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Article | 05/02/2004

L'eau sur Mars : le point des connaissances avant les nouveaux résultats des sondes Spirit, Opportunity et Mars Express

05/02/2004

Pierre Thomas

ENS de Lyon - Laboratoire des Sciences de la Terre

Florence Kalfoun

ENS de Lyon / DGESCO

Emmanuelle Cecchi

Résumé

État des connaissances concernant la présence d'eau sur Mars en ce début d'année 2004. Les nouvelles données issues des missions récentes d'exploration de la planète Mars (trois sondes en décembre 2003 et janvier 2004).


Trois sondes viennent d'arriver sur et autour de Mars en décembre 2003 et janvier 2004. Des résultats préliminaires tombent, et la presse s'en fait l'écho, souvent très mal comme d'habitude (voir par exemple l'article de novembre-décembre 2003 sur les éclipses). Par exemple, on nous a annoncé vendredi 23 janvier comme une grande découverte la présence de glace d'H2O, alors que cette présence est soupçonnée depuis 1666, et spectralement confirmée et prouvée depuis 1964.

Cet article a donc pour but de faire le point sur ce qu'on sait et pense de l'eau sur Mars en ce début 2004, avant qu'un flot de nouvelles données viennent confirmer, modifier, compléter ou infirmer nos idées, et pour vous aider à correctement interpréter ces informations nouvelles. Nous espérons faire un nouvel articles d'ici six a douze mois, exposant les découvertes qui devraient être faites.

Où a-t-on trouvé de l'eau sur Mars ?

On en a trouvé (ou fortement supposé l'existence) dans quatre types de sites. En fonction de ces sites, on peut distinguer :

  • l'eau superficielle actuelle (voir partie 1),
  • l'eau profonde actuelle ou récente (voir partie 2),
  • l'eau dans les météorites martiennes (voir partie 3),
  • l'eau liquide superficielle ancienne (voir partie 4).

L'eau superficielle actuelle : atmosphère, calottes et sol superficiel

Il existe de l'eau (H2O) dans trois réservoirs superficiels : l'atmosphère, les calottes polaires, et le premier mètre du sol. Il existe d'intenses échanges diurnes et/ou saisonniers entre ces trois réservoirs.

L'atmosphère et les nuages

Mars possède une atmosphère. La pression moyenne y est de 600 Pa (Terre, 101 300 Pa). Elle varie en fait avec l'altitude (plus forte dans les basses plaine du nord), avec les conditions météorologiques locales et la saison.

Variation de pression atmosphérique sur Mars au cours des différentes saisons

Figure 1. Variation de pression atmosphérique sur Mars au cours des différentes saisons

Le temps est exprimé en jours ou en longitude solaire (Ls).Relevés effectués au cours des missions Viking Lander 1 et 2 (VL-1 et VL-2). La longitude solaire (Ls) à un temps t correspond à l'angle entre l'axe Mars-Soleil à t et l'axe Mars-soleil à l'équinoxe de printemps.



La température moyenne y est de -50°C. Il y a de fortes variations (de -20 à -95°C pour Viking 1 en 1976-1977 par exemple). Les températures (mesurées par IR) du sol (assez sombre) varient entre 2 extrêmes de +20°C (ce n'est qu'exceptionnel, sur des versants orientés vers le soleil à midi en plein été à une température inférieure à -125°C (pendant la nuit polaire d'hiver dans l'hémisphère Sud).

Les figures 3 et 4 présentent les variations de température journalières et sur une période de 400 jours martiens.

Comparaison entre les variations journalières de la température atmosphérique sur le site de Viking 1 et celles d'un site désertique terrestre (China Lake, California)

Figure 3. Comparaison entre les variations journalières de la température atmosphérique sur le site de Viking 1 et celles d'un site désertique terrestre (China Lake, California)

Dans les 2 cas la température est minimale au lever du soleil. Les amplitudes thermiques journalières sont 3 fois plus importantes sur Mars que sur Terre.


Variations des températures maximale, moyenne et minimale relevées par la sonde Viking 1 au cours de 400 jours martiens

Figure 4. Variations des températures maximale, moyenne et minimale relevées par la sonde Viking 1 au cours de 400 jours martiens

L'arrivée des tempêtes de poussière (notées par 1977a et 1977b) réduit nettement l'amplitude des variations de températures au cours de la journée (= l'écart entre la température maximale et la température minimale).


L'atmosphère est composé à 95,3% de CO2, un peu d'azote et d'argon, et 0,03% d'H2O (vapeur d'eau). On a l'habitude d'exprimer cette pression d'eau en "micron précipitable, μPr"), correspondant à l'épaisseur d'eau qu'on obtiendrait localement en condensant l'eau de l'atmosphère sus-jacente. Ces 0,03% de 600 Pa correspondent à 12 μPr : si toute l'eau de l'atmosphère martienne se condensait, cela recouvrirait Mars d'une couche de glace de 12 microns d'épaisseur. Cette quantité de vapeur varie en fait suivant les saisons et les latitudes, entre 5 et 75 μPr. Vue la faible pression totale, et la très faible proportion d'H2O dans l'atmosphère, l'eau ne peut exister que sous forme solide ou gazeuse ; même quand exceptionnellement la température dépasse 0°C, l'eau liquide ne peut exister dans les conditions actuelles de Mars.

Il y a parfois des nuages dans l'atmosphère (voir figure 5), souvent des nuages de glace d'eau, parfois des nuages de glace carbonique quand la température descend au dessous de -125°C (température de condensation du CO2 pour la gamme de pressions de l'atmosphère martienne).

Dépression près du pôle Nord martien

Figure 5. Dépression près du pôle Nord martien

La dépression est observée par Viking Orbiter 1 à environ 65° N.

Image NASA 783A42; 70° N, 200° W.


Les calottes polaires

Mars possède deux calottes polaires, découvertes et dessinées pour la première fois par Cassini en 1666 et particulièrement étudiées au 19ème siècle, première grande époque de la recherche de la vie sur Mars.

Reproduction du dessin de Cassini de 1666

Dessins de la calotte polaire Sud de Mars au 1er septembre 1877 et au 10 septembre 1877

Ces calottes, blanches, changent de taille suivant les saisons. A la fin de l'été, il ne reste que ce qu'on appelle les calottes permanentes, ou résiduelles, constituées de " glaces éternelles ". Ces calottes blanches grandissent en automne et en hiver, car elles se recouvrent et s'entourent d'une couche de givre, givre qui se condense en automne et hiver, et qui se sublime au printemps et en été. On parle alors de calottes transitoires ou saisonnières.

