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Article | 15/01/2001

École de Terrain - Histoire tectonique de la faille des Cévennes

15/01/2001

Maurice Mattauer

Laboratoire de Tectonique de l'Université de Montpellier

Jean-Pierre Bard

Laboratoire de Tectonique de l'Université de Montpellier

Benoît Urgelli

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Étude sur le terrain de l'histoire tectonique de la faille des Cévennes.


Introduction

La zone de la Faille des Cévennes est une région qui se prête à merveille aux écoles et autres camps de terrain estudiantins, nous aborderons le sujet dans le cadre de 3 leçons destinées à des enseignants en géologie de terrain.


La faille des Cévennes, de direction NE-SW, sépare sur près de 100 km, les terrains anciens du Sud du Massif Central français de la zone plissée méso-cénozoïque du Languedoc. Notez que cette faille est vraisemblablement un accident décrochant dextre tardi-hercynien. Nous allons montrer que la faille des Cévennes a joué en décrochement sénestre il y a quelques 40 Ma (Éocène supérieur) durant la formation de la chaîne des Pyrénées. Nous montrerons qu'elle a également enregistré une phase tectonique en extension à l'Oligocène (-30 Ma).

Miroirs de failles associées à la Faille des Cévennes, le long de la route d'accès au Château de Brissac.

Figure 2. Miroirs de failles associées à la Faille des Cévennes, le long de la route d'accès au Château de Brissac.

Ces miroirs montrent des stries sub-horizontales indiquant un rejet sénestre. En de nombreux endroits, on peut observer, des miroirs de failles subverticales pourvus de stries horizontales.


Situation géographique de la Faille des Cévennes


Agrandissement situant la Faille des Cévennes (trait noir).

Figure 4. Agrandissement situant la Faille des Cévennes (trait noir).

Dans les secteurs d'Anduze (1) et de Ganges (2), cet accident est particulièrement visible.


Leçon 1 : La faille des Cévennes dans la région d'Anduze, paysages, cartes et coupes

Détails de la carte géologique d'Anduze ( 1/50 000)

Figure 5. Détails de la carte géologique d'Anduze ( 1/50 000)

Secteur d'étude de la faille des Cévennes, près d'Anduze. Source : BRGM.



Le même dispositif structural vu cette-fois ci vers le Sud.

Figure 7. Le même dispositif structural vu cette-fois ci vers le Sud.

On remarque le très fort contraste entre les reliefs calcaires liés à la faille des Cévennes et la zone plate quaternaire.


Les données de la carte géologique et celles du tracé d'une coupe géologique


Sur la vue générale de la faille des Cévennes, on voit les importants reliefs calcaires limités par des falaises subverticales (plus de 100 m de dénivelé !) :

Éboulis de pente masquant partiellement les affleurements du Trias gypso-salin, au pied des falaises calcaires du Jurassique supérieur au Nord d'Anduze.

Figure 11. Éboulis de pente masquant partiellement les affleurements du Trias gypso-salin, au pied des falaises calcaires du Jurassique supérieur au Nord d'Anduze.

On notera que la photo a été prise au milieu de l'après-midi : ces falaises n'ont pas d'ombre portée.


Localisation de la faille des Cévennes sur l'image SPOT du secteur d'Anduze

L'image SPOT montre un linéament très net de direction NE-SW parallèle à la Faille des Cévennes et aux forts reliefs qui lui correspondent. Ce dernier est situé à la limite d'un versant à l'ombre et d'un versant bien éclairé sous l'effet d'une prise de vue spatiale matinale. Ce sont les barres de calcaires et de dolomies jurassiques de la Faille des Cévennes qui sont, pour l'essentiel, responsables de cet effet d'optique.

Leçon 2 : la Faille des Cévennes dans le secteur de St-Bauzille de Putois-Montoulieu

Que s'est-t-il passé le long de cette faille à l'Oligocène (vers - 30 Ma) ?

