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Article | 03/08/2001

L'origine des diamants

03/08/2001

Pierre Thomas

ENS de Lyon, Boratoire des Sciences de la Terre

Benoît Urgelli

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Histoire et origine des diamants, lien avec le volcanisme kimberlitique.


Question

Poires de Golconde

Figure 1. Poires de Golconde


Objet : questions au son du clairon Date :Sam, 14 Juil 2001 18:43:14 De : claveaucned.

« À la suite de la visite de l'expo « diamants » au Muséum National d'Histoire Naturelle... Alors que les kimberlites peuvent être assez jeunes (Jurassique ,par exemple), les diamants qu'elles renferment sont d'un âge respectable (2,5 milliards d'années). Ces laves alcalines ont extirpé du manteau supérieur des diamants « primaires » si rapidement que ceux-ci n'ont pas eu le temps de se rétromorphoser en graphite. La sortie des laves s'est faite de manière explosive créant un diatrème ou pipe en forme de trompette qui traverse toute la croûte continentale. Par ailleurs les kimberlites peuvent contenir des enclaves de manteau de plus d'un mètre de diamètre... »

« Cela me pose un problème à propos de l'origine des éruptions explosives, de leur intensité. Le manteau supérieur était-il à ces moment là et à ces endroits là (cratons d'Afrique de sud, d'Australie...) particulièrement riche en gaz qui se sont brutalement décomprimés ? Étant donné la présence de calcite dans ces laves, y avait-il beaucoup de CO2 dans le magma ? On trouve des pipes diamantifères au niveau des cratons très anciens (archéen à protérozoique). Pourquoi ? Alors que le moteur des explosions semble être mantellique. Sont-ils toujours associés à des points chauds continentaux ? »

Réponse

Vos questions posent en fait le problème de l'origine (1) des diamants et (2) de l'éruption volcanique (kimberlitique) qui les a amenés à la surface. Quelles sont les données géologiques et expérimentales sur les diamants et leur contexte de mise en place, et quelle est l'origine et l'histoire des diamants ? Il faut rester conscient que cette reconstitution de l'histoire et de l'origine des diamants est provisoire, car de très nombreux points restent relativement obscures et controversés.

Données observationnelles et expérimentales, base de départ de la compréhension du phénomène "diamant"

  • Les diamants sont des cristaux de carbone pur, qui ne sont stables qu'à très forte pression, pression correspondant à une profondeur supérieure à 120-150 km. Ils sont donc d'origine mantellique (sauf pour quelques micro-diamants qui viennent de fragments de croûte continentale subductée et remontée lors de phénomènes orogéniques, ce sont les diamants "métamorphiques"). La forme stable du carbone pour des profondeurs plus faible que 120-150 km (manteau supérieur et croûte) est le graphite.
  • Les formes observées des cristaux de diamant semblent indiquer que la majorité des diamants ont cristallisé dans des veines intra-mantelliques où circulent des fluides carbonés (CO2, CO, CH4…).
  • De nombreux diamants contiennent des micro-inclusions (olivine, grenat, pyroxène, majorite, sulfure…) englobées au cours de leur croissance, et qui permettent de connaître la pression (donc la profondeur) de croissance de ces diamants. La grande majorité des diamants ont cristallisé entre 150 et 250 km de profondeur. Une petite minorité vient de beaucoup plus profond.
  • Les datations radiochronologiques des diamants, grâce à leurs inclusions, montrent que, dans la grande majorité des cas, les diamants sont d'âge archéen (avant -2,5 milliards d'années).
  • Ces diamants (sauf les diamants "métamorphiques") sont toujours localisés dans les cratons archéens (ou de roches qui en dérivent), et ont approximativement l'âge des cratons qui les contiennent.
  • Ces diamants sont dans la quasi totalité des cas inclus dans une lave atypique et très rare : la kimberlite, lave très riche en magnésium et potassium, et qui se caractérise aussi par une relative richesse en H2O (phlogopite) et surtout une grande richesse en carbonates. Le dynamisme éruptif des kimberlites est extrêmement explosif. La vitesse d'ascension des kimberlites est de plusieurs dizaines de km/h en profondeur, et les laves arrivent en surface à une vitesse supérieure à la vitesse du son. C'est cette vitesse de remontée qui entraîne une décompression et un refroidissement extrêmement rapides des diamants, trop rapides pour qu'ils aient le temps de se transformer en graphite. On trouve aussi des diamants dans des roches sédimentaires issues du démantèlement et de l'érosion de kimberlites. On connaît aussi quelques gisements exceptionnels, issus d'autres laves bien particulières : des lamproïtes (Australie) ou des komatiites (Guyane).
  • Les diamants n'ont pas cristallisé dans la lave kimberlitique, mais ne sont que des enclaves arrachées par la kimberlite sur son trajet ascensionnel. Ils sont arrachés isolément (xénocristaux), ou sont un des minéraux de xénolites plus gros, constitués dans la plupart des cas de péridotite à grenat et d'éclogite. Les diamants sont donc un des minéraux accessoires du manteau sous-cratonique.
  • Les kimberlites sont toujours situées dans des cratons archéens.
  • Ces laves kimberlitiques ont des âges allant de l'archéen pour les plus vieilles, à l'éocène/oligocène pour les plus jeunes. Elles peuvent être donc considérablement plus jeunes que leur encaissant/substratum et que les diamants qu'elles contiennent. Dans le cas des kimberlites jeunes où l'on peut reconstituer leur environnement de naissance, il semble que ces kimberlites jeunes soient associées à la mise en place d'un point chaud sous continental.
  • Si la lithosphère océanique a une épaisseur allant de quelques kilomètres (sous les dorsales) à une petite centaine de kilomètres (sous les vieilles plaines abyssales), si la lithosphère continentale "standard" a une épaisseur moyenne de 100 à 150 km, l'épaisseur de la lithosphère sous les cratons archéens peut atteindre 200 à 250 km (rappelons que le manteau lithosphérique peut être défini comme un manteau a une température inférieure à 1300°C). Cette grande épaisseur serait associé à un refroidissement particulièrement efficace et/ou prolongé sous les vieux cratons. Ce manteau lithosphérique infra-cratonique ne participe donc plus à la convection mantellique générale depuis l'archéen.
  • Le carbone peut exister sous plusieurs formes stables dans des conditions mantelliques : diamant bien sûr, gaz divers (CO2, CO, CH4…) dissous (solution solide) ou en inclusions dans des minéraux, ou dans les carbonates. Parmi les carbonates contenant du carbone, on peut citer le MgCO3, qui, en présence de silicates, n'est stable (pour des pressions comprises entre 50 et 80 kbar, c'est-à-dire pour des profondeurs de 150 à 250 km) qu'à des température inférieures à 1300°C, et qui se déstabilise pour des températures supérieures à 1300°C, avec passage partiel du CO2 de la phase carbonatée à la phase silicatée. Pour une profondeur comprise entre 150 et 250 km, et en présence de silicates, MgCO3 n'est pas stable sous les océans ou les continents "standards" où il fait trop chaud (conditions asthénosphériques) ; MgCO3 est stable par contre à la base de la lithosphère des cratons archéens.

