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Article | 20/04/2001

Le volcanisme d'Auvergne, un point chaud ?

20/04/2001

Pierre Thomas

ENS de Lyon - Laboratoire de Sciences de la Terre

Benoît Urgelli

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Contexte géodynamique du Massif central : relation volcanisme-bombement-extension.


Introduction

Le volcanisme du Massif Central ne semble correspondre exactement à aucun des trois types de volcanisme classiquement définis (dorsale, subduction et point chaud). Quand on ne connaît que ces 3 catégories de contexte volcanique, et puisque le Massif Central n'est pas associé à une zone de subduction, il ne reste que les solutions de « point chaud » et « dorsale »... La mode actuelle fait que beaucoup disent « point chaud », non sans arguments d'ailleurs

Qu'est ce qu'un point chaud ?

Au sens « Hawaï » du terme, un point chaud est une remontée convective « active » ponctuelle, à l'état solide, d'un panache de manteau profond ; la décompression due à la remontée entraîne une fusion partielle du manteau vers -100 à - 50 km et la production d'un magmatisme basaltique de type alcalin quand la fusion partielle est limitée (inférieure à 5%), tholéitique si elle est plus forte.

Cette montée mantellique ponctuelle provient d'une source mantellique assez profonde, bien au dessous de la lithosphère mobile. La majorité des géophysiciens la situe à l'interface noyau/manteau (couche D'').

Un modèle de dynamique interne du globe

Figure 1. Un modèle de dynamique interne du globe

Source : Vincent Courtillot, Science, 1987.


Quand un point chaud s'amorce, la montée du manteau chaud entraîne un bombement de surface, qui s'accompagne de volcanisme, et qui peut s'accompagner ultérieurement de phénomènes d'extension (plus ou moins radiale) et de sédimentation.

En cours d'activité, un point chaud se caractérise donc simultanément par :

  1. un bombement du substratum,
  2. une anomalie thermique dans le manteau profond que la tomographie sismique commence à révéler dans les cas les plus favorables et les mieux étudiés,
  3. un magmatisme basaltique, de chimie alcaline si la fusion partielle est faible et profonde, de chimie tholéitique si la fusion partielle est plus poussée et moins profonde.,
  4. une extension avec graben, amincissement crustal et lithosphérique, avec éventuellement sédimentation.

Les similitudes entre un point chaud et le Massif Central

Les données morphologiques, géophysiques et volcanologiques dans la région du Massif Central sont assez ambiguës, ce qui explique le débat. Si ces données ne sont pas exactement caractéristiques d'un point chaud, elles ne l'excluent absolument pas.

Dans le Massif Central, la géologie « classique » montre qu'au Quaternaire, il y a à la fois :

  1. un bombement (le socle de la région se trouve entre 1 000 et 1500 m au dessus de la région périphérique)
  2. un volcanisme basaltique alcalin,
  3. des bassins d'effondrement d'âge oligocène (les Limagnes), témoins d'une extension (avec subsidence).

La sismique, et en particulier les données de la tomographie, met en évidence plusieurs faits.

1/ Une croûte amincie sous le Massif Central (28 km contre 35 km plus à l'Ouest) :

Carte de l'Est de la France montrant la profondeur du Moho (en km)

Figure 2. Carte de l'Est de la France montrant la profondeur du Moho (en km)

On voit très bien l'approfondissement du Moho sous les Alpes et sa remontée sous les Limagnes et sous l'Alsace. Source : Colloque C7 Géologie de la France, BRGM, 1980.


2/ Un manteau lithosphérique presque inexistant ; la limite lithosphère / asthénosphère est à 140 km de profondeur hors zone, mais presque sous le Moho dans la zone du Massif Central (il ne resterait qu'une vingtaine de km de manteau lithosphérique, avec une vitesse sismique anormalement lente d'ailleurs).

Carte montrant la profondeur du toit de la lithosphère sous le Massif Central.

Figure 3. Carte montrant la profondeur du toit de la lithosphère sous le Massif Central.

Le toit de la lithosphère n'est qu'à 50-55 km sous le Cantal, 70 km sous le reste de la zone cartée, et 140 km en dehors du Massif Central. Source : Olivier Merle, Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand.


3/ Une asthénosphère anormalement chaude au moins jusqu'à 280 km de profondeur.

Exemples de coupes tomographiques NS ou EO dans le manteau jusqu'à 270 km de profondeur sous le Massif Central.

