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Article | 23/12/2008

Du sel sur Io

23/12/2008

Emmanuel Lellouch

Observatoire de Paris, Laboratoire d'Études Spatiales et d'Instrumentation en Astrophysique

Catherine Simand

ENS de Lyon / DGESCO

Du sel sur Io, un article initialement publié en janvier 2003 par l'Observatoire de Paris.

Résumé

En 2002 la présence de sel (NaCl) a été détectée dans l'atmosphère ténue de Io, un des satellites de Jupiter. Les spectres sont obtenus par l'IRAM dans le domaine des ondes millimétriques. La présence de sel est reliée à l'émission volcanique de Io et explique les « nuages » de sodium atomique qui sont observés autour du satellite.


Commençons par deux visions du satellite de Jupiter Io, et de son environnement, par la sonde Galileo.

Figure 1. Photographie montrant l'aspect général de la surface de Io et les manifestations de l'activité volcanique

On notera en particulier la présence de deux panaches volcaniques, l'un au limbe (Pillan, 140 km de haut), et l'autre près du centre de l'image (Prometheus, vu de dessus).


Vue du nuage de sodium atomique diffusant la lumière solaire à la longueur d'onde 589 nm

Figure 2. Vue du nuage de sodium atomique diffusant la lumière solaire à la longueur d'onde 589 nm

La tache très brillante sur Io est le panache de Prometheus, vu également en diffusion.


L'atmosphère de Io est l'une des plus étonnantes du système solaire. En 1979, la sonde Voyager révéla que le satellite est le siège d'une intense activité volcanique (figure 1) et découvrit localement une atmosphère ténue de dioxyde de soufre (SO2). Par la suite, depuis 1990, des observations millimétriques conduites à l'Institut de Radioastronomie Millimétrique[1] et des observations U.V. avec le télescope spatial Hubble ont permis une description un peu plus précise de cette atmosphère. La pression caractéristique au sol est de l'ordre du nanobar. Ses composants principaux sont SO2, SO et S2. Elle est produite sans doute en partie directement par émission volcanique et en partie par l'évaporation des glaces de SO2 qui recouvrent la surface de Io.

On se doute depuis longtemps que l'atmosphère de Io doit comporter d'autres espèces chimiques. Dès 1974, on découvrit par spectroscopie et imagerie visible un « nuage » de sodium atomique (figure 2), grossièrement centré sur l'orbite de Io. La brillance des émissions de Na permet d'estimer qu'environ 1026-1027 atomes de sodium quittent Io chaque seconde.

En 1999, le chlore sous forme atomique et ionisé fut détecté autour de Io, avec une abondance comparable à celle du sodium (alors que l'abondance de Na dans l'ensemble du système solaire est environ 11 fois supérieure à celle de Cl). Ceci suggère une origine commune, avec NaCl comme candidat de choix. Dans le même temps, des calculs d'équilibre thermochimique indiquèrent que NaCl devait être un composant important des magmas volcaniques de Io, pouvant atteindre plusieurs pour cents de SO2.

Pour vérifier ces hypothèses, une équipe franco-américaine conduisit une campagne d'observations avec le radio-télescope de 30 m de l'IRAM en janvier 2002. La figure suivante montre les deux raies rotationnelles[2] de NaCl gazeux détectées à 143 et 234 GHz.

Les raies de la molécule de sel NaCl à 143 et 234 GHz de fréquence détectées sur le téléscope de 30 m de l'IRAM les 15-17 janvier 2002

Figure 3. Les raies de la molécule de sel NaCl à 143 et 234 GHz de fréquence détectées sur le téléscope de 30 m de l'IRAM les 15-17 janvier 2002

La résolution spectrale est de 40 kHz. Le pouvoir de résolution vaut environ R = ν / Δν ≈ 200.109 / 40.103 = 5.106.


Le sel, détecté en phase gazeuse, apparaît comme un constituant minoritaire de l'atmosphère de Io. Conséquence directe de l'activité volcanique, sa présence est localisée aux centres volcaniques en raison d'une durée de vie très courte (au plus quelques heures). L'abondance locale de NaCl est de 0,3 à 1,3 % de SO2, donc notablement moins que dans les prédictions. L'intensité des raies permet d'estimer que les volcans de Io émettent (2-8)x1028 molécules de NaCl par seconde. Les modèles photochimiques et d'échappement indiquent qu'une faible proportion de ces molécules quittent Io sous forme moléculaire (0,1 %) ou atomique après photolyse (1-2 %), la majorité d'entre elles retombant au sol où elles condensent, pouvant contribuer à la couleur blanche de certains terrains. Il en découle que NaCl fournit une source importante d'atomes de sodium et de chlore dans l'environnement de Io.

Cet article fait partie du dossier La spectroscopie en astronomie sur CultureSciences-Physique.

Référence

[1] E. Lellouch, G. Paubert, J.I. Moses, N.M. Schneider, D.F. Strobel, 2003. Volcanically-emitted sodium chloride as a source for Io's neutral clouds and plasma torus, Nature, 421, 45-47



[1] L'Institut de Radioastronomie Millimétrique est un institut Franco-Allemand-Espagnol qui exploite deux sites d'observation : un télescope de 30 mètres situé au Pico Veleta dans la Sierra Nevada en Espagne et l'interféromètre du Plateau de Bure (un réseau de six antennes de 15 mètres de diamètre) dans les Hautes-Alpes françaises. Lire une plaquette de présentation de l'IRAM, publiée en 2008 : « Jusqu'aux confins de l'univers. L'institut de Radioastronomie Millimétrique » (pdf, 4,5 Mo).

[2] Raie rotationnelle : raie d'émission liée à une transition entre deux niveaux d'énergie de rotation de la molécule.