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Article | 22/10/2015

L'autre découvreur de la sélection naturelle : Alfred R. Wallace

22/10/2015

Cyril Langlois

ENS de Lyon - Préparation à l'agrégation SV-STU

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Pour la plupart des biologistes et pour le grand public, c'est Charles Darwin qui est immédiatement associé, à juste titre, à la théorie de l'évolution biologique et à son mécanisme explicatif fondamental, la sélection naturelle. On oublie souvent que le principe de la sélection naturelle a été co-découvert par un autre naturaliste, Alfred Russel Wallace, que ce dernier a eu un rôle involontaire mais majeur dans la publication par Darwin de De l'Origine des espèces et surtout qu'il fut, de son vivant, un scientifique parmi les plus renommés de sa génération, un intellectuel engagé et un auteur prolifique.


Introduction

Depuis 2013, les Éditions de l'Évolution, une jeune maison d'édition, consacre l'une de ses collections, dirigée par l'historien des sciences Jean Gayon, à l'un des scientifiques anglais du XIXème les plus renommés de son vivant, Alfred Russel Wallace (1823-1913). Un scientifique quelque peu oublié aujourd'hui en France, en dépit du rôle capital qu'il joua dans l'émergence puis la défense de la théorie darwinienne (son souvenir est plus tenace dans le monde anglo-saxon, d'autant que certains partisans du « dessein intelligent » tentent de rattacher sa pensée à leur courant). Deux ouvrages, traductions des travaux consacrés à ce personnage par des chercheurs anglais et américains, ont inauguré cette collection et permettent au public francophone de redécouvrir cet intellectuel majeur et controversé :

  • le premier ouvrage, Alfred R. Wallace, l'explorateur de l'évolution, écrit par le chercheur de Cambridge Peter Raby, est une biographie détaillée de Wallace, qui suit, étape par étape, la (longue) vie de cet intellectuel prolifique ;
  • le second, Enquête sur un aventurier de l'esprit - Le véritable Alfred R. Wallace, dû au biogéographe et conservateur de bibliothèque américain Charles H. Smith, propose une analyse fouillée et personnelle de la pensée de Wallace, fondée sur l'abondant corpus d'écrits, de manuscrits, de lettres, que l'auteur a lui-même contribué à compléter au cours de ses recherches (au total plus de mille documents relatifs à Wallace, que Charles Smith met à disposition sur internet).

Tableau 1. Les deux ouvrages consacrés à A.R. Wallace et parus en 2013 aux Éditions de l'Évolution

Une biographie, par Peter Raby.

Un essai critique, par Charles H. Smith.


Cet article vise à présenter les principaux éléments développés par ces deux ouvrages complémentaires et à résumer les aspects marquants de ce personnage qui, selon Charles Smith « était considéré, à partir du milieu des années 1880, comme le plus grand naturaliste au monde (Darwin étant mort en 1882) et, à partir des années 1900, comme l'un des plus grands scientifiques, pour ne pas dire le plus grand » (Smith [6], p.38).

Tableau 2. Trois portraits d'Alfred Russel Wallace à retrouver sur le site de C.H. Smith, The Alfred Russel Wallace page

Wallace en 1848, à 25 ans.

Wallace peu après son retour de Malaisie (1862), à 39 ans.

Wallace en 1878, à 55 ans.


Alfred R. Wallace, Darwin, et l'« arrangement subtil » de 1858

Si le nom de Wallace évoque encore quelque chose pour les étudiants et les enseignants de biologie français, c'est par l'influence involontaire mais cruciale qu'il eût sur la publication des travaux de Charles Darwin. Rappelons-en les grandes lignes avant de voir pourquoi l'apport de Wallace est aujourd'hui assez oublié.

Les événements de 1858

En 1858, Charles Darwin avance péniblement dans la rédaction de l'énorme ouvrage dans lequel il souhaite rassembler toutes les observations et les travaux qui l'ont amené à élaborer la théorie de l'évolution par sélection naturelle. Depuis son voyage autour du monde sur le navire The Beagle , du 27 décembre 1831 au 2 octobre 1836, Darwin n'a plus quitté l'Angleterre mais a accumulé les arguments, effectuant des enquêtes auprès des éleveurs de bétail, pratiquant lui-même l'élevage de pigeons et correspondant avec d'autres colombophiles, pour étayer le rapprochement qu'il proposera entre la sélection artificielle effectuée par l'homme et l'influence du milieu sur les populations naturelles d'organismes, la "sélection naturelle". Il n'a toutefois toujours rien publié sur ce sujet. Seuls ses plus proches collègues, notamment Charles Lyell, Joseph Hooker ou Thomas Henry Huxley, et quelques autres scientifiques avec qui il entretient une correspondance, ont eu vent de ses idées.

