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Article | 25/02/2014

La chute de la météorite de Tcheliabinsk (Russie) du 15 février 2013, un an après

25/02/2014

Benoît Seignovert

Étudiant M2, ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Connaissances obtenues sur l'astéroïde de Tcheliabinsk (Chelyabinsk) : trajectoire, énergie, collecte d'échantillons, analyses chimiques et réévaluation du risque météoritique.


Le 15 février 2013, pour la première fois de l'Histoire, une grande ville de plus d'un million d'habitants est directement affectée par la chute d'un objet céleste. Contrairement aux informations relayées trop rapidement dans la presse, les habitants de la ville de Tcheliabinsk n'ont malheureusement pas assisté à une pluie de météores. Ce phénomène très rare s'apparenterait à une pluie d'étoiles filantes dont l'intensité peut dépasser les 1000 météores par heure, sans aucune conséquence matérielle sur les populations, hormis un spectacle grandiose de la combustion de fines poussières dans l'atmosphère terrestre. Non, non, non ! Ce matin du 15 février 2013, à 9h20 (heure locale, 3h20 UTC), ce à quoi les habitants de Tcheliabinsk ont dû faire face, ce n'était pas une pluie météores mais l'entrée d'un unique bolide, venu de la ceinture d'astéroïde et qui, par malchance, a croisé d'un peu trop près la trajectoire de la Terre. Compte tenu de sa taille relativement modeste (20 m), il s'est désintégré lors de son entrée dans l'atmosphère terrestre, créant une violente onde de choc à proximité de la ville de Tcheliabinsk. C'est ce blast (ou effet de souffle), et non directement la météorite, qui est à l'origine de l'ensemble des dégâts enregistrés ce jour-là. Un an après, il est temps de faire un point sur les publications scientifiques parues depuis cet événement qui fut riche d'enseignements.

Note de vocabulaire

Le nom de la ville de Челябинск, en russe, s'écrit Tcheliabinsk en français (sans accent) mais il faut chercher à Chelyabinsk dans la littérature scientifique anglo-saxonne.

Une catastrophe naturelle qui aurait pu passer inaperçue

Localisation de l'étude

Pour situer le contexte, nous sommes en Russie centrale, au pied de l'Oural, pas très loin de la frontière avec le Kazakhstan. La ville de Tcheliabinsk (1,16 million d'habitants en 2013) se situe à 4000 km de Moscou dans une zone assez peu peuplée. Au petit matin du 15 février, peu après 9h, les habitants sont soudainement attirés par une lumière à l'extérieur. S'apparentant à une simple étoile, elle augmente très rapidement en luminosité pour devenir plus lumineuse que le Soleil pendant quelques secondes, avant de disparaître tout aussi vite. Les habitants n'en ont pas encore conscience mais ils viennent d'assister à l'entrée d'un astéroïde dans l'atmosphère terrestre.


Trajectoire du bolide (rouge) et des fragments de la météorite

Figure 2. Trajectoire du bolide (rouge) et des fragments de la météorite

Trajectoire principale en rouge (avec repères d'altitude) et trajectoire finale du fragment principal en orange (impact au point F1, noté aussi Crater). Les points "F" indiquent les points d'impact calculés pour une dizaine de fragments d'après leurs trajectoires (indiquées de couleurs différentes selon l'altitude de séparation) et différents modèles de calcul.




Une traînée visible dans le ciel

Dans les instants qui ont suivi, de nombreuses personnes se sont précipitées dehors avec leurs téléphones portables pour immortaliser la traînée laissée par le bolide. On distingue très clairement la trajectoire suivie par le météore. L'air très violemment chauffé par le passage supersonique du bolide a provoqué une vaporisation instantanée de l'eau présente dans l'atmosphère (l'astéroïde étant lui même faiblement riche en eau). La forme en double rouleaux résulte de la réorganisation spontanée du cylindre de chauffe enserrant la trajectoire [7].

Trace du passage du météore de Tcheliabinsk

Figure 5. Trace du passage du météore de Tcheliabinsk

On distingue la forme en double rouleau de la traînée.

En visionnant la vidéo (téléphone portable) dont l'image est extraite, on notera également l'arrivée du blast vers "0:25", déclenchant les alarmes de voiture.


