Article | 17/10/2004
Du méthane sur Mars, des fentes de dessiccation et des sédiments dans Gusev
17/10/2004
Résumé
La sonde Mars Express fournit un spectre de l'atmosphère de Mars qui indique la présence de méthane et cartographie la teneur en vapeur d'eau juste au-dessus du sol martien. Le robot Opportunity observe des structures ressemblant à des fentes de dessiccation sur des rochers du cratère Endurance. Spirit observe à la fois des roches litées et des basaltes altérés sur l'un des sommets des Columbia Hills.
Table des matières
Août et septembre ont été des mois peu riches en nouvelles intéressantes sur Mars ; mais en octobre, de nouveaux résultats "tombent ", et il est temps de refaire le point sur les trois sondes en activité.
Mars Express
Fidèle à sa politique, l'ESA ne délivre ses données et interprétations préliminaires qu'au compte goutte. Elle nous donne environ une photographie par semaine. En fait, elle en fournit plus car la même région nous est présentée en noir et blanc, en couleur, en relief et perspective, avec des vues sous différents angles…
Voici, tout d'abord, une sélection de quelques images du champ de failles de Claritas Fossae.
Pour d'autres images, consulter ce lien.
Source - © 2004 ESA/DLR/FU Berlin (G. Neukum), id=SEM3P61XDYD | Source - © 2004 ESA/DLR/FU Berlin (G. Neukum), id=SEM6V61XDYD |
Source - © 2004 ESA/DLR/FU Berlin (G. Neukum), id=SEMPG61XDYD | Source - © 2004 ESA/DLR/FU Berlin (G. Neukum), id=SEMES61XDYD |
En plus de ses photographies "hebdomadaires", l'ESA a publié deux résultats scientifiques très intéressants obtenus grâce au Planetary Fourier Spectrometer (PFS).
Le premier concerne un spectre indiquant la présence de méthane (CH4) dans l'atmosphère (35ppbv au maximum, ppbv = partie volumique par milliard).
Source - © 2004 ESA/ASI/PFS team, id=SEMGS01XDYD
La présence de méthane dans l'atmosphère de Mars pose un problème majeur car le méthane est détruit par les UV solaires. Une quantité égale à la quantité actuellement présente devrait avoir complètement disparu en quelques siècles. Si donc il y a du méthane aujourd'hui, c'est qu'il y a un processus géologique (ou autre) qui en fabrique en permanence.
Sur Terre, il y a quatre origines principales pour le méthane atmosphérique.
Les bactéries méthanogènes, qui font une fermentation produisant du méthane (ex : C6H12O6 → 3 CH4 + 3 CO2). On trouve principalement ces bactéries dans les sédiments anoxiques riches en matière organique et dans les intestins des ruminants et des termites.
Il y a également des bactéries chimiolithotrophes qui produisent de l'énergie chimique (énergie de l'oxydation par H2O du Fe2+ des silicates en Fe3+, énergie utilisée ensuite pour leurs synthèses, comme les êtres phototrophes utilisent la lumière) ; elles produisent en même temps du méthane comme sous-produit (comme les êtres phototrophes produisent de l'O2) :
8FeO + 2H2O + CO2 → 4Fe2O3 + CH4 + énergie chimique.
De telle bactéries vivent dans les roches profondes, jusqu'à 2 à 3 km de profondeur, aussi bien dans la croûte continentale qu'océanique.
- La diagenèse et le cracking thermique de grosses molécules organiques qui se produit lors de la maturation de la matière organique des sédiments et de la formation des charbons, pétroles et autres roches sédimentaires et/ou métamorphiques riche en C réduit. Ce cracking s'accompagne d'une libération de méthane, libération concentrée (le grisou des mines de charbon, le méthane des « fontaines ardentes » et autres puits naturels enflammés), ou libération extrêmement diffuse.
