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Image de la semaine | 05/09/2011

Quand les petits théropodes marchaient dans les traces des grands sauropodes, chantier de fouille de Plagne (état au 1er août 2011)

05/09/2011

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Découverte d'empreintes de théropodes, en plus de celles de sauropodes, sur le site de Plagne (Ain).


Empreinte de théropode à l'intérieur d'une empreinte circulaire de sauropode, chantier de fouille de Plagne (Ain), dans son état au 1er août 2011

Figure 1. Empreinte de théropode à l'intérieur d'une empreinte circulaire de sauropode, chantier de fouille de Plagne (Ain), dans son état au 1er août 2011

L'empreinte de théropode (soulignée par un trait de craie) mesure 25 cm dans sa plus grande dimension, l'empreinte circulaire de sauropode 120 cm de diamètre (le couteau suisse donne l'échelle).


En avril 2009, des paléontologues amateurs (et éclairés) découvrent des traces circulaires dans des dalles calcaires du Jurassique terminal près du village de Plagne (Ain). Des paléontologues du Laboratoire de Géologie de Lyon (Jean-Michel Mazin et Pierre Hantzpergue) confirment l'intérêt de la découverte : il s'agit d'une piste de sauropode géant. Les résultats des fouilles de l'été 2009 sont rapidement décrits et ces traces de sauropodes présentées au printemps 2010, ici-même. On peut trouver plus de détails sur ce site exceptionnel, sur l'équipe qui effectue les recherches… sur le site dédié dinoplagne.com.

Gros plan sur l'empreinte de pas d'un théropode à l'intérieur d'une empreinte de sauropode, chantier de fouille de Plagne (Ain)

Figure 2. Gros plan sur l'empreinte de pas d'un théropode à l'intérieur d'une empreinte de sauropode, chantier de fouille de Plagne (Ain)

Les paléontologues qui ont découvert cette trace et qui ont souligné ses bordures d'un trait de craie ont dessiné une terminaison au doigt central. Probablement la trace d'une griffe.

Zoom de la figure 1.


Terminaison occidentale du chantier de fouille de Plagne (Ain), dans son état au 1er août 2011

Figure 3. Terminaison occidentale du chantier de fouille de Plagne (Ain), dans son état au 1er août 2011

La grosse empreinte de sauropode est au centre de l'image. La petite empreinte de théropode se voit, malgré sa « petite » taille. Le chantier de fouille de juillet 2011 s'est arrêté à quelques mètres au-delà de cette double empreinte. S'il s'était arrêté quelques mètres avant, cette double empreinte n'aurait pas été découverte, du moins pas en 2011.


Vue d'ensemble de la terminaison occidentale du chantier de fouille de Plagne (Ain), dans son état au 1er août 2011

Figure 4. Vue d'ensemble de la terminaison occidentale du chantier de fouille de Plagne (Ain), dans son état au 1er août 2011

On voit très bien que le plan de stratification immédiatement (2 à 3 cm) sous-jacent de celui situé au sommet de la strate contenant la double empreinte est affecté de fentes de dessiccation. On ne voit pas d'empreinte de théropode sur ce plan de stratification. On n'en voit pas non plus en aval, la couche étant complètement « chahutée ».

Les « joints » blancs correspondent à un mortier spécial destiné à consolider les couches à empreintes. La zone qui semble « mouillée » et dont on voit bien les limites correspondent à une zone enduite d'un verni consolidateur et protecteur.



Deux autres campagnes de fouille, sous la direction Jean-Michel Mazin ont eu lieu les étés 2010 et 2011. Elles ont permis de préciser les conditions sédimentologiques qui régnaient à Plagne quand est passé le grand sauropode : bord de lagune marine en milieu inter- ou péri-tidal, assèchement périodique, colonisation des vases calcaires par des tapis bactériens… Des plans et mesures précises, en particulier grâce à des images aériennes et des mesures laser, ont été faites par l'équipe du Laboratoire de Géologie de Lyon, pour que ce site exceptionnel soit « conservé » in silico, car malgré les mesures de consolidation, la préservation à long terme d'un site d'une telle dimension posera des problèmes.

Pendant les fouilles 2010, la couche à empreintes de sauropode a été localement enlevée à droite et à gauche de la piste. Ces dégagements locaux ont mis à jour, une vingtaine de centimètres sous le niveau à empreintes de sauropode, une couche avec de superbes fentes de dessiccation bien régulières. En deux endroits distants d'une quinzaine de mètres, cette couche révèle deux pistes de théropodes, l'une se dirigeant vers le Sud-Ouest, et l'autre vers le Nord-Est.