Traînée double laissée dans l'atmosphère par le passage du météore de Tcheliabinsk

Figure 6. Traînée double laissée dans l'atmosphère par le passage du météore de Tcheliabinsk

On distingue clairement la forme en double rouleau de la traînée.


Des dégâts, des blessés mais pas de morts

Puis, deux à trois minutes plus tard, les gens ont été littéralement projetés au sol, les vitres ont volé en éclats et les alarmes de voitures se sont déclenchées toutes au même instant. Le blast, formé par la désintégration du météore dans l'atmosphère vient de frapper la ville de Tcheliabinsk. Le décalage entre le flash lumineux et l'arrivée de l'onde de choc s'explique de la même manière que le décalage entre la vue d'un éclair et le tonnerre. Si la lumière se propage à environ 300 000 km/s, le son, lui, ne parcourt que 340 m/s. Considérant le trajet de la lumière comme instantané, la distance entre l'éclair (ou le flash lumineux) s'obtient en multipliant le d"calage temporel (en secondes) par 340 pour avoir la distance en mètres... ou, plus simplement, en divisant par trois ce décalage pour avoir une approximation de la distance en kilomètres (3 secondes correspondent environ à un parcours de 1 kilomètre).

Comme le montre bien les vidéos très largement relayées sur YouTube, les habitants ont été surpris et totalement pris au dépourvu. Par chance, on n'a relevé aucun décès. On dénombrera 1210 blessés rien que pour la ville de Tcheliabinsk (soit 0,1% de population). Les rapports effectués par les autorités locales mentionnent que la très grande majorité des blessés l'ont été par des débris de verre (les habitants s'étant précipités à la fenêtre pour voir ce qu'il s'était passé). Les bâtiments n'ont, eux, pas subi de dommages majeurs à l'exception d'une usine de zinc dans le Nord de Tcheliabinsk dont le toit s'est effondré en provoquant un incendie, mais sans faire de blessés. De même, on n'a relevé aucun blessé suite à des accidents de la circulation [7].

On pourra également noter que de tels dégâts auraient été inexistants ou tout au plus qualifiés de mineurs si le météore était tombé dans une zone désertique, dans l'océan ou dans une zone peu peuplée. Cependant cet exemple nous rappelle que nous ne sommes pas du tout à l'abri des rencontres avec des corps célestes mais surtout que même avec un astéroïde de petite taille (ici environ 20 m), les conséquences peuvent être majeures lorsqu'elles frappent des zones urbanisées.

Vidéo amateur tournée juste après le passage du météore

Figure 7. Vidéo amateur tournée juste après le passage du météore

Après l'arrivée du blast principal, on entend de nombreuses détonations successives dues à la fragmentation du météore mais également aux réverbérations sur les bâtiments. On notera également que le caméraman marche sur une importante quantité de morceaux de verre et a eu beaucoup de chance de ne pas être blessé par des éclats de verre.

La vidéo commençant après le flash lumineux, on ne peut pas calculer le décalage flash - onde de choc avec cette vidéo.


Recueil de vidéos des caméras de vidéo-surveillance de l'Université d'état du Sud de l'Oural à Tcheliabinsk

Figure 8. Recueil de vidéos des caméras de vidéo-surveillance de l'Université d'état du Sud de l'Oural à Tcheliabinsk

On y voit le pic d'intensité lumineuse correspondant à l'explosion du bolide dans l'atmosphère ainsi que l'arrivée du blast qui projette les gens au sol.

Il se passe 2min25s entre le flash lumineux et l'arrivée de l'onde de choc. L'université se situe donc à environ 48 km du point de l'explosion principale (distance prenant en compte l'altitude à laquelle a eu lieu l'explosion).




Calculs de trajectoire

Triangulation à partir des enregistrements vidéos

La forte médiatisation de l’événement a été une aubaine pour la communauté scientifique car le phénomène a été enregistré en continu, de l'entrée dans l'atmosphère jusqu'au passage du blast. De nombreuses personnes ont diffusé leurs images sur des plateformes de partage de vidéos. Les scientifiques ont pris contact avec eux pour exploiter les images et connaître la position exacte de l'enregistrement. Puis, il a fallu procéder à un travail de calibration des vidéos. La première étape a consisté à se rendre sur place pour prendre des photos de nuit selon la même orientation. La présence des étoiles sur la photographie permet de placer un repère absolu. Puis, à l'aide d'un logiciel de traitement d'image, les vidéos sont déformées pour compenser les déformations optiques afin qu'elles se superposent aux images nocturnes préalablement calibrées. Il est alors possible de pointer image par image la trajectoire du bolide. Les images sont ensuite triangulées pour avoir une caractérisation précise de la trajectoire dans la haute atmosphère en latitude-longitude.