La "déstabilisation" des clathrates. En présence d'H2O, et dans une certaine gamme de pression et de température, l'eau réagit avec le méthane pour donner une glace, de formule (CH4)1 (H2O)n.
La figure ci-dessous montre ce diagramme de phase (clathrates stables au-dessus et à gauche de la courbe, instable et se décomposant en H2O et CH4 en dessous à droite de cette courbe). Sur Terre, les clathrates sont stables dans deux sites privilégiés : dans les sols très froids (T< -20°C) gelés en permanence en Sibérie, Alaska…, et dans les sédiments en contrebas des talus continentaux sous plus de 1000 m de profondeur (P > 10 MPa, T< 10°C). Ce méthane a été produit (avant son accumulation sous forme de clathrates) par des bactéries méthanogènes vivant sous ces milieux froids (T plus élevée à cause du degré géothermique), ou alors il s'agit d'un dégagement diffus d'origine diagénétique. Il s‘accumule sous forme de glace dans les sols et/ou sédiments. Une subsidence (réchauffement) des sédiments, un réchauffement-fonte du pergélisol… déstabilisent les clathrates et libèrent le méthane dans l'atmosphère.
Libération de méthane d'origine volcanique.
Sur Terre, le méthane est un composant très mineur, mais présent dans les gaz volcaniques, à côté d'H2O, CO2, SH2… très largement majoritaires.
Sur ces quatre origines du méthane terrestre, une est purement abiotique (le volcanisme), une est purement biologique (bactéries méthanogènes), et les deux autres (diagenèse et clathrates) sous-entendent une activité biologique, plus ou moins ancienne.
Qu'en est-il sur Mars ? On peut exclure une activité biologique superficielle de nos jours (T= -40°C en moyenne, pas de possibilité d'eau liquide). Il ne reste donc que 5 hypothèses : (1) un volcanisme non complètement éteint, (2) une vie "profonde" actuelle, (3) une maturation profonde de matière organique (qui implique une vie passée), (4) une déstabilisation de clathrates (mais d'où viendrait ce méthane "fossile", si ce n'est des hypothèses 1, 2 et 3) ou (5) un processus purement martien sans équivalent terrestre. Si une des quatre premières hypothèses s'avérait correcte, ce serait un résultat scientifique formidable.
L'ESA a publié un autre résultat très intéressant, la carte de la teneur en vapeur d'H2O juste au-dessus du sol.
Source - © 2004 ESA/ASI/PFS team, id=SEMPR01XDYD
Et l'ESA a indiqué qu'il y avait un parallélisme entre la teneur en CH4 et H2O dans l'atmosphère martienne (voir le compte rendu de presse du 20 septembre 2004) sans indiquer si ce parallélisme concernait la teneur globale de l'atmosphère ou seulement celle au niveau du sol. Ce parallélisme eau/méthane renforce l'hypothèse "clathrate", la déstabilisation des clathrates libérant alors vapeur d'eau et méthane.
Il est dans l'état actuel des données disponibles impossible d'aller plus loin. Mais le sujet du méthane martien est prometteur, et est à creuser.
Opportunity
Depuis le 22 juillet, date de notre dernière chronique martienne, qu'a publié la NASA sur les activités d'Opportunity ?
La NASA a publié deux "cartes" du trajet d'Opportunity autour et dans le cratère Endurance.
Source - © 2004 NASA/JPL/Cornell/OSU/MSSS | Source - © 2004 NASA/JPL/Cornell |
En chemin, il a fait des séries de forages-polissages et d'analyses, en donnant des "noms" à chaque site d'analyse.
Source - © 2004 NASA/JPL/Cornell | Source - © 2004 NASA/JPL |
Source - © 2004 NASA/JPL/Cornell/Max Planck Institute |
En continuant sa descente, Opportunity a regardé les "myrtilles" de près, et a observé que, par endroit, elles étaient remplacées par des structures moins rondes, que les scientifiques de la NASA ont appelées pop corn. En regardant d'encore plus près, il s'avère que ces pop corns sont en fait des "myrtilles" (berries) enrobées, mais enrobées de quoi ?