Rappelons que les théropodes sont un des deux grands clades de dinosaures, l'autre clade étant les sauropodes. Les théropodes les plus célèbres sont les tyrannosaures et les vélociraptors. On connaît une vingtaine de groupes de thérosaures, dont le seul groupe de dinosaure qui ait survécu à la crise K-T, les oiseaux (Avialae, ou Aves).

Pattes de théropode actuel (autruche)

Figure 6. Pattes de théropode actuel (autruche)

Pattes de théropode actuel (pattes d'autruche) montrées comme une analogie des pattes des théropodes qui ont marché à Plagne au Jurassique supérieur, il y a 145 Ma.


Le sauropode a donc croisé les pistes de deux théropodes ; mais ils n'ont pas pu se rencontrer, puisque le sauropode est passé « 20 cm plus tard » que les théropodes. Toute la question est de savoir à quelle durée correspondent ces 20 cm de calcaire. En milieu intertidal, chaque marée peut déposer « quelques » millimètres de sédiments. Mais chaque marée peut aussi éroder quelques millimètres de sédiments précédemment déposés. Si les sédimentologues du Laboratoire de Géologie de Lyon arrivent à démontrer qu'il n'y a eu aucune érosion pendant le dépôt de ces 20 cm, si on fait abstraction des phénomènes de mortes et vives eaux, et si on suppose qu'une marée dépose une couche d'1 mm, les 20 cm correspondent alors à 200 marées, soit une centaine de jours. Si il y a eu de l'érosion pendant le dépôt de ces 20 cm, alors l'écart chronologique entre les deux types de pistes peut tout aussi bien correspondre à quelques mois ou quelques millénaires, ce qui de toute façon est géologiquement « négligeable ». Quoi qu'il en soit, ce site de lagune et de bord de mer était très fréquenté par différents dinosaures à cette époque.

Les fouilles de 2011 ont prolongé vers l'Ouest (vers l'aval) la piste principale de sauropode. C'est maintenant la plus longue du monde puisqu'on peut la suivre sur 155 m. Elle « bat » ainsi la piste de Galinha (au Portugal) qui n'avait « que » 147,5 m. À quelques mètres de la terminaison du chantier de juillet 2011, les fouilleurs ont eu la chance et la perspicacité de trouver et d'identifier une unique empreinte de théropode, à l'intérieur d'une empreinte de sauropode (figure 1). Dans ce cas, le théropode a suivi le sauropode, à moins d'une inondation (marée haute ?) d'écart. Il s'agit là d'un cas tout à fait exceptionnel, sans doute très rare (pour ne pas dire unique) dans le monde. Il nous faut maintenant attendre la publication, par les paléontologues et les sédimentologues du Laboratoire de Géologie de Lyon, des résultats détaillés de tous leurs travaux.

En attendant ces publications, le site est ouvert au public, et placé sous sa protection. Un parking a été créé, un sentier de visite est aménagé, et les fouilles sensu stricto (bien entendu avec interdiction de passage et de prélèvement) sont délimitées par des « rubans » de plastique. Des panneaux explicatifs permettent des visites libres, mais au moins pendant les étés, des visites guidées sont organisées. Par contre, pendant les hivers, tout le site sera probablement bâché pour être au maximum à l'abri des intempéries.

Vue générale du centre du chantier de fouille de Plagne (Ain), non actif ce 1er août 2011

Figure 7. Vue générale du centre du chantier de fouille de Plagne (Ain), non actif ce 1er août 2011

Des visiteurs, derrière les rubans de plastique, écoutent les commentaires d'une guide, qui, elle, peut marcher sur les couches à empreintes. Au premier plan sur la droite, trois grosses empreintes de sauropode. Ces empreintes ont été dégagées par les fouilles de 2009. La piste se continue (moins visible sur cette photo) jusqu'à l'extrémité des dalles dégagées, 100 m plus loin. La guide marche sur un plan de stratification situé une vingtaine de cm sous la piste de sauropode. Partant des pieds de la guide en direction du « bas » de la photo, on devine une piste avec 5 traces de théropode (cf figures suivantes), une des deux pistes trouvées en 2010-2011 sur le site, toutes deux sur la même strates, mais à une quinzaine de mètres l'une de l'autre, et se dirigeant dans des directions opposées.