Parallèlement à ces mesures directes, les scientifiques ont également relevé la longueur des ombres crées par les lampadaires au moment du maximum d'intensité pour mesurer l'azimut (i.e. l'angle par rapport à l'horizon) du météore. Ainsi, il a été possible de définir complètement les paramètres d'entrée du bolide dans l'atmosphère, dans l'espace et le temps.

Flash lumineux et ombres portées

Figure 11. Flash lumineux et ombres portées

On se rend compte de la puissance du flash. Les ombres des réverbères "tournent" avec le déplacement du bolide dans le ciel. La direction des ombres et leur longueur permettent de reconstituer la position et la trajectoire de la météorite pendant ce flash de quelque secondes.

Retrouver cette vidéo et le cas de la météorite de Tcheliabinsk dans la conférence Les impacts et les cratères de météorites (de 8min50s à 20min50s).


Flash lumineux et chutes de neige

Figure 12. Flash lumineux et chutes de neige

Il se passe environ 89 secondes entre le flash lumineux (presque à la verticale du lieu), qui arrive face à la caméra de surveillance, et l'arrivée de l'onde de choc, ce qui correspond à un éloignement de l'ordre de 30 km. Le blast fait tomber la neige des toits (à droite), fait tomber des stalactites de glace (à gauche) et fiat vibrer le lampadaire (au centre gauche).

Retrouver cette vidéo et le cas de la météorite de Tcheliabinsk dans la conférence Les impacts et les cratères de météorites (de 8min50s à 20min50s).


Reconstitution temporelle du flash lumineux et de l'énergie associée

Figure 13. Reconstitution temporelle du flash lumineux et de l'énergie associée

(a) Le pic du flash lumineux a duré environ 3 secondes. (b) La moitié de l'énergie libérée par les explosion l'a été entre 27 et 33 km d'altitude, le pic est à 29,5 km.


Méthode de calibration des vidéos

Figure 14. Méthode de calibration des vidéos

(A) Source vidéo initiale avec un visuel sur la traînée du bolide (B). (C) et (D) re-projection de l'image pour être superposée à l'image nocturne. (E) Pointé de la position de la traînée dans un référentiel absolu.


Résultats de la triangulation sur une dizaine de vidéos

Relevé des ombres projetées lors du maximum d'intensité lumineuse


À la recherche du corps parent

Une fois la trajectoire du bolide connue, il a été possible de calculer assez rapidement son orbite avant de croiser celle de la Terre. Par le jeu de la mécanique céleste, il est possible de chercher tous les astéroïdes qui partagent les mêmes propriétés orbitales. Cette étude a été menée par Borovička et al. 2013 [1]. Ils ont ainsi montré que l'on connaît un astéroïde de 2 km de diamètre, 86039 (1999 NC43,) qui pourrait être le corps parent de la météorite de Tcheliabinsk. Au gré du billard stellaire, un objet aurait percuté l'astéroïde 86039 (1999 NC43), il y a 2000 ans, détachant un morceau d'une vingtaine de mètre qui a fini par percuter la Terre. Cette découverte est un élément majeur pour l'étude du risque d'impact. En effet, pour la deuxième fois, il a été possible de relier formellement le spectre d'un astéroïde observé à distance à une classe de météorite dont on peut analyser les propriétés en laboratoire. À titre d'information, la première corrélation a été réalisée sur un petit corps (4 m) détecté quelques heures avant sa chute au Soudan en 2008 (2008 TC3) (cf. Récupération de fragments de l'astéroïde 2008 TC3, tombé sur Terre le 6 octobre 2008).