Source - © 2004 NASA/JPL/Cornell/USGS | Source - © 2004 NASA/JPL/Cornell/USGS |
Puis Opportunity a continué à descendre. Il a atteint le champ de dune du fond du cratère, et a commencé à légèrement s'enliser dans le sable.
Source - © 2004 NASA/JPL/Cornell
Prudemment, la NASA l'a fait battre en retraite vers un sol plus stable.
La NASA s'est mis alors à regarder autour pour se diriger vers des endroits "prometteurs". Elle a choisi de se diriger vers un groupe de roches, sous les falaises de Burns Cliff. En zoomant au maximum, ces roches avaient une allure étrange, dont l'une, Wopmay, que les scientifiques de la NASA ont décrit comme “rock with alien surface”. La surface de Wopmay ressemble, vue de loin, à la surface d'une boule stromatolithique.
Sans trop croire à cette analogie morphologique, trop belle pour être vraie, le robot s'est approché de cet ensemble de roches, avec deux roches très proéminentes : Wopmay au premier plan et Earhart au deuxième plan. Puis il passe à côté d'une roche voisine nommée Escher, sur laquelle on voit le même genre de fentes dessinant un réseau polygonal.
Source - © 2004 NASA/JPL | |
Source - © 2004 NASA/JPL/Cornell | Source - © 2004 NASA/JPL/Cornell |
Pour la première fois, la NASA discute (sur le web) de l'origine de ce réseau de fentes. Elle propose trois hypothèses.
- Des fentes qui se seraient produites lors de l'impact ayant formé le cratère Endurance, hypothèse bien peu probable.
- Des fentes de rétraction due à une déshydratation (fentes de dessiccation) formées in situ dans la roche, avant la formation du cratère (fentes formées juste après le dépôt de la strate, ou au plus à quelques mètres de profondeur sous la surface selon cette hypothèse).
- Des fentes de rétraction-dessiccation formées tardivement, après la formation du cratère, la région ayant subit un tardif épisode d'humidification-dessèchement.
On peut remarquer que la ressemblance avec des figures de dessiccation est tellement frappante que nous avions proposé cette hypothèse dès le 2 mars 2004 (cf. ... y aurait-il des fentes de dessiccation ... dans Meridiani Planum ? )
La NASA décide de ne pas aller jusqu'à Earhart (pente sableuse trop raide), mais Opportunity atteint Wopmay. Ce qui, vu de loin, ressemblait à une surface stromatolithique ressemble beaucoup plus à un réseau de fentes parfois profondes affectant la surface de la roche. La vue de près montre d'ailleurs que Wopmay contient des "myrtilles", et qu'il est donc (vraisemblablement) constitué de nos argiles évaporitiques, avec fente de rétraction-dessiccation.
Source - © 2004 NASA/JPL | Source - © 2004 NASA/JPL/Cornell |
Si les fentes visibles sur Wopmay et Earhart sont bien des fentes de dessiccation comme celles que l'on voit sur Escher et les dizaines d'autres sites similaires, cela pose un problème formidable. En effet, on retrouve ces fentes sur toute la surface des deux rochers, en particulier sur leurs faces verticales. Fentes de dessiccation, ça veut dire assèchement. Sur une dalle plus ou moins parallèle aux strates, cela peut signifier qu'il y a eu un assèchement juste après le dépôt. Cela est tout à fait compatible avec la présence d'évaporites. Mais fentes de dessiccation sur les parois verticales d'un rocher… Cela voudrait dire que cette roche, avec sa forme d'aujourd'hui, a été "mouillée" quand elle avait cette forme, c'est-à-dire après son dépôt, après la formation du cratère Endurance, après l'érosion qui lui a donné cette forme… C'est-à-dire il n'y a pas très longtemps (géologiquement parlant). D'où serait venue cette eau, quand, et pourquoi ? Remontée d'une nappe phréatique, dégel, pluie, rosée… ?
