Article | 25/05/2012
Quand la nappe de Beauce, particulièrement basse au printemps 2012, ressort dans les alluvions quaternaires de la Loire
25/05/2012
Résumé
La nappe de Beauce et les sources de Tavers (Loiret).
Table des matières
Introduction
Depuis quelques mois, les météorologues, les pouvoirs publics en général, les responsables agricoles en particulier, s'inquiètent du déficit de pluviométrie qui a régné en France métropolitaine de septembre 2011 à mars 2012, l'époque des précipitations dites efficaces qui rechargent les nappes phréatiques. En effet, à partir du mois d'avril, et jusqu'en août, l'évapotranspiration est si importante que seul un infime pourcentage des précipitations peut gagner les nappes phréatiques et les alimenter. Un printemps et/ou un été pluvieux dispensent certes d'arroser, mais ne rechargent pas les nappes.
Source - © 2012 Météo France | Source - © 2012 NOAA sur passion-meteo.net |
La nappe de la Beauce
Nous allons étudier le cas d'une nappe précise, la nappe de Beauce, l'une des nappes phréatiques françaises les plus sollicitées par l'agriculture, en regardant (1) ce qu'est cette nappe, (2) la situation ce cette nappe au printemps 2012, et (3) comment se manifeste "sur le terrain" l'existence de cette nappe et sa sortie dans le Val de Loire au niveau d'exutoires situés sur la commune de Tavers (Loiret).
La nappe de Beauce est l'une des grandes nappes phréatiques françaises. C'est une nappe karstique remplissant les cavités et surtout les fissures des calcaires de Beauce, calcaires lacustres déposés à l'Oligocène terminal - Miocène inférieur. Cette nappe couvre 9 000 à 10 000 km2, et a une contenance d'environ 20 milliards de m3 d'eau (18 fois le lac d'Annecy). Elle est limitée par le Loir à l'Ouest, la Seine et quelques-uns de ses affluents au Nord et au Nord-Est, le Loing à l'Est et la Loire au Sud. Dans l'ensemble, il s'agit d'une nappe libre, sauf dans la région à l'Est d'Orléans où elle est recouverte d'argiles miocènes, et ici ou là quand des bancs marneux imperméables s'intercalent dans les calcaires. Cette nappe est limitée à sa base par des niveaux imperméables (à dominante argileuse) d'âge éocène ou crétacé supérieur au Sud et à l'Ouest, oligocène inférieur à éocène ailleurs. Au Nord-Est, cette nappe des calcaires de Beauce peut être en continuité avec des nappes dans les sables de Fontainebleau ou d'autres calcaires oligocènes inférieurs et/ou éocènes.
La Beauce est l'une des régions les plus sèches de France ; la pluviométrie moyenne annuelle y est de l'ordre de 0,6 à 0,7 m/an (moyenne française de 0,85 m/an). Les infiltrations efficaces (l'eau qui rejoint la nappe) sont égales au total des pluies diminuées du ruissellement et de l'évapotranspiration ; elles sont estimées à 0,2 m/an par Ary Bruant (Université d'Orléans) et al. (Étude et gestion des sols, 1997). Pour une surface de 9 000 à 10 000 km2 (1010 m2), la recharge annuelle de la nappe est d'environ 1010 m2 x 0,2 m = 2.109 m3. À l'équilibre, en régime stationnaire et en dehors des prélèvements humains, cette eau qui s'infiltre ressort par les exutoires naturels, dont le débit cumulé doit être égal au débit entrant (2.109 m3/an).
Le débit de ces exutoires naturels est remarquablement stable au cours d'une année "normale", car le volume de la nappe "tamponne" et lisse les variations mensuelles de pluviométrie.
La nappe ayant un volume estimé de 20. 109 m3, on peut calculer le temps de résidence de l'eau dans la nappe : temps de résidence = volume de la nappe / débit entrant (et sortant) = 20. 109 m3/ 2. 109 m3 = 10 ans. Ce temps est relativement court et montre la grande sensibilité de la nappe aux périodes de plusieurs années sèches ou humides cumulées.
