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Article | 24/02/2005

Saturne, Titan, Encelade et quelques autres satellites : données de Cassini, février 2005

24/02/2005

Pierre Thomas

Laboratoire des Sciences de la Terre, ENS de Lyon

Florence Kalfoun

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Images de l'orbiteur Cassini, récoltées mi-février 2005, vues rapprochées des surfaces d'Encelade et Titan, vues plus éloignées de Téthys, Mymas et Saturne. Les principales découvertes concernent la géologie d'Encelade qui s'est avérée extraordinaire.


Mi janvier, tout le monde parlait de Titan et de Saturne, suite à l'atterrissage en douceur de Huygens. Comme prévu, Huygens s'est définitivement tu quelques heures après s'être posé, à cause de l'épuisement (normal) de ses batteries. Il nous reste maintenant à attendre que l'ESA communique les résultats du principal but scientifique de la mission : l'analyse de l'atmosphère, des aérosols et la compréhension des réactions qui s'y produisent.

Mais en attendant, Cassini tourne autour de Saturne, et passe plus ou moins près de ses satellites. Au programme de ce dernier mois : Titan et Encelade de près, et aussi Saturne lui-même et ses anneaux, Mimas et Téthys d'assez loin. Et il y a du nouveau sur Titan et Encelade !

Titan

Cassini a survolé Titan le 15 février, à 1500 km lors de son passage au plus près. Il a utilisé ses caméras infra-rouges, et son radar.

Avec ses caméras infra-rouges, il a pu imager une zone largement confondue avec celle survolée en octobre 2004, mais légèrement plus à l'Ouest.

Localisation et résolution des zones imagées sur Titan en octobre 2004 et en février 2005

Figure 1. Localisation et résolution des zones imagées sur Titan en octobre 2004 et en février 2005

L'image du haut a été obtenue lors du survol d'octobre 2004, celle du bas a été obtenue en février 2005.


La NASA a publié quelques images d'ensemble vues "de loin" et de très nombreuses images brutes de détail, mais sans échelle, orientation (images "brutes").

Voici, à titre d'exemple, une image globale montrant (d'assez loin) Titan, en particulier les régions orientales non photographiées en octobre 2004.


La figure 3 permet de comparer les deux survols et la faible différence du champ "visuel". Outre la découverte de quelques nouveaux millions de kilomètres carrés orientaux, on voit que les nuages de méthane qui flottaient en octobre 2004 au-dessus du pôle Sud ont disparu en février 2005.

Comparaison des vues générales de Titan : octobre 2004 / février 2005

La figure suivante montre un exemple d'une de ces images brutes détaillées.


Ces images ressemblent beaucoup à celles du 26 octobre 2004, ce qui est normal puisqu'elles couvrent presque la même zone. On retrouve l'imbrication de zones réfléchissant l'IR, en blanc sur les images (riches en hydrocarbures ?) et de zones absorbant l'IR, en sombre (riches en glace d'H2O ?).

La NaASA a déjà publié une mosaïque de toutes les images détaillées. Mais la zone couverte à haute résolution étant quasiment la même qu'en octobre, nous n'avons que bien peu d'informations nouvelles, en particulier aucune donnée précise sur les régions orientales nouvellement découvertes. Pour changer de la mosaïque "habituelle" (voir figure 8 de l'article du mois de novembre 2004 sur Titan), nous avons supposé, ce qui est loin d'être établi, que ce qui absorbe l'IR (sombre sur les figures 2 et 3 ) est riche en glace d'H2O, et nous l'avons figuré en "blanc". Ce qui réfléchit les IR (en clair sur les figures 2 et 3) étant supposé riche en hydrocarbure, et là aussi c'est loin d'être sûr, nous l'avons figuré en brun.

Mosaïque HR de Titan obtenue avec les images du survol du 15 février 2005

Figure 5. Mosaïque HR de Titan obtenue avec les images du survol du 15 février 2005

Nous avons figuré en blanc ce qui absorbe les IR (terrains riches en glace d'eau ?) et en brun ce qui les réfléchit (terrains riches en hydrocarbures ?).


La grande nouveauté de ce survol de février 2005 vient du radar, utilisé pour la deuxième fois. La NASA a pour l'instant publié cinq images.

Les images radar du survol d'octobre 2004 étaient localisées sur une zone non couverte par les vues IR (figure 6). Celles du survol de février 2005 sont pour moitié dans des zones non couvertes par les images IR, et pour moitié dans des zones couvertes à très faible résolution. Il est donc encore quasiment impossible d'établir une correspondance entre les visions IR et radar de Titan.