Pour autant, Darwin est déjà célèbre dans le cénacle des naturalistes et des biologistes, suite à la publication de la relation de son voyage et des résultats scientifiques qu'il en a ramenés (publiés de 1839 à 1843), ou encore de son interprétation de la genèse des atolls coralliens (1842). Pour ses recherches, Darwin achète des spécimens d'oiseaux domestiques et sauvages venus de diverses régions du monde. C'est ainsi qu'il se trouve en relation avec Wallace, explorateur, chasseur et taxidermiste, qui revend aux collectionneurs les spécimens qu'il collecte en Asie du Sud-Est, par l'intermédiaire d'un courtier basé en Angleterre. Les deux hommes se sont déjà brièvement rencontrés en Angleterre, en 1854. En outre, Wallace ayant lu les récits de voyage de Darwin et ce dernier ayant pris connaissance de quelques-uns des premiers articles publiés par Wallace, les deux naturalistes ont entamé une correspondance. C'est pourquoi c'est à Darwin que Wallace envoie, depuis Ternate, en Malaisie, un courte communication manuscrite, intitulée De la tendance des espèces à s'éloigner indéfiniment du type original [1], en le priant de lui faire part de ses commentaires et de transmettre l'article à Charles Lyell. Contrairement au patient travail de Darwin, Wallace explique avoir rédigé cet article en quelques heures, après avoir eu l'intuition de ce mécanisme évolutif au cours d'une crise de paludisme !

Pourtant, Darwin retrouve dans cet article l'essentiel de sa propre théorie et en est profondément bouleversé. Il fait part de son désarroi à ses collègues et amis proches, mais ne se sent pas en état de polémiquer, trop affecté par la maladie puis la mort de son dernier fils, victime de la scarlatine. Hooker, Huxley et Lyell organisent alors, le 1er juillet 1858, lors d'une réunion de la société linéenne de Londres, une lecture commune d'extraits du travail en cours de Darwin et d'une lettre adressée par lui un an plus tôt au botaniste américain Asa Gray, puis du manuscrit de Wallace, afin d'attester de la priorité intellectuelle de Darwin. Cet épisode, l'« arrangement subtil » [2] de 1858, force la main de Darwin, qui rédige en quelques semaines un "bref résumé" de son gros ouvrage – lequel ne sera finalement jamais achevé –, résumé qui deviendra la première édition de De l'origine des espèces (dont les 1250 exemplaires publiés le 24 novembre 1859 seront vendus dans la journée !). Darwin s'est inquiété de la réaction de Wallace, craignant qu'il ne se sente floué par cette opération manigancée sans même l'en avertir, mais celui-ci, indique Charles Smith, fut « dans l'ensemble, plutôt content de ce qui s'est passé à la Société linéenne », Wallace écrivant à sa mère : « je suis désormais certain de pouvoir compter sur l'amitié et le soutien de ces hommes éminents [Darwin, Hooker et Lyell] une fois rentré au pays » (Smith [6], p.129). Et plus tard, dans son autobiographie (My Life, 1908, repris dans Raby [4], p. 197) : « Je n'ai pas seulement approuvé, j'ai ressenti qu'ils m'avaient fait plus d'honneur et prêté plus de crédit que je n'en méritais en plaçant ma soudaine intuition – hâtivement transcrite et aussitôt envoyée pour avis à Darwin et Lyell – ; au même niveau que les longues recherches de Darwin,… ».

Les ouvrages de P. Raby et de C. Smith se penchent, évidemment, sur cet épisode. Mais aucun des deux ne lui accorde une place excessive. Raby s'attache à détailler, du point de vue de Wallace, la chronologie des événements (la rédaction de son article – connu aujourd'hui comme « l'article de Ternate » – la date de son envoi, son travail de terrain intense tandis que son courrier chamboule le cénacle scientifique anglais, etc.) ; Smith, lui, décortique les voies qui ont menées Wallace, indépendamment de Darwin, à la même explication.

Ces deux auteurs, sans prendre définitivement parti, n'accordent que peu de crédits à la « théorie du complot » défendue quelques années plus tôt par plusieurs chercheurs. Ces derniers soutiennent que Darwin aurait reçu le manuscrit de Wallace plus tôt qu'il ne l'a dit, et aurait largement plagié celui-ci pour rédiger De l'origine des espèces. Après avoir passé en revue les arguments des "conspirationnistes" et confronté leurs interprétations aux écrits de Wallace durant cette période, Smith conclut à « l'absence de preuves tangibles qui fassent pencher la balance d'un côté ou de l'autre » ([6]p. 129).

Dans l'absolu, l'intérêt de cet épisode est surtout qu'il illustre comment les idées scientifiques nouvelles sont rarement l'invention géniale d'un seul, mais plutôt des concepts "prêts à éclore" dans un certain contexte social et intellectuel, concepts qu'un chercheur particulier parvient à formuler complètement le premier ou à argumenter de façon plus convaincante que ses collègues. Ici, Darwin et Wallace ont des bagages intellectuels voisins (Wallace ayant, en plus, lu les écrits de Darwin lui-même), ont connaissance des travaux de leurs contemporains (Lyell, par exemple) ou de leurs prédécesseurs (Lamarck) et reconnaissent eux-mêmes avoir eu les mêmes influences, notamment la lecture du Principe de population de Thomas R. Malthus, publié en 1798.

L'évolution selon Wallace

Par ailleurs, pour Charles Smith, si cette découverte de la sélection naturelle par Wallace est intéressante, c'est aussi parce qu'elle indique une nette modification de la pensée de Wallace. Pour cet auteur, Wallace est « partisan de la transmutation » (c'est-à-dire du transformisme, du changement des organismes au cours du temps) dès 1845, mais « s'il voyait clairement le champ de recherches à explorer, il entame celles-ci en ayant à l'esprit deux conceptions sérieusement erronées » (Smith [6], p.57).

