Article | 01/03/2004
Les berries (myrtilles) et autres sphérules martiennes : le point sur les équivalents terrestres
01/03/2004
Résumé
Description des sphérules repérées sur Mars par Opportunity en janvier 2004 et équivalents terrestres des berries et autres sphérules martiennes, dans l'attente de l'interprétation des données qui seront publiées par la NASA.
Table des matières
Découverte de sphérules martiennes
Cinq sondes se sont posées avec succès sur Mars, les 2 Viking en 1976, Pathfiner en 1997, Spirit et Opportunity en janvier 2004. Les 2 Viking, Pathfinder et Spirit se sont posées au milieu de champ de cailloux, de "pierres volantes" (éjectas de cratères de météorite "voisins", blocs volcaniques, blocs amenés là par une débâcle fluviatile,voir par exemple l'article sur l'eau sur Mars).
Opportunity s'est lui posé par hasard au fond d'un mini-cratère (Figure 1), et des affleurements, des roches en place sont visibles sur les flancs de ce mini cratère (Figure 2). Pour la première fois, on va pouvoir vraiment étudier le sous-sol de Mars. Cet affleurement se situe dans la région de meridiani Planum.
Source - © 2004, NASA/JPL/Cornell | Source - © 2004, NASA/JPL/Cornell |
Ces affleurements se sont révélés stratifiés, vus de loin (Figure 3), mais aussi de près (Figure 4).
Source - © 2004, NASA/JPL/Cornell | Source - © 2004 NASA/JPL/Cornell |
La première partie de l'affleurement étudié de près a révélé une "surprise" : en allant voir le premier affleurement (Figure 5),Opportunity a trouvé des "sphérules" millimétriques dans le sol meuble, qu'il a pu observer de près grâce une "loupe", appelée microscope par la NASA, et dont le champ d'observation mesure 3 cm de coté (Figure 6).
Source - © 2004 NASA/JPL | Source - © 2004 NASA/JPL/US Geological Survey |
Il s'est approché du premier caillou, nommé stone mountain, en "orange" sur le paysage qui suit (Figure 7). Arrivé près de ce rocher, (Figure 8), il a plaqué sur la roche son "microscope", sur le "carré gris" localisé sur la roche.
Source - © 2004 NASA/JPL/Cornell | Source - © 2004 NASA/JPL/Cornell/USGS |
Le microscope, dont le champ visuel fait 3 cm de côté, a vu les structures présentes sur les figures 9 et 10.
Source - © 2004 NASA/JPL/Cornell/US Geological Survey | Source - © 2004 NASA/JPL/Cornell/US Geological Survey |
Tous ces rochers, grossièrement ou finement stratifiés, contiennent des sphérules isolées, et les couches (vraisemblablement mises en relief par l'érosion éolienne) semblent souvent formées de multiples sphérules coalescentes.
Les scientifiques de la NASA ont appelé ces sphérules blueberries (myrtilles) ou berries. Le géologue responsable de la mission, S. Squyres, en a dit : « The spheres may have formed when molten rock was sprayed into the air by a volcano or a meteor impact. Or, they may be concretions, or accumulated material, formed by minerals coming out of solution as water diffused through rock ». Les sphérules du sol meuble sont probablement des sphérules des rochers, déchaussées par l'érosion.
Depuis, on a eu d'autres images de ces sphérules en d'autres endroits du site, mais bien peu de commentaires et surtout aucun résultat d'analyse chimique n'a encore été communiqué. Probablement les scientifiques font diverses mesures et attendent des indications fortes (à défaut de certitudes) pour communiquer leurs résultats.
Dans les jours ou les semaines qui viennent, des nouvelles vont sans doute nous être communiquées, en nous disant : "ces sphérules (et ces lits de sphérules) sont des xxx ", ou encore "ces sphérules (et ces lits de sphérules) sont soit des xxx, soit des yyy".
Pour vous permettre de mieux être à même d'interpréter et de comprendre les nouvelles à venir, voici un bref survol de ce qu'on connaît sur des structures analogues sur Terre. En effet, une des bases de la planétologie comparée est d'essayer de trouver des équivalents terrestres à ce qu'on observe sur d'autres planètes.
Que connaît-on comme structures analogues sur Terre ? On en connaît beaucoup. Celle dont la taille est identique aux myrtilles martiennes sont appelées "pisolite" (par analogie avec les petits pois).
Les sphérules silicatées et magmatiques
Il existe :
- des sphérules magmatiques, gouttes de lave rapidement refroidie, mises en place par divers types de dynamisme éruptifs, et que l'on trouve au voisinage de certains volcans.(Figure 11).