Rappelons qu'il s'agit d'images radar, difficiles à interpréter. Le blanc signifie "matériaux réfléchissant le radar", ou "matériaux rugueux", ou "pente dirigée vers la sonde Cassini" ; le sombre signifie "matériaux absorbant le radar", ou "matériaux lisses" ou "pente dirigée à l'opposée de la sonde Cassini".

La figure 7 montre pour la première fois un cratère d'impact, Circus Maximus, mais quel cratère ! L'image ne couvre pas tout le cratère, qui mesure 440 km de diamètre. Un tel impact a dû être créé par la chute d'une comète, d'un astéroïde ou d'un objet de Kuiper de 10 à 20 km de diamètre. Aucun autre petit cratère ne se superpose au grand cratère : l'impact est (géologiquement) jeune. Les bords du cratères semblent disséqués par des réseaux hydrographiques. Rappelons que, sur Titan, les réseaux hydrographiques seraient plutôt méthanographiques car le liquide qui tombe en pluie et qui coule est très probablement du méthane. Un mystérieux réseaux de "rayures" sombres raye l'intérieur Sud du bassin. Sur la figure 2, on devine en haut à droite une vague figure circulaire, qui pourrait être cette structure d'impact dont la NASA n'a pas pour l'instant donné les coordonnées.

La troisième image (figure 9) publiée par la NASA ressemble à celle publiée après le survol d'octobre 2004, avec d'étranges imbrications de terrains clairs et sombres (réfléchissant plus ou moins le radar). La NASA interprète certaines de ces taches comme des collines. Ces figures complexes sont interprétées comme « cryovolcanic features, meaning flows of warm ice, or mixtures of liquid water and ammonia » (« figures cryovolcaniques, interprétées comme des écoulements de glace chaude ou de mélanges d'eau liquide et d'ammoniaque »).


La quatrième image (figure 10) ressemble au paysage vu par Huygens pendant sa descente : un réseau hydrographique (méthanographique). Le lit des "rivières" et la zone claire dans laquelle elles se jettent sont "rugueuses" (réfléchissantes) ; on peut supposer que cette rugosité est due à une accumulation de galets, comme au niveau du site d'atterrissage de Huygens.


La figure 11 montre la cinquième image radar publiée par la NASA. Elle révèle du "jamais vu". Cette image montre des « griffures de chat » (« cat scratches », dit la NASA). Que sont ces lignes noires ? Des champs de dunes, des déformations (tectoniques) de la surface, du genre graben parallèles ? Ces lignes semblent "recouvertes" par des terrains plus clairs, à l'aspect festonné d'une grande coulée de lave figée recouvrant un substratum "rayé" ? Rappelons que sur Titan, la lave, provenant de la fusion du manteau, est constituée d'eau.

"Griffures de chats" sur Titan

Figure 11. "Griffures de chats" sur Titan

Cette image couvre 900 x 300 km.


La figure suivante montre un détail de cette région.

Détail de la région des "griffures de chat"

Figure 12. Détail de la région des "griffures de chat"

L'image couvre une surface de 300 x 300 km


Titan se révèle bien un monde énigmatique. Les prochains survols de Titan auront lieu les 31 mars et 16 avril 2005.

Encelade

Cassini a survolé Encelade le 17 février 2005, d'une altitude de 1200 km lors de son passage au plus près.

Encelade est un des plus mystérieux satellites de Saturne. D'un diamètre de 500 km, c'est le plus réfléchissant des satellites. Des études optiques de diffraction et de polarisation montre qu'Encelade est recouvert d'un givre, dont la taille des cristaux de glace est de quelques micromètres. Sa masse volumique de 1,24 g/cm3 suggère que la glace d'H2O en est le constituant majoritaire. Encelade tourne autour de Saturne au sein de l'anneau E.

Localisation d'Encelade au sein de l'anneau E de Saturne

La taille des particules de l'anneau E semble la même que celle du givre recouvrant Encelade. Or, dans le vide, ces cristaux de quelques micromètres devraient "rapidement" se sublimer. Leur existence actuelle suggère que givre et particules de l'anneau E sont produits par des arrivées très récentes (volcanisme ?) d'eau liquide en surface, eau liquide s'évaporant instantanément dans le vide, et se condensant ultérieurement en "givre".

La figure 14 montre la meilleure image Voyager d'Encelade. On y voit des terrains très cratérisés, mais d'autres très jeunes car absolument dépourvus de cratères visibles à cette résolution. Ces terrains jeunes sont parcourus de rides et de sillons. Ils seraient la conséquences de l'activité volcanique à l'origine du givre et de l'anneau E.