Nous allons montrer que toutes les structures géologiques ( failles, plis, dépôts sédimentaires, etc) qui affectent l'Oligocène sont contemporaines d'une phase tectonique régionale distensive faisant suite à une phase tectonique régionale compressive (radicalement opposée en termes d'organisation des champs de contraintes).

Cadre géologique régional : l'extension (ou distension) oligocène en Languedoc

La carte des reliefs permet de comprendre, d'un seul coup d'oeil, l'importance majeure de la tectonique distensive dans le nord du Languedoc.

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Figure 17. Agrandir l'image


On y voit clairement une série de dépressions NE-SW qui correspondent à des bassins oligocènes ( colorés) bordés de reliefs rectilignes dus à des failles normales dégagées par l'érosion différentielle. Dans le célèbre Fossé de la Camargue, la base de l'Oligocène se trouve à -5 000 m et l'Oligo-Aquitanien atteint 4 000 m d'épaisseur...

On note, de façon remarquable, que ces structures tectoniques et sédimentaires oligocènes sont le fait d'une tectonique cassante distensive (direction moyenne d'extension : NW-SE, perpendiculaire à l'axe des fossés oligocènes) qui oblitère profondément les anciennes structures « pyrénéennes » compressives (plis, chevauchements grosso modo EW à vergence Nord, décrochements transversaux ).

La tectonique distensive oligocène réactive d'anciennes failles comme la Faille des Cévennes d'âge Éocène supérieur.

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Figure 18. Agrandir l'image


On est bien en présence de 2 phases tectoniques successives radicalement différentes et indépendantes. L'extension oligocène (qui s'est d'ailleurs poursuivie jusqu'à l'Aquitanien pour prendre une configuration un peu différente au Miocène lors du départ du micro-continent corso-sarde) s'est installée perpendiculairement à la Chaîne pyrénéenne et se suit depuis la Méditerranée jusqu'aux Pays Bas.

Après une période de calme relatif au Miocène supérieur et au Pliocène, une faible compression a commencé à se superposer aux structures extensives précédentes depuis les Pyrénées jusqu'en Provence avec un gradient de déformation du sud vers le nord qui n'est pas allé affecter le Sud du Massif Central.

On notera enfin que la phase compressive pyrénéenne n'a pas affecté ce socle varisque et qu'à l'Oligocène le Fossé de la Limagne s'était formé pour être ensuite suivi par le système du Gerbier des Joncs et par un dispositif volcanique NS typique des rifts intracontinentaux allant de Clermont-Ferrand jusqu'au Cap d'Agde. Pour en savoir plus sur cette singularité du Massif Central, voir le volcanisme d'Auvergne : un point chaud ?

Voyons les observations de terrain qui confirment cette conclusion

Le bassin oligocène de Montoulieu.

Figure 19. Le bassin oligocène de Montoulieu.

Assemblage de cartes géologiques (documents originaux au 1/50 000 : Le Vigan et St Martin de Londres)


À première vue, le Bassin de Montoulieu (en rose orangé pâle sur la carte) semble limité dans sa partie occidentale par le décrochement éocène vertical de la Faille des Cévennes. Une étude de terrain détaillée des failles qui ont accompagné la formation du bassin montre que :

  • l'extension oligocène a été contrôlée par la géométrie structurale liée à la Faille des Cévennes, cette extension s'est accompagnée de la formation de failles normales dans un régime de contraintes extensives perpendiculaires à la faille des Cévennes.
  • les stries exposées par les miroirs de faille ne sont plus horizontales (« pitch » voisin de 0°, voir Figure 2) mais subverticales (« pitch » voisin de 90°)comme cela peut être observé sur la Faille de Montoulieu :
Études microtectoniques sur le « pitch » des stries.

Figure 22. Études microtectoniques sur le « pitch » des stries.

Les stries dans la ligne de plus grande pente sur le miroir de la Faille de Montoulieu (« pitch » voisin de 90°).