Figure 4. Exemples de coupes tomographiques NS ou EO dans le manteau jusqu'à 270 km de profondeur sous le Massif Central.

Ces coupes montrent l'écart de vitesse sismique par rapport à la normale à cette profondeur. Les écarts de vitesse vont de +2,7 à -2,5%. Les anomalies négatives de vitesse indiquent des températures plus élevées que la normale à cette profondeur. Cette anomalie de -2,5% des vitesses correspond à une température supérieure de 150-200°C par rapport a la normale. L'anomalie principale est située à la verticale de la zone la plus volcanique. Source : Michel Granet et al., EPSL, Vol. 136, pp 281-296, 1995.


4/ Un manteau profond (de -2000 à -1000 km) avec vitesse sismique légèrement plus faible (-0,5%), situé à l'aplomb d'une zone arquée allant des Canaries à l'Islande en passant par l'Algérie, la Tunisie, l'Allemagne et l'Ecosse. Cette zone d'anomalies sismiques est appelée CEA (Central European Anomaly).

Exemple de coupe tomographique à l'échelle de tout le manteau européen

Figure 5. Exemple de coupe tomographique à l'échelle de tout le manteau européen

La coupe passe par les zones volcaniques du Rhin et de la Bohème. On voit que sous ces zones, le manteau est anormalement lent (-0,5%) et chaud jusqu'à 300 km de profondeur, mais ne présente pas d'anomalie thermique chaude de 300 à 600 km. Une anomalie chaude diffuse existe dans le manteau inférieur (de 600 à 2600 km) sous l'Europe Centrale. Source : Saskia Goes et al., 3 dec. 1999, Science, vol. 286, p. 1928.


Les incompatibilités entre un point chaud et le Massif Central

La tomographie sismique

Dans l'état actuel des données, si la tomographie sismique révèle nettement un manteau anormalement chaud de 40 à 300 km de profondeur sous le Massif Central, et si elle suggère qu'il existe une anomalie chaude à l'échelle de l'Europe, elle ne montre aucune anomalie chaude vers 400/600 km.

Un phénomène magmato-tectonique à l'échelle de l'Europe

La deuxième difficulté vient de ce que les phénomènes tectono-magmatiques de l'ouest européen, de l'oligocène au quaternaire, se retrouvent en gros identiques dans le Massif central, dans la région de Valencia (Espagne), du Rhin, de la Bohême, et même de la Sardaigne (si on ne considère que la part oligocène des phénomènes sardes). De même, à l'oligocène terminal, la Méditerranée occidentale n'était qu'un graben, a priori indiscernable des autres grabens nommés ci-dessus. Ce système fait partie du système de rifts ouest-européens.

L'Europe à l'Oligocène

Figure 6. L'Europe à l'Oligocène

Noter l'abondance des grabens entre Valence (Espagne) et la Bohême, leur direction approximativement voisine (de NO-SE à NE-SO). Les grabens du Massif Central ne sont que des grabens parmi d'autres. Noter l'absence de volcanisme associé à ces grabens durant leur période d'ouverture. Source : compilation Pierre Thomas, 2000.


La situation actuelle en France, Allemagne et République Tchèque

Figure 7. La situation actuelle en France, Allemagne et République Tchèque

Le système de grabens du Massif Central, du Rhin et de Bohème, formé sans volcanisme à l'oligocène est maintenant associé à du volcanisme abondant qui a débuté au miocène. Les grabens de Bresse et du Rhône n'ont pas de volcanisme associé. Source : Colloque C7 Géologie de la France, BRGM, 1980.


Il faudrait donc admettre l'existence de 5 à 6 points chauds juxtaposés pour expliquer les phénomènes tectono-magmatiques de l'ouest européen dans un contexte de points chauds... C'est peu probable ! On pourrait aussi ne faire qu'un vaste point chaud de 2000 km de diamètre (entre Valencia et Prague), mais dans ce cas, on se demande pourquoi il n'y a pas plus de volcans et de zones en extension.

La géométrie des déformations

La troisième difficulté vient de la géographie des phénomènes. Tous les grabens nommés ci-dessus sont de direction NNE-SSO (à plus ou moins 20°). Il n'y a donc pas de tendance à une répartition radiale de la déformation. Ces grabens sont approximativement parallèles à la direction de raccourcissement associé à la convergence Europe-Afrique (raccourcissement compliqué par la fin de la subduction téthysienne). La logique structurale de ces grabens semble plutôt correspondre à une déformation lithosphérique due aux mouvements des plaques plutôt qu'à une déformation centrée sur un bombement thermique d'origine profonde infra-lithosphérique.

