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Article | 01/07/2004

Observations martiennes de surface et de sub-surface par la sonde Mars Express

01/07/2004

Pierre Thomas

ENS de Lyon - Laboratoire des Sciences de la Terre

Emmanuelle Cecchi

Florence Kalfoun

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Objectifs et premiers résultats de Mars Express, sonde européenne (ESA), en orbite autour de Mars.


Il y a toujours trois sondes qui travaillent sur ou autour de Mars : les rovers Opportunity et Spirit (NASA) et Mars Express (ESA). Que dire de Mars Express, l'oubliée des médias ?

Mars Express en orbite autour de Mars

La mission de Mars Express

L'orbiteur de Mars Express est en ordre de marche. Les grands médias parlent peu de ce que fait cette sonde, car les grands médias ont cru, à tort, que la mission Mars Express ne comportait qu'un atterrisseur, Beagle. Et si Beagle a échoué dans sa tentative de se poser en douceur, le reste de la mission fonctionne bien. De plus, l'ESA a une politique de communication bien différente de celle de la NASA : elle attend, avant de faire des annonces et de communiquer des résultats partiels et préliminaires, que ceux-ci donnent lieu à des publications scientifiques, plusieurs mois après l'obtention des résultats préliminaires.

La mission Mars Express comportait huit expériences.

  • Un "petit" atterrisseur, Beagle, qui s'est écrasé sur la planète.
  • Trois instruments-expériences, surtout destinés à l'étude de l'atmosphère et de l' environnement ionisé martien :

    • SPICAM Ultraviolet and Infrared Atmospheric Spectrometer surtout dédié à l'analyse de l'O3, de la vapeur d'H2O et de leur répartition…
    • Planetary Fourier Spectrometer (PFS) surtout dédié à l'étude de la répartition du CO2 atmosphérique ;
    • ASPERA Energetic Neutral Atoms Analyser destiné à étudier l'interaction entre la haute atmosphère et le vent solaire.
  • Quatre instruments-expériences s'intéressant principalement à la surface solide et à la sub-surface de Mars, qui intéressent donc particulièrement les géologues. Ce sont MaRS" (Mars Radio Science Experiment), "MARSIS" (Sub-Surface Sounding Radar Altimeter), "OMEGA" (Visible and Infrared Mineralogical Mapping Spectrometer), et "High Resolution Stereo Camera"(HRSC).

Les quatre expériences sur la surface solide et sub-surface de Mars

À quoi sont destinées ces 4 expériences, et quels sont leurs résultats déjà publiés ?

Toutes les images "martiennes" de ce dossier proviennent du site de l'ESA. Le gestion particulière des images fait que les pages proposant les images changent d'url à chaque nouvelle arrivée de données, il faut donc parcourir le catalogue d'images (dont l'adresse change aussi parfois) ou utiliser le moteur de recherche pour retrouver les clichés proposés.

MaRS, Mars Radio Science Experiment

MaRS s'occupera "à part égale" du Mars "solide" et de son atmosphère. MaRS étudiera la trajectoire exacte de la sonde, ce qui permettra de faire une carte gravimétrique de Mars. Elle mesurera la rugosité de la surface (réflectivité de cette surface aux ondes radio), et "sondera" la haute atmosphère et l'ionosphère de Mars.

MARSIS, Sub-Surface Sounding Radar Altimeter

Il s'agit d'un radar, consistant en deux antennes de 20 m chacune, qui enverront des ondes radar vers la surface de Mars. La longueur d'onde émise a été choisie pour que ces ondes pénètrent jusqu'à quelques kilomètres de profondeur dans le sol et le sous-sol et soient partiellement réfléchies par des interfaces profondes du genre "roches sèches / roches glacées", ou "roches glacées / roches imbibées d'H2O liquide"… C'est l'expérience la plus ambitieuse et la plus originale de la mission, et elle devrait permettre de quantifier la quantité d'H2O présente dans les premiers kilomètres superficiels de Mars. Le déploiement de ces deux antennes de 20 m chacune étant très délicat pour l'ensemble de la sonde, l'ESA a décidé de ne l'effectuer qu'une fois que le reste de la mission aura été achevé.

OMEGA, Visible and Infrared Mineralogical Mapping Spectrometer

Il s'agit d'une caméra sensible aux rayonnements électromagnétiques entre 0,5 µm (visible) et 5,2 µm (IR). C'est dans cette gamme spectrale que se trouvent les raies d'absorption/émission de la majorité des composés naturels (silicates, carbonates, glaces…). Oméga va ainsi réaliser une carte minéralo-chimique de l'ensemble de la surface, avec une résolution de 100 m. OMEGA étudiera aussi l'absorption de l'atmosphère dans cette gamme de longueurs d'ondse.