Mesures d'énergie pour connaître la taille de l'impacteur

Énergie rayonnée

Des vidéos amateurs ont également été utilisées de manière à estimer l'énergie libérée par le bolide lors de son entrée dans l'atmosphère. Pour cela, il est nécessaire d'avoir des images enregistrées sur l'ensemble de la trajectoire. Par chance, en Russie, suite aux nombreuses fraudes aux assurances, un très grand nombre de véhicules particuliers sont équipés de caméras embarquées qui filment en continu. Cependant, avant d'effectuer toutes mesures, il est nécessaire de calibrer les détecteurs. En effet, pour avoir une image la plus nette possible, les caméras ajustent automatiquement le gain de leur capteur. Ce phénomène se traduit par un décalage de l'intensité lumineuse par palier. S'il existe sur l'image une source de lumière annexe d'intensité constante (un phare de voiture, un feu de circulation...), il est possible, en décomposant image par image, d'extraire les sauts de gain pour les corriger. Cette méthode a été utilisée par Brown et al. [4] pour réaliser des courbes de lumière relative en fonction du temps.

Puis en parallèle, les auteurs ont recueilli les données de senseurs militaires américains qui ont mesuré la puissance libérée au moment du pic d'émission : 2,7 1013W/sr (watts par stéradian[1]). Convertie en magnitude absolue on obtient une valeur de -28 (à 100 km de distance) soit une intensité 30 fois plus lumineuse que le Soleil. Ces données sont en complet accord avec les rapports effectuées par Popova et al. [7], qui mentionnent des cas de brûlures au premier degré (« coups de soleil »), et des brûlures rétiniennes sur des personne situées à proximité de la trajectoire du bolide et qui ont subit un rayonnement intense.

Ainsi, en intégrant la courbe de lumière calibrée de manière absolue, et en faisant l'approximation d'un rayonnement de type corps noir à 6000 K, on peut alors estimer que le bolide a libéré une énergie de 530 kt TNT (soit 35 fois l'énergie de la bombe d'Hiroshima) le long de sa trajectoire jusqu'à sa vaporisation.

Enregistrement vidéo permettant une calibration de la luminosité

Figure 19. Enregistrement vidéo permettant une calibration de la luminosité

Les feux tricolores et les phares de voitures sont des références d'intensité constante permettant d'évaluer l'énergie lumineuse libérée par la météorite de Tcheliabinsk pendant son trajet dans l'atmosphère.

Retrouver cette vidéo et le cas de la météorite de Tcheliabinsk dans la conférence Les impacts et les cratères de météorites (de 8min50s à 20min50s).



Mesures à partir des données infrasons

Une autre méthode pour faire des mesures d'énergie, bien connue des militaires, consiste à écouter en permanence les ondes infrasons véhiculées en permanence dans l'air. Lorsqu'une explosion a lieu, elle crée une surpression, ici associée à un blast, générant une onde acoustique. Cette onde est rapidement dissipée et dispersée à haute fréquence mais peut se propager sur de très grandes distances dans les basses fréquences. Ainsi, à l'aide de simples micros bien répartis sur l'ensemble sur globe, peut-on "voir" passer l'onde. En utilisant des détecteurs directionnels ont peut même pointer sur chaque station la direction d'arrivée des ondes. On peut alors trianguler le signal pour localiser précisément la source et estimer l'énergie libérée. Les travaux de Brown et al. [4], montrent clairement le passage de telles ondes après l’événement de Tcheliabinsk et donnent une énergie associée de 600 kt TNT avec une barre d'erreur assez large (de 350 à 990 kt TNT). On est bien dans le même ordre de grandeur que l'énergie calculée avec la lumière. Les auteurs notent également que l'explosion fut si importante qu'ils ont réussi à isoler différents passages de l'onde qui a fait plusieurs fois le tour de la Terre.

Données infrasons recueillies à une station situé sur le territoire russe

Figure 21. Données infrasons recueillies à une station situé sur le territoire russe

On constate une distribution aléatoire d'arrivée des ondes avant 04:45:00 puis pendant 5 minutes toutes les arrivées sont cohérentes et pointent dans une même direction.


Des données sismiques difficilement exploitables

La vaporisation du météore dans l'atmosphère a produit un blast. En impactant directement le sol, ce dernier a également généré une onde sismique (principalement des ondes de Rayleigh) équivalente à un séisme de magnitude 3,7. Les sismographes présents dans la région ont bien évidement mesuré cette onde. Malheureusement, les signaux sont difficilement exploitables car ils se superposent avec l'arrivée des ondes S d'un séisme s'étant produit dans les Tonga vingt minutes plus tôt [9]. En essayant de décorréler les signaux, Brown et al. 2013 [4] donnent une estimation d'énergie de 430 kt TNT (avec une barre d'erreur de 220 à 630 kt TNT).