La faille normale de Montoulieu et la structure du bassin oligocène

Ces blocs diagrammes montrent l'allure de deux failles normales affectant le Bassin de Montoulieu :

Études microtectoniques sur le "pitch" des stries.

Figure 23. Études microtectoniques sur le "pitch" des stries.

Les stries dans la ligne de plus grande pente sur le miroir de la Faille de Montoulieu ("pitch" voisin de 90°).


Au Nord et vers Montoulieu (voir photo Figure 22), on peut observer un beau plan de faille dégagé par l'érosion ; ce plan porte des stries redressées traduisant une extension NW-SE. Dans le compartiment abaissé, les sédiments marins d'âge Crétacé inférieur sont redressés avec un pendage à peu près parallèle à celui de la faille. Cette géométrie est fréquente le long des failles oligocènes du Languedoc dont un très bel exemple est fourni par la Faille des Matelles, à 10 km au Nord de Montpellier où la genèse de ce type de « crochon » a été discutée.

Au Sud, par contre, vers Brissac, le plan de faille n'est pas dégagé mais on observe une remarquable discordance de l'Oligocène sur le Crétacé. La base de l'Oligocène est jalonnée par des brèches et des conglomérats dont les éléments atteignent jusqu'à 1 m3 ce qui indique la proximité de forts reliefs au Nord.


Le reste de la série (continentale) est très argileux avec des intercalations gréseuses et conglomératiques. Au Sud, l'Oligocène est très conglomératique à sa base et repose en nette discordance sur le Jurassique comme cela est bien visible au lieu-dit « Les Pradines » (au Sud de Montoulieu).

On est donc en présence d'un synclinal dissymétrique ! La vue de ce synclinal oligocène pose une question : quelle est l'origine de cette structure tectonique ?

L'observation de galets carbonatés des horizons conglomératiques montre qu'ils sont fréquemment « impressionnés » (par dissolution différentielle sous pression) avec une direction de contrainte majeure horizontale et de direction Nord-Sud. Ce qui pourrait permettre d'interpréter ce synclinal comme une structure tectonique due à de la compression.

Mais pour les raisons suivantes, ce n'est pas notre point de vue :

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Figure 25. Agrandir l'image


  • « l'impression des galets » peut se faire sous des contraintes très faibles correspondant à une charge de quelques mètres dans des terrasses sédimentaires,
  • ce synclinal dissymétrique s'est formé en régime distensif régional par simple effondrement gravitaire pendant le fonctionnement de la Faille de Montoulieu,
  • cet effondrement , vers le SE, s'est effectué à la hauteur de la Faille de Montoulieu qui apparaît être une grande faille normale se branchant en profondeur (données d'un forage local où le Trias salifère a été rencontré à 2 200 m de profondeur) sur un décollement dans la série salifère du Trias.

Dans un tel contexte général, encore mal compris, l'existence d'une perturbation de contraintes donnant une faible convergence est tout à fait envisageable.

Leçon 3 : Érosion différentielle et escarpement de faille le secteur du Pic Saint Loup

Nous allons montrer que les escarpements linéaires NE-SW des régions d'Anduze et de Ganges, jalonnés de dépressions, ont une morphologie et des directions qui sont contrôlées par l'érosion de dispositifs structuraux à lithologie fortement contrastée, caractérisés par de vieilles failles exhumées et inactives pendant le Quaternaire.

Les paysages des régions géodynamiquement actives sont parfois contrôlés par le jeu de failles actives récentes caractérisées par de longs escarpements linéaires, comme en Chine. Les régions dans lesquelles de telles failles n'existent pas (ou n'existent plus depuis plus de 40 millions d'années) exposent des formes de reliefs dictées par le premier principe fondamental de la géomorphologie à savoir :

« .... l'érosion différentielle opère une sélection entre roches résistantes qu'elle laisse en saillie et roches tendres qu'elle affouille. » (M.Derruau, 1996).