C'est avec OMEGA que la cartographie de la calotte résiduelle Sud pendant l'été austral a pu être réalisée (et publiée) au début de cette année, montrant la coexistence de glace d'H2O et de CO2 dans cette calotte résiduelle estivale.

La figure suivante montre en fait trois photographies :

  • à droite, une photographie prise dans le visible ;
  • au centre, une photographie prise avec une longueur d'onde IR particulière, qui montre la quantité de glace de CO2 (bleu très foncé : glace de CO2 quasi pure - rouge : pas de glace de CO2 - bleu clair, vert et jaune : quantités intermédiaires) ;
  • à gauche, une photographie prise dans une longueur d'onde IR particulière, qui montre la quantité de glace d'H2O, (bleu très foncé : glace d'H2O pure - rouge : pas de glace d'H2O - bleu clair, vert et jaune : quantités intermédiaires).
Photographies d'une même zone de Mars prises à différentes longueurs d'ondes

Figure 2. Photographies d'une même zone de Mars prises à différentes longueurs d'ondes

À droite : domaine du visible. Au centre : longueur d'onde permettant de visualiser en bleu foncé la glace de CO2 quasi pure et en rouge les zones dépourvues de glace de CO2. À gauche : longueur d'onde particulière permettant de mettre en évidence la glace d'H2O (bleu foncé : zone riche en glace d'H2O ; rouge : zone dépourvue de glace d'H2O). Les couleurs bleu clair, vert et jaune correspondent à des quantités intermédiaires. Photographie du 18/01/2004.


La figure suivante montre, sur une photographie de la calotte principalement faite de CO2 (couleur rosée), la répartition de la glace d'H2O (couleur bleue quand elle est pure, ou verdâtre quand elle est impure). La figure d'après est une carte de la répartition de cette glace d'H2O obtenue à partir de telles images : le bleu très foncé indique la présence de glace d'H2O pure et le rouge l'absence de glace d'H2O.

Carte du pôle Sud de Mars obtenue à partir d'une image infra-rouge de la caméra OMEGA

Figure 3. Carte du pôle Sud de Mars obtenue à partir d'une image infra-rouge de la caméra OMEGA

En rose pâle : zones riches en CO2. En bleu et vert : zones riches en glace d'H2O et pauvres en CO2.


Carte globale de la répartition de l'eau au pôle Sud de Mars

Figure 4. Carte globale de la répartition de l'eau au pôle Sud de Mars

Les zones bleues sont riches en glace d'eau, les zones rouges en sont dépourvues.


On voit donc que l'essentiel de la surface de la calotte martienne résiduelle Sud est principalement recouvert de glace CO2 (y a-t-il de la glace d'H2O en dessous ?), mais que sa périphérie est constituée de glace d'H2O quasi pure. On savait depuis longtemps que la calotte polaire résiduelle Sud était riche en CO2, parce que sa température estivale était "tamponnée" à -125°C, température de sublimation de la glace carbonique pour cette gamme de pressions. Son inertie thermique laissait penser que cette glace carbonique était associée à de la glace d'H2O. Mais on n'en avait pas la preuve directe (contrairement à la calotte Nord). Très probablement donc, la calotte Sud est constituée d'un mélange (ou d'une superposition) glace de CO2 / glace d'H2O. À sa périphérie, pendant les "chaudes" journées estivales, la glace carbonique se sublime complètement, laissant à nu la glace d'H2O.

HRSC, High Resolution Stereo Camera

Avec cette HRSC, Mars Express va photographier en couleur et en stéréo (possibilité de reconstituer des images 3D) l'ensemble de la planète avec une résolution de 10 m. Certaines régions sélectionnées seront même imagées avec une résolution de 2 m. Pour l'instant, la NASA n'a jamais effectué une couverture aussi complète de Mars, avec cette résolution, en couleur et en 3D. L'ESA a décidé de publier une de ces très belles images chaque semaine. Nous en commenterons les plus instructives, géologiquement parlant, au fur et à mesure de leur publication.

Voici, pour vous allécher, les possibilités scientifiques qu'offre cet instrument, sans oublier le côté esthétique des reconstitutions 3D.

Observations d'Olympus Mons

L'exemple choisi est celui du très célèbre volcan de 25 km de hauteur et 600 km de diamètre, le plus haut du système solaire. La figure suivante montre une mosaïque d'images Viking couvrant l'ensemble du volcan. Pour ce volcan, deux points sont très spectaculaires et/ou énigmatiques :

  • le système de caldeiras sommitales, figure classique pour les volcans "hawaiens", mais extraordinairement développé au sommet d'Olympus Mons,
  • un escarpement basal, d'environ 5 km de haut, et qui fait le tour complet du volcan, qui est, lui, fort énigmatique.