Retrait saisonnier de la calotte polaire martienne Nord

Figure 8. Retrait saisonnier de la calotte polaire martienne Nord

Les trois images ont été obtenues en assemblant 3 séries de photographies prises par Hubble en octobre 1996 (début du printemps dans l'hémisphère nord ) , janvier 1997 (mi-printemps) et mars 1997 (début d'été).



La calotte permanente nord a 3 km d'épaisseur et 1000 km de diamètre (Figures 10 et 12 ); la calotte permanente sud n'a que 400 km de diamètre, et son épaisseur est mal connue (Figure 10).

Figure 10. Calotte polaire martienne Sud

Photographie acquise le 17 avril 2000. La calotte a sa taille minimale en été comme le montre cette photographie. La largeur de la calotte d'est en ouest est d'environ 420 km. Caméra MOC de Mars Global Surveyor.


Figure 11. Calotte polaire martienne Nord

Photographie acquise le 13 mars 1999. Cette période correspond au début de l'été dans l'hémisphère nord. (1100 km de large). Caméra MOC de Mars Global Surveyor.


Figure 12. Image en 3D de la calotte polaire martienne Nord

Modèle 3D réalisé à partir de mesures collectées par un altimètre laser (Mars Orbiter Laser Altimeter = MOLA) à bord du Mars Global Surveyor au cours du printemps et de l'été 1998. Échelle verticale dilatée. Largeur : 1200 km ; épaisseur maximale : 3 km, épaisseur moyenne : 1.03 km, volume : 1,2 millions km3. Voir la carte topographique correspondante.


Les calottes transitoires ne correspondent qu'à une couche de givre, dont l'épaisseur ne dépasse pas quelques centimètres.

Quelle est la composition de ces calottes, permanentes comme résiduelle?

L'eau étant la molécule volatile condensable la plus fréquente de l'univers et du système solaire dans cette gamme de température, on a proposé que ce soit des calottes de glace d'H2O depuis la fin du 19ème siècle. Les mesures modernes de températures (T> -120°C en été) excluent qu'il y ait d'autres volatils usuels (CO2, CH4 …) dans la calotte résiduelle nord. Pour la calotte résiduelle sud, ces mêmes mesures (T= -125°C même en plein été) suggèrent très fortement que de la glace carbonique recouvre (et soit mélangée) à H2O dans cette glace permanente sud.

La première détermination spectrale (depuis la Terre) a été faite sur la calotte résiduelle nord en 1964 par le soviétique V. Morov, qui a identifié les deux bandes d'absorption à 1,4 et 2 m. (dans le proche Infra Rouge) caractéristiques de la glace d'H2O. Ces résultats (spectre obtenu depuis la Terre) ont été abondamment confirmés depuis.(Figure 13).


Ces calottes permanentes ne sont pas constituées de glace pure, mais d'une multitude de couches plus ou moins claires et sombres, donc plus ou moins riches en poussières (Figure 14). L'origine de ce litage est loin d'être compris ; des effets " milankovitchiens " sont en train d'être testés.

Pour en savoir plus : voir l'enregistrement sonore et les diapositives de la conférence de Benjamin Levrard.

Figure 14. Alternance de couches plus ou moins claires dans la calotte polaire Nord de Mars

Photographie prise par la caméra MOC le 30 juillet 1998 au début du printemps dans l'hémisphère Nord.[79.1°N, 340.8°W]. Situer cette photographie.


Les calottes transitoires, minces couches de givres, semblent être constituées majoritairement de glace de CO2.

La détermination du CO2 (versus H2O) est surtout indirecte :

  • La température d'apparition/disparition du givre se fait à -125°C, température de changement d'état du CO2 dans cette gamme de pression.
  • Et surtout, il y a la variations saisonnières de la pression globale. Quand il y a une grande calotte transitoire au nord ou au sud (époques des 2 solstices) la pression est 75 Pa plus faible que la moyenne annuelle. Quand il n'y a plus de calottes transitoire ni au nord ni au sud (époques des équinoxes), la pression globale est 75 Pa plus forte que la moyenne. Cette variation de 150 Pa entre équinoxe et solstice (25% de la pression moyenne) montre que 25% du CO2 atmosphérique se condense en glace carbonique pendant l'hiver, et se resublime au printemps suivant. Ce transfert de 25% de l'atmosphère entre le nord et le sud qui a lieu 2 fois par année martienne peut être la cause de tempête extraordinaire et généralisée.

Figure 15. Tempête de poussière sur Mars

Tempête observée en bordure du pôle nord au cours du printemps dans l'hémisphère nord en mai 2002 par MOC.


Figure 16. Comparaison de tempêtes sur Mars et sur Terre

En haut : tempête de poussière en bordure de la calotte nord de Mars (août 2000). Elle s'étend sur 900 km à partir du bord de la calotte polaire. En bas : tempête de sable saharienne (février 2000) s'étend sur 1800 km à partir du bord de la côte nord-ouest africaine. Remarque   On peut noter la ressemblance de la figure formée par ces courants d'air avec les tourbillons de l'image de la semaine du 20 janvier 2003.


Figure 17. Comparaison de deux vues globales de Mars prises par MOC (Mars Orbital Camera)

La photographie du 10 juin 2001 permet de distinguer la région volcanique de Tharsis (gauche), Valles Marineris et la calotte polaire Sud à la fin de l'hiver. La photographie du 31 juillet 2001 montre la même région mais dont les détails sont cachés par une tempête globale de poussière. Ces tempêtes globales ont duré jusqu'en septembre 2001 mais l'atmosphère est restée brumeuse jusqu'en novembre 2001.


Y a- t-il de l'eau mélangée au CO2 dans ce givre ?

Vraisemblablement, mais en proportion mal connue. En effet, le pourcentage d'humidité dans les zones de haute latitude varie considérablement en fonction des saisons. Par exemple, vers 60° lat N, la quantité d'eau atmosphérique varie de 10 à 60 μPr . Cette eau doit bien venir de quelque part au printemps, et y retourner en hivers. Une partie de cette eau peut venir de la calotte transitoire, l'autre du sol superficiel.

Du givre carbonique descend jusque vers 50° lat (N ou S) pendant les nuits hivernales. Au petit matin, il se sublime. Viking a photographié de splendide paysage de matin de printemps. Viking n'a pas pris de photographie nocturne (pas de paysage totalement givré). Le matin, le givre se sublime dès que le soleil se lève, mais il subsiste quelque temps sur le sol (Figure 18) ou à l'ombre des rochers . La sonde Mars Polar landers (1998) qui s'est écrasée au lieu de se poser en douceur dans les hautes latitudes sud avait justement pour tache d'analyser la teneur en eau du sol et du givre. Partie remise.


