Image de la semaine | 23/03/2009
Géologie et aménagement du territoire, un exemple d'échec : l'aménagement de l'estuaire de la Slack (Pas de Calais)
23/03/2009
Résumé
Dérive littorale et géologie (mal) appliquée.
La Slack, petit fleuve côtier du Pas de Calais, a un trajet tortueux. Juste avant de se jeter dans la mer, elle est déviée vers le Nord par un cordon littoral puis vers le Sud par un promontoire rocheux, déviations sommes toutes « normales ». Elle est enfin déviée vers l'Ouest par une double digue artificielle qui semble « sortir » de dessous le cordon littoral. Que vient faire ici cette « double digue » artificielle recouverte par le cordon littoral ?
La Slack a « toujours » serpenté dans son marécage en arrière d'un cordon littoral. La progression de ce cordon littoral vers le Nord faisait dériver la rivière vers le Nord, et la Slack avait tendance à éroder le substratum du village d'Ambleteuse, en particulier des terrains potentiellement constructibles. Cette situation a été jugé « intolérable » par certaines autorités « réputées compétentes » qui, dans les années 1970-1980, ont décidé de dévier la Slack et de l'éloigner des terrains construits et constructibles en creusant un chenal à travers le cordon littoral et en endiguant son débouché sur la mer. Les images 8, 9 et 10 montrent le trajet (approximatif) de cette déviation, dont la double digue correspondait à la partie aval.
Mais cet aménagement a fait long feu. La dérive littorale qui fait lentement progresser les sédiments vers le Nord en période normale, rapidement et massivement pendant les grandes tempêtes d'hiver, a eu raison de cet aménagement. La nature a repris le dessus, le cordon littoral a rebouché la tranchée qui le coupait et la Slack a repris son cours naturel.
C'est un exemple typique où (1) soit les études géologiques ont été insuffisantes, ont sous-estimé le problème et n'ont pas averti les aménageurs de ce risque éminemment prévisible, (2) soit les aménageurs n'ont pas tenu compte des études géologiques bien faites les avertissant de ce problème et ont sous-dimensionné leurs travaux.
Qu'est-ce que la dérive littorale ? C'est un phénomène bien connu de tous les habitants de certaines régions de bord de mer, et maintenant de tous les candidats au CAPES externe de SVT 2009, puisque c'était l'un des thèmes du sujet de l'écrit de géologie de cette année. Les images 11 à 13 illustrent ce phénomène. Les vents dominants, en particulier les vents de tempête, ont ici une direction SO-NE, alors que la côte a une direction N-S. La houle, perpendiculaire aux vents, arrive donc souvent obliquement sur la côte. Cette obliquité entraîne un transport d'ensemble des sédiments (fins comme grossiers) vers le Nord. En plus de ces mouvement dus aux vagues, les vents dominants entraînent un courant parallèle à la côte et dirigé vers le Nord. Ce courant induit un transport vers le Nord des particules fines (sables).
Source - © 2009 J. Beauchamp, Univ. Picardie | Source - © 2009 J. Beauchamp, Univ. Picardie, , modifié |
Cette dérive littorale est bien connue sur la côte de Picardie et du Nord-Pas de Calais.
Cet exemple montre que des études géologiques poussées doivent être menées avant chaque aménagement du territoire, et qu'il faut en tenir compte. Dans ce cas précis, cet échec n'a pas eu grandes conséquences : cela n'a fait que perturber (momentanément) un riche écosystème humide, et cela a gâché quelques dizaines de millions de francs du contribuable. Une insuffisance d'étude géologique peut avoir des conséquences tragiques, comme l'illustre le cas du barrage de Malpasset.
Ce problème de relation entre risque géologique et aménagement du territoire est actuellement l'objet de débats, à cause de la possible implication d'un barrage dans le séisme du Sichuan (88000 morts en mai 2008). Un tel séisme n'est pas dû à un simple barrage ; il est dû à la lente accumulation de contraintes sur une faille, qui a cédé quand son seuil de rupture a été dépassé. Mais un barrage peut « avancer » la date d'un séisme qui, de toutes façons, aurait eu lieu 1, 100 ou 10 000 jours plus tard. Cette influence d'un barrage sur le déclenchement d'un séisme peut être due (1) à la surcharge des millions de m3 d'eau du réservoir qui rajoutent des contraintes locales aux contraintes tectoniques, et (2) à l'infiltration d'eau dans la faille qui peut en abaisser le seuil de rupture. Cette possible relation entre barrage et séisme du Sichuan est débattue et a été présentée par de nombreux médias (par exemple Aujourd'hui la Chine).