Le système de caldeiras sommitales

Voici trois images Mars Express des caldeiras, l'une en vue verticale, une deuxième en vue oblique peu inclinée, et la troisième en vue oblique très inclinée.

Caldeiras sommitales d'Olympus Mons, Mars

Figure 6. Caldeiras sommitales d'Olympus Mons, Mars

Vue verticale du complexe de caldeiras sommitales. L'altitude moyenne est de 22 km etla profondeur de la caldeira de 3 km. Le Sud est au sommet de l'image.


Caldeiras sommitales d'Olympus Mons, Mars

Figure 7. Caldeiras sommitales d'Olympus Mons, Mars

Vue en perspective des caldeiras. L'image fait 102 km de large, l'exagération verticale est de 1,8. Le Sud est au sommet de l'image.


Caldeiras sommitales d'Olympus Mons, Mars

Figure 8. Caldeiras sommitales d'Olympus Mons, Mars

Vue en perspective de la partie Sud de la caldeira du Mont Olympe. L'image fait 40 km de large, l'exagération verticale est de 1,8. Le Sud est au sommet de l'image.


On y voit un système de cinq caldeiras emboîtées, qui ne sont pas sans rappeler les caldeiras sommitales du Mauna Kea à Hawaii.

Caldeiras sommitales du Mauna Kea à Hawaii

Ces caldeiras ont vraisemblablement pour origine la vidange d'un réservoir magmatique superficiel (interne à l'édifice volcanique), vidange suivie de l'effondrement partiel du toit du réservoir. Il y aurait eu, pour Olympus Mons, cinq vidanges successives, sans doute entrecoupées de ré-alimentations et de légères migrations.

L'examen détaillée de la paroi montre un glissement de terrain, dont la morphologie n'est pas sans rappeler ce que l'on voit sur les flancs de Valles Marineris. Or de tels glissement sont classiquement interprétés comme le résultat d'avalanches "humides" (voir les figures de l'article sur l'eau sur Mars, rigoles et avalanches "humides"). La présence d'H2O dans le sol de mars à 25 km d'altitude aurait des implications extraordinaires. Étudier en détail la morphologie de ce glissement pour en comprendre l'origine s'impose donc.


Glissement sur les flancs de Valles Marineris interprété comme résultant d'avalanche humide

L'escarpement périphérique

L'origine de cet escarpement est très mal compris. Les seules structures analogues sur Terre se font lors d'éruption sous-glaciaires. La figure suivante montre un tel volcan terrestre : l'Herdubreid, en Islande. Toute la base (plus ou moins cylindrique, aux éboulis près) correspond à l'édifice sous glaciaire. Bloquées latéralement par la glace, les laves n'ont pu s'écouler et, au lieu de croître avec la morphologie classique d'un cône surbaissé, le volcan a crû en formant un cylindre. Quand ce cylindre a dépassé en hauteur l'épaisseur de la calotte glaciaire, les éruptions ont bâti un édifice classique qui surmonte le cylindre. Une telle interprétation impliquerait qu'Olympus Mons soit entré en éruption sous une calotte glaciaire de …5000 m d'épaisseur, ce qui est assez difficilement envisageable. Comprendre l'origine de cet escarpement sera donc d'un intérêt capital et pour cela, un examen détaillé de cet escarpement s'impose.

Le volcan Herdubreid en Islande

Ci-dessous, trois photographie de cet énigmatique escarpement martien basal. À défaut de comprendre l'origine de cet escarpement, on voit très bien, notamment sur la troisième image, l'empilement des coulées basaltiques.

Escarpement basal du volcan Olympus Mons, Mars

Figure 13. Escarpement basal du volcan Olympus Mons, Mars

Vue en carte d'une section de l'escarpement basal située au Nord-Ouest d'Olympus Mons.


Escarpement basal du volcan Olympus Mons, Mars

Figure 14. Escarpement basal du volcan Olympus Mons, Mars

Vue en perspective du flanc Ouest de l'escarpement entourant Olympus Mons. Le dénivelé entre la plaine et le haut de l'escarpement est de 7000 m..


Escarpement basal du volcan Olympus Mons sur Mars

Figure 15. Escarpement basal du volcan Olympus Mons sur Mars

Vue de détail de la partie centrale de la figure précédente.


Avec de telles images, les morpho-volcanologues vont pouvoir s'en donner à cœur joie quand ils auront accès à la totalité des vues hautes résolution sur les 2000 km de longueur de cet escarpement !