Outils personnels
Navigation

Aller au contenu. | Aller à la navigation

Vous êtes ici : Accueil RessourcesLes tempêtes françaises de la fin décembre 1999

Article | 15/01/2000

Les tempêtes françaises de la fin décembre 1999

15/01/2000

Benoît Urgelli

ENS-Lyon / DGESCO

Gilles Reverdin

Laboratoire d'Études en Géophysique Spatiale de Toulouse

Benoît Urgelli

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Description détaillée du déroulement et de la prévision des tempêtes de 1999 et d'autres phénomènes climatiques en rapport avec l'Oscillation Nord Atlantique.


Ce dossier a été élaboré grâce aux données recueillies sur le site Météo-France. À visiter également : le dossier Météo-France sur l'origine et les mécanismes des tempêtes.

L'ouragan du dimanche 26 décembre 1999

Des vents d'une violence exceptionnelle ont accompagné la très profonde dépression (960 hPa à 7h00 aux environs de Rouen) qui a traversé de part en part et très rapidement le Nord du pays dimanche 26 décembre 1999, au matin. La trajectoire de cette dépression suit d'Ouest en Est une ligne approximative le long du 49ème parallèle. Cette dépression qui touche le Finistère le 26 décembre vers 2h locales atteint Strasbourg aux environs de 11h ; elle s'est donc déplacée à environ 100 km/h.

La zone de vents les plus violents a balayé une bande d'une largueur de 150 km environ à proximité immédiate de la dépression, tout le long de cette trajectoire, côté Sud, sur un axe « Pointe de Bretagne - Sud de la Normandie - Île-de-France - Champagne-Ardennes - Lorraine - Alsace » puis Allemagne. Outre les vents exceptionnellement fort mesurés à l'intérieur des terres, cet ouragan est exceptionnel par le creusement de la dépression qui s'est accentué sur terre, en raison probablement d'une interaction forte avec les courants jets d'altitude qui étaient proches de 400 km/h à 9.000 m d'altitude.

L'ouragan de la nuit du lundi 27 au mardi 28 décembre 1999

Cette deuxième dépression (très profonde), se déplaçant aussi à une vitesse proche de 100 km/h, a traversé le pays de lundi 27 décembre après-midi à la nuit du 27-28 décembre. Elle s'est creusée en matinée du lundi 27 au large de la Bretagne, a atteint en son centre 965 hPa en rentrant sur la pointe Sud de la Bretagne vers 16h locales.

La trajectoire a suivi une ligne Nantes vers 19h locales - Romorantin vers 22h locales - Dijon vers 1h du matin le mardi 28 - Alsace vers 4h du matin. La dépression s'est ensuite évacuée vers l'Est. Des vents exceptionnellement violents ont accompagné cette dépression, avec des forces maximales sur sa partie Ouest et Sud. Les régions les plus touchées ont été d'abord le Sud de la Bretagne et les côtes atlantiques dans l'après-midi, puis toutes les zones situées au Sud d'une ligne La Rochelle - Mâcon, y compris la côte méditerranéenne, en particulier varoise, et la Corse où le vent continuait à souffler en tempête le matin du mardi 28. Sur la Corse, des vagues très fortes touchent la face occidentale. Au Nord de la dépression, dans le courant froid orienté au Nord et dès l'après-midi du 27, des chutes de neige tenant au sol, se sont produites sur le Nord de la Bretagne et la Normandie. Dans le courant de la nuit, des chutes de neige éparses et fugaces ont touché l'Ouest et le Sud de la région parisienne mais elles ont été plus importantes sur le Nord-Est du pays, le plateau Lorrain, les Vosges et jusqu'en plaine sur le Genevois. Sur le Nord des Alpes, on prévoit des risques d'avalanche. Pour la journée du 28, l'accalmie se confirme par l'Ouest avec maintien d'un temps instable avec de nombreuses averses, sans gravité particulière.