Le sous-sol très superficiel

On sait depuis Mariner 9 (1971) qu'il y a de l'eau dans le sous sol profond de Mars (Voir II). La sonde Mars Odyssey, en orbite depuis octobre 2001 et qui fonctionne toujours (janvier 2004) a révélé de très fortes teneurs en H2O dans le 1er mètre le plus superficiel du sol martien (jusqu'à 60% d'H2O) dans les hautes latitudes. Le sol superficiel de Mars (le 1er mètre) est assez sec dans les basses latitudes (environ 2% d'H2O) mais est plus proche de la glace sale que du sol glacé dans les hautes latitudes.(Figure 19)

Figure 19. Carte indiquant la pourcentage minimal d'eau (moyenne annuelle) dans le premier mètre du sous-sol de Mars

Cette quantité est estimée à partir de l'abondance en hydrogène mesurée par le détecteur de neutrons de Mars Odyssey. Voir différentes carte en fonction des saisons


Comment a- t-on identifié et quantifié cette H2O?

La rareté de l'atmosphère et l'absence de champ magnétique sur Mars font que beaucoup de rayons cosmiques atteignent la surface (et y pénètre sur quelques dizaines de centimètres). Ces rayons cosmiques interagissent avec le noyau du sol, qui en réponse émettent des neutrons. Une partie de ces neutrons s'échappent du sol, et peuvent être recueillis et analysés par la sonde Mars Odyssey. La quantité et l'énergie de ces neutrons sont "prévisibles ", sauf si " quelque chose " absorbe et/ou ralentit ces neutrons. Or les neutrons captés par Mars Odyssey sont peu nombreux et ralentis. La seule substance pouvant absorber et ralentir les neutrons de cette façon est le deutérium, isotope lourd naturel de l'hydrogène (on se sert du deutérium, sous forme d'eau lourde dans le nucléaire ; pendant la seconde guerre mondiale, la " course" à la bombe atomique entre Américains et Allemands a d'ailleurs donné lieu à ce qu'on apelle la " bataille de l'eau lourde " ; rappelons que le deutrium représente à peu près 1/1000 de l'hydrogène naturel). Il y a donc du deutérium, et en quantité mesurable dans les dizaines de premiers centimètres du sol martien. Dans quoi se trouve ce deutérium ? Dans n'importe quel corps hydrogéné, du chocolat par exemple. Mais des corps simple comme CH4, NH3, H2O … sont infiniment plus probables. Et vues les pressions et températures, seule une glace riche en H2O est stable dans le sol estival martien. Les quantité de deutérium ont donc été converties en % d'H2O.

Il est sûr qu'il y a d'incessants échanges entre ces 3 réservoirs, atmosphère, calottes et sols superficiels, avec condensation nocturne et hivernale, sublimation diurne et estivale. Comprendre les mécanismes d'échange et les parts relatives des échanges de l'H2O gazeux vers le 2 reservoirs de glace est un des buts des explorations actuelles et futures.

L'eau profonde actuelle ou récente

Les cratères a éjectas lobés

La sonde Mariner 9 a révélé en 1971 d'étrange cratère de météorites, bien différents de ceux de la Lune : les éjectas se terminaient brusquement en formant des lobes, au lieu de voir leur épaisseur diminuer progressivement (Figures 20, 21, 22, 23).

Cratère de 13 km de diamètre situé dans Chryse Planitia [106A61,62]

Figure 20. Cratère de 13 km de diamètre situé dans Chryse Planitia [106A61,62]

Source : photographie NASA (Viking Orbiter) extraite de Michael H. Carr, 1981, The surface of Mars,New Haven and London Yale University Press.


Cratère de Yuti entouré de plusieurs couches d'éjectas lobés [3A07; 22°N, 34°W]

Figure 21. Cratère de Yuti entouré de plusieurs couches d'éjectas lobés [3A07; 22°N, 34°W]

Source : NASA (Viking Orbiter)


Cratères avec éjectas situés dans Sinai Planum (21°S 76°W)

Figure 22. Cratères avec éjectas situés dans Sinai Planum (21°S 76°W)

Le diamètre du plus grand cratère est 15 km. (608A47)

Source : photographie NASA (Viking Orbiter) extraite de Michael H. Carr, 1981, The surface of Mars,New Haven and London Yale University Press.


Cratère d'Arandas entouré de ses éjectas [32A28-31, 9A42; 43°N, 14°W]

Figure 23. Cratère d'Arandas entouré de ses éjectas [32A28-31, 9A42; 43°N, 14°W]

Agrandir l'image

Source : NASA (Viking Orbiter)


Pour faire de tels éjectas en atmosphère ténue, une seule solution : les débris éjectés lors de la formation du cratère, au lieu d'être une suspension de roche broyée dans l'atmosphère ou dans le vide, étaient fluidifiés et avaient la consistance d'une " boue " qui coulait. Il devait donc y avoir une notable proportion de glace qui fondait grâce à la chaleur de l'impact ; les débris se répandaient alors tels des coulées de boue, coulée gelant assez rapidement vue la température (T moyen = -50°C). Là encore, des conditions de P et T suggéraient fortement que cette glace profonde était de la glace d'H2O. Ces terrains contenant une notable proportion de glace sont nommés " pergélisols ". On a pu mesurer la profondeur du toit de cette couche glacée, ou plutôt la profondeur en dessous de laquelle il y avait assez de glace pour fluidifier les éjectas. Quand une météorite tombe, elle fait un cratère d'une profondeur égale au 1/5 de son diamètre. Lorsqu' il y a une notable proportion de glace quelque part dans la tranche de sous-sol excavé, des éjectas lobés se forment; sinon, ce sont des éjectas normaux. Or on remarque souvent que les petits cratères (qui ne creusent que superficiellement) n'ont pas d'éjectas lobés, alors que les grands (qui excavent profondément) en ont. La glace est donc " rare " dans les premières centaines de mètres, abondante en dessous.

La mesure de la profondeur limite des cratères à partir de laquelle les éjectas sont lobés indique la profondeur du toit de la couche riche en glace. Pour simplifier, on peut dire que la glace est presque affleurante dans les hautes latitudes, mais qu'elle n'est présente qu'à partir de 300-400 m de profondeur dans les zones équatoriales (Figure 24).