Reconstitution de l'origine et de l'histoire des diamants

Avec toutes ces données, on peut tenter de reconstituer l'origine et l'histoire des diamants. Lors de la formation des cratons archéens, avant –2,5 Ga, il s'est formé une croûte continentale, et son manteau sous-jacent est devenu lithosphérique (par refroidissement). Cette lithosphère (croûte + manteau supérieur) n'a pas été affectée par des événements géologiques ultérieurs, si ce n'est leur déplacement dû à la tectonique des plaques. Ce manteau lithosphérique a pu atteindre une épaisseur de 200-250 km.

À la base de cette lithosphère, des circulations de fluides riches en carbone ont (1) imprégné le manteau de quelques fractions de % en carbonate de magnésium, et (2) entraîné la cristallisation de rares diamants au sein du matériel mantellique. Puis diamants et carbonates de magnésium sont restés "dormants", figés pour des centaines de millions, voire des milliards d'années dans la base de la lithosphère des cratons.

Dans le manteau plus profond (asthénosphère et manteau inférieur), du diamant peut aussi cristalliser, en particulier au niveau d'anciennes croûtes océaniques subductées (riches en sédiments, donc en carbone). Ces diamants là sont entraînés par la convection générale du manteau. Quand cette convection, lente, les amène au-dessus de 120-150 km, ils se transforment en graphite. C'est pour cela que l'on ne retrouve pas de diamant dans les basaltes ordinaires (ni dans leurs xénolithes de péridotite), qui naissent de cette décompression lente, entre –50 et –100 km, au-dessus de la zone de stabilité du diamant.

Il se peut que, bien après sa formation, la base d'une lithosphère cratonique soit réchauffée pour une raison ou une autre, par exemple par l'arrivée de la tête d'un point chaud (panache) d'origine très profonde et qui arrive là par hasard. Alors le carbonate de magnésium lithosphérique se déstabilise partiellement, libère du CO2, qui va réagir avec les silicates environnants. Comme H2O, le CO2 abaisse considérablement la température de fusion des silicates. La déstabilisation partielle du MgCO3 aura pour conséquence (1) la fusion partielle du manteau, (2) le passage du CO2 de la phase carbonatée au magma et (3) la création d'un magma très particulier, le magma kimberlitique, magma ayant une très forte pression de CO2 dissout.

Ce magma, du fait entre autres de cette très forte pression, va rapidement migrer vers la surface, arrachant de nombreux xénolithes (et xénocristaux isolés) tout le long de son cheminement, en particulier entre –250 et –150 km, et les amenant à la surface suffisamment rapidement pour que les diamants n'aient pas le temps de se transformer en graphite.

Les rares diamants d'origine plus profonde auraient pour origine la tête du panache, plus ou moins mélangée à la base de la lithosphère cratonique.

La très grande rareté des diamants a donc une triple origine :

  • la rareté intrinsèque des diamants dans le manteau ;
  • la rareté des racines lithosphériques cratoniques archéennes (qui ne représentent qu'une faible fraction de la surface des continents) ;
  • la rareté des points chauds sous-cratoniques.