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Article | 25/05/2018

La falaise de Matala, en Crète : tectonique et paléoenvironnement à la plage

25/05/2018

Cyril Langlois

ENS de Lyon - Préparation à l'agrégation SV-STU

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Le site de Matala, sur la côte Sud de la Crète, permet au visiteur, à deux pas de la plage, d'effectuer des observations paléontologiques suffisantes pour reconstituer un paléoenvironnement simple et y ajouter quelques éléments de tectonique et d'utilisation du milieu par l'Homme.


La falaise

Vue générale de la falaise de Matala, Crète

Autrefois petit village de pêcheurs, la bourgade de Matala, en Crète, acquit une brève renommée dans les années 1960 en devenant une villégiature prisée par les hippies qui s'étaient installés dans ses falaises creusées de grottes. Matala est aujourd'hui un site balnéaire touristique qui continue à jouer sur la corde de cet héritage, même si l'esprit en paraît bien loin. Pour le naturaliste et le géologue, la visite des cavités creusées dans la falaise de Matala, supposément à l'époque romaine, fournit l'occasion d'observations aisées et suffisantes pour en tirer quelques conclusions simples sur le paléoenvironnement et la tectonique de cet affleurement.

La mer Égée et la Crète

Figure 2. La mer Égée et la Crète

La péninsule du Péloponnèse est au NO, les îles des Cyclades et du Dodécanèse sont au centre, et la Crète au Sud, sur laquelle est repérée le site de Matala.



Observations tectoniques

Matala se situe sur la côte Sud de la Crète, dans une anse étroite orientée Est-Ouest, au fond de laquelle la plage est abritée entre deux falaises formant promontoires. Le site archéologique de Matala se trouve sur la falaise Nord, dont l'escarpement fait face au Sud. Vue de la plage, cette falaise présente une succession de couches de duretés différentes, les plus résistantes faisant saillie. On peut constater rapidement (figure 1, 2 et 4) que les grottes se trouvent systématiquement dans les couches en retrait, les plus tendres.

Interprétation structurale de la falaise de Matala, Crète

Le géologue remarque également très vite les nombreuses failles, fortement inclinées, qui découpent la falaise et qui s'organisent en systèmes conjugués formant des dièdres de 60° (figure 2, ci-dessus). On constate également, en s'approchant, que les chambres creusées dans la falaise l'ont souvent été à la convergence de deux failles conjuguées, autrement dit là encore dans une zone facile à excaver, puisque déjà “endommagée”.

Ces failles sont manifestement à jeu normal, donc indice d'extension, mais elles paraissent relativement courtes et de rejet toujours faible. Elles correspondent vraisemblablement à des accidents annexes associés à une faille normale majeure située plus au Nord. À plus grande échelle, l'ensemble de la Crète est zébrée de failles, et cette partie ne fait pas exception. À en croire les cartes tectoniques disponibles dans la littérature, chaque escarpement du paysage ou chaque rupture de pente pourrait être une faille.


Contenu fossilifère et paléo-environnement

À la base de la falaise, la roche présente une texture sableuse ; un peu plus haut, la granulométrie est plus fine et l'aspect de la roche plus homogène. La roche la plus abondante est un grès calcaire, pauvre en silice. Examinées en détail, les couches de la falaise montrent des variations d'épaisseur, de faciès et de contenu fossilifère, et, dans certains niveaux, des structures en biseau, indiquant une progradation des dépôts vers l'Ouest.

Ce site, comme d'autres affleurements de la région, ont fait l'objet de quelques études, qui proposent une analyse détaillée des différents faciès sédimentaires et du contenu fossilifère de ces couches (figure et tableau ci-dessous, d'après Kroeger (2004) [1], les faciès sont définis à l'aide de la classification de Dunham modifiée). L'ensemble de la formation est daté du Miocène et plus précisément attribué à l'étage Tortonien (entre 11,63 et 7,246 Ma). Le visiteur pressé ne peut se permettre une analyse très poussée, mais il suffit de quelques pas sur le site archéologique pour observer les faciès mentionnés, y découvrir quelques fossiles et constater que ceux-ci diffèrent selon les couches observées.

Interprétation des faciès de la falaise de Matala, Crète

Figure 6. Interprétation des faciès de la falaise de Matala, Crète

Interprétation d'après Kroeger (2004) [1] et Kroeger et al. (2006) [2].


Tableau 1. Analyse semi-quantitative du contenu fossilifère de deux faciès de l'affleurement de Matala

Les deux faciès présentés (framestone et rudstone) se distinguent nettement et correspondent à des conditions de profondeur et de dynamique différentes (Kroeger, 2004 [1]).


Dans les couches les plus basses, on trouve ainsi facilement des huîtres de belle taille, isolées ou en groupe, parfois aussi des coquilles saint-jacques (Pectens). Certains bancs présentent de nombreux terriers, probablement de crustacés, qui apparaissant en relief sur la surface érodée ; un peu plus haut, ce sont des oursins, dont les tests légèrement plus gris et plus résistants que la roche apparaissent en saillie ; quelques spicules isolés sont visibles çà et là. Il peut s'agir d'oursins réguliers à gros tubercules (type Cidaris, indice de milieu agité) ou des oursins irréguliers (Schizaster).