Carte de la profondeur du toit de la couche riche en glace

Les terrains de Mars sont vraisemblablement assez poreux et/ou fracturés. Dans les zones équatoriales, la sécheresse de l'air (0,03% d'H2O) associée aux (relativement) hautes températures (moyenne de -20° pendant les belles journées d'été) ont permis à la glace du sous-sol de se sublimer jusque vers -300m. Plus on remonte vers les hautes (et froides) latitudes, plus la tranche de sous-sol asséchée par la sublimation diminue. La sonde européenne Mars Express devrait pouvoir cartographier la profondeur du toit de ce pergélisol durant les 2 années (terrestres) que devrait durer sa mission. Avec le degré "marsothermique" (le degré géothermique de Mars) que l'on peut raisonnablement estimer à 10°/km, et vue la température moyenne de -50°C, il est probable que l'eau du sous sol soit liquide dès quelques kilomètres de profondeur (5 km en moyenne). Le radar de Mars Express enverra des ondes qui pénétreront jusque vers 5 km de profondeur justement. " Verrons " nous dans les mois qui viennent de l'eau liquide sous la glace du sous sol martien ?

Les rigoles et avalanches "humides"

La sonde Mars Global Surveyor a découvert en 1999 de surprenants paysages, essentiellement dans les hautes latitudes australes (à partir de 40° lat. S) : les faces exposées au sud des reliefs (cratères, vallées …), donc les faces les plus froides étaient ravinées de petites rigoles (gullies en anglais). Ces rigoles ne dépassent pas 2 km de long et quelques dizaines de mètres de large, semblent très souvent sortir de " ligne de sources " situées à 50 à 200 m sous la surface, et surtout sont extrêmement jeunes (moins de 1 millions d'années), car elles ne sont jamais recoupées par un impacts météoritiques, et au contraire recoupent souvent des dunes.

Figure 25. Ravines formées sur la paroi d'un cratère d'impact météoritique (39.0°S,200.7°W)

Photographie acquise par MOC le 11 juin 2003.


Figure 26. Exemples de ravines s'initiant à partir d'une couche spécifique située à environ 100 m de la surface de Mars

Photographie prise en mai 2000 par MOC centrée sur le point de latitude 37.9°S et de longitude 170.2°W.


L'origine de telles structures est encore controversée. On a d'abord discuté (à coup d'arguments morphologiques) si il s'agissait d'écoulement liquide ou d'éboulement secs. Un relatif consensus a conclu " écoulement liquide ". Mais quel liquide (H2O ou CO2). Il est impossible dans les conditions actuelles d'avoir l'un ou l'autre à l'état liquide en condition stable. Mais c'est moins difficile d'avoir de l'eau liquide (en déséquilibre et s'évaporant très rapidement certes) que du CO2 liquide. Puis le sous-sol martien est plein de glace vers ces latitude (cf II-1). Quelque chose aurait donc localement, sur les versants opposés au soleil, élevé la température de la glace du sous sol au dessus de 0°C ; cela aurait engendré de l'eau liquide (espèce de nappe phréatique), qui aurait suinté de " lignes de sources " et aurait coulé sur les pentes, sur de très faibles distances vu que l'eau liquide n'est pas stable même au dessus de O°C à cause de la très faible pression totale et du très faible pourcentage d'humidité atmosphérique. Mais qu'est ce qui pourrait réchauffer le sous-sol sur les versants sud des hautes latitudes sud ? Le problème n'est pas définitivement résolu. Mais une solution est séduisante. L'axe de rotation de Mars est incliné de 25° sur son plan orbital (c'est 23°27' pour la Terre). Pour la Terre, cette inclinaison ne varie qu'entre 22 et 25°, avec les conséquences climatiques que l'on sait. Sur Mars, cette obliquité peur varier de 10 à 60°. Et quand cette inclinaison est supérieure à 40°, pendant l'été austral, les pentes sud des hautes latitudes sud sont toujours éclairées par un soleil presque perpendiculaire à ces pentes. Une température supérieure à 0°C peut donc y durer plusieurs dizaines de jours, et le " front de dégel " peut atteindre la couche de glace permanente.

Il existe aussi en zone équatoriales (dans les pentes de Valles Marineris en particulier) des structures qui ne sont pas sans rappeler des coulées de boues et autres avalanches humides, coulées semblant issues de niveaux bien précis des pentes (Figure 27, 28 et 29). Ces structures sont beaucoup plus âgées (quelques centaines de millions d'années) que les " rigoles ". Ce serait également des manifestations d'un dégel temporaires de ces nappes de glaces souterraines.

Glissement de terrain dans le Ganges Chasma (Valles Marineris), vue oblique et vue verticale

Figure 27. Glissement de terrain dans le Ganges Chasma (Valles Marineris), vue oblique et vue verticale

(a) On distingue au pied de la paroi une masse composée de blocs et qui correspond à la surface du plateau "abaissée" par un giga-glissement de terrain , et plus bas une couche striée probablement composée de boues plus ou moins fluidisées (maintenant gelée) s'échappant de la base de ce glissement de terrain. (b) Vue verticale de l'avalanche humide

Sources : - a - photographie NASA (P16952) extraite de Michael H. Carr, 1981, The surface of Mars, New Haven and London Yale University Press. - b - NASA et Cathy Quantin (Université Lyon 1).


Photographie de deux glissements ayant eu lieu de part et d'autre de Valles Marineris

Figure 28. Photographie de deux glissements ayant eu lieu de part et d'autre de Valles Marineris

Les glissements se recouvrant partiellement. L'éclairage vient du haut de la photographie.

Source : NASA - Cathy Quantin (Université Lyon 1)


Les glaciers rocheux

Sur Terre, on connaît ce qu'on appelle des glaciers rocheux. Il s'agit d'éboulis assez poreux, situés en bas de pente et alimentés par des éboulement périodiques. Dans certaines régions très humides où la température moyenne est inférieure à 0°C, de la glace permanente peut subsister dans la porosité de l'éboulis, même si toute la glace et toute la neige superficielles fondent l'été. Ce mélange roche-glace peut alors fluer comme un glacier, bien qu'avançant plus lentement.

De tels glaciers rocheux sont fréquents sur Mars, en particulier au pied des pentes des hautes latitudes (Figures 29, 30).


Glacier rocheux dans l'hémisphère Nord de Mars

Figure 30. Glacier rocheux dans l'hémisphère Nord de Mars

La largeur de la photographie représente une cinquantaine de kilomètres.