Source - © 1999 M. Bakalowicz | |
Source - © 2000 BRGM sur Acces par J. Broussaud, modifié | Source - © 2000 BRGM sur Acces par J. Broussaud, modifié |
Source - © 1994 BRGM sur Acces par J. Broussaud, modifié | Source - © 1994 BRGM sur Acces par J. Broussaud, modifié |
Source - © 2009 Article Mauves (rivière) sur Wikipedia |
Les prélèvements annuels par les divers utilisateurs (principalement les agriculteurs) sont estimés à environ 500 millions de m3, ce qui correspond à un quart de la recharge annuelle moyenne. La nappe de Beauce est donc très sensible aux prélèvements humains, absolument non négligeables par rapports aux apports naturels, surtout en périodes d'années sèches successives, périodes où la nappe se remplit peu l'hiver et où l'homme y puise beaucoup l'été.
Source - © 2009 Le Compa (Chartres)
La Nappe de la Beauce au printemps 2012
Si la nappe de la Beauce est peu sensible aux variations rapides de pluviométrie d'une semaine ou d'un mois sur l'autre, elle est très sensible aux longues successions d'années sèches (avec peu de pluies efficaces et beaucoup de prélèvements) ou humides (beaucoup de pluies efficaces et peu de prélèvements). En atteste les relevés réguliers de la hauteur de la nappe dans des puits équipés de piézomètres, ou l'évolution pluriannuelle du débit des exutoires comme les Mauves, qui risquent de s'assécher certaines suites d'années particulièrement sèches. On peut trouver sur le web des sites locaux faisant état d'asséchement ou de risque d'assèchement de ces ruisseaux alimentés par la nappe de Beauce (par exemple, Les Mauves à sec). Avec les risques de sécheresses aggravées et prolongées qui seront vraisemblablement de plus en plus fréquentes avec le réchauffement climatique au cours des décennies à venir, il faudrait songer à réduire les prélèvements, c'est-à-dire changer les cultures. Cultiver du maïs (plante avide d'eau comme toutes les plantes à photosynthèse en C4) dans l'une des régions les plus sèches de France relève d'un aveuglement et d'une méconnaissance des choses de la nature !
Source - © 2009 Le Compa (Chartres)
L'automne-hiver 2011-2012, particulièrement sec, est le dernier d'une longue série d'une dizaine d'années présentant un important déficit de pluviométrie. Cela se traduit par un niveau exceptionnellement bas de la nappe de Beauce dans la région du Blésois (entre Blois à Orléans), région dont nous étudierons des exutoires naturels sur la commune de Tavers (Loiret).
Source - © 2012 DREAL Centre | Source - © 2012 DREAL Centre |
Les sources de Tavers (Loiret)
La nappe de Beauce a de nombreux exutoires visibles, et sans doute de plus nombreux cachés sous les alluvions de la Seine, de la Loire… Les exutoires donnent des sources alimentant des ruisseaux et petites rivières, comme la Juine au Nord, les Mauves au Sud… Très souvent les sources ont été aménagées depuis des décennies voire des siècles en lavoirs, en bassins de pisciculture, en cressonnières…
En général, la nappe de Beauce a une surface libre au sein des calcaires de Beauce, mais elle peut être localement captive entre des bancs de marnes locaux. Quand des portions de nappe localement captives sont situées sous des points bas comme la vallée de la Loire, elles peuvent être artésiennes en cas de forage (cf. par exemple des puits artésiens en… Artois), voire naturellement jaillissantes. C'est le cas de certains exutoires faisant partie d'un ensemble de sources situées dans la commune de Tavers (Loiret), sources connues sous les noms des eaux bleues, des sables mouvants, des sables d'or, des Fontenils… Un circuit pédestre montrant nombre de ces sources est d'ailleurs fléché et aménagé dans et autour du village. Plusieurs de ces sources sont captées ou aménagées en lavoir, et tout à fait accessibles aux amateurs ; d'autres sont collectées dans un grand bassin, situé dans une propriété privée et donc non accessibles aux visiteurs, certaines coulent à flancs de coteau quelques mètres au-dessus du niveau de la plaine de la Loire… D'autres enfin, les plus spectaculaires, sortent par des fissures masquées du calcaire de Beauce, calcaire recouvert de quelques mètres de sables des alluvions quaternaires de la Loire. Nous allons "visiter" ces sources qui donnent lieu à des phénomènes intéressants, que ce soit d'un point de vue géologique ou esthétique. Nous ferons cette visiter sur carte, coupe, images IGN/Google earth, puis en photos et films pris sur place. Tous les films et photos ont été pris le week-end de Pâques 2012 (7 avril), à la fin de cet automne-hiver particulièrement sec.