La chronologie des événements

La quatrième difficulté, majeure, vient de la chronologie des événements. Quand un point chaud s'amorce, la remontée du manteau entraîne un bombement thermique à la surface, qui s'accompagne de phénomènes volcaniques puis qui peut être suivi de phénomènes d'extension. Un point chaud actif se caractérise donc par trois événements plus ou moins contemporains ou synchroniques :

  1. un bombement du substratum
  2. contemporain d'un magmatisme basaltique (alcalin ou tholéitique suivant la profondeur et le degré de fusion partielle du manteau).
  3. suivi d'une extension avec graben (amincissement crustal et lithosphérique)

Actuellement les traces d'un bombement, d'une extension et d'un volcanisme sont présentes dans la région du Massif Central, mais quelles sont les relations chronologiques entre ces trois événements, en particulier sont-ils plus ou moins contemporains ?

Résumons ce qu'on voit sur le terrain si on va par exemple en Limagne d'Allier :

Marno-calcaires, sédiments type de Limagne d'Allier (falaise du Puy St Romain)

Figure 8. Marno-calcaires, sédiments type de Limagne d'Allier (falaise du Puy St Romain)

La prédominance de ces dépôts et la rareté des sédiments détritiques grossiers montrent que les bords du bassin ne délivraient pas de « débris » et étaient assez plats.


Niveau centimétriques à Coccolithes (algue marine)

Figure 9. Niveau centimétriques à Coccolithes (algue marine)

Il se présente sous la forme d'une petite strate blanche au niveau du couteau (Falaise du Puy St Romain) C'est un des arguments permettant de dire que le lac de Limagne était périodiquement envahi par la mer, donc qu'il se situait à une altitude voisine de 0 m. Ce niveau à coccolithes, maintenant situé à +550 m atteste d'une remontée postérieure à la sédimentation.


Nid d'oiseau fossile avec 2 oeufs (Dallet)

Diptère fossile (falaise du Puy St Romain)

Ces fossiles montrent que le lac de Limagne ressemblait plutôt à un marécage très peu profond. Des milliers de mètres de sédiments se sont déposés sous une très faible tranche d'eau, preuve d'une subsidence contemporaine de la sédimentation.

Les études de terrains montrent que l'extension et la subsidence datent en majorité de l'oligocène supérieur (-25 millions d'année). Les études sédimentologiques montrent que pendant cette extension, le pays était relativement plat, sans bombement ; les zones en subsidence étaient à peine plus basses que celles qui ne l'étaient pas, et se remplissaient au fur et à mesure de sédiments ; le niveau des zones les plus basses était très proche du niveau de la mer (présence de coccolites, témoins d'incursions marines...); les côtés encadrant les zones basses et subsidentes étaient tellement plats que très souvent l'eau des lacs envahissait ce qui deviendra plus tard le plateau. Le paysage de l'époque ressemblait plus au lac Tchad qu'aux lacs du rift africain. Il n'y avait quasiment pas de volcanisme à l'éocène et à l'oligocène.

Ainsi, à l'oligocène, le Massif Central n'était pas une zone en bombement, c'était une zone relativement plane, basse, avec extension, subsidence, mais pas ou très peu de volcanisme. La grande majorité de l'extension date de cette époque oligocène, et l'extension post-oligocène est très limitée.

Le volcanisme commence sérieusement au miocène inférieur (20 millions d'années), augmente jusqu'à la limite mio-pliocène (10 à 5 millions d'années) où il atteint son paroxysme, puis diminue.


Le soulèvement (uplift) du Massif Central est daté du miocène supérieur / pliocène inférieur (10 à 5 millions d'années), en même temps que le paroxysme volcanique. Tout l'édifice subit un bombement : ce qui n'avait pas subsidé remonte d'environ 1000 à 1500 m et forme maintenant les hauts plateaux granitiques et métamorphiques d'âge primaire (le socle). Ce qui avait subsidé remonte moins (700 m de remontée dans la région de Clermont Ferrand, altitude correspondant aux plus hauts calcaires de Limagne à influence marine). Dans ce cas, la topographie actuelle en creux des Limagnes ne date pas de la subsidence oligocène (l'ensemble était plat et le creux se remplissait de sédiments au fur et à mesure de leur formation), mais d'une moindre surrection mio-pliocène.