Estimation de la taille de l'impacteur

À partir de toutes ces mesures, on arrive à une énergie moyenne de 500 kt TNT pour le météore. La trajectoire étant orientée vers l'Ouest, le météore arrivait donc face à l'orbite de la Terre à une vitesse relative de 20 km/s. Grâce aux échantillons récoltés, on a pu mesurer la densité de l'impacteur : ρ = 3300 kg/m3. Le météore ayant été quasiment volatilisé avant de toucher le sol, l'ensemble de son énergie cinétique initiale a donc été dissipée le long de la trajectoire. En faisant le calcul, Ecin. = 1/2.(4/3.π.R3.ρ).v2, on arrive à une taille de 19 m de diamètre soit une masse de 10 000 tonnes [4]. Pour comparaison, le "célèbre" astéroïde responsable de la crise Crétacé-Tertiaire, devait mesurer 10 km de diamètre.

Analyses des échantillons recueillis

Collecte des échantillons

Bien que le météore ait été quasiment vaporisé ou réduit en poussières lors de son entrée dans l'atmosphère, quelques fragments ont réussi à atteindre le sol. La région étant couverte de neige en cette période, la recherche de pierres noires posées sur fond blanc a permis de retrouver de nombreux morceaux de 0,1 à 100 g en moyenne. Par endroit, on a retrouvé quelques blocs de plus d'un kilogramme. Un gros bloc de plus de 600 kg a été trouvé plus tard (le 16 octobre 2013) après de longs mois de dragage au fond du lac Tchebarkoul au Sud-Ouest de Tcheliabinsk dans le prolongement de la trajectoire du bolide. Popova et al. [7] ont estimé que près de 3 à 5 tonnes auraient atteint le sol. Le total des fragments récoltés représentent actuellement une masse de près d'une tonne. Comparé aux 10 000 tonnes initiales, seul 0,05% du météore a "survécu" à l'entrée dans l'atmosphère terrestre.

Fragments de la météorite de Tcheliabinsk


Masse principale, 600 kg, de la météorite de Tcheliabinsk retrouvée au fond du lac Tchebarkoul

Analyses géochimique

La communauté russe a été très mobilisée par cet événement et a procédé à une longue série d'analyses sur les fragments récoltés. Voici une liste des analyses effectuées, extrait du supplément de l'article de Popova et al. [7] (146 pages !) :

  • analyses des propriétés mécaniques
  • tomographie aux rayons X ;
  • orientation préférentielle des grains métalliques ;
  • analyses pétrologiques et minéralogiques ;
  • mesures des éléments majeurs, mineurs et des éléments traces ;
  • mesures de haute précision des isotropes du chrome ;
  • mesures des isotopes de l'oxygène ;
  • mesures isotopiques des gaz nobles ;
  • datation uranium-plomb ;
  • spectroscopie en réflexion ;
  • thermoluminescence.

Ces analyses montrent que l'on est en présence d'une chondrite ordinaire de type LL5 [6] assez banale, c'est pourquoi nous ne nous n'étendrons pas sur ces résultats ordinaires.


Clin d'œil à l'histoire

Pour marquer le premier anniversaire de cette chute historique, les dirigeants russes ont choisi d'insérer des fragments de la météorite de Tcheliabinsk dans les médailles d'or olympiques distribuées le 15 février 2014 à Sotchi. Les 7 médaillés d'or à Sotchi le 15 février 2014 sont :

  • patinage de vitesse, 1500 m hommes : Zbigniew Brodka (Pologne)
  • short-track (patinage sur piste courte), 1500 m dames : Yang Zhou (Chine)
  • short-track, 1000 m hommes : Victor An (Russie)
  • saut à ski K-125 (grand tremplin) hommes : Kamil Stoch (Pologne)
  • skeleton (luge tête en avant) hommes : Alexander Tretiakov (Russie)
  • slalom super-G dames : Anna Fenninger (Autriche)
  • ski de fond, relais 4 x 5 km dames  : Anna Haag, Ida Ingemarsdotter, Charlotte Kalla, Emma Wiken (Suède)