L'une des deux pistes de théropode trouvées à Plagne (Ain) lors des fouilles de 2011

Figure 8. L'une des deux pistes de théropode trouvées à Plagne (Ain) lors des fouilles de 2011

On devine 4 empreintes partant du premier plan et se dirigeant jusque sous les pieds de la guide, qui montre une 5ème empreinte aux visiteurs. À droite, le petit escarpement d'une vingtaine de cm correspond aux 20 cm enlevés par les fouilleurs. Les empreintes de sauropode se trouvent sur la strate supérieure, à 2-3 m plus au Nord.


Terminaison de la deuxième fouille qui a révélé une deuxième piste de théropode à Plagne (Ain) lors des fouilles de 2011

Figure 9. Terminaison de la deuxième fouille qui a révélé une deuxième piste de théropode à Plagne (Ain) lors des fouilles de 2011

On voit très bien 2 empreintes, et on en devine une troisième tout au bout. Là aussi, cette strate, la même que sur les figures 7 et 8, se trouve 20 cm plus bas que la strate à empreintes de sauropode.


L'une des 3 empreintes de théropode de la deuxième piste découverte à Plagne lors des fouilles de 2011

Figure 10. L'une des 3 empreintes de théropode de la deuxième piste découverte à Plagne lors des fouilles de 2011

La figure 12 permet de comparer la taille du pied d'un Homo sapiens à celle d'un des théropodes du Jurassique terminal.


L'une des 3 empreintes de théropode de la deuxième piste découverte à Plagne lors des fouilles de 2011

Figure 11. L'une des 3 empreintes de théropode de la deuxième piste découverte à Plagne lors des fouilles de 2011

La figure 12 permet de comparer la taille du pied d'un Homo sapiens à celle d'un des théropodes du Jurassique terminal.


L'une des 3 empreintes de théropode de la deuxième piste découverte à Plagne lors des fouilles de 2011

Figure 12. L'une des 3 empreintes de théropode de la deuxième piste découverte à Plagne lors des fouilles de 2011

Cette figure 12 permet de comparer la taille du pied d'un Homo sapiens à celle d'un des théropodes du Jurassique terminal.


Vue d'ensemble sur l'amont de la deuxième piste de théropode, située 20 cm plus bas que la piste de sauropode, Plagne (Ain)

Figure 13. Vue d'ensemble sur l'amont de la deuxième piste de théropode, située 20 cm plus bas que la piste de sauropode, Plagne (Ain)

Cette partie amont présente deux très belles empreintes. Couvertes d'un vernis non encore patiné, et prises à contre jour, on pourrait croire qu'il s'agit d'empreintes actuelles imprimées dans une boue fraîche et encore mouillée.


Amont de la deuxième piste de théropode, située 20 cm plus bas que la piste de sauropode, Plagne (Ain)

Figure 14. Amont de la deuxième piste de théropode, située 20 cm plus bas que la piste de sauropode, Plagne (Ain)

Cette partie amont présente deux très belles empreintes. Couvertes d'un vernis non encore patiné, et prises à contre jour, on pourrait croire qu'il s'agit d'empreintes actuelles imprimées dans une boue fraîche et encore mouillée.


Empreinte de théropode, située 20 cm plus bas que la piste de sauropode, Plagne (Ain)

Figure 15. Empreinte de théropode, située 20 cm plus bas que la piste de sauropode, Plagne (Ain)

Cette empreinte est couverte d'un vernis non encore patiné, et prise à contre jour, on pourrait croire qu'il s'agit d'une empreinte actuelle dans une boue fraîche et encore mouillée.


Empreinte de théropode, située 20 cm plus bas que la piste de sauropode, Plagne (Ain)

Figure 16. Empreinte de théropode, située 20 cm plus bas que la piste de sauropode, Plagne (Ain)

Cette empreinte est couverte d'un vernis non encore patiné, et prise à contre jour, on pourrait croire qu'il s'agit d'une empreinte actuelle dans une boue fraîche et encore mouillée.


Comparaison des deux types d'empreintes de théropode, séparées de 20 cm dans la pile stratigraphique, trouvées à Plagne (Ain)

Figure 17. Comparaison des deux types d'empreintes de théropode, séparées de 20 cm dans la pile stratigraphique, trouvées à Plagne (Ain)

À gauche, l'empreinte de théropode trouvée imprimée dans une empreinte de sauropode (figure 1 à 5). À droite, L'une des empreintes de théropode du niveau stratigraphique situé 20 cm plus bas (figure 7 à 16).

Pour le non-spécialiste que je suis, ces 2 empreintes semblent assez différentes. S'agit-il d'empreintes de la même espèce mais dans 2 situations différentes (marche, course, saut …), ou de deux espèces différentes ? Attendons le verdict des spécialistes.