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Article | 21/09/2012

L'origine de la Lune

21/09/2012

Pierre Thomas

ENS de Lyon - Laboratoire de Géologie de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Évolution des connaissances et des schémas de formation de la Lune.


La Lune, un corps particulier

La Lune tient une place particulière pour l'humanité. Chantée par les poètes, parfois divinisée, souvent à la base de calendriers, elle a été le premier objet céleste observé à la lunette par Galilée et a de ce fait participé à l'effondrement du système du monde mis en place dans l'Antiquité grecque. Du 17ème siècle jusqu'en 1969, les astronomes ont étudié "à distance" la Lune sous toutes les coutures, et ont montré que la Lune, seul satellite naturel de la Terre, avait des caractéristiques uniques dans le système solaire. Citons en trois.

  1. Tous les satellites majeurs des planètes orbitent dans le plan équatorial de leur planète, sauf Triton (satellite de Neptune), et la Lune. L'orbite de la Lune est presque située dans le plan de l'écliptique (inclinaison de 5,145°), c'est-à-dire qu'elle fait un angle variant de 18° à 28° par rapport à l'équateur terrestre.
  2. Les satellites majeurs des planètes sont extrêmement petits par rapport à leur planète. Par exemple, le rapport des diamètres entre Jupiter et Ganymède (son plus gros satellite) est de 26. Celui des diamètres Terre/Lune n'est que de 3,66. Le rapport des masses Jupiter/Ganymède est voisin de 12 000. Le rapport des masses Terre/Lune n'est que de 81. À l'opposé, le moment cinétique de rotation de la Lune autour de la Terre est important par rapport à celui de la Terre (en rotation sur elle-même).
  3. Les corps telluriques du système solaire interne ont une masse volumique ρ > 3900 kg/m3, preuve qu'ils sont constitués d'un mélange de silicates (2700 < ρ < 3300 à pression et température standards) et d'un métal plus dense comme le fer (ρ = 7800 kg/m3 à P et T standards). La masse volumique de la Lune n'est que de 3464 kg/m3, preuve qu'elle ne contient que très peu de fer, moins que les autres corps telluriques.
La Lune et la Terre photographiées par la sonde Galileo (alors en route pour Jupiter) le 16 décembre 1992

Figure 1. La Lune et la Terre photographiées par la sonde Galileo (alors en route pour Jupiter) le 16 décembre 1992

Cette image, prise depuis 6 200 000 km du système Terre-Lune met particulièrement en évidence les tailles relativement voisines de la Terre et de la Lune, un cas unique dans le système solaire si on excepte le couple Pluton-Charon


La Lune était donc un cas « à part » dans le système solaire, ce qui posait de fait la question de son origine.

Hypothèses sur l'origine de la Lune avant 1969

Trois familles d'hypothèses ont été émises durant le 19ème et la première moitié du 20ème siècle pour expliquer notre Lune, unique dans le système solaire.

Origine par fission

La première famille d'hypothèses est appelée « origine par fission ». Elle est basée sur 2 observations indépendantes.

On sait depuis Newton que la Lune est à l'origine des marées sur Terre. Ces marées, sources de frictions (et d'un couple de rappel), doivent ralentir la rotation de la Terre sur elle-même. Le moment cinétique de rotation du système Terre/Lune devant rester constant, ce ralentissement de la rotation terrestre doit s'accompagner d'un éloignement de la Lune (éloignement bien réel que l'on mesure voisin de 3 à 5 cm/an depuis qu'on a déposé des réflecteurs laser sur la Lune à partir de 1969). Si on remonte le temps, la Lune devait donc tourner très près de la Terre. Tout cela était connu de manière qualitative (mais non quantitative) au 19ème siècle.

Tir laser en direction de la Lune depuis l'observatoire du plateau de Calern (Alpes Maritimes)

Figure 2. Tir laser en direction de la Lune depuis l'observatoire du plateau de Calern (Alpes Maritimes)

En plaçant un puissant laser au foyer d'un télescope, en visant un des cinq réflecteurs laser déposés sur la Lune entre 1969 et 1973, et en mesurant avec précision le temps aller-retour de la lumière, on peut mesurer la distance Terre-Lune avec une précision centimétrique. En répétant cette mesure régulièrement depuis 1969, on peut mesurer la variation de la distance Terre-Lune, qui s'accroit en moyenne de 3 à 5 cm/an.


La masse volumique de la Lune, faible, est voisine de celle des roches silicatées qu'on trouve à la surface de la Terre (2700 < ρ < 3300), et bien inférieure à celle du noyau dense que l'on savait exister au centre de la Terre.