Encelade vue par Voyager

Au début de ce mois de février 2005, Cassini est passé à 1200 kilomètres d'Encelade, et a envoyé cette image confirmant l'existence de terrains et d'activités volcaniques jeunes sur une autre portion d'Encelade que celle vue par Voyager.

La figure 15 montre la carte que l'on a pu faire d'Encelade en 1981, avec les données Voyager, et la localisation des régions survolés de près le 17 février 2005.

En s'approchant, la géologie d'Encelade s'est avéré "extraordinaire".

La figure suivante montre une vue plus détaillée. Voici ce qu'en dit la NASA : « The view is about 300 kilometers (200 miles) across and shows the myriad of faults, fractures, folds, troughs and craters that make this Saturnian satellite especially intriguing to planetary scientists », soit, « Cette vue mesure 300 kilomètres de large et montre une myriade de failles, fractures, plis, creux, cratères qui rendent ce satellite de Saturne particulièrement intéressant pour les planétologues ».

Figure 17. Mosaïque d'images prise entre 26.000 et 17.000 km d'Encelade

Cette mosaïque couvre un champ visuel de 300 km de gauche à droite. Le "rift" central ferait 5 km de profondeur.


Il est trop tôt pour tirer des conclusions géologiques globales. Il est bien sûr évident que ce satellite a une activité tectono-magmatique très récente, mais pas généralisée puisqu'il existe certaines régions riches en cratères.

On voit certaines structures qui ressemblent indiscutablement à des fractures et à des grabens. D'autre ressemblent à des ondulations, à des "plis anticlinaux ". Pour la majorité d'entre elles, il est impossible de trancher entre grabens, plis ou autres choses.

Les fractures et graben pourraient être dus à une extension ayant affecté un matériel cassant (glace froide), alors que les ondulations seraient des structures "compressives" ayant affecté un matériel ductile (glace chaude). Souvent, les fractures recoupent les rides, et leur sont donc postérieures.

Quoi qu'il en soit, il est prudent de patienter quelques semaines avant d'essayer des synthèses, puisque que Cassini survolera Encelade deux fois plus près dans trois semaines.

En attendant, voici une sélection d'images, et leur interprétation à chaud, qui sera peut-être complètement à revoir dans trois semaines. Certaines de ces images ont été prises dans les "raw images" et révèlent des problèmes de transmission. Pour ces images brutes, orientation et échelles ne sont pas fournies par la NASA.

Figure 18. Terrains de deux tranches d'âges sur Encelade

À gauche, terrains âgés et cratérisés ; à droite, terrains jeunes, peu ou pas cratérisés, à géologie complexe.


Figure 19. "Le grand rift" d'Encelade

Il s'agit d'un giga-graben ou d'une giga-crevasse, qui recoupe les structures antérieures. À droite, cette crevasse est relayée par une série de fentes.


Figure 20. Détail des fentes à l'extrémité du "rift" d'Encelade

Ces fentes semblent parfois être faite de "puits"coalescents (évents volcaniques ? cratères de soutirage ?)


Figure 21. Champs de "rides" fines et parallèles sur Encelade

En haut de l'image, ces rides ont une forme sigmoïde et semblent être recourbées par des décrochements senestres.


Figure 22. Méga-rides sur Encelade

Ce sont des ondulations "en relief " de la surface, des plis anticlinaux ?



On note, en particulier sur la ride en haut à droite, une fracture sommitale, qui n'est pas sans rappeler (en beaucoup plus grand) les fractures d'extrados, qu'on trouve à la crête des "rides de pressions", que l'on peut observer sur les coulées de laves ou sur les banquises (cf. figures suivantes). Les rides de pressions naissent quand une "croûte solide" est déformée en compression par des mouvements d'un fluide sous-jacent. Cela arrive aussi bien sur des coulées de laves en cours de refroidissement ou sur des banquises mises en mouvement par les circulations marines (ou aériennes). Ce sont des structures "quasi anticlinales", avec souvent une fente d'extrados due à l'extension qui se produit au sommet de la courbure convexe.


Ride de pression observée sur une coulée de lave à Hawaï

Figure 25. Ride de pression observée sur une coulée de lave à Hawaï

L'échelle est identique à celle de la figure précédente.


La figure 26 (zone de 84 x 70 km) montre des"taches noires" énigmatiques, alignées en chaîne à droite d'une bande de terrains alignés en chevron. Cent de volcans riches en hydrocarbures. En haut à droite, et parallèlement à ces chaînes de taches noires, on voit des fractures ouvertes, devenant "chaîne de puits" et de cratères coalescents.