Wallace envisageait une évolution directionnelle, orientée vers un progrès, et non pas purement gouvernée par les contraintes de l'environnement, par l'"utilité" d'un trait pour l'organisme, par rapport à son environnement. Cette vision progressiste était directement liée à sa pensée politique, partisane d'une évolution sociale vers une société plus juste, obtenue « à force de volonté et de détermination ». Par ailleurs, Wallace, à la suite de Humboldt, envisage une nature régie par un « design général ayant défini les moindres détails, indépendamment des nécessités individuelles » (Smith [6], p.67, citant un essai de Wallace de 1856). C'est le concept, déjà exprimé par Aristote, d'une "économie de la nature", où chaque espèce aurait une place à tenir, idée qui a longtemps légitimé la conception fixiste des espèces et que l'on décèle toujours en filigrane dans l'écologie moderne (principalement l'écologie politique).

Pour Darwin, la sélection naturelle suffit à expliquer l'évolution des espèces comme leurs relations entre elles : aucune conception directionnelle de l'évolution ni aucun "plan" caché dans le fonctionnement de la nature n'est plus nécessaire. Ce changement dans la pensée de Wallace paraît donc très important, d'autant plus qu'après 1858 il sera considéré comme un "sélectionniste" encore plus strict et convaincu que Darwin lui-même. Pourtant, Charles Smith montre que Wallace n'a pas complètement abandonné ses conceptions précédentes, et qu'elles éclairent la suite de son cheminement intellectuel (cheminement qui contribua aussi à discréditer Wallace aux yeux des évolutionnistes modernes, comme on le verra plus loin).

Notons toutefois que Charles Smith relève, dans l'article de Ternate, une « véritable percée dans le raisonnement de Wallace » : celui-ci envisage en effet que certains caractères « n'aient aucune valeur adaptative, pourvu qu'ils présentent un lien, encore inexplicable, avec d'autres caractères qui en possède une » (Smith [6], p.85-86). Cette idée redevient d'actualité un siècle plus tard : on y retrouve ce que le paléontologue Stephen Jay Gould a mis en avant sous le terme d'« expansion structurale », qu'il a défini comme « des structures non adaptatives en elles-mêmes, mais apparaissant comme conséquence obligatoire du développement, en tant qu'adaptation, d'autres éléments » (S. J. Gould & R. Lewontin, 1979).

Néanmoins, et particulièrement après 1865, Wallace divergera beaucoup plus nettement de la théorie darwinienne, d'abord en niant l'intérêt de l'autre grande idée de Darwin, celle de la sélection sexuelle puis en refusant de voir l'Homme comme le produit de la seule sélection naturelle. En supposant d'abord que l'Homme actuel "échapperait" à la sélection naturelle, puis en réutilisant pour l'Homme l'argument de l'horloger de William Paley, il écrit en 1870 : « j'ai essayé de montrer comment la même force qui a modifié les animaux a agi sur l'homme et je crois avoir prouvé qu'aussitôt que son intelligence, en se développant, eut dépassé un certain niveau inférieur, ce progrès rendant inutile les modifications de son corps, celui-ci a dû cessé d'être matériellement affecté par la sélection naturelle. […] une intelligence supérieure a guidé la marche de l'espèce humaine dans une direction définie et pour un but spécial, tout comme l'homme guide celle de beaucoup de formes animales et végétales. […] Cette théorie implique donc que les grandes lois qui régissent le monde matériel ont été insuffisantes à produire l'homme, à moins d'admettre donc que le contrôle d'intelligences supérieures est une partie nécessaire de ces lois, comme l'action du monde ambiant est l'un des agents du développement organique » (Wallace 1870, cité par Smith [6], p.103).

Alfred Russel Wallace, une vie longue et mouvementée

Les quatre-vingt dix années de la vie de Wallace ne se réduisent néanmoins pas à son rôle dans cet épisode de l'histoire des sciences qu'est l'« arrangement » de 1858, et sa vision de l'évolution biologique doit être considérée à la lumière d'autres facettes du personnage.

Les origines sociales de Wallace

Comme le décrivent P. Raby et C. H. Smith, Wallace était le fils d'un juriste féru de littérature, qui « appartenait à un club de lecture », initialement rentier mais ensuite ruiné par « une série d'initiatives financières désastreuses et de placements hasardeux » (Raby [6], p.26). À l'opposé de Darwin, Wallace fut déscolarisé à 14 ans et « vécut ses jeunes années, sinon dans l'indigence, du moins dans un confort souvent sommaire » (Smith [6], p.32). Il devint apprenti charpentier puis arpenteur, avant de tenter sa chance comme explorateur naturaliste en Amazonie, à 25 ans, en compagnie d'un autre naturaliste de 23 ans, entomologiste amateur passionné, Henry Walter Bates (1825–1892), qui restera à la postérité, lui, pour la description du mimétisme animal qui porte aujourd'hui son nom[3].

