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Article | 06/09/2013

Les aventures d'Opportunity sur Mars, entre octobre 2012 et début septembre 2013, de Cape York à Solander Point

06/09/2013

Pierre Thomas

ENS de Lyon - Laboratoire de Géologie de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Une géologie martienne complexe, de la montmorillonite, des tempêtes de poussières et un objectif prometteur.


Cela fait presque un an que nous n'avons pas relaté les aventures et découvertes d'Opportunity. Nous le faisons en cette rentrée en respectant approximativement l'ordre chronologique de ce qu'a communiqué la NASA.

Nous avions laissé mi-octobre 2012 Opportunity face à un affleurement, nommé Kirkwood, où il venait de trouver des "myrtilles atypiques". La géologie de ce secteur semblait complexe, avec de bas en haut : (1) ce qu'on pourrait peut-être interpréter comme les éjectas bréchiques du cratère Endeavour (Cape York Breccia), recouverts par (2) ces niveaux riches en "myrtilles", le tout étant recouvert/recoupé par (3) une surface ressemblant parfois à une surface (voire à une croûte) d'altération, parfois à des couches relativement similaires aux sédiments classiques de la région. Des bandes spectrales d'argiles de type montmorillonite (smectite) avaient été identifiées dans ce secteur par les capteurs de la sonde en orbite MRO. Ce secteur central de la "montagne" nommée Cape York a été baptisé Matijevic Hill.

Carte du trajet d'Opportunity jusqu'au 17 septembre 2012

Figure 1. Carte du trajet d'Opportunity jusqu'au 17 septembre 2012

Le Nord est en haut. Le site de Kirkwood se trouve à l'extrémité du trait jaune. La "montagne" nommée Cape York correspond à la colline dont Opportunity a déjà fait les 3/4 du tour. Elle correspond à un secteur surélevé de la bordure du cratère Endeavour (diamètre de 22 km).


Kirkwood, le rocher aux "myrtilles", septembre 2012

Figure 2. Kirkwood, le rocher aux "myrtilles", septembre 2012

En bas au premier plan, une brèche qui ressemble à la brèche d'impact qui constitue la « masse » de Cape York. Mais est-ce la même ? Au milieu, les niveaux à « myrtilles ». La partie supérieure de la photo correspond à cette une surface ressemblant parfois à une surface (voire à une croûte) d'altération, parfois à des couches relativement similaires aux sédiments classiques de la région.


Matijevic Hill

Opportunity a travaillé dans le secteur de Matijevic Hill jusqu'à mi-mai 2013.

Carte du trajet d'Opportunity jusqu'au 10 mai 2013

Figure 3. Carte du trajet d'Opportunity jusqu'au 10 mai 2013

Pendant 8 mois, Opportunity a parcouru et fait le tour du secteur nommé Matijevic Hill, au centre de Cape York. Le Nord est en haut.



Figure 5. Panorama global "brut" de Matijevic Hill

La mosaïque couvre un champ de 210°, centré vers le NO. Elle a été prise depuis le SE de Matijevic Hill. Cette mosaïque en fausses couleurs (couleurs que verrait un œil humain si ce paysage était éclairé avec une lumière "terrestre") fait ressortir la différence entre brèche d'impact de composition basaltique (bleuté sombre) et une surface/croûte d'altération ou sédimentaire (orangée) nommée la « formation Matijevic ». Au niveau de Copper Cliff, constitué de brèches, il semble que cette formation Matijevic soit stratigraphiquement située sous les brèches d'impact dont elle constituerait le substratum. Cette formation serait donc plus vieille que l'impact d'Endeavour. On voit sur cette mosaïque que la formation Matijevic semble l'équivalent du toit de Kirkwood, la mini falaise aux myrtilles atypiques.