Les pétrologues voient aussi une différence dans les laves ; celles émises avant 5 à 10 millions d'années (avant la remontée du socle) indiquent une fusion partielle plus profonde et plus faible que les laves nées pendant ou après la remontée mio-pliocène.

Ceux qui étudient le manteau (grâce aux enclaves de péridotites) montrent que le manteau était peu déformé avant 10 millions d'années, très déformé après.

Nodule de péridotite « déformée »

Figure 13. Nodule de péridotite « déformée »

On voit très bien les petits cristaux d'orthopyroxènes noirs alignés et soulignant une foliation.



Carte des volcans ayant remonté des nodules de péridotites

Figure 15. Carte des volcans ayant remonté des nodules de péridotites

Les points en blanc (ou en hachuré) représentent des nodules dont la structure cristalline montre des traces d'intense déformation, et ont donc été ramonés dans un manteau déformé (au sein du diapir, en pointillé). Les points noirs représentent des nodules dont la structure cristalline ne montre pas de déformation. Ils ont donc été ramonés en dehors de la zone principale d'ascension diapirique. Le trait de coupe A-A' (figure suivante) correspond à la reconstitution de cette zone diapirique. Les nodules déformés (cercles blancs sur la carte) proviennent de la zone figurée en tiretés sur la coupe. Les nodules non déformés (cercles noirs sur la carte) proviennent de la zone à points noirs sur la coupe.


Coupe de la zone diapirique sous le Massif Central

Figure 16. Coupe de la zone diapirique sous le Massif Central

Coupe correspondant au trait de coupe A-A' de la figure précédente. Les nodules déformés (cercles blancs sur la carte) proviennent de la zone figurée en tiretés sur la coupe. Les nodules non déformés (cercles noirs sur la carte) proviennent de la zone à points noirs sur la coupe.


Bref, si le Massif Central ressemble par de nombreux aspects à un point chaud, le déroulement chronologique des évènements, la taille de la zone anormale et la géométrie du champ de déformation ne sont pas vraiment ceux d'un point chaud standard. Puisque le Massif Central n'est pas un point chaud « standard », à quoi correspond-il ?

Une proposition de modèle explicatif

La réponse qui suit est une proposition de modèle (en fait un modèle à trois niveaux de lectures) qui est compatible avec les données actuellement disponibles. Cela ne veut pas dire que ce modèle soit vrai et les progrès de la tomographie sismique ou de la radiochronologie par exemple pourront le modifier. Tout ce que l'on peut dire, c'est que l'on a pas encore démontré que c'est faux.

Faisons donc dans un premier temps un modèle volontairement simpliste, mais qui a l'avantage d'être modélisable très simplement même avec des élèves. Dans un deuxième puis un troisième temps, on compliquera le modèle pour s'approcher de la réalité naturelle, toujours plus complexe que les modèles explicatifs.

Premier niveau de lecture

Une approche volontairement simpliste

À partir de l'Éocène, la convergence Europe-Afrique (ainsi que les subductions alpine et téthysienne) met la plaque Europe en régime de contrainte compressive approximativement NNE-SSO, ce qui se traduit par une extension-élongation ESE-ONO. Cette élongation entraîne la formation de plusieurs zones d'amincissements lithosphériques, partant de la suture Europe-Afrique et se prolongeant très loin dans le continent européen (jusqu'en Bohême). Ces zones d'amincissements oligocènes ont eu 3 destinées possibles :

  1. presque rien de nouveau depuis l'Oligocène, en particulier pas de volcanisme; exemple de la Bresse.
  2. L'extension s'est poursuivie après oligocène ; la lithosphère a été tellement étirée qu'elle a été rompue et que s'est mise en place une lithosphère océanique ; c'est le cas de la Méditerranée occidentale (le bassin algéro-provençal).
  3. la zone étirée a fini comme le Massif central; c'est le cas également de l'ensemble rhénan, de la Bohême...

Qu'a-t-il donc pu se passer sous le Massif Central, le Rhin, la Bohême... ?

Un étirement crustal participe à l'amincissement de la croûte et de la lithosphère. En Auvergne, l'amincissement crustal mesuré aujourd'hui est de (35-28) / 35 = 20%. Cet amincissement est oligocène, comme l'atteste l'âge des sédiments contemporains de l'amincissement. On peut supposer que l'amincissement du manteau lithosphérique à l'oligocène a été aussi de 20 %. Si la lithosphère mesurait 140 km, le manteau lithosphérique mesurait 105 km (140 - 35), et ce manteau lithosphérique n'avait plus, à la fin de l'Oligocène, que 105 - (105 x 0,2) = 84 km, soit 21 km en moins.