Le risque météoritique

Le précédent de la Toungouska en 1908

L’événement de Tcheliabinsk en rappelle un autre, celui de la Toungouska (Tunguska dans la littérature anglo-saxonne) (cf., entre autres, Les impacts et les cratères de météorites -16min02s) . En 1908, la Russie a subit un autre impact majeur 10 à 30 fois plus puissant : entre 5 et 15 Mt TNT [4]. Par chance, le bolide est tombé en plein milieu de la Sibérie Orientale dans une zone vide de toute population. À cause du contexte politique de l'époque, entre la révolte du cuirassé Potemkine et la Révolution d'octobre, le tsar avait d'autres préoccupations que la science, il a fallut attendre 1921 puis 1927 pour que des expéditions se rendent sur place pour constater les dégâts. L'ensemble de la taïga a été soufflée sur une surface de plus de 2000 km2, couchant les arbres de manière radiale par rapport à un épicentre. Les recherches [5] menées depuis n'ont jamais pu mettre en évidence de cratère d'impact ou de morceaux du météore, rendant cet événement assez mal contraint. Cependant toutes les études (sérieuses) pointent une origine cosmique. Pour comparaison, si un tel événement venait à se reproduire sur Paris, il raserait l'ensemble de l'île de France. On pourra noter que les simulations du blast utilisées à Tcheliabinsk [4, 7] sont des retombées directement issues des modèles développés pour la Toungouska. Il ne serait pas étonnant de voir apparaître prochainement dans la littérature une réévaluation de cet événement à la lumière de la chute de Tcheliabinsk.


Modélisation du blast associé à l'entrée du météore de Tcheliabinsk à partir des modèles développés pour l’événement de la Toungouska

Figure 29. Modélisation du blast associé à l'entrée du météore de Tcheliabinsk à partir des modèles développés pour l’événement de la Toungouska

L'échelle de gris correspond à la surpression relative par rapport à la pression atmosphérique.


Un autre événement majeur enregistré en 1963

Dans la même liste des impacts météoritiques majeurs du XXème siècle, on pourra citer un troisième événement, toujours en Russie (curieusement, mais il est vrai que c'est le pays du monde le plus vaste), qui a été enregistré le 3 août 1963. Les capteurs infrasons disponibles à l'époque ont identifié une explosion atmosphérique de 1,5 Mt TNT [8]. Maintenant que les archives soviétiques et américaines ont été déclassifiées pour cette période de la Guerre Froide, on a pu constater que cette explosion n'entrait pas dans le cadre des essais nucléaires des différentes superpuissances. Ainsi, malgré l'absence de témoin, de cratère et d'échantillon, on considère actuellement que cette explosion est vraisemblablement due à l'entrée d'un météore de taille intermédiaire entre celui de la Toungouska et celui de Tcheliabinsk.

Vers une réévaluation des risques d'impact

En référençant la fréquence des événements passés en fonction de la taille de l'impacteur (ou de son énergie libérée), on peut établir des lois d'échelle. Ce travail a débuté il y a une dizaine d'années pour estimer la fraction des géocroiseurs (astéroïdes pouvant potentiellement percuter la Terre dans le futur) découverts par rapport à ceux observés par les programmes de surveillance du ciel. En se basant à la fois sur les données infrasons, sur les chutes observées et sur les comptages de cratères sur la Lune, des auteurs comme Brown et al. [2, 3, 4] réévaluent régulièrement le flux d'impacts sur Terre. Or, suite à l'étude du météore de Tcheliabinsk, en prenant en compte les météores de la Toungouska et celui de 1963, ils arrivent à la conclusion que le flux d'impacts actuel a sans doute été sous-estimé d'un facteur dix.

Actuellement, la grande majorité des gros astéroïdes (supérieurs à 100 m) sont assez bien référencés grâce aux programmes de surveillance du ciel. Cependant, pour les astéroïdes de classe intermédiaire (10 à 20 m), plus difficiles à détecter, le compte actuel est de l'ordre de 500 géocroiseurs pour une population estimée à 20 millions d'objets théoriques [4]. Comme l'a montré l'exemple de Tcheliabinsk, ces objets ont un potentiel destructeur, certes assez limité, mais réel lorsqu'ils touchent des zones urbanisées. Or leurs fréquences d'impacts étant bien plus importantes que celles des gros astéroïdes, ils représentent une menace qui a été complètement sous-estimée jusqu'alors.

Flux d'impacts estimé en 2002 à partir de la fréquence des collisions d'astéroïdes avec la Terre en fonction de leurs énergies

Figure 30. Flux d'impacts estimé en 2002 à partir de la fréquence des collisions d'astéroïdes avec la Terre en fonction de leurs énergies

Astéroïdes de moins de 200 m. À partir de données collectées entre 1994 et 2002.


