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Article | 28/02/2007

La comète Wild 2 : premiers résultats des analyses des grains ramenés par la mission Stardust

28/02/2007

Pierre Thomas

ENS de Lyon, Laboratoire de Sciences de la Terre

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Analyses de la fraction minérale, analyses isotopiques des grains et de la matière organique.


Il y a un an, nous avons publié un article faisant un état des connaissance sur les comètes au début de 2006. Cet article avait été publié juste avant le retour (réussi) des poussières cométaires de la comète Wild 2 ramenées par la mission Stardust.

Un an après ce retour d'échantillons, les premiers résultats préliminaires sont publiés par la revue Science du 15 décembre 2006. On peut aussi suivre l'histoire de la mission Stardust sur le site dédié de la NASA.

Faisons un rapide résumé de ces résultats.

La comète Wild 2

Il s'agit d'une comète à très courte période. La figure ci-dessous résume les différents types d'orbites cométaires. La majorité des comètes ont leur aphélie dans la ceinture de Kuiper ou dans le nuage de Oort, largement en dehors du schéma. Leur période orbitale est très largement supérieure au siècle (exemple : Hyakutake). Si l'une de ces comètes passe très près de Saturne ou de Jupiter, elle peut être déviée et avoir une orbite moins elliptique et une période plus courte (quelques dizaines d'années, comme la comète de Halley), voire beaucoup plus courte (période de révolution de quelques années) comme les comètes Tempel 1 (visitée par Deep Impact) et Wild 2.


Pour l'instant, seuls quatre noyaux cométaires ont été survolés et ces quatre noyaux sont assez peu ressemblants. Il est donc assez difficile de faire le portrait robot d'une comète. Wild 2, comme Halley, Borrely et Tempel 1, est donc une comète dont on n'est pas sûr de la représentativité. Il faut avoir cette réserve en tête lors de l'étude des résultats de Stardust.

Images détaillées des 4 comètes survolées à ce jour

Pour plus de détails sur le noyau de la comète Wild 2, voir l'article cité en introduction à propos des comètes (fig 12 à 16 et texte associé).

La mission Stardust et le prélèvement des poussières

La sonde Stardust a été lancée en février 1999. Elle a survolé la comète Wild 2 en traversant sa chevelure le 2 janvier 2004. C'est lors de ce survol qu'elle a sorti une "raquette" comprenant des panneaux d'aérogel dans lesquels sont venus se fixer des poussières cométaires.


La sonde est revenue sur Terre le 15 janvier 2006. Des poussières cométaires ont effectivement été captées par l'aérogel.

La vitesse relative de la sonde et des poussières était de 6,1 km/s, ce qui a formé de nombreux micro-cratères dans l'aérogel. Les poussières ont été décélérées très fortement en quelques millimètres, se sont brisées et ont chauffé en ralentissant et s'arrêtant dans l'aérogel. Les plus grosses particules ont le plus chauffé, et ont pu atteindre 2000 K ; les plus petites ont beaucoup moins chauffé. Chaque particule a creusé un sillon tubulaire dans l'aérogel, appelé "trace". Si les plus grosses particules sont situées au fond de la trace, de nombreux petits fragments se sont étalés le long de la trace. La tailles des plus gros grains recueillis est d'environ 20 μm. La majorité des grains sont beaucoup plus petits.


Vue microscopique d'une coupe transversale dans un fragment d'aérogel montrant une dizaine de traces

Figure 5. Vue microscopique d'une coupe transversale dans un fragment d'aérogel montrant une dizaine de traces

C'est à l'extrémité de ces traces qu'on recueille les fragments de poussières cométaires.


Huit exemples de traces dans l'aérogel, avec grains de poussières à leur extrémité ou laissés le long de la trace

Figure 6. Huit exemples de traces dans l'aérogel, avec grains de poussières à leur extrémité ou laissés le long de la trace

Les largeurs des traces vont de 0,2 à 3 mm. La colonne la plus à droite montre en haut la vue complète de la trace nommée T25 qui mesure 2 mm de long. Les 5 carrés inférieurs numérotés 2 à 6 correspondent à des macro-photographies des particules 2 à 6, localisées sur la trace. Ces particules vont de 5 à 12 μm. La plus grosse particule, la n°1 de 20 μm de diamètre et située en bout de trace, était déjà enlevée quand la photo a été prise.


Les résultats concernant la fraction minérale non volatile

Analyser des grains de poussières, si possible en les détruisant le moins possible, de tailles inférieures à 20 μm et dont la masse totale est très largement inférieure au μg est un challenge expérimental. Les résultats présentés ici ne sont que des résultats préliminaires.

Les figures suivantes montrent la vue, et son interprétation, d'un grain "standard" et les analyses du rapport Fe/Mg des olivines et pyroxènes de 9 grains de poussières.

Image microscopique (HAADF : High-Angle Annular Darkfield) et interprétation d'un grain de 8 μm

Figure 7. Image microscopique (HAADF : High-Angle Annular Darkfield) et interprétation d'un grain de 8 μm

Ce grain est composé de 3 parties : de la pyrrhotite (FeS), de l'enstatite (pyroxène magnésien, MgSiO3) et un agrégat de micro-grains dont la composition globale est celle des chondrites (composition solaire).