- Des sphérules dues à des impacts, gouttes du sol fondu par l'impact, et envoyées des km voir des millier de km de l'impact. On les appelle des tectites (taille compris entre 0,5 et 10 cm), ou des micro-tectite quand elles sont de petites tailles (Figure 12 : tectites centimétriques).
- Des sphérules liées à la dévitrification des verres volcaniques avec le temps (obsidienne bien sûr, mais aussi basalte…). Des micro-cristaux (souvent de plagioclase) croissent à partir d'un centre de nucléation (souvent une impureté) et forme une sphérule. Les célèbres varioles du Chenaillet sont de telles sphérules de dévitrification. (Figures 13 et 14).
- Enfin des sphérules que l'on peut obtenir par cristallisation d'un magma dans des conditions bien particulières, comme par exemple les pisolites de chromite que l'on trouve dans certaines ophiolites. (Figure 15).
Source - © 1984 J.D. Griggs - USGS | Source - © 2004 S.J. Kardas |
Toutes ces sphérules forment rarement des couches et strates, contrairement à l'affleurement martien, sauf si elles ont été extraites de leur gangue par l'érosion et re-déposées. Elles sont dans la quasi totalité des cas silicatées, parfois sous forme d'oxydes.
Les remplissages de vacuoles et micro-cavités
De nombreuses roches (en particulier volcaniques) contiennent de nombreuses vacuoles (anciennes bulles de gaz). Ces vacuoles peuvent se trouver remplis par des circulations de fluides hydrothermaux et/ou diagénétiques et formeront alors des sphérules. Si ces sphérules sont plus résistantes à l'érosion que la roche hôte, elles peuvent être dégagée par l'érosion.
Par exemple la figure 16 montre un basalte dont les vacuoles sont pleines de calcite, ou la figure 17 montre un pyroméride, niveau vacuolaire ignimbritique, dont les vacuoles ont été silicifiées, puis dégagées par l'érosion et qui maintenant se présentent comme une couche de sphérules.
Une telle origine implique un fluide porteur de la minéralisation, l'eau dans l'immense majorité des cas terrestres. Là encore, la géométrie de l'affleurement martien ne plaide pas pour une telle origine, à moins qu'il s'agisse de sphérules dégagées par l'érosion et re-sédimentées.
Les concrétions
Lorsqu'un fluide contient des substances précipitables en solution et lorsque les conditions changent, ces substances peuvent précipiter. Elles peuvent alors former des cristaux individualisés, ou alors des agrégats constitués de multiples micro-cristaux coalescents. De tels agrégats peuvent se développer à plat sur une surface (interface entre une roche solide et un milieu liquide, interface interne dans un milieu poreux entre des niveaux secs et des niveaux imbibé de la solutions …). Dans ces cas, cela forme alors très souvent des couches, mamelonnées au niveau de leur face de croissance. De tels agrégats poly-micro-cristallins peuvent aussi se développer au sein d'une roche poreuse à partir d'un centre de nucléation, et donneront alors des sphérules.
Les concrétions de haute température
Les circulations hydrothermales (océaniques ou continentales) développent très souvent de ces surfaces mamelonnées et de ces sphérules, en silice , calcite, zéolite, oxyde de manganèse, carbonate de cuivre… (Figure 18, 19, 20, 21).
Une telle origine implique un fluide porteur de la minéralisation, l'eau dans l'immense majorité des cas terrestres.
Les figures suivantes sont des exemples de remplissage de vacuoles par cristallisation.
Les concrétions de basse température
Ce sont celles qui ressemblent morphologiquement le plus à ce que nous a montré Opportunity.
Sur Terre, il s'agit de concrétions faites à la surface du globe ou à très faible profondeur dans des sols, des argiles, des sables... Elles peuvent se développer au fond d'un milieu aquatique (lagune, mare, niveau de source …) soumis à l'évaporation ou autres changements de conditions physico-chimiques ; elles peuvent aussi se développer à l'intérieur des sols ou de roches poreuses, à l'interface entre deux milieux différents (avec ou sans eau, réducteur ou oxydant….).
Il se développe ainsi au fond de la mer, d'une lagune, d'un lac ou d'une mare, à la surface du sol, dans un sol au toit d'une nappe phréatique soumise à l'évaporation… des concrétions mamelonnées ou sphériques, de nature très diverse : carbonates, sulfates, sels divers … Si ces concrétions se forment sous l'eau dans un milieu agité, cela favorise les sphérules (oolite, pisolite ...) au dépens des croûtes mamelonnées (Figure 22).
On distingue sur Terre deux cas bien particuliers, les concrétions carbonatées et les concrétions ferriques (ainsi que certaines concrétions phosphatées).