Avec d'autres astronomes, George Darwin (1845–1912), l'un des fils du célèbre Charles Darwin, proposa donc que la Lune soit un morceau de la Terre. En rotation très rapide en ces temps anciens, la force centrifuge aurait arraché un morceau de la surface terrestre, morceau qui se mit en orbite autour de la Terre. George Darwin proposa même que l'océan Pacifique (dont on ignorait tout de l'âge et de la nature) soit la « cicatrice » de cet arrachement.

Si elle explique bien la faible masse volumique de la Lune, cette hypothèse n'explique pas que l'orbite de la Lune ne soit pas dans le plan de l'équateur terrestre, ni le très fort moment cinétique de la Lune par rapport à celui de la Terre.

Origine de la Lune selon la théorie de la fission

Formation simultanée

La deuxième famille d'hypothèses est celle de la « formation simultanée ». Lors de l'accrétion à l'origine des planètes telluriques, une grosse masse de poussières s'aggloméra pour former la Terre alors qu'une plus petite s'accréta dans son voisinage, les deux masses orbitant autour de leur centre de gravité commun. Cette hypothèse ne pose pas de problème quant au rapport des masses et des moments cinétiques. Elle explique moins bien la révolution de la Lune hors du plan équatorial de la Terre. Mais elle n'explique pas du tout la différence de masses volumiques. En effet, accrétées dans le même secteur du système solaire à partir des mêmes poussières, Terre et Lune auraient dû avoir la même masse volumique, et la Lune aurait dû avoir une notable proportion de fer, ce qui n'est pas le cas.

Capture

Puisque la Lune n'est pas un fragment arraché de la Terre ni un corps né en même temps en son voisinage, on proposa alors une troisième hypothèse : celle de la capture. Un corps formé dans une autre région du système solaire (ce qui expliquerait la différence de composition chimique et la rareté du fer) serait passé par là et, capturé par la gravité terrestre, il se serait mis en orbite autour d'elle. Des calculs de mécanique céleste montrent que pour que cette capture soit possible, il faudrait que les deux orbites soient très voisines (rayons orbitaux et excentricités voisins). Orbites voisines, cela signifie que le corps capturé se serait accrété à la même distance du Soleil que la Terre. Une même distance au Soleil implique que les poussières à l'origine de la Terre et de la Lune devaient avoir condensé à la même température, donc avoir la même composition chimique, et en particulier la même teneur en fer, ce qui n'est pas le cas.

Juste avant le retour des premiers échantillons par les missions Apollo entre 1969 et 1972, aucune théorie n'expliquait donc correctement la formation de la Lune.

Quelles données nouvelles ont apportées les missions Apollo ?

  • La sismique a confirmé la très petite taille du noyau lunaire.
Structures internes comparées de la Terre et de la Lune

Figure 4. Structures internes comparées de la Terre et de la Lune

Les deux corps ont été représentés avec la même taille pour faciliter les comparaisons (la taille de la Lune a été multipliée par 3,66). Seules ont été représentées les limites chimiques et minéralogiques, sans figurer les limites physiques (température, viscosité…). Ces deux corps possèdent une croûte constituée principalement de silicates légers, surtout des feldspaths. La croûte lunaire est plus épaisse (60 à 100 km) que la croûte terrestre (6 à 35 km). Les croûtes surmontent un manteau riche en minéraux ferro-magnésiens (olivine et pyroxène). Au centre, il y a le noyau, principalement composé de fer. Densité globale, moment d'inertie, sismique…, tout montre que le noyau de la Lune est relativement beaucoup plus petit (20% du rayon, 0,8% du volume) que celui de la Terre (54% du rayon, 15% du volume). Par rapport à la Terre, la Lune est très appauvrie en fer.


  • La datation radiochronologique des échantillons lunaires les plus âgés et l'extrapolation de leur âge suggèrent que la Lune est légèrement plus jeune la Terre, mais de quelques dizaines de millions d'années seulement.
  • La datation d'autres échantillons montre que les très nombreux cratères d'impact, cratères connus depuis Galilée, sont très anciens (≥ 3,9 Ga). Le système solaire précoce a été parcouru de très nombreux corps de plusieurs dizaines voire centaines de kilomètres de diamètre. Terre et Lune sont nées au sein d'un véritable gymkhana cosmique.
Le bassin de la Mare orientale sur la Lune (diamètre de 950 km)

Figure 5. Le bassin de la Mare orientale sur la Lune (diamètre de 950 km)

Ce cratère d'impact est l'un des plus récents témoins des 600 millions d'années du gymkhana cosmique qui a accompagné la formation du système solaire.