Néanmoins, comme Smith le souligne, Wallace, même s'il n'a jamais connu l'aisance financière de Darwin, n'appartenait pas pour autant à la classe populaire, mais bien à la même catégorie sociale que Darwin et ses collègues, la bourgeoisie cultivée (Darwin, fils et petit-fils de médecin aisé et héritier par sa mère d'un riche manufacturier, n'eut jamais à travailler pour gagner sa vie). Par contre, cette différence financière et la soif de reconnaissance de Wallace explique en partie pourquoi celui-ci fut un producteur d'articles et de livres beaucoup plus prolifique que Darwin[4].

De l'Amazonie à l'Asie du Sud-Est

L'ouvrage de Peter Raby décrit minutieusement les voyages de Wallace, donnant une multitude de détails (ses étapes, ses compagnons, ses rencontres, les incidents et accidents qui jalonnèrent ses explorations, etc.) tout en construisant un récit très vivant. On n'en donnera ici qu'un rapide résumé.

Figure 1. Le paradisier de Wallace ( Semioptera wallacii ).

Un exemple d'oiseau dont le nom rend hommage à Alfred Russel Wallace.


En Amazonie, où il débarque le 26 mai 1848, Wallace réalise un considérable travail d'exploration et de collecte de spécimens, surtout d'insectes et d'oiseaux. Il remonte et cartographie l'Amazone puis le Rio Negro, allant plus loin que quiconque jusqu'alors  ( The Alfred Russel Wallace Page ), recrutant des aides et des guides à mesure de son avancée, tout en correspondant par lettres avec l'Angleterre. Quand il le peut, il expédie ses récoltes à son agent chargé de leur vente auprès des collectionneurs, qui lui renvoie l'argent ainsi gagné. Durant ce voyage, Wallace s'indigne, comme Darwin quinze ans plus tôt, de la pratique de l'esclavage.

« Est-il juste de maintenir ces êtres dont nous sommes frères dans un tel état d'infantilisation -- comme des enfants incapables de réfléchir ? C'est par la responsabilité et l'indépendance que les humains acquièrent force et énergie. » (A. R. Wallace, Travel on the Amazon and the Rio Negro, 1853, cité dans Raby4 , p.75).

Par ailleurs, il y contracte le paludisme et y perd aussi son plus jeune frère, Herbert, venu le seconder en 1849 et qui mourut le 8 juin 1851 à Belém, victime d'une épidémie de fièvre jaune (à laquelle Bates, lui aussi, faillit succomber) ; Wallace, qui parcourt alors le Rio Negro, n'apprend son décès que trois mois plus tard (Raby [4], p.112-13).

Wallace entame son retour vers l'Europe le 12 juillet 1852, mais le navire qui l'emmène, victime d'un incendie, fait naufrage avec toutes ses collections, ses carnets et les animaux vivants qu'il ramenait (singes et oiseaux). Et le bateau qui recueille les naufragés n'est, selon Wallace lui-même, qu'une « vieille baignoire pourrie » qui arrive à Deal, près de Douvres, le 1er octobre « avec plus d'un mètre d'eau dans les cales » (Raby [4], p.120).

Ce désastre pousse Wallace à repartir deux ans plus tard à peine, cette fois pour l'Asie du Sud-Est. Après avoir parcouru l'Amazone à la recherche des papillons et de « l'oiseau-ombrelle » (Coracine, Cephalopterus ornatus ), c'est, entre autres, l'orang-outan et le paradisier ( Semioptera wallaci ) qu'il va traquer en Indonésie et en Malaisie. Il arrive à Singapour le 20 avril 1854 et, huit années durant, explore l'ensemble de l'archipel indonésio-malais, passant d'île en îlots (figure ci-dessous). C'est à Ternate, en Malaisie qu'il souffre de la crise de paludisme "révélatrice" et qu'il rédige le manuscrit qui bousculera Darwin. Mais ses pérégrinations lui permettent aussi une autre découverte majeure, dans un domaine différent, celui de la biogéographie. Wallace constate une nette différence écologique entre l'Ouest et l'Est de l'archipel ; si les mammifères et les oiseaux de l'Ouest, jusqu'à Bornéo, sont affiliés à la faune d'Asie, ceux de l'Est sont semblables à des espèces d'Australie. Wallace découpe ainsi la région en deux provinces biogéographiques distinctes, dont il trace la frontière commune entre Bornéo et les Célèbes côté malais et entre les îles de Java et Lombok côté indonésien (figure ci-dessous). Cette limite, qu'il propose en 1859 dans un article sur la faune de Malaisie, sera baptisée "ligne Wallace" par Thomas Henry Huxley en 1868.


Plus tard, suivant les travaux de l'ornithologue Philip Sclater (1829–1913), qui « identifie six grandes zones de répartition [des oiseaux dans le monde] », Wallace « complexifiera et appliquera [ce modèle] à d'autres groupes » (Smith [6], p.106), pour écrire finalement en 1876 un ouvrage en deux tomes, The Geographical Distribution of Animals.

Pour expliquer cette répartition des organismes, Wallace suppose que les faunes sont restées séparées par le bras de mer par lequel passe sa ligne, où la profondeur augmente nettement par rapport à la région Ouest. D'autres biogéographes proposeront des limites différentes, en considérant seulement certains groupes d'organismes (mammifères, oiseaux), mais toutes traversent la zone de grands fonds océaniques qui séparent les plateaux continentaux asiatique et australien. En termes modernes, la "ligne Wallace" correspond à la limite du plateau continental de l'Asie du Sud-Est. Les autres lignes proposées (ligne Weber, ligne Lydekker), qui passent à l'Est des Célèbes, traversent le bassin d'arrière-arc de la subduction indonésienne.