Quelles sont les conséquences de cet amincissement sur d'éventuels mouvements verticaux ? Pour répondre à cette question, il faut savoir que la Terre est en équilibre hydrostatique (on dit isostatique). Faire varier l'épaisseur relative de couches de masse volumique différente fait varier les altitudes (comme lorsqu'un glaçon flottant s'amincit et que sa base remonte et son sommet descend).

Quelles sont les masses volumiques en jeu ici ? Pour simplifier il y en a 3 : la croûte a une masse volumique de 2,70 g/cm3, le manteau lithosphérique (froid) de 3,30 g/cm3, et le manteau asthénosphérique (chaud) de 3,25 g/cm3. Par rapport au manteau asthénosphérique, le manteau lithosphérique, plus dense, a tendance à s'enfoncer, alors que la croûte, moins dense, a un rôle de flotteur.

Diminuer l'épaisseur du manteau lithosphérique fait donc diminuer l'enfoncement, donc fait remonter la surface ; diminuer la croûte fait diminuer la flottaison, la surface aura tendance à s'enfoncer. Quand on fait les calculs type « Archimède » avec ces masses volumiques, on voit qu'1 km de croûte en moins fait descendre la surface d'environ 200 m, et qu' 1 km de manteau lithosphérique en moins fait monter la surface d'environ 15 m. A la fin de l'Oligocène, 7 km de croûte en moins ont fait descendre de 7 x 200 = 1 400 m ; et 21 km de manteau lithosphérique en moins ont fait une remontée de 21 x 15 = 315 m. La résultante engendre une subsidence de 1400 - 315 = 1 085 m.

État initilal de la lithosphère

Lithosphère amincie, subsidence et remontée mantellique

Voila comment on peut expliquer les 1000 m de sédiments oligocène en Limagne. Cette subsidence tectonique a d'ailleurs pu être amplifiée par la charge sédimentaire remplissant les bassins. Aucun bombement de la surface ne se fait à cette époque. Le manteau est remonté en gros de 27 km (soit 9 kb de décompression), ce qui est insuffisant pour le faire fondre de façon notable.

Voila la situation à la fin de l'Oligocène... La Bresse en est restée (à peu près) à cet état là.

Que s'est il passé de plus en Auvergne, sous le Rhin, en Bohème, après l'Oligocène ?

Ici, la limite lithosphère-asthénosphère (en gros l'isotherme 1300°C) faisait un bombement d'une vingtaine de km d'amplitude. Ce bombement asthénosphérique, formant un coin de manteau « peu dense », était entouré à l'est comme à l'ouest, de manteau lithosphérique, plus froid et plus dense.

À quelles forces était soumis ce coin asthénosphérique ?

À son poids (vers le bas) et à la poussée d'Archimède (vers le haut), occasionnée par le manteau lithosphérique adjacent. Or, sachant que si 1 m3 de manteau lithosphérique pèse 3 300 kg, 1 m3 asthénosphère ne pèse que 3250 kg, soit 50 kg de moins. La résultante des forces poids-Archimède fait que chaque m3 d'asthénosphère du bombement est soumis à une force ascensionnelle de 3 300 - 3 250 = 50 kg. Si on donne a ce bombement initial une forme simple (300 km de long, 100 km de large et 27 km épaisseur, cela fait en gros 8.1014 m3, soit une force ascensionnelle de 4.1016 kg soit 3.1017 Newton.

Diapir mantellique et "bombement"

Cette énorme force ascensionnelle a poussé vers le haut ce bombement, qui est monté à la manière d'un diapir, repoussant latéralement le manteau lithosphérique Cette remontée s'est arrêtée presque au Moho.

Quelles ont été les conséquences de ce diapir mantellique ?

Le manteau lithosphérique restant (105 - 21 = 84 km) a été presque entièrement repoussé et remplacé par du manteau asthénosphérique. Il reste 20 km de lithosphère. 64 km ont donc été repoussé. Cela a entraîné une montée de 64 x 15 = 960 m. Voici pour le bombement. Ce bombement a entraîne une légère reprise de l'extension, avec rejeu en faille normale d'anciennes failles oligocène, et moindre remontée de certaines zones.

