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Image de la semaine | 01/06/2009

Cristaux d'émeraude de Colombie

01/06/2009

Pierre Thomas

Laboratoire de Sciences de la Terre / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Béryls (émeraude, aigue-marine) : contexte de formation et minéraux associés.


Quelques émeraudes de Colombie, dans leur gangue de calcite blanche

Figure 1. Quelques émeraudes de Colombie, dans leur gangue de calcite blanche

Émeraudes impropres à la bijouterie car ni extraites ni taillées.


Dimanche prochain, 7 juin 2009, ce sera la fête des mères. Peut-être avez vous envisagé d'offrir un bijou à votre mère, bijou pouvant comporter une pierre fine ou précieuse. Mais si votre mère a une sensibilité « naturaliste », elle préférera peut-être une pierre brute dans sa gangue, plutôt qu'une pierre taillée, polie, c'est à dire « mutilée » comme c'est la règle sur les bijoux. À titre d'exemple, voici à quoi ressemble les plus belles des émeraudes brutes : celles de Colombie. Merci à Benoit Bourbié de m'avoir mis sur une « piste colombienne » m'ayant permis d'obtenir cet échantillon.

Si vous aimez les pierres précieuses, qui légalement ne sont qu'au nombre de quatre (diamant, émeraude, rubis et saphir), vous pouvez aussi voir sur Planet-Terre (1) des rubis bruts et (2) un article sur l'origine des diamants.

L'émeraude est une variété verte plus ou moins transparente de béryl. Le béryl est un silicate d'aluminium et de béryllium de formule Be3Al2Si6O18. C'est un cyclo-silicate qui cristallise dans le système hexagonal. Les béryls communs ne sont pas transparents, ils sont dits « pierreux ») et sont souvent jaunâtres à verdâtres (cf. figure 11). Quand ils sont bleutés et transparents, les béryls sont appelés « aigues-marines » (cf. figure 12). Quand ils sont verts et transparents, les béryls sont appelés « émeraudes ». Cette belle couleur verte est due à la présence de traces de chrome et de vanadium dans le réseau cristallin du béryl.

Les photographies 1 à 5 sont diverses vues d'un échantillon comprenant des émeraudes, de leurs faces cristallines, de leurs clivages, de leur section hexagonale… et des cristaux de calcite qui les englobent.

Gros plan sur un cristal d'émeraude dans une gangue de calcite

Figure 2. Gros plan sur un cristal d'émeraude dans une gangue de calcite

Émeraude principale, au centre de l'échantillon de la figure 1.


Gros plan sur un cristal d'émeraude dans une gangue de calcite

Figure 3. Gros plan sur un cristal d'émeraude dans une gangue de calcite

Émeraude principale, au centre de l'échantillon de la figure 1.


Petits cristaux d'émeraude à section hexagonale

Figure 4. Petits cristaux d'émeraude à section hexagonale

Petites émeraudes de l'échantillon de la figure 1, montrant très bien la géométrie hexagonale des sections.


Petits cristaux d'émeraude à section hexagonale

Figure 5. Petits cristaux d'émeraude à section hexagonale

Petites émeraudes de l'échantillon de la figure 1, montrant très bien la géométrie hexagonale des sections.


Si on retourne l'échantillon, on s'aperçoit que la calcite contenant les émeraudes forme un filon au sein d'argilites noires (black shales).

Contact entre le filon de calcite (en haut) et son encaissant d'argilites noires (en bas)

Contact entre le filon de calcite et son encaissant d'argilites noires

Figure 7. Contact entre le filon de calcite et son encaissant d'argilites noires

De la pyrite est visible au sein des argilites noire.

Échantillon à émeraudes de la figure 1.


Contact entre le filon de calcite, avec l'émeraude principale, et son encaissant d'argilites noires

Si on regarde en détail cet échantillon, on s'aperçoit que les argilites et la calcite voisine contiennent des mouchetures de pyrite (FeS2).

Mouchetures de pyrite (FeS2) au contact entre argilites et calcite+béryl

Figure 9. Mouchetures de pyrite (FeS2) au contact entre argilites et calcite+béryl

Échantillon à émeraudes de la figure 1.


Mouchetures de pyrite (FeS2) au sein des argilites noires

Figure 10. Mouchetures de pyrite (FeS2) au sein des argilites noires

Échantillon à émeraudes de la figure 1.


Quelle est l'origine (géologique) des émeraudes ? Pour faire une émeraude, il faut faire cristalliser du béryl et le contaminer (en cours de cristallisation) par du chrome et du vanadium. D'infimes quantités de fer et d'alcalin (Na et K) font varier la qualité et les nuances colorées des émeraudes. La transparence est due à la rareté des inclusions (solides ou fluides) et des clivages internes.

Les principaux gisements de béryl sont les filons de pegmatite, filons péri-granitiques dus à la cristallisation (sous forme de gros cristaux) d'un magma siliceux saturé en eau et riche en alcalins. Le problème est que ces magmas sont en général très pauvres en chrome et vanadium, éléments dits compatibles, c'est-à-dire éléments « préférant » se trouver dans les cristaux de silicates basiques que dans les magmas acides hydratés. C'est pour cela que les béryls chromifères et vanadés (les émeraudes) sont très rares (et très chers). Les émeraudes de cette origine sont cantonnées aux rares endroits où de tels filons de pegmatites recoupent un encaissant riche en roche basique et/ou ultrabasique. On en trouve aussi quand quelques gigantesques zones de failles (par où ont circulé d'importantes quantités de fluides hydrothermaux) traversent des roches basiques. C'est là l'origine des plus nombreux gisements d'émeraudes du monde (Brésil, Pakistan, Madagascar…), gisements les plus nombreux, mais qui ne fournissent pas les plus belles émeraudes.