L'eau dans les météorites martiennes

On connaît une trentaine de météorites martiennes . Ces météorites sont des roches magmatiques, soit volcaniques (basalte) soit cumulatives (pyroxénite, dunite). Ces roches contiennent un peu d'H2O (200 ppm), présente notamment dans des minéraux hydroxylés (amphibole). Si les roches magmatiques contiennent de l'eau, c'est que le manteau dont elles proviennent en contient aussi. On peut utiliser cette teneur en H2O pour essayer d'estimer l'eau dégagée par tout le volcanisme martien (le volcanisme post accrétion seulement). En estimant le volume total des roches volcaniques (post accrétion) martiennes, et avec cette teneur de 200 ppm, on a calculé une quantité d'eau qui, répartie sur toute la surface de mars, correspondrait à une couche d'une cinquantaine de mètres d'H2O. Deux météorites martiennes particulières ( ALH 84 001 et NWA 817 ) retiennent l'attention. Ce sont deux pyroxénites. La première contient des filonnets de carbonates zonés, sans doute déposés par de l'H2O dans une fissure, et l'autre des argiles de haute température, preuve d'une altération hydrothermale des pyroxènes. Ces deux météorites suggèrent très fortement que de l'eau liquide a circulé dans ces roches magmatiques profondes.

L'eau liquide en surface dans un passé lointain

On a de nombreux indices de la présence d'un liquide (eau vraisemblablement) qui a coulé ou stagné à la surface de Mars dans un lointain passé. Du plus jeune au plus vieux, on peut citer les sols polygonaux, les réseaux de débâcles (outflows channels), les mers et les lacs, et enfin les réseaux fluviatiles (valleys networks). Des dates sont indiquées ici, en GA (milliard d'années). Cette chronologie a été établie en comptant les cratères, et en se servant des données lunaires comme références. Ces ages "absolus" sont donc sujet à de très grandes incertitudes. L'ordre " relatif " indiqué par ces chiffres est par contre tout à fait clair.

Les sols polygonaux

On trouve sur Mars d'anciens sols polygonaux (Figures 31, 32), assez semblables à ceux que l'on trouve sur Terre dans les régions arctiques (Figure 33). Sur Terre, de telles structures naissent quand un sol riche en H2O subit des alternances gel-dégel sur plusieurs mètres ( voire dizaine de mètres) d'épaisseur. Il y aurait donc eu dans un passé lointain des étés suffisamment chauds pour qu'il y ait eu dégel superficiel, donc eau liquide estivale.

Figure 31. Sol polygonal observé sur Mars en octobre 2003 par la caméra MOC 54.6°N, 326.6°W

La largeur représente environ 3 km.


Figure 32. Sol polygonal observé sur Mars en mai 1999 par la caméra MOC

Chaque dalle a la largeur d'un terrain de foot.



Les réseaux de débâcles (outflow channel) et les terrains chaotiques

Il y a dans l'Hémisphère Nord, surtout au voisinage de Valles Marineris de profondes et vastes vallées, souvent à fond plat. Elles entaillent les plateaux environnants, et n'ont pas d'affluents. Elles contiennent souvent des îles, anciens obstacles contourné par des flots (Figure 34). Voir la carte générale de ces structures.

Îlots à proximité de Chryse Planitia

Figure 34. Îlots à proximité de Chryse Planitia

Le courant venait du sud (bas de la photographie) et a apparemment contourné des obstacles tels que des cratères . Les 3 plus gros cratères sont nommés de bas en haut Lod, Bok et Gold [211-4987; 21°N, 31°W].


Elles arrivent dans les basses plaines de l'hémisphère nord par de vastes "estuaires" (Figures 34, 36 ). Elles sortent souvent de terrains à aspects chaotiques (Figures 35, 36).

(a) Chenaux et terrain chaotique à la source de Tiu Vallis et (b) Détail de la photographie (a)

Figure 35. (a) Chenaux et terrain chaotique à la source de Tiu Vallis et (b) Détail de la photographie (a)

(a) Le chenal issus du terrain chaotique a une largeur de 50 km. P19131; 5° S, 29° W. (b) Au SE, le chaos d'Hydapsis à partir duquel s'étend Tiu Vallis NW .


Chenaux de débâcle issus d'un terrain chaotique

Figure 36. Chenaux de débâcle issus d'un terrain chaotique

[P-16983; 1°S, 43°W]


La découverte de telles vallées en 1971 par mariner 9 a relancé l'intéret de " l'eau sur mars ", idée qui avait été abandonnée en 1964 lors du 1er survol martien. En effet, les quelques pourcents de la surface martienne photographiés par les 1ères sondes n'avaient, par hasard, photographié aucun indice d'H2O liquide En 1997, le 1er robot martien (Pathfinder) a été volontairement déposé au milieu d'un de ces estuaires (Ares Vallis) (Figure 37). Il a pu observé une surface jonchés de très gros blocs, souvent inclinés vers le nord (dans la direction amont d'Ares Vallis, comme si ces blocs avaient été inclinés par la force du courant venu du sud (Figure 38). Les géomorphologues s'accordent à penser que de telles vallées ne peuvent venir que de débâcles brutales, soudaines et extrêmement volumineuses (entre 105 et 107 m3 /s).

Estuaire (Ares Vallis) où s'est posé Pathfinder

Figure 37. Estuaire (Ares Vallis) où s'est posé Pathfinder

Le courant venait du sud (bas de la photographie) et a apparemment contourné des obstacles tels que des cratères . Les 3 plus gros cratères sont nommés de bas en haut Lod, Bok et Gold [211-4987; 21°N, 31°W].



De telles vallées de débâcles s'observent (à plus petite échelle) au pied de certains glaciers soumis à des éruptions volcaniques sous glaciaires (Islande) ou lors de ruptures de lacs de barrage (naturels ou artificiels) (Figure 39)

Une débâcle (encore appelée jökulhlaup en islandais) sortant du glacier Vatnajökull à la suite de l'éruption sous-glaciaire du Grímsvötn en 1996

Figure 39. Une débâcle (encore appelée jökulhlaup en islandais) sortant du glacier Vatnajökull à la suite de l'éruption sous-glaciaire du Grímsvötn en 1996

Le débit du flot était d'environ 20 000 m3/s. Le pont au milieu de la photographie mesure 900 m de long, il sera partiellement emporté par cette débâcle.