Figure 6. Panorama global "annoté" de Matijevic Hill

La mosaïque couvre un champ de 210°, centré vers le NO. Elle a été prise depuis le SE de Matijevic Hill. Cette mosaïque en fausses couleurs (couleurs que verrait un œil humain si ce paysage était éclairé avec une lumière "terrestre") fait ressortir la différence entre brèche d'impact de composition basaltique (bleuté sombre) et une surface/croûte d'altération ou sédimentaire (orangée) nommée la « formation Matijevic ». Au niveau de Copper Cliff, constitué de brèches, il semble que cette formation Matijevic soit stratigraphiquement située sous les brèches d'impact dont elle constituerait le substratum. Cette formation serait donc plus vieille que l'impact d'Endeavour. On voit sur cette mosaïque que la formation Matijevic semble l'équivalent du toit de Kirkwood, la mini falaise aux myrtilles atypiques.


Figure 9. Vue prise en direction du NO centrée sur Whitewater Lake

Avec cette image en fausses couleurs, on voit bien la différence entre brèche d'impact de composition basaltique (bleuté sombre) et surface/croûte d'altération ou sédiments (orangé). Les relations géométriques, et donc stratigraphiques, entre ces deux ensembles ne sont pas claires, vues sous cet angle.



Figure 11. Zoom sur Whitewater Lake

Le tiers inférieur gauche de l'image correspond à la brèche basaltique (gris-bleue). La moitié inférieure droite semble encore constituée d'une brèche, plus érodée (les clastes résistants dépassent d'une surface lisse) et sans cette couleur "gris-bleu" caractéristique des brèches basaltiques. La grande dalle  qui occupe presque la totalité de la moitié supérieure de l'image est caractéristique de cette surface "énigmatique" (surface/croûte d'altération ou sédiments) constituant la formation Matijevic. Sous cet angle, comme au niveau de Copper Cliff, il semble que les brèches surmontent la formation Matijevic.


Parce que la nature de la formation que surmontent les brèches basaltiques (correspondant aux éjectas du cratère Endeavour) est bien énigmatique, et parce que des études spectrales menée depuis l'orbite par la sonde MRO avaient révélé les bandes d'absorption de la montmorillonite, la NASA a effectué force analyses dans ce secteur de Matijevic Hill. Rappelons que la montmorillonite est une argile à 3 couches de la famille des smectites. Les argiles en général indiquent la présence prolongée d'eau liquide au contact de silicates. La présence de smectites indique que cette eau avait un pH non acide. Rappelons que le but principal des missions Spirit (mort de sa belle mort), Opportunity (qui continue depuis 9,5 ans) et Curiosity (qui commence tout juste la sienne depuis 1 an), est de déterminer les conditions d'habitabilité ancienne de Mars. De l'eau liquide non acide pendant longtemps est a priori une condition très favorable à l'existence d'une chimie prébiotique (voire biotique), beaucoup plus que les eaux liquides mais acides qu'Opportunity a mises en évidence dans les sept premières années de sa mission, en identifiant par exemple la jarosite. En effet, si on sait que la vie "à la mode terrestre" peut fort bien s'accommoder de pH bas (acide), les réactions prébiotiques comme la synthèse et surtout la polymérisation d'acides aminés sont fortement inhibées par un pH acide. Opportunity a, avec les moyens du bord, cherché ces smectites. Contrairement à Curiosity, il n'a pas de laser permettant des analyses chimiques rapides et répétées ; il n'a pas d'appareil de diffraction X permettant de déterminer la structure cristalline des minéraux. Tout ce qu'il peut faire, c'est avec son "vieux" spectro α / X, mesurer la chimie des éléments majeurs. La NASA a publié pour l'instant un résultat positif, correspondant à des analyses effectuées sur un rocher nommé Espérance : il y a bien de la montmorillonite dans ce secteur de Mars, avec toutes les "promesses" que cela comporte.


Figure 13. Gros plan sur le site d'analyse Esperance 6

Ce site est situé juste à la limite entre les brèches basaltiques et cette surface "énigmatique" (surface/croûte d'altération ou sédiments) qu'elles recouvrent.


