Article | 16/12/2016
Les phyllades du fort de Brégançon (Var) et leurs taffonis
16/12/2016
Résumé
Le fort de Brégançon, lieu officiel de villégiature du président de la République française, est aujourd'hui un site historique géré par le Centre des monuments nationaux, et à ce titre ouvert à la visite depuis 2014. La côte à proximité présente de nombreux affleurements intéressants de roches métamorphiques hercyniennes, ce qui ajoute des attraits géologiques à une visite historique du fort ou à un séjour balnéaire.
Table des matières
Localisation et pétrographie des roches métamorphiques hercyniennes à proximité du fort de Brégançon
Les roches hercyniennes du littoral proche du fort de Brégançon appartiennent au massif des Maures, dont la géologie a été présenté dans un article précédent (cf. Présentation de la géologie régionale du Var : le massif hercynien des Maures et de Tanneron), et, plus précisément, à l'unité occidentale des Maures. Cette unité, qui apparait en bleu foncé sur la carte métamorphique ci-dessous, et qui affleure sur 15 à 20 km, est constituée d'une épaisse formation de roches faiblement métamorphiques, comprenant principalement des schistes (appelés localement "phyllades"), micaschistes et quartzites.
Les protolithes de ces roches métamorphiques sont des sédiments assez fins: alternance d'argilites et de sables siliceux. Cette alternance est attribuée à une sédimentation rythmique de type turbidites (flysch non-calcaire). La présence de plans de stratification (S0), souvent parallèles à la schistosité (S1), déformés mais encore visibles, atteste bien cette origine sédimentaire des roches.
Quelques graptolithes, exceptionnellement conservés malgré le métamorphisme, ont permis de dater du Silurien (-430 Ma) quelques rares strates. Cependant, selon le modèle choisi (série sédimentaire continue dans tout le massif ou superposition anormale par le biais de chevauchements et de plis à grande échelle...) l'estimation de l'âge de l'unité complète peut fortement varier.
Dans les phyllades, séricite et chlorite remplacent les argilites, et les grains de quartz issus du sable donnent naissance à des lits de quartzites. Ces minéraux caractérisent un métamorphisme de faible intensité (faciès schiste vert de basse température), qui s'intensifie vers l'Ouest (apparition des grenats). Des déformations importantes sont partout observables : plis, failles, schistosité.
Les affleurements situés immédiatement au Nord du fort de Brégançon, accessibles depuis la plage de Cabasson qui dispose d'un vaste parking (payant car la plage est privée), sont constitués de phyllades détritiques, roches que la carte géologique au 1/50 000 d'Hyères-Porquerolles décrit comme suit : « bancs métriques gréso-schisteux alternant avec des lits schisto-gréseux, [cette formation] est d'une grande monotonie et ressemble à un flysh non-calcaire de couleur grise. On notera une évolution progressive vers le Sud de ses caractères : elle devient de plus en plus fine et homogène, tandis que les séquences diminuent d'épaisseur pour ne plus mesurer que quelques centimètres au cap Bénat. Les cristaux de chloritoïde y sont abondants et développés ».
L'âge du protolithe, peu contraint, serait ordovicien à dévonien, selon l'interprétation des relations stratigraphiques au sein de l'unité occidentale des Maures, tandis que leur métamorphisme faciès schiste vert (de basse température et moyenne pression) est hercynien, et plus précisément daté du Carbonifère.
La minéralogie des phyllades à proximité de Brégançon comprend du quartz, parfois bien cristallisé en bancs laiteux, en lentilles ou en filons mis en reliefs par l'érosion, des grenats, et des phyllosilicates divers : minéraux argileux résiduels, micas (principalement séricite, ici), chlorites...
Les taffonis se développant dans ces roches
On observe dans les phyllades à proximité du fort de Brégançon, comme en d'autres points du littoral varois, la présence de nombreux taffonis, cavités dont le nom provient du corse tafone, trou. La tectonique, l'orientation des minéraux sous l'effet du métamorphisme et des circulations hydrothermales ont sans doute facilité leur formation.
Les taffonis (cavités dans les roches dont le nom dérive du corse tafone, trou) et autres formes d'érosion alvéolaire apparentées ont été évoqués à plusieurs reprises sur : Érosion alvéolaire dans des calcaires bioclastiques à Chinon (Indre et Loire) et Uzès (Gard), Quand les grès de l'Éocène inférieur (Yprésien) du Pays basque espagnol (Mont Jaizkibel) imitent le gothique flamboyant, Les taffonis du Cap de Creus (Espagne), de la côte de Namibie et de l'ile d'Elbe, Quand l'érosion alvéolaire fabrique des taffonis géants et emboités, et fête la Saint Valentin, Uluru (Australie) et, plus récemment, Les taffonis dans les andésites de Terre-de-Bas des Saintes (Guadeloupe).
La multiplication des exemples illustre le fait que ces formations alvéolaires sont susceptibles d'apparaitre dans des contextes divers et surtout dans des roches variées.
La formation de s taffonis reste assez mal comprise, mais semble souvent être une conséquence de l'altération / érosion des roches en présence d'embruns. Ces structures se mettent souvent en place là ou préexistent des fractures ou des irrégularités de la roche (d'origine diagénétique pour les roches sédimentaires, mais aussi d'origine tectonique, volcanique, métamorphique, hydrothermale, etc). Plusieurs processus combinés conduisent à la formation de ces structures (cf. Les taffonis du Cap de Creus (Espagne), de la côte de Namibie et de l'ile d'Elbe) :
- L'haloclastie (du grec hals, sel, et klastos, brisé) désigne la fragmentation de la roche par la formation de sels à partir des ions contenus dans l'eau de mer, lors de l'évaporation au soleil de l'eau salée déposée par les embruns. L'évaporation de l'eau dans les fractures de la roche conduit à la formation de cristaux (halite ou gypse) qui créent une surpression sur les minéraux environnants et désolidarisent les minéraux de la roche.
- L'hydrolyse est l'altération des minéraux par l'eau, qui conduit à la libération des produits ioniques d'hydrolyse et la néoformation de minéraux secondaires argileux (donc plus friables).
- La thermoclastie (du grec thermos, chaleur, et klastos, brisé) correspond à la fragmentation par l'action de surpressions liées à des dilatations thermiques (changements de volume) au gré des variations de température. La présence localisée de sels, déposés par les embruns et présentant un fort coefficient de dilatation thermique, conduirait à de telles surpressions sur les minéraux environnants.
- Les réactions chimiques entre minéraux. L'eau de mer et les ions qu'elle contient réalisent avec les minéraux des roches des échanges chimiques qui déstabilisent les réseaux cristallins et augmentent l'altérabilité de la roche.
Les embruns et la pluie lessivent et transportent ensuite les fragments des minéraux et les éléments chimiques ; les vents côtiers, parfois violents, peuvent évider les points bas des cavités et entrainer dehors les grains de sable qui stagnaient au fond. Tout cela forme les cavités observées, par exemple, sur les grès, schistes et pĥyllades de la plage de Cabasson, présentées ci-dessous.