Affaire à suivre donc !
Spirit
Le 22 juillet, nous avions laissé Spirit en cours d'ascension vers un des sommets des Columbia Hills. Il y est arrivé !
La série des trois images suivantes illustrent cette progression entre le 22 juillet et le 17 octobre 2004..
Source - © 2004 NASA/JPL | |
Source - © 2004 NASA/JPL | Source - © 2004 NASA/JPL/Cornell |
Arrivé près du sommet, Spirit étudie des roches qui, vues de près, ressemblent aux basaltes de la plaine en contrebas. Juste à coté de West Spur, il y a un vaste affleurement formant une "dalle", dalle rocheuse appelée Clovis. Après analyse, Clovis s'avère ressembler à Humphrey, basalte typique de la région de Gusev, mais considérablement enrichie en soufre, chlore et brome. Ce serait encore du basalte altéré.
Source - © 2004 NASA/JPL/Cornell | |
Source - © 2004 NASA/JPL | Source - © 2004 NASA/JPL/Cornell/Max Planck Institute |
Même en haut des collines, la composition chimique change d'une roche à l'autre. Par exemple, la roche nommée Ebenezer a des teneurs en Si et K voisines de celles de Clovis. En revanche, elle a une plus forte teneur en Mg et des teneurs plus faibles en Ca et Na. Est-ce de l'altération différentielle, le résultat de différenciations magmatiques ?
Source - © 2004 NASA/JPL/Cornell/Max Planck Institute
Puis Spirit revient sur ses pas, pour aller voir de l'autre côté de la ligne de crête. En regardant vers la gauche du paysage, il semble qu'on devine un litage dans les affleurements.
Source - © 2004 NASA/JPL | |
Source - © 2004 NASA/JPL/Cornell | Source - © 2004 NASA/JPL/Cornell |
En s'approchant, on voit qu'en plus du litage "en grand" visible à l'échelle de l'affleurement, il y a un litage de petite dimension, visible au niveau de certaines roches, dont la roche nommée Tetl.
Source - © 2004 NASA/JPL | Source - © 2004 NASA/JPL/Cornell |
Source - © 2004 NASA/JPL/Cornell | Source - © 2004 NASA/JPL/Cornell/USGS |
À propos de cette roche, la NASA fait le commentaire suivant : “NASA's Mars Exploration Rover Spirit collected data on morphology, composition, and mineralogy of a rock nicknamed "Tetl" using the microscopic imager, the alpha particle X-ray spectrometer, and the Moessbauer spectrometer before moving on. Scientists are discussing a suggestion that this rock outcrop and others on the "West Spur" of the "Columbia Hills" in Gusev Crater on Mars may contain evidence of graded bedding, in which alternate layers of sediment are either coarser or finer depending on the turbulence of the processes that deposited them. Such layers could be deposited by water circulating in rivers or lakes, volcanic ash settling on the surface, wind carrying fine-grained sediments, or a combination of these processes”.
Ce commentaire est très prometteur. Mais comme la NASA n'a pas encore diffusé ses analyses X et Moessbauer, toute discussion sur cette conclusion est délicate.
En revanche, on peut chercher dans les images brutes non commentées, fournies quotidiennement par la NASA ce qui peut faire penser à des sédiments ou des cendres volcaniques présentant des alternances de couches de compétence et de résistance à l'érosion (éolienne) différentes, alternances pouvant être dues à un granoclassement. Voici quelques-unes de ces images.
Source - © 2004 NASA/JPL | Source - © 2004 NASA/JPL/Cornell |
Source - © 2004 NASA/JPL | Source - © 2004 NASA/JPL/Cornell |
Encore une fois, attendons la suite !