Flux d'impacts réévalué d'un facteur 10 en 2013 après l’événement de Tcheliabinsk et dix ans de données supplémentaires

Figure 31. Flux d'impacts réévalué d'un facteur 10 en 2013 après l’événement de Tcheliabinsk et dix ans de données supplémentaires

À partir de données collectées entre 1994 et 2013, donc avec 10 années de données de plus par rapport à la précédente estimation des auteurs.


Mise en place de systèmes d'alerte

Pour affiner notre connaissance sur le flux d'impacts, de nombreux projets sont actuellement en cours de déploiement pour observer la chute des météores afin d'affiner le calcul de leurs trajectoires. En France notamment, le programme Fripon (Fireball Recovery and InterPlanetary Observation Network) est en cours d'installation et vise à couvrir le territoire français d'une centaine de caméras de type fish eye (images circulaires à très grand champ de vision), soit plus d'une par département, filmant le ciel en permanence. Lorsque des objets d'origine céleste seront identifiés et leur trajectoire calculée, des messages seront transmis auprès de la population voisine du point de chute calculé pour essayer de retrouver des fragments ayant atteint le sol.

Enfin, pour l'anecdote, un astéroïde 4 m de diamètre, 2014 AA, a frappé la Terre au début de l'année dans la plus grande indifférence. Il est tombé au-dessus de, ou dans, l'océan Atlantique le 2 janvier 2014 à 2h30 UTC. L'énergie libérée était de l'ordre de 1 kt TNT. Tout comme l'astéroïde 2008 TC3, il a pu être détecté une vingtaine d'heures avant sa chute par le Catalina Sky Survey. Cependant les calculs de trajectoire ayant pris une trentaine d'heures l'objet était déjà tombé avant qu'on ait pu estimer son point de chute.

Conclusion

La chute de la météorite de Tcheliabinsk a marqué un virage dans notre connaissance des risques liés à la chute des météorites. Pour la première fois de l'histoire, une grande ville a été affectée directement par un astéroïde d'une vingtaine de mètres de diamètre. Bien que celui-ci n'ait pas atteint le sol, sa vaporisation dans l'atmosphère a créé un puissant souffle à l'origine de l'ensemble des dégâts répertoriés ce jour-là. La présence d'un important réseau de caméras dans la zone a permis un calcul si précis de sa trajectoire qu'il a été possible de remonter à un probable corps parent duquel il se serait séparé il y a 2000 ans. De même, en croisant ces vidéos avec les données infrasons et sismiques, il a été possible d'estimer l'énergie libérée lors de la traversée de l'atmosphère et donc de remonter à la taille de l'objet initial avant sa collision avec la Terre. Puis, grâce aux nombreux échantillons récoltés, les scientifiques ont procédé à un grand nombre d'analyses sur cette météorite, une chondrite ordinaire de type LL5. Enfin, en intégrant cette événement dans le temps, les études tendent à montrer que le flux d'impacts actuel a sans doute été sous-estimé d'un facteur dix. Le risque associé aux astéroïdes de tailles intermédiaires (10 à 20 m), négligé jusqu'alors, est aujourd'hui au cœur des développements futurs de surveillance du ciel.

Références

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P. Brown, P.J.A.M. Causland, M. Fries, E. Silber, W.N. Edwards, D.K. Wong, R.J. Weryk, R. J. Fries, Z. Krzeminski, 2011. The fall of the Grimsby meteorite - I: Fireball dynamics and orbit from radar , video , and infrasound records, Meteorical Soc., 46, 3, 339–363

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[1] Le stéradian est l'unité de mesure de l'angle solide que l'on peut visualiser comme étant le cône d'observation (l'observateur en est la "pointe"). La valeur de l'angle solide est égale à la surface interceptée par le cône sur une sphère de rayon R centrée au sommet du cône, divisé par le carré du rayon de la sphère (la valeur est donc indépendante du rayon de la sphère prise pour le calcul). Un observateur placé au centre d'une sphère de rayon R et voyant la totalité de la surface de la sphère (surface de 4πR2 à une distance R ) a, par définition, un angle solide d'observation de 4π sr. S'il ne "voit" qu'une demi-sphère, son angle solide d'observation est alors de 2π sr...