Rapport Mg/Fe de pyroxènes et d'olivines de poussières cométaires de Wild 2

Figure 8. Rapport Mg/Fe de pyroxènes et d'olivines de poussières cométaires de Wild 2

Les chiffres indiquent le % d'enstatite (En) et de forstérite (Fo), pôle magnésien des pyroxènes et olivines. Les flèches indiques le champ compositionnel de ces silicates dans les grains de poussières chondritiques ordinaires anhydres (Anhydrous Chondritic IDPs) et dans les grains de poussières chondritiques carbonées hydratées (Hydrous C IDPs). On note que les olivines et pyroxènes de Wild 2 sont proches de ceux des chondrites anhydres, ce qui est surprenant dans une comète majoritairement faite de glace d'H2O. [IDP = Interplanetary Dust Particule]


Les poussières interplanétaires (IDP, Interplanetary Dust Particules)

Tout le système solaire baigne dans des micro-poussières, particulièrement abondantes dans le plan de l'écliptique. Ces poussières sont à l'origine du phénomène de la lumière zodiacale. On récupère ces micro-poussières (qui ne chauffent pas lors de leur rentrée dans l'atmosphère ) soit en fondant des mètres cube de glace antarctique prélevée à des centaines de kilomètres de toute montagne émergeant de la calotte et de toute source de pollution, soit avec des avions stratosphériques équipés de panneaux recouverts de gel adhésif.

On peut résumer les principaux résultats de la façon suivante : les grains de poussières de Wild 2 ont, en gros, la composition chimique des chondrites vis à vis des silicates et sulfures métalliques. Il y a une abondance de silicates formés à haute température (olivine). La grande variabilité du rapport Mg/Fe dans ces silicates reflète une grande variété de conditions de formation, qui proviendraient donc d'une grande variété de régions de la nébuleuse pré-solaire où ces silicates ont pris naissance. On n'a pas encore identifié de silicates hydratés (genre serpentine ou argile), ce qui est très différent des chondrites carbonées, et très étonnant dans un corps majoritairement composé de glace d'H2O.

Tout ceci suggère qu'une comète est faite d'un mélange de particules condensées loin du Soleil (glace) et près du Soleil (olivine). Le mélange de particules de provenances différentes lors de l'accrétion des comètes (ou de leurs corps parents) semble beaucoup plus important qu'on ne le pensait auparavant.

Les résultats concernant les analyses isotopiques

La composition isotopique en hydrogène (H), oxygène (O), carbone (C) et azote (N) est relativement homogène dans les échantillons de Stardust. La gamme des (petites) variations observées est compatible avec tout ce qu'on a mesuré à ce jour dans le système solaire. L'essentiel du matériel analysé a donc pour origine des condensats de la nébuleuse solaire, et non pas des grains interstellaires antérieurs à notre nébuleuse. La contribution des molécules organiques interstellaires (dont le rapport D/H peut atteindre 10-1 soit 1000 fois le SMOW) semble minoritaire.

Exemple de diagramme isotopique montrant la variété du rapport D/H, en absolu (échelle supérieure) ou normalisé au SMOW (échelle inférieure)

Figure 9. Exemple de diagramme isotopique montrant la variété du rapport D/H, en absolu (échelle supérieure) ou normalisé au SMOW (échelle inférieure)

La gamme des variations des échantillons Stardust ("STARDUST samples") est compatible avec ce qu'on connaît dans la Terre ("terrestrial range"), dans les volatils des comètes ("Comets"), et dans les météorites et poussières interplanétaires ("IDPs and Meteoritic Insoluble Organic Matter).

Les échantillons Stardust, identiques aux échantillons du système solaire, montrent une variation beaucoup moins importante que les molécules interstellaires.


Il y a une exception : un micro-grain, lui même inclus dans un grain standard. Ce micro-grain montre un très fort enrichissement en 17O. Jusqu'à présent on n'avait retrouvé de telles compositions isotopiques que dans les « grains pré-solaires ».

Les grains pré-solaires

On appelle grains pré-solaires des micro-grains, inclus dans les chondrites les plus primitives, et dont la composition isotopique indique une origine extérieure à notre système solaire. Ces grains pré-solaires ont dû arriver sous forme de poussières "toutes faites" qui se sont mélangées à notre nébuleuse en train de se condenser et où se déroulaient les processus d'accrétion.

La présence d'un seul micro-grain d'origine extérieure à notre système solaire monte bien que l'essentiel du matériel cométaire a pour origine la condensation et l'accrétion de notre nébuleuse et que le matériel extra-système solaire y est tout à fait marginal.

Grain pré-solaire découvert dans les résidus de particules dans le cratère C2086W1

Figure 10. Grain pré-solaire découvert dans les résidus de particules dans le cratère C2086W1

A : vue au microscope électronique de ce cratère. La particule principale est invisible (au fond du trou). Un micro-fragment (résidu) est resté sur les lèvres du cratère.