Ces alignements de cratères et puits ne sont pas sans rappeler ce qu'on peut voir à Djibouti ou en Islande : des alignements de cratères volcaniques ou de puits de soutirage le long de fractures. À titre de comparaison, ci-dessous, deux exemples islandais de "peut-être équivalents terrestres" de ce qu'on observe sur Encelade.

Certaines autres figures ne sont pas sans rappeler des figures d'écoulement visqueux, comme par exemple les deux images suivantes (figure 29 et 30).

On ne peut s'empêcher de comparer ces structures, en particulier celles de la figure 30, à des figures d'écoulement visqueux qu'on peut voir sur Terre : écoulement de glacier, de coulée de lave visqueuse, de la surface refroidie de coulées fluides. Voici, à titre de simple illustration, trois exemples de structures d'écoulements visqueux terrestres, à trois échelles différentes (kilométrique, hectométrique et métrique).

Vue satellitale verticale du glacier Malaspina en Alaska

Figure 31. Vue satellitale verticale du glacier Malaspina en Alaska

Largeur de l'image, environ 45 km.


Vue satellitale oblique du glacier Malaspina en Alaska

Figure 32. Vue satellitale oblique du glacier Malaspina en Alaska

L'image a été artificiellement colorée. Ce glacier s'étale dans la plaine au pied de la montagne en un lobe de 40 km de diamètre.


Ride d'écoulement visqueux dans une coulée de phonolite (Canaries)

Figure 33. Ride d'écoulement visqueux dans une coulée de phonolite (Canaries)

Volcan du Teide, Tenerife (Canaries). La coulée fait environ 400 m de long et 100 m de large.


Coulée de lave cordée (Galapagos)

Figure 34. Coulée de lave cordée (Galapagos)

Au fond, un iguane marin donne l'échelle. De telles structures s'obtiennent quand la surface d'une coulée a une consistance "pâteuse" du fait de son refroidissement partiel, alors que l'intérieur de la coulée est encore relativement fluide.


Nous attendons avec impatience le prochain survol d'Encelade, le 9 mars 2005, où Encelade ne sera survolé que depuis 500 km d'altitude.

Saturne, ses anneaux, Téthys et Mimas

Et pendant que Cassini explore en détail ces nouveaux mondes, il survole aussi d'assez loin d'autres satellites, et des images sont bien sûr prises.

La figure 35 montre le globe de Saturne rayé par l'ombre de ss anneaux, avec Mimas au premier plan. La figure 36 montre Mimas (d = 398 km) avec au centre le cratère Herschel. Le prochain survol rapproché de Mimas aura lieu le 2 août 2005.

Figure 35. Mimas devant le globe de Saturne, "rayé" par l'ombre des anneaux

Image prise depuis 1.400.000 km de Saturne.


Figure 36. Mimas et le cratère Herschel

Photographie prise le 16 janvier 2005 depuis 213.000 km.

Mimas a un diamètre de 398 km, et le cratère Herschel de 130 km.


La figure 37 montre Téthys (d = 1060 km), avec son grand rift. Le prochain survol rapproché de Téthys aura lieu le 24 septembre 2005.

Figure 37. Quartier de Téthys, avec le grand rift, Ithaca Chasma

Image prise le 17 janvier 2005, d'une distance de 1.000.000 km.


La figure 38 montre un aspect de la circulation nuageuse de Saturne. La figure 39 présente une vue globale des anneaux, publiée en février 2005 mais acquise en décembre 2004.

Figure 38. Détail de la couverture nuageuse de Saturne

Image prise à 3.000.000 km de Saturne le 6 décembre 2004, avec une longueur d'onde de 0,727 µm. La photo couvre une surface de 20.000 x 17.000 km.


Figure 39. Image des anneaux de Saturne

Il y a 62.000 km de gauche à droite. Image prise d'une distance de 1.800.000 km le 12 décembre 2004.


Mais n'oublions pas que Saturne peut aussi être étudié depuis la Terre. En témoignent les deux très belles images suivantes.

Émission thermique de Saturne, IR lointain, autour de 17, 65 µm

Figure 40. Émission thermique de Saturne, IR lointain, autour de 17, 65 µm

Cette image a été obtenue en 2004 depuis le télescope Keck 1, à Hawaï. Le code de couleur indique que les températures varient de 86 à 91 °K.


Figure 41. Saturne, superposition d'images en UV et d'images en lumière visible

Ces trois images de Saturne ont été obtenues par le télescope spatial Hubble les 24, 26 et 28 janvier 2005. Il s'agit de la superposition d'images UV (traduites en bleuté) et d'image en lumière visible. On découvre ainsi un magnifique anneau auroral (aurore dite boréale, bien qu'ici elle soit au pôle Sud) qui entoure le pôle Sud de Saturne.