel nuageux (détail à droite). C'est à peu près ce que verrons les habitant de Nouvelle Calédonie ce 14 novembre 2012 à 7h57 heure locale.


Cette peinture du XVIIème siècle est là pour nous rappeler que nos concitoyens du Pacifique (Nouvelle Calédonie, Wallis et Futuna, Polynésie) vont assister ce 13-14 novembre 2012 à une éclipse de Soleil. Elle nous pose aussi la question des relations entre sciences (astronomie) et foi (chrétienne).

L'éclipse du 13-14 novembre 2012

Le 13 novembre 2012 (à l'Est de la ligne de changement de date, et le 14 novembre à l'Ouest) aura lieu une éclipse de Soleil, totale sur une étroite bande d'environ 200 km de large et 14.000 km de long, de plus en plus partielle au fur et à mesure qu'on s'en éloigne de part et d'autre. L'éclipse commencera le 13 novembre 2012 vers 19h30 UT au Nord de l'Australie (14 novembre vers 6h30 date et heure locales), pour finir au large du Chili 7h plus tard, mais ce sera encore le 13 novembre. Elle ne sera jamais totale en France du Pacifique, mais seulement partielle.

En Nouvelle Calédonie, plus de 90% du Soleil seront caché le 14 novembre au matin : début vers 6h 50 heure locale, maximum à 7h57 (pour Nouméa) et fin à 9h10.

Elle sera partielle à 45% à Wallis et Futuna ce même 14 novembre, avec le début de l'occultation vers 8h heure locale, maximum vers 9h10 et fin vers 10h15.

Elle sera beaucoup moins spectaculaire en Polynésie puisque le maximum de partialité ne sera que de 20-25% en Polynésie le 13 novembre, avec le début vers 11h25 locale, le maximum vers 12h30, et la fin vers 13h30.

Elle sera totalement invisible depuis l'Océan Indien, en métropole ou aux Antilles-Guyane.

Visibilité de l'éclipse du 13-14 novembre 2012 depuis les territoires français du Pacifique

Figure 2. Visibilité de l'éclipse du 13-14 novembre 2012 depuis les territoires français du Pacifique

Pour assister à une éclipse totale, il faudra être sur la ligne rouge épaisse (au moins 2 fois trop épaisse sur ce schéma). Seuls ceux qui seront au NE de l'Australie ou sur quelques îles du Pacifique auront cette chance. Les Néo-calédoniens (N.C.) auront un Soleil caché à plus de 90%, les Wallisiens (W.F.) à 45% et les Polynésiens (Po.) à 20-25%. La situation est bien sûr symétrique pour les Australiens et Néo-Zélandais.


Que verrons les habitants de Nouvelle Calédonie, de Wallis et Futuna et de Polynésie ? Avant toute chose, rappelons que regarder fixement le Soleil plus de quelques secondes, même si il est partiellement éclipsé, peut provoquer de graves troubles oculaires (seul un Soleil totalement éclipsé peut se regarder sans filtre et sans danger, pendant les quelques minutes que dure la totalité). Il faudra donc utiliser des protections spéciales dans toutes ces îles.

Mais rappelons que la simple prudence et le bon sens n'obligent pas à avoir des peurs moyenâgeuses ! La revue Ciel et Espace, dans son numéro de mars 2006, citait 2 exemples de ce qui ne devrait pas arriver dans un établissement de l'Éducation Nationale. Dans un collège des Hauts de Seine, Valentin, passionné d'astronomie, a attendu longtemps ce 3 octobre 2005 pour voir sa première éclipse. Malheureusement, Valentin s'est retrouvé bouclé dans sa classe rideaux tirés, comme si un « rayon de la mort » s'apprêtait à tuer quiconque s'exposait à la lumière du Soleil. L'art et la manière de faire échouer des vocations scientifiques ! Dans un autre établissement (de l'éducation nationale française, pays, dit-on, de Descartes), un enseignant éberlué a vu, pendant cette même éclipse d'octobre 2005, des élèves se baisser dans les couloirs pour éviter de croiser les rayons du Soleil partiellement éclipsé qui passaient par les fenêtres.

Le spectacle est beaucoup plus grandiose en cas de ciel nuageux qu'en cas de ciel bien bleu, car on peut parfois voir la forme du Soleil à travers les nuages sans utiliser de filtre. C'est ce qu'a représenté Cornelis de Vos dans son Érection de la Croix. C'est ce que nous avons pu photographier le 3 octobre 2005 lors d'un stage de terrain dans les Pyrénées Orientales et qui correspond à peu près à ce que verront les Néo-Calédoniens, et aussi le 4 janvier 2011 dans les jardins de l'ENS de Lyon, avec un pourcentage d'éclipse qui correspond à peu près à ce que verront les Polynésiens en novembre 2012.

Éclipse partielle de Soleil photographiée sans filtre à travers un ciel nuageux le 3 octobre 2005

Figure 3. Éclipse partielle de Soleil photographiée sans filtre à travers un ciel nuageux le 3 octobre 2005

Le Soleil est caché à plus de 80%. C'est à peu près ce qu'a représenté Cornelis de Vos au XVIIème siècle, et ce que verront les Néo-Calédoniens le 14 novembre 2012 au matin.


Éclipse partielle de Soleil photographiée sans filtre à travers un ciel nuageux le 4 janvier 2011

Figure 4. Éclipse partielle de Soleil photographiée sans filtre à travers un ciel nuageux le 4 janvier 2011

Le Soleil est caché à environ 25%. C'est à peu près ce que verront les Polynésiens le 13 novembre 2012 en milieu de journée.