Les eaux, libres ou phréatiques, contiennent très souvent en solution des ions Ca2+ et HCO3-. Un changement des conditions qui change l'équilibre des carbonates (2 HCO3- + Ca2+ ↔ CaCO3 + CO2 + H2O) pourra amener à la précipitation de carbonates de calcium et donnera lieu à des concrétionnements, croûtes et autres sphérules carbonatées. Ces croûtes et sphérules carbonatées sont fréquentes dans les niveaux de travertin (aérien ou souterrain, voir perle des caverne de la figure 23), à la surface de sols péri-désertiques dans des régions qui ont quand même une saison humide....
Des eaux libres ou phréatiques peuvent être réduites, et alors contenir en solution des ions Fe2+ (eaux des sols ou des sédiments riches en matières organiques, sources hydrothermales …). Si ces eaux ferrugineuses réduites arrivent en présence d'un milieu oxydant (en surface par exemple, ou au niveau d'une nappe phréatique oxydée), il y aura alors précipitation d'oxyde ferrique, plus ou moins hydraté (hématite si il n'est pas hydraté, limonite si il est hydraté, et bien sur tous les intermédiaires possibles). Et on aura aussi dans ces cas là formation de concrétions, croûtes et autres sphérules ferriques. Ces réactions de précipitation peuvent bien sur se réaliser de façon tout à fait abiotique et minérale. Mais sur Terre, les bactéries sont omniprésentes. Dès qu'il y a de la lumière, des bactéries photosynthétiques vont absorber du CO2, ce qui favorisera la précipitation de carbonates. Et la matière organique des bactéries mortes en décomposition sert très efficacement de substrat de nucléation des carbonates. Les oolites, pisolites, oncolites et autres stromatolites ont une telle origine (Figure 24).
Par exemple les trois photographies des figures 25, 26, 27 montrent une croûte carbonatée d'origine bactérienne en formation. Des sphérules micro-stromatolitiques oligocène de Limagne sont visibles sur les figures 28 et 29.
Si des eaux ferreuses arrivent en contact d'un milieu oxydant, des bactéries chimiolithotrophes vont oxyder le Fe2+ en Fe3+ (qui précipitera), en tireront de l'énergie qu'elles utiliseront pour leur synthèse de matière organique. Par exemple des sphérules d'oxyde de fer sont échantillonnées dans des cuirasse latéritiques subactuelles (Figure 30) ou crétacé (Figure 31) et des pisolites de limonite sont observées dans des terrains jurassiques lorrains (Figure 32).
L'érosion peut déchausser, libérer et concentrer ces sphérules. Par exemple, la figure 33 montre à gauche des pisolites de calcaire et à droite des pisolites d'oxyde de fer.
Et dans le cas où des bactéries sont présentes (c'est à dire presque partout à la surface de la Terre), les réactions de précipitation d'origine bactérienne sont beaucoup plus rapides et efficaces que les précipitations abiotiques ; ce sont les précipitation biochimiques qui dominent et qui supplantent les précipitations purement minérales. L'immense majorité des croûtes, concrétionnements et sphérules carbonatées et ferriques superficielles (ou peu profonde) terrestres sont d'origine bactérienne.
Conclusion
Remarquons tout d'abord il est fort possible qu'il existe sur Mars bien d'autres modes de genèse de sphérules n'existant pas sur Terre. Mais même en restant sur Terre, il existe déjà de très nombreux types de sphérules, souvent parfaitement abiotiques, parfois d'origine biochimique. Qu'en est-il sur Mars ?
Il ne faut donc surtout pas s'emballer et conclure trop vite à la vue d'une sphérule. Le gros problème pour les semaines, mois et années qui viennent, ce sont les capacités analytiques des deux robots. Si Spirit et Opportunity pourront sans doutes nous dire si ces sphérules sont silicatées, carbonatées, ferreuses…, ces robots ne sont ni équipés ni instrumentés pour trancher la question de l'origine (en particulier biologique ou non) de ces sphérules. Ce serait déjà un magnifique résultat si nous avions dans quelques jours, semaines ou mois une certitude sur la présence (ou la non présence) d'eau liquide pendant une longue période au niveau des sites de Spirit ou d'Opportunity. Et si la présence d'eau liquide pérenne est confirmée, ce qu'on pourra peut-être dire (une fois que les analyses nous auront indiqué la composition chimique de ces sphérules), c'est qu'on a trouvé (ou non) des structures compatibles avec une forme de vie simple. Il sera alors urgent de retourner sur Mars avec des moyens d'analyse plus performant, puis d'en ramener des échantillons, puis d'y envoyer des géologues.