B : Vue en gros plan de ce résidu. Le grain pré-solaire est à l'intérieur du cercle jaune.

C : Carte "nano SIMS" du δ17O du secteur cerclé de jaune dans la figure B. Les teintes gris-bleu-vert correspondent à de faibles variations de δ, comme on en trouve dans tous les échantillons naturels classiques (terrestres, lunaires, météoritiques …). La zone rouge correspond à un δ de 800, valeur inconnue dans les échantillons "classiques".

D : rapports isotopiques de grains pré-solaires extraits de chondrites carbonées (points gris). Le grain pré-solaire de Stardust est représenté par le carré blanc. À cette échelle, tous les échantillons terrestres, lunaires, météoritiques… sont situés à l'intersection des 2 lignes en pointillés.


Les résultats concernant la matière organique

Il y a de la matière organique dans les poussières de Wild 2. Ses rapports isotopiques montrent qu'il ne s'agit en aucun cas de contamination terrestre.

L'analyse moléculaire de cette matière organique est très difficile (1) à cause des faibles quantités présentes, (2) à cause du chauffage et de la dégradation qu'ont subis les grains lors de leur capture par l'aérogel.

Les trois figures suivantes montrent quelques exemples de résultats et leurs interprétations brutes.

Spectre Raman montrant la présence de matière organique grâce aux 2 raies D et G

Figure 11. Spectre Raman montrant la présence de matière organique grâce aux 2 raies D et G

En haut   spectre Raman de poussières Stardust . Au milieu : spectre Raman de poussière interplanétaire (IDP) et de 2 chondrites carbonées. En bas : spectre Raman de kérogènes terrestres.


Trois différents résultats de la matière organique concernant 6 échantillons (1 à 6)

Figure 12. Trois différents résultats de la matière organique concernant 6 échantillons (1 à 6)

A- Spectre C-XANES de 6 échantillons de Stardust (1 à 6) comparés à des spectres de chondrites (Tieschitz L3-6 et EET92042 CR3). Des pics au niveaux d'énergie marqués par les lignes verticales (a) à (f) correspondent à la présence de groupements : a : C=C / b : C=C–O / c : C=O / d : N–C=O / e : O–C=O / f : C–O.

B- Rapport O/C et N/C des échantillons 1 à 6 (triangles), obtenus par analyse C,N,O-XANES. Les carrés regroupés dans les rectangles gris correspondent aux chondrites carbonées. Le cercle noir correspond au poussières interplanétaires. L'étoile noire correspond à la comète de Halley.

C- Scanning Transmission X-ray Microscope (STXM) : image du grain 5 montrant la densité relative de carbone dans le grain. La barre blanche correspond à 1 μm.


Distribution du carbone et de l'azote dans les grains de Stardust

Figure 13. Distribution du carbone et de l'azote dans les grains de Stardust

A- Histogramme du rapport C/N de 3 échantillons Stardust. En haut, un échantillon avec un étalement du rapport C/N. En bas, 2 échantillons avec un faible rapport C/N, compatible avec la présence de molécules telles HCN et leurs polymères. Les flèches indiquent le rapport C/N du Soleil et de la matière organique insoluble (IOM) des chondrites carbonées (CC)

B- Image nano-SIMS de la distribution de C, du rapport C/N et de S dans un grain de 20 μm.


Ces quelques exemples d'analyses, et toutes les autres non citées ici, permettent les conclusions suivantes :

  • de la matière organique existe dans les échantillons Stardust ;
  • sa distribution est hétérogène et non équilibrée ;
  • cette matière organique est voisine, mais non identique à celle des chondrites carbonées et des poussières interplanétaires ;
  • ses composés organiques sont plus riches en O et N que ceux des météorites ;
  • les composés aromatiques sont présents, mais plus rares que dans les chondrites carbonées ;
  • plusieurs groupements et fonctions ont été identifiés : alcool, cétone, aldéhyde, acide carboxylique, amides, nitrile, etc ;
  • les enrichissements en 15N suggèrent que certaines de ces molécules pourraient avoir une origine interstellaire.

Conclusion générale

On peut tirer quelques conclusions provisoires de ces résultats préliminaires.

  1. Les poussières cométaires de Wild 2 sont principalement originaires de notre nébuleuse. La contribution de grains pré-solaires et de molécules organiques interstellaires est faible, mais non nulle.
  2. Les comètes semblent constituées de matériels provenant de diverses régions de notre nébuleuse : des régions éloignées du Soleil (glace) comme des régions proches (olivine). Des mécanismes de transferts radiaux vont devoir être trouvés.
  3. La matière organique des grains cométaires est variée, et différente de celle des météorites. Les processus d'organo-synthèse dans le système solaire primitif sont donc très complexes.

Tous ces résultats devront être intégrés dans nos scénarios sur l'origine du système solaire, son histoire primitive, son évolution… Attendons maintenant une deuxième "fournée" de résultats, plus poussés que ces analyses préliminaires.