  • L'analyse isotopique des échantillons lunaires, en particulier des isotopes de l'oxygène et du titane, montre que la Lune et la Terre sont étrangement similaires, alors que d'autres corps (Mars, la majorité des météorites…) sont isotopiquement différents.
Récolte d'échantillons lunaires par John Young, de la mission Apollo 16

Figure 6. Récolte d'échantillons lunaires par John Young, de la mission Apollo 16

C'est grâce à ces collectes d'échantillons qu'on a pu faire des analyses chimiques et isotopiques nombreuses et poussées, qui apportent de précieuses données quant à l'origine de la Lune.


Diagramme comparant les compositions isotopiques de l'oxygène entre la Terre, la Lune, Mars, et divers météorites

Figure 7. Diagramme comparant les compositions isotopiques de l'oxygène entre la Terre, la Lune, Mars, et divers météorites

La composition isotopique se mesure en unité δ, qui représente le rapport isotopique isotope lourd/isotope léger de l'échantillon normé à un standard, ici le SMOW. Les processus physiques et chimiques fractionnent les isotopes proportionnellement à leur différence de masse, donc deux fois plus le 18O que le 17O par rapport au 16O. Dans un tel diagramme, tous les échantillons issus d'un même "réservoir" se situent sur une droite de pente 1/2. La droite bleue représente la totalité des échantillons naturels terrestres. Sur ce même diagramme, on a reporté les analyses des météorites martiennes, des météorites issues de Vesta (HED) et de certaines chondrites "ordinaires". Ces échantillons ne se placent pas sur la droite de fractionnement terrestre, car ils proviennent d'un autre réservoir (autre secteur de la nébuleuse pré-solaire). Par contre, tous les échantillons lunaires sont situés sur la droite de fractionnement terrestre, ce qui suggère qu'ils proviennent soit d'un réservoir isotopiquement semblable à la Terre, soit plus probablement de la Terre elle-même.


  • Les analyses chimiques élémentaires des roches magmatiques lunaires montrent que les silicates de la Lune ont une composition chimique voisine de celle du manteau terrestre, à une différence notable près : par rapport au manteau terrestre, la Lune est considérablement appauvrie en éléments ou composés relativement volatils (à basse température de vaporisation), en particulier le potassium. À l'opposé, la Lune est enrichie en éléments réfractaires (à haute température de vaporisation), en particulier l'uranium et le thorium.
Rapports potassium/uranium dans différentes roches du système solaire

Figure 8. Rapports potassium/uranium dans différentes roches du système solaire

Dans les processus magmatiques (fusion, cristallisation, différenciation…), le potassium et l'uranium ont le même comportement ; ils sont enrichis ou appauvris de la même façon. Les processus magmatiques qui enrichissent (ou appauvrissent) en potassium font la même chose pour l'uranium, et le rapport K/U reste constant (environ 1,5.104 pour la Terre).

Sur la Lune, les roches magmatiques présentent aussi une grande variété de teneur en potassium, et leur rapport K/U reste constant. Mais les roches lunaires ont un rapport K/U plus faible (≈ 2.103) que la Terre (≈ 1,5.104). Comme ce ne sont pas des processus magmatiques qui ont "trié" le potassium par rapport à l'uranium, c'est que la Lune a un rapport K/U environ 7 à 10 fois inférieur à celui de manteau terrestre. Quelle que soit l'origine de la Lune, elle devra expliquer cette déficience en potassium. Ce résultat d'analyse d'échantillons fut confirmé grâce aux mesures des rayons γ issus de la surface effectuées par la sonde en orbite Lunar Prospector, le potassium (du moins son isotope 40K) et l'uranium étant tous deux des émetteurs de rayons γ.


  • Les analyses des terres rares (en particulier l'europium) dans les échantillons de la croûte anorthositique et dans les basaltes (issus du manteau) montrent que la quasi-totalité de la Lune fut fondue (théorie de l'« océan magmatique »). La croûte anorthositique provient de la ségrégation (par flottaison) des plus légers des silicates, les feldspaths, qui ont cristallisé lors du refroidissement de cet océan ; le manteau tire son origine de l'accumulation par gravité des minéraux ferro-magnésiens plus denses.