Comme l'a correctement suggéré Wallace, cette zone est restée marine et profonde même lors des épisodes de bas niveau marin, comme celui du Dernier maximum glaciaire, durant lequel le niveau marin global était en moyenne inférieur de 100 m à l'actuel (cf. figures ci-dessous). Les espèces australiennes auraient donc pu coloniser les îles orientales lors de ces phases de bas niveau, mais n'auraient pas pu franchir ce bras de mer profond pour gagner le côté occidental (et inversement pour les espèces d'Asie). La tectonique des plaques explique aujourd'hui pourquoi les deux faunes, d'Australie et d'Asie, diffèrent si nettement : l'Australie était autrefois rattachée à l'Antarctique et à l'Afrique, constituant une partie du Gondwana (portion méridionale de la Pangée), jusqu'à l'ouverture de l'océan Indien ; l'Asie du Sud-Est, elle, appartenait à la Laurasie (sous-continent septentrional de la Pangée), avant d'être "extrudée" vers le Sud-Est par la collision himalayenne.


Figure 4. Configuration de l'Asie du Sud-Est et de l'Australie avec un niveau marin de -100 m par rapport à l'actuel.

La baisse du niveau marin permet de relier entre elles de nombreuses îles de l'archipel indonésien, mas sépare tout de même un bloc occidental relié à l'Asie et un bloc oriental relié à l'Australie.


Wallace est ainsi l'un des pionniers de a biogéographie, même si, comme le souligne C. Smith, ses conceptions paraissent aujourd'hui insuffisantes. Wallace comprend que deux espèces morphologiquement très proches sont aussi contemporaines dans le temps et voisines dans l'espace. Mais pour lui, la séparation et la naissance des espèces nouvelles seraient seulement le résultat de la dispersion des populations (une spéciation que l'on qualifierait aujourd'hui d'allopatrique ou de parapatrique). Wallace ne peut envisager, cinquante ans avant la théorie de Wegener et un siècle avant la tectonique des plaques, qu'« une modification environnementale – une fragmentation continentale, un changement climatique ou encore la formation d'une chaîne de montagnes – crée une barrière naturelle au sein même de l'aire de répartition d'une population » (Smith [6], p.108-109).

C'est donc d'abord comme naturaliste de terrain, découvreur de nouvelles espèces et biogéographe que Wallace (comme Darwin en 1836) se fait connaître dans la communauté scientifique, rédigeant en 1864 « une avalanche d'articles » (Raby [4], p.241). Mais, contrairement à Darwin qui s'exprimait très peu, Wallace n'hésitait pas à donner son opinion ou à proposer des solutions, sous forme d'articles ou de communiqués dans divers revues et journaux, sur d'innombrables sujets, de la nationalisation des terres à la constitution de la chambre des Lords.

Wallace, homme engagé, scientifique fourvoyé

À la lecture de Peter Raby et surtout de Charles Smith, on conçoit que la pensée de Wallace soit moins connue que celle de Darwin : elle semble nettement plus difficile à suivre et peut passer, aujourd'hui, comme dispersée aux deux bouts de l'éventail politique. Ainsi, les phrases qui suivent immédiatement son opinion sur l'esclavage citée plus haut sont « C'est dans le "combat pour la vie" que s'exercent nos facultés mentales et qu'éclatent les étincelles latentes du génie. L'appât du gain, l'amour du pouvoir, le désir d'être reconnu, poussent aux nobles accomplissements et mettent en action ces facultés qui sont les attributs distinctifs de l'homme ».

Dans un autre registre, Wallace, jeune homme pressé et ambitieux dans les années 1850, soutient l'élection aux responsabilités de personnalités très expérimentées, donc âgées !

Wallace le militant politique

Durant ses années d'apprentissage comme menuisier puis comme arpenteur, auprès de ses frères aînés John et William, Wallace fut conquis par les thèses progressistes de Robert Owen, « penseur laïque, socialiste, agnostique, idéaliste » (Raby [4], p.73).

Selon P. Raby et C. Smith, cette philosophie axée sur le progrès social et le souci de justice restèrent des constantes dans la pensée de Wallace.