S'il est une région en France où les reliefs sont issus des mécanismes sélectifs de l'érosion différentielle, c'est bien le Languedoc ! Son substratum est constitué de calcaires massifs et durs du Jurassique Supérieur surmontés de marno-calcaires du Crétacé Inférieur et par des argiles tertiaires. Or il se trouve que de nombreuses failles ont souvent mis en contact ces divers types de roches à forts contrastes de dureté ce qui a inévitablement induit, par érosion, la mise en relief des calcaires massifs par rapport aux autres roches plus tendres.

C'est bien évidemment ainsi que se sont formés les escarpement linéaires qui correspondent à l'exhumation des vieilles failles languedociennes ! Cette érosion différentielle s'est d'abord produite pendant la phase tectonique de compression éocène (voir la leçon 2) puis, lors de la phase d'extension oligocène et enfin au Plio-quaternaire, sur l'ensemble de la bordure du socle hercynien du Massif Central.

En voici quelques exemples démonstratifs dans le secteur du Pic St-Loup et de ses abords :

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Figure 26. Agrandir l'image


Ce paysage classique du nord de Montpellier illustre parfaitement le rôle sélectif de l'érosion différentielle entre roches dures et roches tendres ; il montre également le contrôle géologique structural (failles, plis, discordances) qui existe entre les formes du relief (falaises, escarpements, plateaux, combes, vallées, réseau hydrographique, etc) et la nature lithologique des formations engagées dans ces structures érodées.

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Figure 27. Agrandir l'image


Vue sur la face nord du Pic St-Loup et sur les falaises du Château de Montferrand.

Figure 28. Vue sur la face nord du Pic St-Loup et sur les falaises du Château de Montferrand.

Au premier plan, des argiles et des conglomérats oligocènes sont séparés des escarpements calcaires jurassiques (en arrière-plan) par une faille normale (la Faille des Matelles).



Pour vous "détendre" un clip vidéo expérimental de J.P. Bard et F. Martel : La Petite Histoire du Pic St Loup (site modifié ? adresse "perdue"... merci de nous la communiquer si vous la retrouvez) et deux vidéos explicatives, l'une sur le volcanisme, l'autre sur les failles normales.

Les principaux types de volcans et leur dynamisme

Durée ~ 12min.

Climat et environnement : le regard des glaces

Durée ~ 1h07min.

Ainsi, depuis plus de 40 millions d'années et jusqu'à l'actuel, le rôle géomorphologique majeur et déterminant des mécanismes physico-chimiques d'érosion différentielle quaternaire aux abords immédiats de la Faille des Cévennes montre que les reliefs linéamentaires NE-SW qui correspondent à la Faille des Cévennes (et à des failles associées) sur une longueur totale de 60 km sont le fait d'une tectonique ancienne dans les environs de Ganges comme dans ceux d'Anduze.

Conclusions

La Faille des Cévennes est apparue il y a environ 40 Ma en même temps que la Chaîne pyrénéenne. Cette faille fut un décrochement sénestre lors de la phase tectonique compressive affectant le Midi de la France. Elle a cessé de fonctionner à partir du moment où la chaîne s'est « effondrée » dans le Golfe du Lion, il y a près de 30 Ma, en faisant naître des failles normales d'extension.

Cette faille est caractérisée par l'absence totale d'activité sismique depuis au moins mille ans.


Nous avons montré que les failles cévenoles sont de vieilles failles exhumées par l'érosion différentielle des roches qu'elles mettent en contact.

N'oubliez pas que les observations géologiques sont la base fondamentale à toutes études géologiques dignes de ce nom et qu'il est nécessaire de consacrer le temps et l'énergie qu'il faut à cette étape essentielle et primordiale avant de passer à la théorie et aux modélisations.

Les géologues et les non-géologues ont besoin les uns des autres et pour ne pas perdre le contact avec la réalité, il faudrait former dans nos Universités des hommes et des femmes ayant une bonne culture naturaliste, un bon sens de l'observation et la maîtrise des avancées technologiques permettant aux Sciences de la Terre de réels progrès parmi les autres Sciences !