On interprète souvent ces ensembles morphologiques martiens de la façon suivante : les hauts plateaux bordant les plaines de l'hémisphère Nord avaient un pergélisol très riche en glace. Des évènements volcano-tectoniques ou des hausses locales et temporaires du gradient géothermique auraient fait fondre cette glace ; les bords des hauts plateaux auraient été disséqués et démembrés par le fonte du pergélisol ; d'énorme masses d'eaux auraient coulé vers les basses plaines, entrainant le creusement des vallées de débâcles, et se seraient " perdues " dans les basses plaines du nord. Ces vallées de débâcles auraient entre 3 et 3,5 GA.

Les réseaux fluviatiles (valleys network)

Mariner 9 puis toutes les missions suivantes a découvert de nombreux réseaux de vallées "dendritiques", "hiérarchisés", avec multiples sources, donnant des petites vallées se jetant les unes dans les autres pour former des vallées de plus en plus importantes (Figures 40, 41). Cela forme des réseaux bien hiérarchisés, somme toute peu différents des réseaux hydrographiques terrestres.

Réseau dendritique de chenaux sur Mars

(a) Chenaux entre Lunae Planum (Ouest)) et Chryse Planitia (Est) et (b) Détail de Vedra et Maumee Valles

Figure 41. (a) Chenaux entre Lunae Planum (Ouest)) et Chryse Planitia (Est) et (b) Détail de Vedra et Maumee Valles

(a) Les chenaux recoupent des anciens cratères. Trois vallées sont visibles du Nord au Sud : Vedra Vallis, Maumee Vallis et Maja Vallis. [211-5190; 18°S, 55°W] . (b) [211-5419; 18°S, 55°W] .


De telles vallées, avec méandres, rives concaves et convexes … ont quasi certainement été creusé par un liquide, et ce de façon assez durable pour que la hiérarchisation du réseau s'établisse, et non de façon brutale comme dans les vallées de débâcles. Des différences subtiles (nombre des affluents, angles des confluences …) suggère quand même des différences de fonctionnement avec les réseaux terrestres. De tels réseaux ne se trouvent que sur les hauts plateaux de l'hémisphère Sud. Il serait plus âgés que 3,5 Ga. L'origine de l'eau est discutée, et le débat n'est pas clos actuellement : y a-t-il eu pluie ou neige suivie de fonte, avec ruissellement …, ou ces réseaux ne proviennent-ils pas de la fonte modérée, sur de longues durées et de vastes volumes d'un pergélisol ? En un mot, Mars a-t-il connu en ces époques reculées un " climat " voisin du climat actuel de la Terre, avec pluie, cycle de l'eau, ou ne s'agit-il que de sources issues de nappes fossiles non ré-alimentées par des précipitations ?

Les lacs et l'océan

Il existe d'innombrables dépressions topographiques fermées sur Mars, les cratères d'impacts, et quelques autres dépressions d'origines variées, tectonique entre autres. Dans plusieurs dizaines de ces dépressions, les images hautes résolutions de mars Global Surveyor (1999) ont révélé des dépots stratifiés (Figures 42, 43, 44) d'ensemble et de détail

Figure 42. Terrains stratifiés observés par la caméra MOC à l'est du Candor Chasma (Valles Marineris)

Il y a plus de 100 strates et chacune a une épaisseur estimée à 10 m. La largeur de la photographie correspond à 1,5 km et sa longueur à 2,9 km.


Figure 43. Dépôts stratifiés au sud du cratère de Galle (52.3°S, 30.1°W)

Photographie prise par la caméra MOC le 8 juin 2003. La largeur de l'image représente environ 3 km.



Et qui dit strates, suggère sédiments et H2O, comme le montre la photographie des strates sédimentaire du grand canyon déposé sous l'eau pendant tout le paléozoïque (Figure 45).

Dépôts sédimentaires stratifiés du Grand Canyon

Il faut cependant rester prudent, car il est loin d'être exclu que toutes ou partie de ces strates soient éoliennes ou volcaniques. Les données altimétriques de mauvaises résolution établie par Mariner 9 (1971) montraient que le ¼ nord de la planète avait une altitude inférieure de 3 à 4 km à celle des plateaux du reste de la planète. En étudiant les images Viking (1976) de la transition entre plateaux et basses plaines, certains auteurs ont décrit (et cartographié) des formes de relief assez ténus qu'ils interprétaient comme des lignes de rivage. Avec les données altimétriques de Mars Global Surveyor, il s'est avéré que ces possibles lignes de rivages fossiles suivaient parfaitement des lignes d'égale altitude.


Et les images de ces " rivages " reportés (par ordinateur) sur des vues en relief de Mars ressemblent effectivement beaucoup à des terrasses et lignes de rivage laissées par une mer en retrait).

(a) Vue en perspective de la marge Sud d'Utopia planitia montrant des terrasses parallèles, (b) profil obtenu par l'altimètre laser (MOLA)

La photographie suivante prise en fin d'été près d'un lac de barrage EDF en période de basses eaux montre une analogie miniature terrestre de ces lignes de rivage. Alors océan pérenne ou simple artefact ?


Olivine ou hématite ? Et où sont les carbonates ?

Les météorites martiennes sont souvent des basaltes à olivines. Les sondes Mars Odyssey et Mars Global Surveyor ont donc recherché depuis leur orbite les raies spectrales d'absorption de l'olivine ; et elles en ont trouvé (Figures 49, 50, 51)

Quel rapport avec l'eau ? L'olivine est un minéral très altérable, qui en présence d'H2O liquide se décompose vite, et libère des oxyde ferriques plus ou moins hydratés, dont l'hématite (Fe2O3), la limonite.


Figure 50. Image en fausses couleurs infra-rouge obtenue par la caméra de Mars Odyssey au dessus de Ganges Chasma dans Valles Marineris (13°S, 318°E)

L'image infra-rouge a été superposée à la topographie obtenue par Mars Global Surveyor. Les différences de couleur indiquent des variations de composition entre les roches du fond et des parois de Ganges (bleu et violet) d'une part et la poussière et le sable du plateau (rouge et orange). Le fond de Ganges est recouvert de roches et de sable issus de laves basaltiques (bleu). Une couche riche en olivine est indiquée par une bande violette orientée EW présentes des 2 côtés du canyon. La largeur de l'image correspond approximativement à 150 km.