C'est ainsi, pour ne citer que quelques exemples, que Wallace mena longtemps une campagne contre la privatisation des terres ( enclosures ), devenant fondateur et président d'une association spécifiquement dédiée à ce combat, la Land Nationalisation Society . Cette société « prône une stratégie de dépossession des grandes exploitations agricoles dont Wallace lui-même est l'auteur » (Smith [6], p. 256). Fort, notamment, de son expérience de terrain « durant les six ou sept années où il travaille pour son frère aîné », Wallace développe un programme théorique complet de nationalisation des terres et d'indemnisation des propriétaires ; il en donne les grandes lignes dans une tribune de 1861 dont Charles Smith reproduit un long extrait. Ce militantisme, que l'on qualifierait aujourd'hui immédiatement "de gauche" (voire d'extrême-gauche) l'amène aussi à considérer les questions d'éducation. Ses opinions sur ce point, présentées dans une tribune du journal Nature en 1870, paraissent radicales, pour le lecteur actuel comme pour celui du XIXème siècle, mais leur conclusion peut aussi surprendre. Wallace, en effet « proteste avec la plus grande vigueur contre l'utilisation des deniers publics [pour l'enseignement des arts et techniques et le mécénat de la science] » (Smith [6], p.242-243). Car en effet, il « s'oppose radicalement à toute forme d'éducation qui ne profite qu'à une seule classe ou catégorie de la société ». En conséquence, « une éducation nationale n'est pas illicite, qu'elle soit assurée par les établissements scolaires publics, ou dans les musées, galeries d'art et autres jardins […] [mais xeux-ci] doivent être populaires […] et l'argent public investi dans leur développement doit correspondre au plus haut degré d'instruction et de bénéfice que peuvent en retirer les masses populaires ».

Bref, avec Wallace, la priorité n'aurait pas été donnée aux disciplines artistiques dans l'éducation (à moins qu'elles n'aient pu être réellement et strictement accessibles à tous). Un raisonnement tout aussi logique et argumenté le conduisit à adopter une autre position a priori étonnante de la part d'un biologiste doublé d'un progressiste, celle du refus de la vaccination obligatoire (contre la variole). Les arguments de Wallace sont d'autant plus intéressants qu'on peut les comparer à ceux des adversaires actuels des campagnes de vaccination.

À cette époque, vers 1890, la vaccination anti-variolique est pratiquée depuis une cinquantaine d'années (Wallace s'était lui-même fait vacciner avant son départ en Amazonie). Il appuie sa contestation sur ses propres études, des recherches statistiques « très largement ignorées par le corps médical [et pourtant] très novatrices en soi. Plutôt que de s'en tenir à l'avis des médecins, Wallace recoupe directement plusieurs données relatives à l'incidence de la variole, devenant ainsi l'un des premiers statisticiens épidémiologistes ». Ses arguments tiennent à ce que « la vaccination, à la fin du XIXème siècle, fait probablement davantage de morts qu'elle ne sauve de vies (surtout en raison du manque d'hygiène lors de l'inoculation ou des piètres techniques d'injection) » (Smith [6], p.239). Ici, comme dans l'exemple précédent, Wallace refuse une mesure qui, quoique bénéfique en soi, ne profiterait pas à tous sans exception. On le voit, sa position n'est pas un refus de l'autorité étatique et du caractère obligatoire et contraignant de l'acte médical, mais la conclusion logique d'une étude quantitative doublée d'une exigence de justice sociale maximale.

La position de Wallace doit donc être replacée dans son contexte historique, et ne peut pas être jugée à l'aune de la situation actuelle, ni récupérée par les adversaires actuels de la vaccination, puisque l'acte de vaccination des années 1880 en Angleterre comportait réellement des risques au moins égaux, sinon supérieurs, aux bénéfices (alors que le rapport bénéfice/risque des vaccins actuels est généralement élevé et qu'on ne meurt pas des suites de leur administration). Dans le même temps, et contrairement à aujourd'hui, l'absence de couverture vaccinale généralisée ne permettait pas aux non-vaccinés de bénéficier indirectement de la protection acquise par une majorité de la population et de "profiter" ainsi de la vaccination des autres (une situation maintenue aujourd'hui par la vaccination d'une majorité, mais que le refus croissant de la population à accepter cet acte de prévention pourrait menacer).

Wallace, le spiritualisme et l'évolution humaine

À côté de ses positions politiques quelque peu radicales, les écrits de Wallace ont surtout perdu de leur notoriété pour deux raisons liées entre elles : son adhésion au spiritualisme et, en corollaire, sa conception de l'évolution humaine.

Wallace, en effet, s'intéressa au spiritualisme (ou spiritisme en français), probablement à partir de 1862, selon P. Raby et surtout, selon C. Smith, à partir de l'été 1865. Selon Smith, Wallace s'y consacre tant durant l'année 1865 qu'il laisse en chantier plusieurs autres travaux en cours et qu'il « se lance dans un examen exhaustif de la littérature spiritualiste ». Pour Raby, il s'agit d'une vraie « métamorphose » de Wallace.

Le spiritualisme, comme le rappelle Smith, est une doctrine dont « les adeptes croient à un monde invisible d'esprits mais, pour la plupart, il s'agit d'une réalité naturelle : le spiritualisme ne connaît ni cause dernière, ni figure divine omnipotente, ni dichotomie paradis-enfer à proprement parler, ni doctrine étendue » » (Smith [6], p.141). Le courant spiritualiste du XIXème siècle, dit "spiritualisme moderne anglo-saxon", naît dans les années 1840 sur la côte Est des États-Unis et se développe rapidement dans les sociétés anglo-saxonnes. Wallace, que Smith qualifie de « matérialiste agnostique », s'y intéresse d'abord comme il s'était précédemment penché sur le mesmérisme[5], d'autant plus que « d'aucuns essaient d'attribuer [le spiritualisme] au mesmérisme » (Smith [6], p.179) : sa volonté affichée est d'étudier scientifiquement les phénomènes survenant au cours des séances de spiritisme (tables tournantes, coups frappés, etc.). C'est ce qu'il tente de présenter dans un recueil de 1875, On miracles and Modern Spiritualism: Three Essays (Les miracles et le spiritualisme moderne).