Rappelons aussi que l'on peut faire de l'optique amusante mais instructive pendant les éclipses partielles, en regardant les taches de lumières sous les arbres ou l'ombre d'une écumoire ou de toute plaque trouée. Professeurs du Pacifique, à vos écumoires ! Et choisissez une écumoire dont les trous sont bien écartés pour que leurs images ne se chevauchent pas. Pensez à tester votre "manip" la veille, avec un Soleil bien circulaire il est vrai.

Dessin des taches de Soleil en forme de croissants, réalisé par Camille Flammarion suite à une éclipse partielle de Soleil

Figure 5. Dessin des taches de Soleil en forme de croissants, réalisé par Camille Flammarion suite à une éclipse partielle de Soleil

Chaque tache en forme de croissant est l'image du Soleil partiellement éclipsé.


Ombre d'une écumoire sur un tissu blanc lors d'une éclipse partielle de Soleil, Égypte, 29 mars 2006

Figure 6. Ombre d'une écumoire sur un tissu blanc lors d'une éclipse partielle de Soleil, Égypte, 29 mars 2006

Chaque tache en forme de croissant est l'image (inversée) du Soleil partiellement éclipsé, chaque trou de l'écumoire fonctionnant comme une chambre noire individuelle.


L'éclipse de la Crucifixion

Trois des quatre Évangiles décrivent la mort du Christ. C'est Luc qui est le plus précis (Luc 23-44) : « C'était environ la sixième heure quand, le Soleil s'éclipsant, l'obscurité se fit sur le pays tout entier, jusqu'à la neuvième heure ». On ne peut pas ne pas penser à la description d'une éclipse quand on lit ce passage. Et bien que l'obscurité totale ne dure que quelques minutes, les 3 heures indiquées correspondent à peu près à la longueur de la totalité des phases partielles du début à la fin. C'est ce à quoi ont pensé Cornelius de Vos, William Wyler, Richard Fleischer et bien d'autres.

Quelle peut être l'attitude d'un scientifique face à un tel texte ?

1– Il peut dire que tout ça ne sont que des histoires sans aucun fondement.

2– Il peut dire, aussi, que ceci est un miracle, et que si Dieu est capable de multiplier les pains, il peut aussi multiplier les éclipses.

Le scientifique n'a pas grand-chose à dire face à la deuxième attitude, et la première n'est guère digne d'un historien qui cherche toujours s'il y a une parcelle de vérité dans un texte que des non-croyants appelleraient « légendaire ».

3- Un scientifique peut aussi dire que la Crucifixion a eu lieu pendant une éclipse ; il serait facile à Dieu, qui sait tout, de choisir la date de sa crucifixion pendant une éclipse, par exemple pour frapper l'imagination du peuple. C'est d'ailleurs ce que décrit Luc dans les versets qui suivent la description de l'obscurité : « Et toutes les foules qui étaient accourues pour assister à ce spectacle, voyant ce qui s'était passé, s'en retournaient en se frappant la poitrine ».

Contrairement aux deux premières, cette troisième hypothèse est testable astronomiquement. D'après les Textes, Jésus est mort à 33 ans. Il semblerait que les Pères de l'Église qui ont fixé la date de naissance du Christ par rapport au calendrier romain se soient trompés de trois ou quatre ans, et que Jésus soit né environ en -4 av. JC. En effet, Denys le Petit, en 525, trouva que l'année de la naissance du Christ (l'année 1 de notre calendrier) correspondait à l'année 753 du calendrier romain (753 ans après la fondation de Rome). La Crucifixion a donc eu lieu en 29 ou 30 de notre ère, un après-midi pendant les fêtes de la Pâque juive, c'est-à-dire au printemps. Y a-t-il eu une éclipse totale de Soleil à Jérusalem un après-midi de printemps de l'année 29 ou 30 ? Les astronomes calculent, et répondent « non » ! Non… mais !

S'il n'y a pas eu d'éclipse totale de Soleil à Jérusalem un après-midi de printemps des années 29 ou 30, il y en eu une totale en Galilée (et partielle à Jérusalem à 95%) le matin du 24 novembre 29, vers 9h du matin heure locale, c'est-à-dire quelques mois avant ou après la Crucifixion (d'après Pierre Guillermier et Serge Koutchmy, dans Éclipses totales, Masson, 1998).

Bien sûr, ce n'est peut-être qu'une coïncidence, et l'obscurité évoquée par les Textes ne correspondrait pas un phénomène astronomique, mais n'aurait qu'une portée symbolique. Mais on peut proposer une autre hypothèse. L'année 29 (ou 30) a été terrible pour les disciples du Christ, qui, ne l'oublions pas, étaient des Galiléens, là où l'éclipse de novembre 29 a été totale. Cette année-là, leur Maitre a été crucifié, et quelques mois plus tôt (ou plus tard), la nuit est tombée brusquement en plein jour quand personne ne s'y attendait. Quelques dizaines d'années plus tard, quand ces évènements ont été définitivement fixés par l'écriture après quelques dizaines d'années de transmission orale, ces deux évènements (éclipse totale et Crucifixion) ont été fondus en un seul. Erreur involontaire, message symbolique, volonté de recherche du "sensationnel" ? Laissons les exégètes en débattre. Mais que les habitants de Nouvelle Calédonie y pensent : ils verront ce 14 novembre 2012 au matin à peu près ce qu'ont vu les habitants de Jérusalem en novembre 29 !