Voir également Christensen et al., 2003, Science, 300, p. 2059


Cartographie de la composition de l'olivine dans la région de Nili Fossae

Figure 51. Cartographie de la composition de l'olivine dans la région de Nili Fossae

Données obtenues à partir du spectromètre à émission thermique (TES) à bord de Mars Global Surveyor (MGS). FeO indique la teneur de l'olivine en oxyde de fer (les géologues francais parleraient de la teneur en fayalite, nom du pôle ferreux des olivines ; Fo indique la teneur de l'olivine en oxyde de magnésium (là, les géologues francais comme américains parlent de la teneur en forstérite = Fo, nom du pôle magnésien des olivines).


Ces sondes ont aussi recherché les raies spectrales de l'hématite, et en ont trouvé.

Spectre obtenu avec le spectromètre infrarouge (TES) sur le sol du site d'atterrissage d'Opportunity

Figure 52. Spectre obtenu avec le spectromètre infrarouge (TES) sur le sol du site d'atterrissage d'Opportunity

La courbe en W sur la droite du spectre du sol martien (en jaune) correspond à la signature de l'hématite (ligne rouge) analysée en laboratoire (Janvier 2004). L'axe horizontal inférieur indique la longueur d'onde (micromètres) et l'axe horizontal supérieur indique le nombre d'onde (cm-1) qui est l'inverse de la longueur d'onde.


Image colorée obtenue à partir de l'émission thermique et lumineuse

Figure 53. Image colorée obtenue à partir de l'émission thermique et lumineuse

En rouge : lumière réfléchie (albédo). En vert : émission caractéristique à 7,27 microns indiquant la présence des sulfates. Les régions jaunes et vertes contiennent probablement plus de sulfate. En bleu : émission due à l'olivine associée au pyroxène. Petit points blancs : zone pauvre en olivine ferreuse (ex. : zone N, Nili fossae) et le contour du cratère Argyre (A). Petits points magenta au centre de l'image : (H) oxyde de fer. Petits points roses (C) : dus aux nuages (clouds). V&-V4 : volcans. L'olivine est donc présente préférentiellement dans le matériel sombre de l'hémisphère sud et dans le canyon géant Valles Marineris (VM).


Figure 54. Image obtenue par le spectromètre infra-rouge (mini-TES) à bord de "Mars Exploration Rover Opportunity"

Les empreintes du rebond des airbags contenant le Rover et les roches affleurant au bord du cratère apparaissent pauvres en hématite (couleur bleue) alors que les autres régions apparaissent plus riches en hématite (colorées en orange et rouge). Cela signifie que le sol est recouvert d'une très fine pellicule de poussières riche en hématite.


Les deux robots Spirit et Opportunity vont intensément rechercher in situ olivine et hématite et commencent à en trouver comme le montre la figure 54.

Que doit-on (et devra-t-on) conclure de la présence ou de l'absence d'olivine/hématite ? Les journaliste pressés vont (trop) rapidement conclure : " olivine = absence d'eau liquide " et " hématite = preuve d'eau liquide ". Il faut être beaucoup plus prudent que cela. Tout d'abord il existe de l'hématite d'origine volcanique et non pas issue de l'altération aqueuse de l'olivine. Et puis la présence d'olivine ne veut pas dire " absence d'eau liquide ", mais absence d'eau liquide à l'endroit où il y a de l'olivine depuis que cette olivine est là. Or le volcanisme est récent sur Mars (" éteint " depuis quelques centaines de MA). De l'olivine récente n'indique donc rien sur la présence d'eau liquide ancienne. De plus, Mars est entièrement recouvert de poussières éolienne, et souvent de sable ; même les rochers sont recouverts de quelques microns de poussières éoliennes. Or cette poussière vient d'un peu partout, en particulier des terrains volcaniques récents (postérieur à l'eau liquide), probablement riche en olivine. Quand aux blocs rocheux présents sur 4 des 5 sites connus, ils sont pour une bonne part des débris volcaniques " récents ", ou encore des éjectas issus de cratères météoritiques voisins relativement récents. Pour ces blocs, même après un micro-forage pour être sûr d'analyser l'intérieur du bloc (et non une fine couche de poussière superficiel), il sera donc " normal " d'y trouver de l'olivine . Il faudra bien quand arriveront les résultats des analyses in situ faire une analyse géologique fine du matériel analysé, et n'en tirer des conclusion qu'avec prudence. Il y a enfin le problème des carbonates. Si de l'eau liquide pérenne a longtemps existé sur Mars (rivières permanentes, lacs, voire mer), l'altération des silicates calciques a certainement libérés des ions Ca2+, qui associés au CO2 ont du donner des carbonates (sédimentaires, ou cimentant les sols du fond des lacs et mer). Or, jusqu'à présent, aucun carbonate n'a été identifié (ni par analyse in situ près des 2 Viking et de Pathfinder), ni par étude spectrale depuis les sondes en orbite. La recherche de carbonates est l'un des objectifs majeurs des 3 missions actuellement en cours. Leur découverte serait un indice supplémentaire de l'existence passée d'eau liquide pérenne.

Pourquoi l'eau liquide a-t-elle disparu de la surface il y a quelques milliards d'années ?

Toutes ces données suggèrent très fortement que de l'eau liquide a coulé sur Mars, de façon assez prolongée pour créer des réseaux hydrographiques hiérarchisés, occuper des lacs avec sédiments, voire faire un océan.

Où donc est passée l'eau disparue, et pourquoi a-t-elle disparu?

De plus, si l'eau était liquide vers -3,5 à -4 GA, c'est que la température et la pression atmosphérique de l'époque permettaient l'existence de cette eau liquide, ce qui n'est pas possible actuellement, pression et température étant beaucoup trop faibles.

Pourquoi P et T ont-elles si fortement diminué?

Une réponse de 1er ordre est facile à faire : Il y a 4 milliards d'années, il y avait beaucoup plus de CO2 et d'H2O à la surface de Mars. Vénus par exemple a une pression de 9 000 000 Pa (90 atmosphères). Tous le CO2 terrestre (actuellement essentiellement contenu dans les calcaires) correspond à une pression de CO2 de 3 000 000 à 6 000 000 Pa (30 à 60 atmosphères). Rien d'étonnant donc de supposer que Mars ait eu aussi à l'origine une atmosphère dense. La forte quantité de CO2 (et de vapeur d'H2O) entrainait un fort effet de serre, et une température supérieure à 0°C (au moins les étés), ce qui permettait à l'eau liquide d'exister. Des simulations ont été faites : avec une pression de CO2 de 5 atmosphères (500 000 Pa, au lieu des 600 Pa actuels) et avec cette atmosphère saturée en vapeur d'H2O, l'effet de serre aurait permis à la température superficielle martienne de dépasser 0°C. La pression théorique nécessaire pour atteindre ces 0°C peut être abaissée en ajoutant un couvert nuageux. Si donc Mars s'est refroidi, c'est parce que la quantité de CO2 atmosphérique a très fortement diminué entre -4 GA et aujourd'hui.