Le bassin des Fontenils
Source - © 2012 Aude de Quillacq |
Ruisseau amont se jetant dans le bassin des Fontenils
Le bassin des Fontenils reçoit une partie de son eau d'un petit ruisseau long d'environ 150 m de long, lui aussi alimenté par des sources issues de la nappe de Beauce. Ces sources occasionnent remous et bouillonnements. Des sources plus ponctuelles engendrent des morphologies qui ne sont pas sans rappeler des mini-volcans, ou plutôt des mini-volcans de boue comme à Nirano (Italie).
Source - © 2012 Aude de Quillacq |
Source - © 2012 Aude de Quillacq |
Source - © 2012 Aude de Quillacq |
Le débit de ces sources devrait être beaucoup plus important qu'il ne l'est en ce printemps 2012, car avril est habituellement la période à laquelle la nappe de Beauce est au plus haut en pays blésois. Cette épisode de bas débit des sources permet d'en voir de nombreuses qui ne fonctionnent plus. Le sable a alors repris sa couleur foncée normale des fonds de ruisseau. Mais chaque point de sortie inactif se présente sous forme d'un petit monticule, parfois avec une forme de volcan à cratère, mais volcan de taille centimétrique. Certains regroupements de mini-volcans ne sont pas sans rappeler de vraies régions volcaniques où abondent les cônes stromboliens. Je n'ai pas pu m'empêcher de chercher une région volcanique terrestre ressemblant sur plusieurs km2 à ce qui ne mesure que quelques dm2 au fond de ce petit ruisseau du Val de Loire.
Eaux bleues et travertins
Toutes ces sources qui sortent à travers les sables de Loire forment un ruisseau relativement important, avec de magnifiques couleurs bleu. Cette couleur est très fréquentes pour les eaux issues des nappes karstiques, (cf. Eaux bleues d'origine karstique), cas de la nappe de Beauce. Les eaux circulant dans des karsts (calcaires) se chargent d'ions HCO3- et Ca2+ en solution. Quand ces eaux arrivent en surface au niveau d'une source, elles relâchent vers l'atmosphère un peu de CO2. Cette perte de CO2 qui peut être favorisée par la photosynthèse d'algues ou de bactéries photosynthétiques planctoniques déplace l'équilibre des carbonates vers la droite, et entraine un micro-précipité de CaCO3 en suspension dans l'eau : 2 HCO3- + Ca2+<=> CO2 + CaCO3 + H2O. À ce micro-précipité carbonaté peut s'ajouter une micro-suspension d'argile de décalcification.
Dans certaines conditions, les particules de cette micro-suspension ont la bonne dimension et la bonne concentration pour entraîner la diffusion des petites longueurs d'onde de la lumière du jour et donner à ces sources d'exceptionnelles couleurs bleues. Les sources et lieu-dit s'appelant "eaux bleues", "source bleue"… abondent en pays calcaire. C'est le cas du quartier de Tavers où sont localisées ces sources, quartier appelé « les eaux bleues ».
Sur le flanc de la vallée de la Loire, à quelques mètres au-dessus du niveau de la plaine alluviale de la Loire, dans une propriété privée, une ou plusieurs sources (probablement non bouillonnantes) sortent à flanc de coteau. Elles sont rassemblées dans un bassin aménagé (la Bouture sur la carte IGN). Ce bassin n'est pas accessible au public, mais peut être vu à travers barrière, haie et arbres depuis la petite route menant aux Fontenils. Sa couleur bleue est exceptionnelle. Les eaux de ce bassin se déversent au moins par deux émissaires, l'un vers le NE, l'autre vers le SO. Celui du NE peut être vu à travers haie et arbres ; l'aval de celui du SO peut être vu sans obstacle d'un chemin public. Dans les deux cas, des mousses se sont installées le long de ces écoulements. Leur photosynthèse absorbant le CO2 entraine une précipitation particulièrement intense de calcaire, formant mini-digues et manchons calcaro-moussus (du travertin) autour de ces points de sortie. On retrouve ici "en petit" ce qui est classique au niveau des émergences karstiques (cf par exemple Dépôts de travertin à la sortie de sources karstiques )