Figure 14. Résultats de 7 analyses chimiques dans le secteur d'Esperance

Les points analytiques en dessous de la ligne pointillée ont une chimie plus proche de celle des basaltes que de celle des argiles ; c'est l'inverse pour les points situés au-dessus. Cette méthode d'analyse (fluorescence X à la suite d'une excitation par des particules α) est une méthode analytique « par contact ». Elle est très sensible à la présence de poussière entre la roche et l'analyseur. Le site Esperance 6, celui qui est le plus proche chimiquement d'une montmorillonite, avait été "brossé" et "poli" avant analyse.


Pendant qu'il arpentait et analysait le secteur de Matijevic Hill, Opportunity faisait aussi de la météo

Figure 15. Pendant qu'il arpentait et analysait le secteur de Matijevic Hill, Opportunity faisait aussi de la météo

Ces 2 images ont été prises à peu près à la même heure mais l'une le 2 mai 2013 (à gauche) et l'autre le 7 mai 2013 (à droite). Sur cette dernière, une tempête (locale) de poussière diminuait grandement la luminosité et la visibilité.


En route vers Solander Point

À partir de mi-mai 2013, Opportunity quitte Matijevic Hill pour se diriger 2 km plus au Sud, au pied de la montagne nommée Solander Point. En effet, les roches stratifiées affleurant sur quelques décimètres d'épaisseur (quelques mètres au maximum) au niveau de Matijevic Hill sur le flanc interne du cratère Endeavour semblent y affleurer sur plusieurs dizaines de mètres d'épaisseur. Y aller semble donc un objectif majeur.

Sur la route, Opportunity ne "traine" pas trop, mais continue bien sûr ses observations.

Solander Point

La base de Solander Point est atteinte début août 2013. On est là à une frontière géologique, limite entre des terrains clairs, ressemblant soit aux terrains silicoclastiques riches en évaporites sur lesquels se « promène » Opportunity depuis janvier 2004 soit à la formation Matijevic, et des terrains plus sombres, rebord (socle ou éjecta ?) du cratère Endeavour. Vus de loin, les terrains sombres semble montrer deux litages, un litage subhorizontal à sa base (les gradins, ou escarpement, signalés figure 16), et incliné vers la gauche plus haut. Cette différence de pendage est-elle réelle ou est-ce un effet de la géométrie de la surface et de perspective ? Ces terrains sombres, leur(s) litage(s) et leur relation géométrique avec les terrains clairs qui semblent les recouvrir vont être les objectifs scientifiques d'Opportunity pour les mois qui viennent. Fin août – début septembre 2013, Opportunity commence à arpenter et à explorer en détail le gradin inférieur et ses contacts avec les terrains clairs. Les images mises en ligne à la date d'écriture de cet article (5 septembre) révèlent des roches très finement « lités » (stratification ?), avec un litage présentant une géométrie non régulière. Une nouvelle énigme géologique que de nouvelles images confirmeront et préciseront (ou infirmeront) et qu'il ne restera plus qu'à comprendre si elle se confirme. Suite dans les semaines et mois qui viennent, sachant qu’avec l’hiver martien qui arrive, l'activité d’Opportunity va ralentir.

En arrivant au pied de Solander Point, 1er août 2013 (sol 3385)

Figure 21. En arrivant au pied de Solander Point, 1er août 2013 (sol 3385)

Au premier plan, les terrains sédimentaires silicoclastiques "habituels" dans le secteur, à moins que ce ne soient des affleurements de la formation Matijevic, pas toujours faciles à distinguer les uns des autres. À l'arrière-plan, la colline de Solander Point. La stratification inclinée qui constitue la masse de la colline est bien visible. Le gros caillou noir à peine perceptible au centre de l'image (flèche noire) se retrouve au centre de l'image suivante.


Au pied de Solander Point, sol 3389

Figure 22. Au pied de Solander Point, sol 3389

On voit bien la limite entre des terrains clairs, ressemblant aux terrains silicoclastiques riches en évaporites sur lesquels se "promène" Opportunity depuis janvier 2004 ou aux terrains de la formation Matijevic, et des terrains plus sombres, rebord (socle ou éjectas ?) du cratère Endeavour. Un litage horizontal est visible à la base des terrains sombres, à droite de l'image. Sans doute les "gradins" (benches) visibles "de loin" Solander Point.