Huître fossile, falaise de Matala (Crète)


Oursin régulier (Cidaris sp. ?), falaise de Matala (Crète)

À plusieurs niveaux apparaissent des nodules blanchâtres, alignés, faisant parfois saillie. Il s'agit d'algues rouges (Rhodophyta) calcifiantes, dénommées génériquement rhodolites, comparables aux actuelles algues Corallinacées. Contrairement à d'autres, les thalles de celles-ci ne sont pas articulés. Dans quelques endroits, elles se présentent plutôt en grandes colonies branchues, ressemblant à des coraux. Dans les deux cas, leur présence indique un environnement de faible profondeur, dans la zone photique propice à la photosynthèse. La morphologie en boule, par contre, signale un milieu relativement agité.

Rhodolites en boules, falaise de Matala (Crète)

Rhodolites branchus, falaise de Matala (Crète)

D'autres zones encore livrent de grands foraminifères benthiques plats, où l'on peut, parfois distinguer une structure hélicoïdale. Il s'agit de foraminifères du groupe des Nummulitidés, du genre Heterostegina (Kroeger et al., 2006 [2]). Là encore, la présence de ces foraminifères benthiques du groupe des nummulites est un indice de milieu assez énergique. Par endroits, dans le faciès rudstone, ces nummulites ont proliféré et prédominent dans la roche.

Enfin, sans forcément escalader la falaise, on peut récolter quelques morceaux de “vrais” coraux scléractiniaires, coloniaux, tombés des couches supérieures.

Conclusion

L'ensemble de ces observations permet finalement d'identifier un milieu de plateforme carbonatée peu profonde, alimenté en sédiment calcaire par l'érosion et par la production biologique locale (foraminifères, coraux, mollusques et échinodermes). Selon les couches, ce milieu était plus ou moins calme : dans la formation de grès calcaire, les échinodermes et les huîtres sont relativement espacés, peu nombreux et peu fragmentés. L'énergie du milieu est donc notable, mais modérée. Les faciès riches en nummulites ou en coraux massifs suggèrent par contre une énergie plus importante, mais toujours une faible profondeur. Les dépôts à rhodolites, quant à eux, sont classiquement comparés aux bancs de maerl des côtes bretonnes et méditerranéennes actuelles. Ces accumulations d'algues rouges encroutantes se développent à des profondeurs inférieures à 100 m, dans les zones côtières agitées. Ici, cependant, notamment dans les grès calcaires, les rhodolites se présentent en nodules espacés et non en grandes accumulations.

Faciès rudstone à nummulites Heterostegina dominants

Ainsi, à Matala, la superposition des faciès indique que cet endroit était une plateforme carbonatée peu profonde, modérément agitée (faciès de grès calcaire –sandstone– avec quelques niveaux à rhodolites) devenant parfois un haut-fond plus dynamique (faciès rudstone à rhodolites) ; l'association du faciès de grès et du faciès rudstone suggère que le premier correspondrait à une zone plus proximale, le second à un environnement plus distal (où viennent se briser les vagues) et que l'alternance des deux faciès traduirait des phénomènes de progradation et rétrogradation, qui décaleraient horizontalement les faciès au cours du temps (Kroeger, 2004 [1]), illustration directe de la « loi de Walther » (Merzereau, 2017 [3]). Au sommet de la séquence, le milieu devient une franche barrière récifale corallienne (framestone), battue par les vagues.

Répartition des microfaciès carbonatés dans le cas d'une plateforme barrée par un récif

Tableau 2. Classification de Dunham modifiée pour les roches carbonatées, utilisée pour la désignation des faciès de Matala

Calcaires allochtones

Calcaires autochtones

— Pas d'indice de contemporanéité de dépôt des composants

— Composants rassemblés et reliés entre eux au moment du dépôt

Moins de 10 % de composants > 2 mm

Plus de 10 % des composants font plus de 2 mm

Structuré par des organismes qui dévient ou canalisent les grains

Structuré par des organismes encroutants, dans un ensemble dominé par la matrice

Construit par des organismes formant une structure rigide qui constitue l'essentiel de la roche

Moins de 10 % de boue calcaire (< 30 µm)

Pas de boue calcaire

Matrice dominante

Grains majoritaires

Grains flottant dans une matrice

Grains majoritaires, ceux de plus de 2 mm en contact

Moins de 10 % de grains

Plus de 10 % de grains

Mudstone

Wackestone

Packstone

Grainstone

Floatstone

Rudstone

Bafflestone

Bindstone

Framestone

Classification de Dunham modifiée (Dunham, 1962 ; Embry & Kiovan, 1971)


Références bibliographiques

K.F. Kroeger, 2004. Sedimentary environments and climate change: a case study (late Miocene, central Crete), Johannes Gutenberg-Universität Mainz, 240p.

K.F. Kroeger, M. Reuter, T.C. Brachert, 2006. Palaeoenvironmental reconstruction based on non-geniculate coralline red algal assemblages in Miocene limestone of central Crete, Facies, 52, 3, 381‑409 - doi:10.1007/s10347-006-0077-x

G. Merzereau, 2017. Sédimentologie, De Boeck supérieur, 248p. ISBN:978-2-8073-1327-9.