Pegmatite à béryl hexagonal « pierreux » jaune-verdâtre et non transparent

Figure 11. Pegmatite à béryl hexagonal « pierreux » jaune-verdâtre et non transparent

Béryl inclus dans une orthose rose, Madagascar.


Cristal de béryl quasi-transparent et bleu pâle : une aigue-marine

Figure 12. Cristal de béryl quasi-transparent et bleu pâle : une aigue-marine

Aigue-marine (non taillée) extraite d'une pegmatite de Madagascar.


Les plus belles émeraudes, comme celles en photographies cette semaine, proviennent de Colombie. On les trouve au sein de filons de calcite (et/ou de dolomite), filons recoupant de puissants niveaux de roches sédimentaires, des argilites noires plus ou moins marneuses (black shales). Ces argilites noires sont, comme la majorité des roches de ce type, très riches en matière organique et en sulfures ; elles sont marines et datent du Crétacé inférieur. Ces argilites noires font partie d'une série sédimentaire mésozoïque contenant aussi des calcaires, des grès, quelques niveaux d'évaporites (dont de l'anhydrite, CaSO4)… Les filons de calcite à émeraudes appartiennent à deux générations de filons mis en place pendant les phases tectoniques à l'origine de la Cordillère des Andes. Une première génération s'est mise en place au Crétacé terminal (65 Ma) et une deuxième génération à l'Oligocène (38 Ma). Il n'y a aucun granite, aucune pegmatite, aucune roche basique ou ultrabasique dans les environs.

Localisation des principaux gisements d'émeraude de Colombie

Figure 13. Localisation des principaux gisements d'émeraude de Colombie

Les punaises jaunes indiquent les principaux sites d'exploitation d'émeraudes de Colombie.


Les filons et filonnets de calcite au sein d'argilites ou de marnes noires sont très communs, comme l'atteste la figure suivante, photographie prise dans le Jurassique supérieur de la région de Gap (05). Pendant des phases tectoniques, des eaux (plus ou moins chaudes) circulent dans des fractures (ou en empruntent la schistosité). Elles dissolvent des carbonates en traversant des niveaux calcaires, carbonates qu'elles peuvent re-déposer plus loin sur les parois des fractures, parce que la chimie de l'encaissant ou les conditions de pression et température ont changé au cours du trajet. Mais si de tels filons de calcite contiennent fréquemment des minéraux annexes comme quartz ou barytine, ils ne contiennent (hélas) quasiment jamais d'émeraude.

Filonnets de calcite blanche dans des argilites et marnes noires du Jurassique dans les Hautes-Alpes

Figure 14. Filonnets de calcite blanche dans des argilites et marnes noires du Jurassique dans les Hautes-Alpes

De tels réseaux filoniens sont extrêmement courants, mais ne contiennent quasiment jamais (et jamais en France) d'émeraudes.


Ce sont les particularités de composition des argilites noires colombiennes, de la chimie des eaux circulantes, de leur température… qui ont permis ces dépôts filonniens de calcite + émeraude. Les argilites noires du Crétacé supérieur de Colombie contiennent jusqu'à 3% de matière organique. Or chrome, vanadium et autres métaux « lourds » ont de grandes affinités chimiques pour la matière organique (affinité qui d'ailleurs pose des problèmes d'environnement dans les pays industrialisés, car ces métaux lourds rejetés par l'industrie sont piégés dans les vases anoxiques des fleuves et estuaires). Ces argilites noires colombiennes contiennent (environ) 5% de fer (50 000 ppm), 150 ppm de chrome et 200 ppm de vanadium, ce qui est « énorme » par rapport à une argilite « classique ». Ces argilites contiennent aussi 3 à 4 ppm de béryllium, ce qui est beaucoup.

Les eaux circulant dans cette série sédimentaire se chargent de sulfate de calcium en traversant les niveaux évaporitiques. Quand ces eaux sulfatées arrivent au contact des marnes noires très réductrices, les ions sulfates (SO42-) sont réduit en ions sulfures (S2-) , et la matière organique des argilites est oxydée en HCO3-. Ces réactions chimiques séparent le calcium, le béryllium, le fer, le chrome et le vanadium des argilites, où ils étaient « piégés » sous forme minérale et/ou organique et solubilisent ces éléments dans le fluide hydrothermal. Plus loin, le long des fractures, Ca2+ et HCO3- vont précipiter sous forme de calcite, Fe2+ et S2- sous forme de pyrite, et béryllium, chrome et vanadium sous forme d'émeraude (associés à SiO2 et Al3+). Pour avoir des émeraudes de qualité (belle couleur, transparence…), il faut des valeurs précises de température, pression, composition chimique des fluides, composition chimique de l'encaissant, qui dépendent elles-même de la profondeur du site de formation, du degré géothermique, de la chimie de l'encaissant, de la chimie des eaux arrivant dans l'encaissant… Qu'un seul de ces paramètres n'ait pas la bonne valeur, et… pas d'émeraude. C'est la rareté d'une telle conjonction de paramètres qui fait la rareté (et le prix) des émeraudes de « qualité colombienne ».