Mosaïque artisanale de 3 images de la caméra de navigation, sol 3389 (5 août 2013).


Carte des déplacements d'Opportunity au pied de Solander Point

Figure 23. Carte des déplacements d'Opportunity au pied de Solander Point

Opportunity explore la limite terrains clairs / terrains sombres, limite qui correspond parfois à un "gradin" (ou "escarpement", bench). Tout un chacun peut y localiser la figure précédente et les suivantes. Cette carte a été établie avec le trajet effectué jusqu'au sol 3410 (29 août 2013).


Gros plan sur la limite terrain clair / terrain sombre, là où il n'y a pas de "gradin" manifeste

Figure 24. Gros plan sur la limite terrain clair / terrain sombre, là où il n'y a pas de "gradin" manifeste

Sol 3387, 3 août 2013. La nature de cette frontière géologique (les terrains clairs sont plus bas que les terrains sombres) ne sera pas facile à caractériser car fréquemment recouverte d'éboulis venant du haut de la colline. Le gros bloc rocheux au centre de l'image se trouve au tiers gauche du panarama précédent "Au pied de Solander Point" du sol 3389, et au centre de l'image suivante.



Vue "générale" de l'un des "gradins" qui dominent la limite terrain clair / terrain sombre au pied de Solander Point

Figure 26. Vue "générale" de l'un des "gradins" qui dominent la limite terrain clair / terrain sombre au pied de Solander Point

On retrouve ce gradin que l'on peut voir à droite du panarama précédent "Au pied de Solander Point" du sol 3389. On devine un très fin litage au pied de ce gradin, sur sa partie gauche. Les trois figures suivantes sont des zooms sur ces roches finement litées.

Mosaïque artisanale de 3 images prises le 29 août 2013 (sol 3410) par la caméra de navigation.


Zoom pris par la caméra panoramique le sol 3412 (31 août 2013) au pied du gradin

Figure 27. Zoom pris par la caméra panoramique le sol 3412 (31 août 2013) au pied du gradin

Zoom pris dans la moitié gauche de la vue générale du gradin.

Le fin litage (stratification ?) au voisinage du contact est nouveau et énigmatique, bien qu'il rappelle un peu ce qui avait été vu au Nord de Cape York (cf. fig 13 à 17 de l'article sur l'activité d'Opportunity fin 2011). Sa direction et son pendage semblent variables. Tout cela est prometteur ! Suite dans les semaines et mois qui viennent.

Le coin supérieur droit de cette image correspond au coin inférieur gauche de la suivante.


Autre zom pris par la caméra panoramique le sol 3412 (31 août 2013) au pied du gradin

Figure 28. Autre zom pris par la caméra panoramique le sol 3412 (31 août 2013) au pied du gradin

Zoom pris dans la moitié gauche de la vue générale du gradin.

Le fin litage (stratification ?) au voisinage du contact est nouveau et énigmatique, bien qu'il rappelle un peu ce qui avait été vu au Nord de Cape York (cf. fig 13 à 17 de l'article sur l'activité d'Opportunity fin 2011). Sa direction et son pendage semblent variables. Tout cela est prometteur ! Suite dans les semaines et mois qui viennent.

Le coin inférieur gauche de cette image correspond au coin supérieur droit de la précédente.


Zoom sur le gradin pris par la caméra panoramique le sol 3416 (4 septembre 2013)

Figure 29. Zoom sur le gradin pris par la caméra panoramique le sol 3416 (4 septembre 2013)

Zoom pris dans la moitié droite de la vue générale du gradin.

On remarque sur cette mosaïque artisanale que le litage à géométrie complexe se retrouve au premier plan à la base de l'escarpement, au sein de l'escarpement lui-même, et également au-dessus. On entre dans un "nouveau monde" géologique qu'il reste à explorer.