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Article | 27/05/2008

Phoenix, atterrissage réussi sur Mars ; premières et rapides nouvelles du sol martien observé

27/05/2008

Pierre Thomas

Laboratoire de Sciences de la Terre / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Les premières images de Mars prises par Phoenix, des sols polygonaux.


Mise à jour le 28 mai 2008.

La sonde Phoenix s'est posée avec succès ce lundi 26 mai 2008, à 01h53 (heure légale de France, GMT+2). Pour l'instant, la mission fonctionne comme prévu. Elle n'a pas commencé ses expériences de chimie, mais sa caméra commence à prendre des images des environs.

Figure 1. Mars, le sol aux pieds de Phoenix

Région de Vastitas Borealis, 68° N, 234° E. Remarquons la morphologie de sol polygonal (voir plus loin).


Rappelons que cette sonde est partie le 4 août 2007. C'est une sonde fixe qui ne se déplacera pas, contrairement à Spirit et Opportunity. C'est la sixième sonde à se poser avec succès sur le sol de Mars, après les 2 sondes Viking (en 1976), la sonde Pathfinder (en 1997) et les 2 robots Spirit et Oportunity en 2004.


Elle pesait 664 kg avant son atterrissage (bouclier thermique, parachute et carburant compris) dont 59 kg de matériel scientifique. Elle s'est posée très au Nord (68° lat. N), pendant une période qui correspond à l'été martien dans cet hémisphère. Le site d'atterrissage est situé au Sud de la calotte polaire permanente, mais à l'intérieur de la zone recouverte de glace carbonique (mélangée à de la glace d'eau) chaque hiver (la calotte saisonnière).

Site d'atterrissage de Phoenix sur Mars (ellipse signalée par la flèche jaune) par rapport à la calotte polaire Nord, 22 mai 2008

Figure 3. Site d'atterrissage de Phoenix sur Mars (ellipse signalée par la flèche jaune) par rapport à la calotte polaire Nord, 22 mai 2008

La calotte, en cette fin de mois de mai 2008, comprend la calotte permanente (reconnaissable entre autres par sa structure spiralée), et un reliquat de la calotte transitoire, visible en particulier « en haut » de la calotte permanente.


Figure 4. Vue Mars Global Surveyor de l'ellipse ou devait se poser Phoenix

Cette ellipse mesure environ 70 km de long.


Figure 5. Mars : meilleure estimation (le 26 mai au matin) du site d'atterrissage de Phoenix (dans le cercle rouge)

Phoenix semble donc s'être posé à l'Est, voire même légèrement en dehors de la zone prévue.


Figure 6. Phoenix descendant au bout de son parachute photographié avec la caméra haute résolution (HIRISE) de Mars Reconnaissance Orbiter

À l'arrière plan, le sol de Mars. La sonde est alors à une altitude de 12,6 km. Elle est photographiée depuis une distance de 310 km.


Les principaux instruments scientifiques de Phoenix sont dédiés à l'analyse des composés volatils contenus dans le sol au voisinage de la calotte polaire Nord. Elle forera et recueillera du sol, chauffera ce sol à des températures variées, recueillera les gaz (vapeur d'eau, composés carbonés –éventuellement organiques-…) qui s'en échapperont et les analysera…

Tout un kit de météorologie mesurera pression, température, abondance de la vapeur d'eau atmosphérique… Un kit de pédologie mesurera l'évolution de la conductivité du sol, son contenu en substances solubles... Tout un système de caméras (avec « microscope », filtres divers…) étudiera à la fois le paysage, son évolution saisonnière, la structure fine du sol. Un bras robotisé permettra des prélèvements depuis la surface jusqu'à une profondeur de 50 cm. Le but final de cette mission est de mieux comprendre le cycle actuel (et éventuellement ancien) de l ‘eau et du carbone, avec des arrière-pensées exobiologiques évidentes.

Toute la mission est bien décrite dans un kit Phoenix pour la presse et sur le site Phoenix Mars Lander de la NASA.

La mission est prévue pour durer jusqu'au retour de l'hiver martien, soit environ 150 jours. En octobre (calendrier terrestre), quand l'hiver sera bien installé, la sonde sera recouverte d'une couche de glace qui bloquera les communications, qui empêchera les panneaux solaires de recharger les batteries déjà bien affaiblies par le froid.

Pour l'instant, les instruments scientifiques autres que les caméras n'ont pas encore été utilisés. Voici quelques images transmises lundi et mardi, très rapidement commentées.

Ce qui frappe l'œil du géologue dès le premier regard, c'est que la sonde s'est posée en plein milieu d'un secteur constitué de sols polygonaux. On connaît des sols polygonaux sur Mars depuis 1976, mais avec des polygones pluri-métriques à pluri-hectométriques (cf. les articles de Planet-Terre, l'eau sur Mars et sol polygonal en Yakoutie). Près de Phoenix, il semble que l'on ait des polygones infra-métriques (la Nasa n'a pas encore donné l'échelle de ses images).

La Nasa interprète aussi ses images en terme de sol polygonal dès ses premiers commentaires. Elle propose l'explication suivante : « The flat landscape is strewn with tiny pebbles and shows polygonal cracking, a pattern seen widely in Martian high latitudes and also observed in permafrost terrains on Earth. The polygonal cracking is believed to have resulted from seasonal freezing and thawing of surface ice ». Ce qui peut se traduire par : « Le paysage plat est parsemé de petits cailloux et montre des craquelures polygonales, un motif largement répandu aux hautes latitudes martiennes et aussi observé dans des permafrosts terrestres. Il est généralement admis que les fractures polygonales résultent d'une alternance saisonnière de gels et de dégels de la glace superficielle ».