Cette réponse amène tout de suite la question: Pourquoi la quantité de CO2 a diminué aussi fortement , et pas sur Vénus par exemple ?

Sur Terre, la quasi totalité du CO2 superficiel" est stockée dans les carbonates et les roches carbonées. Sur Mars, il y a peut-être (sans doute ?) des carbonates, mais le fait qu'on n'en ait pas encore diagnostiqué la présence rend très peu probable l'existence de plusieurs 10 18 kg (millions de GigaTonnes) de CaCO3, nécessaire pour piéger une atmosphère identique à celle de la Terre primitive ou de Vénus. La majorité du CO2 et de l'H2O initiaux ont dû s'échapper progressivement de la planète et disparaître dans l'espace. La lente et progressive baisse de la pression atmosphérique a entrainé une baisse de l'effet de serre, une baisse de la température, et Mars a " été mis au congélateur " vers -3 GA.

Mais quel mécanisme a entraîné cet échappement ?

Une réponse " facile " peut être faite à des élèves. Sur Mars, la gravité est faible (3,72m.s -2), intermédiaire entre celle de la Terre ou de Venus (8,81 m.s-2) et celle de la Lune (1,5 m.s -2). La vitesse de libération sur Mars (5 km/s) est intermédiaire entre celle de la Terre (11,2 km/s) et celle de la Lune (2,4 km/s). Sur Terre et Vénus, gravité et vitesse de libération élevées ont retenus tous les gaz (autres que H2 et He). Sur la Lune, gravité et vitesse de libération faibles n'ont rien retenu, et tous les gaz se sont échappés. Sur Mars, gravité et vitesse de libération intermédiaires n'ont que peu retenu les gaz, et il y a eu un lent et régulier échappement de l'atmosphère. Cette réponse, si on quantifie bien les choses, est insuffisante. A 0°C (273°K), la vitesse moyenne des molécules de CO2 est de 0,365 m/s, et la vitesse maximale des molécules (10 fois plus) est donc de 3,65 km/s, valeur inférieure à la vitesse de libération (5 km/s). L'échappement "normal " a donc du être bien peu efficace et insuffisant pour passer de plusieurs millions de Pa aux 600 Pa actuels. Deux autres mécanismes peuvent grandement favoriser cet échappement, en accélérant les gaz atmosphériques. Les photons UV solaires peuvent photolyser H2O et CO2, en donnant par exemple des radicaux (CO. Et O. par exemple). Ces radicaux sont accélérés par cette réaction photochimique, et peuvent plus facilement s'échapper. Il y a aussi (et surtout ?) l'absence du champ magnétique. Le vent solaire arrive sur les hautes couches de l'atmosphère de Mars, puisque l'absence de champ magnétique martien ne dévie pas le vent solaire (contrairement au champ magnétique terrestre). Ces particules solaires peuvent elles aussi accélérer les molécules de la haute atmosphère, et faciliter leur échappement.

Conclusion

Nous espérons que point rapide sur ce qu'on sait de l'eau sur Mars en février 2004 vous permettra de comprendre, discuter, critiquer ... les résultats dont les médias "grand public" ou ceux de vulgarisation plus spécialisés vont nous abreuver pendant les mois qui viennent. Espérons aussi que des incidents/accidents techniques ne vont pas perturber la collecte et la transmission des données, et que nous pourrons, d'ici un an, faire un nouveau point. Pourquoi est-ce important, cette question de l'eau sur Mars. Comme toute question scientifique, elle est intrinsèquement intéressante. Mais dans ce cas précis de l'eau sur Mars, elle touche le grand problème de la vie extraterrestre: sommes nous (nous, vie terrestre) seuls dans l'univers?

Avec le seul exemple que l'on connaisse (la Terre), la vie semble un phénomène spontané, rapide et facile à mettre en œuvre. En effet, la Terre devait être invivable jusque vers - 4 GA (bombardement météoritique), et la vie semble exister dès -3,85 GA (anomalie isotopique du carbone au Groenland suggérant fortement l'existence de la photosynthèse à cette époque ). La vie a donc mis moins de 150 MA pour apparaître et "inventer" des mécanismes aussi complexes que la photosynthèse, ce qui, à l'échelle géologique, et extrêmement bref. Et ce qui se fait vite, c'est qu'à priori, c'est facile à faire. On aimerait savoir si cette vitesse d'apparition est générale, ou si la Terre est une exception. Si dans les jours, mois ou années qui viennent on prouve que de l'eau liquide pérenne a existé sur Mars vers -3,5 GA, époque ou la vie bactérienne "fleurissait" sur Terre, alors il faudra chercher des indices pour savoir si oui ou non la vie s'est aussi développée sur Mars. Si on y trouve (en cherchant bien) ne serait-ce que la moitié d'une "chose bactériomorphe" fossile et qu'on peut prouver que "ça" a été vivant, alors c'est que la naissance de la vie est un phénomène généralisé dès que le conditions s'y prêtent. Si au contraire on prouve l'existence d'eau liquide pérenne sur Mars vers - 3,5 GA et que, après avoir passé Mars au peigne fin, on ne trouve aucune manifestation de vie actuelle et fossile, c'est que la vie n'est pas un phénomène aussi spontané et facile à mettre en oeuvre que cela.

Et là encore, il faudra se méfier des médias. Prouver l'existence d'une vie archéenne sur Terre n'est pas facile ; alors si ce sont des "robots" où des cosmonautes dont la formation s'apparente plus à celle du pilote de chasse que du géologue qui font ça sur Mars... Il est donc très probable que, même si la vie a existé sur Mars, on mette des dizaines d'années avant de le prouver ; et les médias qui cherchent le sensationnel immédiat, auront le temps de titrer 20 fois que la vie n'existe pas. Donc, patience et méfiance. Mais si on a de la chance et que par hasard une sonde s'est posé à coté de stromatolithoïdes fossiles...

Où trouver des images de Mars ?

Bibliographie

  • MALIN M., EDGETT, K., 2000. Evidence for Recent Groudwater Seepage and Surface Runoff on Mars, Science, Vol 288.
  • FORGET F., COSTARD F., LOGNONNE P., 2003. La planète Mars, histoire d'un autre monde, Bibliothèque Scientifique, Belin, Pour La Science.
  • à venir...