L'hypothèse de l'impact

Face aux impossibilités des trois hypothèses classiques et aux données nouvelles venues des missions Apollo, deux équipes (William K. Hartmann et Donald R. Davis d'une part, et Alistair G. W. Cameron et William R. Ward d'autre part) proposèrent à la fin des années 1970 que la Lune soit le résultat d'un choc tangentiel entre deux planètes déjà différenciées (fer concentré dans le noyau, surmonté d'un manteau silicaté) : la Terre et Théia (du nom de la Titanide qui aurait engendré la Lune selon la mythologie grecque), gros corps qui orbitait aussi dans le plan de l'écliptique.


Ce choc aurait presque complètement fragmenté Théia et aurait arraché de gros fragments de manteau terrestre. Le noyau de Théia serait "parti" (au loin dans le système solaire, ou aurait chuté sur la Terre et s'y serait incorporé). Des fragments des manteaux de Théia et de la Terre, portés à très haute température par le choc, auraient perdu leurs volatils et se seraient enrichis en réfractaires. Ils se seraient mis en orbite autour de la Terre (dans le plan de l'écliptique), se seraient accrétés et auraient formé la Lune, à une distance assez proche de la Terre (plus proche que maintenant).

Image d'artiste montrant les fragments de Théia et du manteau terrestre en orbite autour de la Terre en train de se ré-accréter pour former la Lune

Figure 10. Image d'artiste montrant les fragments de Théia et du manteau terrestre en orbite autour de la Terre en train de se ré-accréter pour former la Lune

L'artiste a figuré des nuages sur la face de la Terre éclairée par le soleil (à gauche). Il a voulu figurer par là que l'impact de Théia a complètement vaporisé les éventuels océans qui, peut-être, recouvraient déjà la Terre. Il a figuré la face nocturne (à droite) en rouge, indiquant par là que les nuages sont éclairés par en dessous par la surface terrestre rendue incandescente par l'énergie apportée par l'impact. L'artiste a également figuré l'incandescence des fragments qui vont se rassembler dans l'année qui vient pour constituer la Lune. Par rapport au dessin original, j'ai rajouté l'axe des pôles et l'équateur de la Terre, indiquant que les fragments à l'origine de la Lune sont situés approximativement dans le plan de l'écliptique, et non dans celui de l'équateur de la Terre.


Ce scénario qualitatif fut testé par des simulations informatiques qui en montrèrent la possibilité et la réalité potentielle. Ces simulations détaillèrent les caractéristiques (masse, vitesse, orbite…) à donner à Théia pour former le système Terre-Lune tel qu'il est. Elles précisèrent les « destins » relatifs des fragments de manteau de Théia et de la Terre et du noyau de Théia. Par exemple, les premières simulations indiquaient que la masse de Théia devaient être comprise entre 0,12 et 0,17 masse terrestre, soit une masse voisine de la masse de Mars. Sa vitesse relative avec la Terre devait être inférieure à 4 km/s, et l'angle entre les deux orbites devait être voisin de 45°. Ces premières simulations, ainsi que celles plus élaborées qui suivirent montrent toutes que le noyau de Théia retomba sur Terre et s'y incorpora. Toutes montrent que la Lune est constituée d'une part significative du manteau de Théia. Toutes montrent que la ré-accrétion fut un phénomène très rapide, qui se chiffre en années et non en milliers ou millions d'années et que cette ré-accrétion engendra une Lune très majoritairement fondue. Bref, on arrivait à coup de simulations informatiques à « refaire » un système Terre-Lune compatible avec tous les observables actuellement à notre disposition.

Exemple d'une simulation informatique illustrant la formation de la Lune par un impact avec Théia

Figure 11. Exemple d'une simulation informatique illustrant la formation de la Lune par un impact avec Théia

Les différents stades de l'hypothèse d'un impact par Théia : fragmentation de Théia, éjection des fragments du manteau terrestre, de Théia amputé d'une bonne partie de son manteau sur la Terre, nouvelle éjection de fragments terrestres, accrétion de ces fragments pour former la Lune

La première image montre l'instant initial de l'impact, la taille relative des deux corps et l'angle entre le mouvement de Théia (en haut) et l'orbite de la Terre (en bas). Sur la douzième image, la Lune (flèche blanche) est déjà presque constituée. Une année à peine s'est écoulée entre la première et la dernière image. La Lune s'est formée relativement près de la Terre, et va s'éloigner sous l'action des marées pour atteindre les 384 000 km actuels.