Mais, d'après P. Raby, « cette curiosité prétendument objective contenait en fait une bonne part de subjectivité. Primo , parce que sa sœur Fanny était une spiritualiste militante ; secundo , parce que Wallace croyait dans la capacité inné des individus, hommes et femmes, à résoudre les problèmes par la seule puissance de leur esprit – et si ces individus étaient des hommes et des femmes "ordinaires", c'était encore mieux. Il assista à un très grand nombre de séances de spiritisme et, dès que le médium faisait allusion à un membre de sa famille, il avait tendance à se montrer particulièrement crédule » (Raby [4], p.257).

P. Raby souligne aussi que d'autres auteurs avaient tenté avant lui cet examen critique du spiritisme, et avaient parfois pu fournir des explications rationnelles aux phénomènes observés, mais « dès que Wallace était sur la piste d'une nouvelle idée, il se souciait peu des opinions d'autrui et refusait de se dissimuler derrière un scepticisme feint. Il y avait dans le monde une telle profusion de nouvelles connaissances et de découvertes potentielles qu'il lui semblait parfaitement logique d'admettre l'irruption de nouveaux regards sur la réalité, si étrange qu'ils paraissent » (Raby [4], p.258).

Ainsi, Wallace ne réussit pas, contrairement à ce qu'il prétendait, à mener une étude vraiment scientifique. Il fut mystifié par les médiums qu'il consultait mais se laissa aussi prendre : même lorsque certains de ses collègues, comme Huxley, furent persuadés d'avoir affaire à des charlatans, ils ne parvinrent pas à en convaincre Wallace. À sa décharge, comme le rappelle la citation ci-dessus, cette époque marquée par de grandes découvertes dans les domaines de la biologie, où les neurosciences n'étaient pas nées, permettait encore d'envisager sérieusement l'existence de phénomènes inconnus et pour l'heure inexplicables. De plus, Wallace « n'était pas un exemple isolé au sein de l'intelligentsia victorienne, et encore moins parmi les hommes de science » (Raby [4], p.262). Enfin, Wallace et sa sœur étaient probablement d'autant plus réceptifs au spiritualisme qu'ils avaient perdu nombre de leurs proches : sur les huit enfants des parents Wallace, trois seulement dépassèrent les trente-six ans (Fanny Wallace mourut en 1894 à 82 ans, John Wallace l'année suivante, à 77 ans, et Alfred Wallace à 90 ans).


Cette adhésion au spiritualisme éclaire aussi l'autre « petite hérésie » de Wallace (un terme qu'il s'attribua lui-même) concernant la théorie de l'évolution : son refus de l'appliquer telle quelle à l'espèce humaine.

Wallace a toujours gardé une vision progressiste, de la société comme de l'évolution, même s'il rejoint Darwin sur les mécanismes évolutifs agissant sur les organismes autres que l'Homme. Aussi, pour lui, « l'homme tendait vers un état de liberté individuelle et d'autonomie, rendu possible par le développement égal et le juste équilibre des aspects intellectuels, moraux et physique de notre nature  » (Raby [4], p.278).

Pour Wallace et les spirites, « la raison d'être du monde et de l'ensemble du monde matériel est le développement d'êtres spirituels, la mort n'étant qu'une simple transition d'une existence matérielle vers le premier stade de l'existence spirituelle » (Wallace, 1892, cité par Smith [6], p.161).

D'après P. Raby « [pour Wallace] la certitude d'une vie après la mort était le nécessaire prolongement des théories darwiniennes. Sans dimension spirituelle, le darwinisme présentait un tableau incomplet et inexact de la vie humaine » (Raby [4], p.338).

L'évolution selon Wallace devient donc, dans le cas de l'Homme, directionnelle, progressiste. Qui plus est, les « esprits » sont présents en permanence et peuvent influencer les humains. Wallace devient ainsi théiste, même s'il récuse l'assimilation de ces esprits à un ou des « dieux » : ce ne sont pour lui que des entités naturelles, mais dont la nature reste mal comprise. C'est pourquoi, selon C. Smith, la revendication par les partisans de l' Intelligent Design ("dessein intelligent") de leur affiliation aux théories de Wallace, n'est pas légitime.

Conclusion

Les deux ouvrages utilisés ici s'avèrent bien différents et complémentaires : si celui de P. Raby est une pure biographie, où l'auteur détaille la vie de Wallace, celui de C.H. Smith est beaucoup plus analytique et personnel. Smith parle à la première personne, donne son analyse personnelle des passages de Wallace qu'il cite et construit son essai non pas selon la chronologie, mais par thèmes, ce qui lui permet de comparer des extraits distants dans le temps et d'explorer ainsi l'évolution intellectuelle du personnage. La biographie de P. Raby, en ne détaillant pas énormément la pensée de Wallace sur l'évolution, et notamment l'évolution humaine, lui confère une image plus lisse. Les divergences des théories de Wallace et de Darwin n'apparaissent pas aussi nettement que dans l'ouvrage de Smith.