Outre les images martiennes, la Nasa publie en même temps une image pour rappeler à ceux qui l'ignoreraient l'origine de cette morphologie.


La présence de ces sols polygonaux à ces latitudes pose un problème majeur. En effet, même en plein été et en plein midi, il ne dégèle jamais, si on appelle dégel la fusion de la glace et sa transformation en eau liquide (passage solide/liquide). Sur Mars, à ces latitudes, les changements d'état de l'eau sont les alternance condensation/sublimation (solide/gaz).

Fait-on des sols polygonaux si on remplace les alternances gels/dégels de glace d'eau par des alternances condensation/sublimation de glace d'eau et/ou de glace carbonique ? La géologie terrestre ne renseigne pas à ce sujet.

Une autre possibilité, pour expliquer ces sols polygonaux en l'absence d'alternances gel/dégel, serait un décalage sur l'âge de ces sols polygonaux. Ces sols polygonaux ne seraient-ils pas des sols polygonaux fossiles, qui dateraient de quelques millions d'années quand la forte inclinaison de l'axe de rotation martien pouvait donner aux pôles des températures estivales plus clémentes ?

Affaire à suivre.

En attendant de comprendre ces sols polygonaux martiens, en cherchant sur le web, on peut trouver des exemple de sols polygonaux terrestres « actuels » en région périglaciaire (haute montagne, région circumpolaire…).


Avec Google Earth, on peut aussi bien sûr trouver des sols polygonaux « actuels », mais aussi des sols fossiles, qui attestent que des structures apparemment fragiles peuvent demeurer visibles des milliers d'années après leur formation.

Sol polygonal en Sibérie du Nord

Sol polygonal fossile visible en Val de Loire (Vienne en Val, Loiret)

Figure 14. Sol polygonal fossile visible en Val de Loire (Vienne en Val, Loiret)

Sol polygonal particulièrement visible dans le grand champ vert au premier plan. La route (à droite) donne l'échelle. Il s'agit de restes encore visibles de sols polygonaux datant de la dernière ou de l'avant-dernière glaciation (Wurm ou Riss), quand la France, en général, et le Val de Loire, en particulier, étaient en climat péri-glaciaire, voisin du climat du Nord de la Sibérie actuelle. Bien sûr, morphologiquement, on ne voit plus de polygones en Val de Loire, des milliers d'années de climat tempéré et 2000 ans de pratiques agricoles ayant effacé cette morphologie. Mais ce réseau de fractures polygonales se retrouve dans le sous-sol, affecte la disponibilité en eau du sol, et influe sur la végétation, d'où sa visibilité en vue aérienne ou satellitale.


Dernières nouvelles (28 mai 2008) : tout continue à se dérouler normalement.

La Nasa vient de publier une image haute résolution du site d'atterrissage prise par la caméra HIRISE de Mars Reconnaissance Orbiter.

Figure 15. Mars : Phoenix posé sur un sol polygonal "double"

On voit la sonde Phoenix (avec ses deux panneaux solaires), son bouclier thermique (noir) et, en bas, le parachute blanc.


Figure 16. Mars : gros plan sur Phoenix

L'envergure de la sonde est d'environ 5,5 m, panneaux solaires déployés..


On y voit, de bas en haut :

  • Phoenix proprement dit, dont les panneaux solaires ont des reflets bleutés. Cette sonde donne l'échelle puisqu'elle mesure 5,5 m de l'extrémité d'un panneau solaire à l'autre.
  • Une double tache noire correspondant au bouclier thermique (et à son rebond).
  • Le parachute bien blanc et l'enveloppe arrière de Phoenix, largués à quelques centaines de mètres d'altitude, juste avant que des rétro-fusées terminent le ralentissement et permettent l'atterrissage en douceur de la sonde.

Et surtout, on a un "gros plan" du sol en vue orbitale. On y découvre un double réseau polygonal emboîté. On devine un réseau vraiment polygonal. Chacun de ses polygones mesure dans sa plus grande dimension 3 à 5 fois la taille de la sonde (polygones de 15 à 25 m de "diamètre"). Ce sont ces polygones qui sont connus depuis des années grâce aux différentes sondes en orbite.

On voit aussi une deuxième "granulation" des images, dont on ne voit pas la géométrie polygonale, et dont les dimensions sont inférieures à celle de Phoenix lui-même. Il s'agit très vraisemblablement des polygones "métriques voire inframétriques" qu'a révélés la caméra de Phoenix.

On aurait donc là un réseau de "polygones emboîtés", dit également "à double maillage", cas connus également sur Terre.

Figure 17. Équivalent terrestre des sols polygonaux emboîtés entourant Phoenix (vallée d'Escreins, Hautes Alpes)

Photographie interprétée : réseau (jaune) à grands polygones contenant un réseau (vert) de polygones plus petits.


Figure 18. Équivalent terrestre des sols polygonaux emboîtés entourant Phoenix (vallée d'Escreins, Hautes Alpes)

Photographie non interprétée, le double réseau est bien visible.