Le manteau en remontant de 64 km a subit une décompression de 21 kbar, à l'origine d'un volcanisme abondant. Cette remontée de manteau superficielle a occasionné une remontée de manteau plus profond à sa verticale, pour combler l'espace libéré. On explique ainsi les anomalies chaudes s'étendant à plusieurs centaines de kilomètres à la verticale du Massif Central, du massif rhénan,....

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Figure 20. Agrandir l'image


C'est évidement une hypothèse volontairement simpliste, qui demandera à être affinée en fonction de telle ou telle particularité locale, mais elle explique en gros ce qu'on voit en toute première approximation.

Deuxième niveau de lecture

Affiner l'approche simpliste à partir d'observations complémentaires

Dans un deuxième niveau d'explication, il faut affiner ce modèle simpliste à cause des observations et raisons théoriques suivantes :

  1. Il n'y a pas exacte superposition entre les zones d'élongations maximales et celles de remontée / volcanisme maximum. Par exemple, la zone de remontée / volcanisme maximum se situe une petite centaine de km au sud de Clermont-Ferrand, qui est par contre la zone d'extension maximale.
  2. Les zones en extensions (Bohême, Rhin, Bresse, Méditerranée occidentale ...) n'ont pas évolué de la même façon ; qu'est-ce qui les distinguait ?
  3. Il y avait une subduction qui a perduré au SE de la zone, dont la subduction éolienne actuelle est un reste.
  4. Sous les Alpes, donc à proximité de nos zones anormales, il y a eu aussi subduction, et il y a encore une racine de lithosphère froide visible au moins jusqu'à 600 km. Ce coin froid dans l'asthénosphère chaude est source de déséquilibre thermique et doit probablement induire des mouvements dans le manteau supérieur après la fin de l'extension.
  5. À partir du Miocène, le bassin océanique algéro-provençal ( la Méditerranée occidentale) est en ouverture : cette anomalie asthénosphérique sub-affleurante a dû aussi perturber son voisinage.

À cause de ces observations et raisons théoriques, il faut rajouter au premier modèle d'amincissement des phénomènes annexes, à savoir une circulation mantellique induite en particulier par les Alpes. La modélisation des effets de ces « ajouts » devient trop compliquée pour être exposée par de petits calculs. Elle est en cours d'élaboration, et devrait, à terme, mieux rendre compte de la réalité des phénomènes.

Troisième niveau de lecture

Une donnée supplémentaire à intégrer...

On peut se demander pourquoi la périphérie des différentes zones de collision ne montrent pas toutes des phénomènes d'extension et de volcanisme comme le montre l'ouest de l'Europe ? On peut proposer, à titre de simple hypothèse, que la présence sous l'Europe de l'Ouest d'un manteau profond thermiquement anormal (anomalie CEA) aurait exagéré et facilité les effets de l'amincissement et de la présence des Alpes. Ce troisième niveau du modèle est encore plus difficile à modéliser que le deuxième.

Conclusion de ce modèle

En résumé donc, le Massif Central (et les autres régions semblables d'Europe) auraient d'abord été une zone d'amincissement lithosphérique, dont la localisation aurait pu être influencée par des anomalies profondes, et qui, « aidée » et perturbée par ce qui se passait à coté et dessous, aurait « dégénérée » en une zone de diapir mantellique. Mais ce diapir mantellique aurait une origine superficielle (amincissement lithosphérique lié aux mouvements des plaques et compliqué par le voisinage et la profondeur) et non une origine profonde comme pour les points chauds de type Hawaï.

D'autres modèles alternatifs

Si le modèle d'un point chaud standard des années 1970 (type Hawaï) est abandonné pour expliquer l'ensemble de l'histoire tertiaire et quaternaire du Massif central, le modèle présenté ci-dessus n'est qu'un modèle parmi d'autres qui essaie d'expliquer les données.

Il y a actuellement un débat scientifique. En plus de celui-ci, deux autres modèles sont actuellement proposés :

  1. un modèle qui propose que l'extension oligocène et le bombement + le volcanisme mio-plio-quaternaire soient tous deux conséquences indirectes de la formation des Alpes,
  2. un modèle qui dissocie un rifting passif oligocène et des phénomènes de « type point chaud », postérieurs, totalement indépendants du rifting.

Entre ces 3 modèles, il sera difficile de trancher sur le terrain (ou en classe) avec des élèves. Par contre, l'élève pourra voir que la « réalité de terrain » est incompatible avec les schémas classiques expliquant l'origine du volcanisme (rift et dorsale, subduction, point chaud type Hawaï). Un apprentissage à la démarche et au débat scientifique !