Mais les deux livres éclairent bien les multiples facettes d'un personnage touche-à-tout, travailleur acharné et sûr de lui, grand voyageur, tant à l'étranger (il visita également les États-Unis entre 1886 et 1887) que dans son propre pays (il parcourut les campagnes en qualité de géomètre-arpenteur et déménagea à plusieurs reprises). Le présent article n'en donne qu'un aperçu, que ces livres développent largement. C.H. Smith termine le sien par un chapitre entier intitulé Wallace et… pour y évoquer les domaines (autres que l'évolution, la biogéographie et le spiritualisme) auxquels Wallace s'est intéressé de près ou de loin : botanique, astronomie, météorologie, astrobiologie (Is Mars habitable?, 1907), écologie, économie, politique (The Revolt of Democracy, 1913)… La bibliographie proposée par Smith liste comme œuvres "principales" de Wallace pas moins de vingt-trois livres ! C'est ainsi que Smith conclut par une longue citation d'un texte de 1910 dont est extrait le passage suivant, qui résonne bizarrement par son actualité, à plus d'un siècle de distance.

 

Pourtant, si le dernier siècle a connu des avancées dans la connaissance de la nature dont nous pouvons être fiers, cela ne s'est nullement accompagné d'un quelconque développement de l'amour ou du respect pour ses œuvres. Si bien que jamais auparavant la surface de la Terre n'avait connu ravages aussi étendus, causés par la destruction de la végétation d'origine et d'une grande partie de la faune, ni connu de défiguration aussi massive par les travaux miniers et les déchets industriels et urbains que nous déversons dans nos cours d'eau et nos rivières. Toutes les grandes nations qui se disputent le haut de l'échelle des civilisations et des religions ont fait de même ! Pire encore, l'essentiel de ce gâchis et de cette dévastation a été conduit, et continue de l'être, non pas à des fins nobles et louables, mais pour alimenter la cupidité et l'avarice de quelques-uns, de sorte que, partout où une minorité s'est enrichie, des millions d'individus sont privés du strict minimum et ne peuvent vivre décemment ni en bonne santé. Cause directe de cette cruelle course au lucre, des milliers d'entre eux meurent de faim chaque année, et un nombre tout aussi important est anéanti par d'horribles maladies ou accidents que l'on pourrait aisément éviter presque chaque fois. Et pourtant, jamais on ne le fait, pour une unique raison : ce serait entamer les profits des capitalistes et des législateurs, directement responsables de cette défiguration et de cette destruction quasi planétaires, et de ce qui s'apparente à un massacre de la classe ouvrière, ignorante et sans défense.

 
  --Alfred Russel Wallace, The World of Life, 1910

Bibliographie

George Beccaloni, 2008. The Alfred Russel Wallace Website , site internet, visité le 07/10/2015

Andrews Berry, Janet Browne, 2008. The other beetle-hunter , Nature, 453.7199, p. 1188–1190 - doi:10.1038/4531188a

Ulrich Kutschera, 2012. History of science: Wallace pioneered astrobiology too , Nature, 489.7415, p. 208 - doi:10.1038/489208e

Peter Raby, 2013. Alfred R. Wallace. L'explorateur de l'évolution . traduit par Florianne Vidal, Éditions de l'évolution, 448p. - ISBN 978-2-36635-000-5

Charles H. Smith, 1998. The Alfred Russel Wallace page , site internet, visité le 07/10/2015

Charles H. Smith, 2013. Enquête sur un aventurier de l'esprit. Le véritable Alfred R. Wallace . traduit par Antoine Guillemain, Éditions de l'évolution, 299p. - ISBN 978-2-36635-005-0

Patrick Tort, 2000. Darwin et la science de l'évolution , Découvertes Gallimard, 160p. - ISBN 978-2-07053-520-0

Ce texte a bénéficié de l'aimable relecture d'Olivier Perru, professeur des universités au laboratoire S2HEP, Univ. Lyon 1.



[1] On the tendency of varieties to depart indefinitely from the original type

[2] « delicate arrangement » selon la formule utilisée par Leonard Huxley (fils de Thomas Huxley) à propos de cet épisode.

[3] Mimétisme batésien : mimétisme où l'espèce imitatrice (mime), non-toxique, présente l'aspect d'une autre espèce (modèle) toxique ou venimeuse. L'imitateur bénéficie ainsi de la protection obtenue par l'espèce nocive, sans le coût de la production des toxines.

[4] Par ailleurs, la santé de Darwin se détériora nettement après son retour en Angleterre : les symptômes qu'on lui connaît font soupçonner qu'il aurait contracté une forme chronique de la maladie de Chagas, à la suite d'une piqûre d'insecte qu'il relate dans son récit du voyage du Beagle (Tort, 2000 [7]).

[5] Mesmérisme : doctrine développée à partir de 1766 par l'Allemand Franz-Anton Mesmer, qui prétendait guérir les malades à l'aide d'un hypothétique "fluide magnétique" ; combattues notamment par Lavoisier mais aussi par Benjamin Franklin, ses séances publiques de "magnétisation" furent interdites en France suite à une enquête menée conjointement par l'Académie des sciences et l'Académie royale de médecine (pour plus de détails, voir l'article de B. Belhoste dans Pour la Science n°455, septembre 2015). Les "magnétiseurs" modernes en sont les lointains héritiers.