Les inconnues qu'il reste à résoudre

La Lune montre de grandes similitudes chimiques et isotopiques avec le manteau terrestre. Or, toutes les simulations incorporent une part notable du manteau de Théia dans la Lune, ce qui oblige à supposer que Terre et Théia étaient chimiquement et isotopiquement très voisines, ce qui est pour le moins "étrange". Pour expliquer cette similitude, certains n'hésitent pas à proposer que Terre et Théia étaient initialement des planètes co-orbitales. Théia aurait été située sur un des points de Lagrange L4 ou L5 de la Terre et en aurait été délogé par des perturbations dues aux autres corps du système solaire. Par ailleurs, cette similarité isotopique n'est pas totale, par exemple en ce qui concerne les isotopes du tungstène. Alors ?

Autre inconnue, l'âge du choc. Les premières datations des échantillons des anorthosites lunaires donnaient un âge très proche de 4,568 Ga (âge des plus anciens condensats incorporés dans certaines météorites, pris conventionnellement comme âge du système solaire). Des simulations de la durée de cristallisation d'un océan magmatique montre qu'il s'agit d'un phénomène géologiquement très bref (≈1 Ma). L'âge des anorthosites donneraient donc l'âge de la Lune à 1 million d'années près. D'autres datations très récentes (Lars et al., Nature, 2011) donnent un âge de cristallisation des anorthosites (ou du moins de certaines d'entre elles) de 4,4 Ga, donc 150 Ma après la formation du système solaire. Le problème reste entier.

La pierre de la Genèse, échantillon d'anorthosite lunaire

Figure 12. La pierre de la Genèse, échantillon d'anorthosite lunaire

Il s'agit d'une roche quasi-exclusivement constituée de feldspath plagioclase. Juste après son retour sur Terre (en 1971), cette roche a été datée à -4,5 Ga, ce qui en faisait l'échantillon le plus vieux du système solaire (hors météorites, et c'est pour cela que cet échantillon a été nommé pierre de la Genèse), et donnait à la Lune un âge supérieur ou égal à ce chiffre. Ce serait un fragment de la croûte lunaire profonde, fragment contemporain (à 1 million d'année près) de la formation de la Lune, et remonté à la surface il y a 3,9 Ga par l'impact d'Imbrium. De nouvelles datations proposent un âge plus récent (4,4 Ga, voire moins) à certains échantillons d'anorthosite, ce qui remet en question cette interprétation classique, ou qui rajeunit l'âge de la Lune et donc de l'impact de Théia. Affaire à suivre !


Conclusion

L'hypothèse de l'impact est donc celle qui, en 2012, explique le mieux la majorité des données à notre disposition. Mais il reste des questions. Ces questions posent entre autres le problème de l'échantillonnage. Les échantillons Apollo ont été prélevés en surface, et leur composition isotopique a pu être perturbée par le bombardement des micro-météorites et par le rayonnement cosmique. D'autre part, tous ces échantillons ont été prélevés dans un secteur assez limité de la Lune (relativement près du centre de la face visible), et ne sont peut-être pas parfaitement représentatifs.

La conclusion est évidente, il faut organiser de nouvelles campagnes de prélèvements d'échantillons lunaires, avec des prélèvements à la fois sous la surface et sur la face cachée. Affaire à suivre !

La lune au-dessus de l'atmosphère terrestre photographiée depuis l'ISS le 8 janvier 2012

Figure 13. La lune au-dessus de l'atmosphère terrestre photographiée depuis l'ISS le 8 janvier 2012

Outre son côté esthétique certain, cette photo pose le problème de l'origine de l'atmosphère et de l'hydrosphère de la Terre. Traditionnellement, on proposait que l'atmosphère et l'hydrosphère terrestres soient issues d'un dégazage de la Terre lors de sa différenciation, différenciation contemporaine de son accrétion. Selon cette hypothèse, l'atmosphère et l'océan de la Terre existaient donc déjà lors du choc avec Théia. Or, un tel choc a dû éjecter dans l'espace la quasi-totalité des gaz et de l'eau terrestres de l'époque. La résolution de la question de l'origine de la Lune pose donc une autre question, celle de l'origine de l'atmosphère et des océans terrestres. C'est l'une des raisons pour lesquelles on propose maintenant que l'eau et les autres volatils de la Terre actuelle n'aient pas été amenés sur Terre avec les planétésimaux qui l'on formée, mais par un bombardement tardif (de comètes ou d'astéroïdes riches en volatils), bombardement postérieur à la collision avec Théia.


Origine... de cet article

Cet article a été rédigé à la demande du CLEA pour paraitre dans sa revue trimestrielle Les Cahiers Clairaut, pour le numéro 139 de septembre 2012 largement consacré à la Lune. L'article présenté ici correspond à une version légèrement plus longue, du fait d'absence de contraintes éditoriales.