Les cartes des vents pendant les ouragans de décembre 1999

Quelques valeurs de rafales de vents mesurées durant l'ouragan du dimanche 26 décembre :

Ploumanach : 148 km/h, Lann Bihoué : 162 km/h, Rennes : 126 km/h, Nantes : 126 km/h, Alençon : 166 km/h, Rouen : 140 km/h, Chartres : 144 km/h, Paris/Montsouris : 169 km/h, Orly : 173 km/h, Troyes : 148 km/h, Dijon : 126 km/h, Metz : 155 km/h, Nancy : 144 km/h, Colmar : 165 km/h, Strasbourg : 144 km/h.

Quelques valeurs de rafales de vents mesurées durant l'ouragan de la nuit du 27-28 décembre :

Pointe-du-Raz : 162 km/h, Île d'Yeu : 162 km/h, Île d'Oléron : 198 km/h (à confirmer), La Rochelle : 151 km/h, Biscarosse : 166 km/h, Cap Ferret : 173 km/h, Bordeaux : 144 km/h, Tarbes : 137 km/h, Limoges : 148 km/h, Aurillac : 137 km/h, Perpignan : 140 km/h, Clermont-Ferrand : 159 km/h, Mâcon : 126 km/h.

La prévision par Météo-France de ces ouragans, 24 heures à l'avance

Prévision de l'ouragan du dimanche 26 décembre

L'annonce 24h à l'avance de la tempête du 26 décembre 1999 a été possible grâce à la pertinence du modèle numérique de Météo-France qui a parfaitement identifié la dépression en cause et grâce à l'expertise des prévisionnistes. En effet, ils ont détecté de surcroît des variations exceptionnelles de température et de pression aussi bien au voisinage du sol qu'en haute altitude (8.000 m) et ont pu confirmer la réalité de ces phénomènes par l'examen des observations disponibles. Une première analyse suggère que c'est la mise en phase d'une perturbation de très haute altitude et d'une perturbation de surface qui a causé la violence extrême des vents. Ce travail d'expertise renforçait les prévisions du modèle et justifiait les avis de tempête émis.

En conséquence des Bulletins Régionaux d'Alerte Météorologiques ont été diffusés aux services compétents au horaires suivant le samedi 25 décembre : Région Nord à 10h46, Région Île-de-France - Centre à 11h04, Région Nord-Est à 12h00, Région Ouest à 12h07.

À échéance de 24 h ces messages annonçaient des forces de vent extrêmes se situant dans une fourchette de 90 à 130 km/h à l'intérieur des terres et de 150 km/h sur les côtes, constituant ainsi à l'évidence un phénomène prévu d'une ampleur et d'une intensité exceptionnelles susceptible d'avoir des conséquences très graves en matière de sécurité. Durant l'ouragan, les prévisionnistes de Météo-France à tous niveaux ont travaillé en contact étroit avec les services de la sécurité civile.

Prévision de l'ouragan de la nuit du 27 au 28 décembre

Ce nouvel épisode a aussi mis en évidence les capacités de Météo-France. Le message d'alarme émis le lundi 27 décembre à 9h03 relayé selon la procédure usuelle par les bulletins régionaux d'alerte météorologiques indique :

« Une nouvelle dépression se creuse actuellement sur le proche Atlantique et abordera le golfe de Gascogne en fin d'après-midi. Elle se décalera rapidement dans la nuit vers l'Est en longeant le 45ème déplaçant la tempête des côtes atlantiques vers la Méditerranée. Le vent d'abord au secteur Ouest tournera rapidement au Nord-Ouest et c'est à ce moment qu'il sera le plus fort. Des rafales entre 100 et 130 km/h sont attendues sur l'ensemble des régions concernées par l'alarme. Des pointes jusqu'à 150 km/h sont même possibles par endroits. Les vents moyens seront également soutenus entre 60 et 80 km/h, même à l'intérieur des terres ».

Dans le courant de la journée des informations complémentaires ont été fournies concernant l'extension vers le Nord d'un épisode neigeux associé. Comme lors de l'ouragan de la veille les services de Météo-France sont restés en contact étroit avec la sécurité civile.

Les autres tempêtes historiques

Les 15 et 16 octobre 1987, une tempête avait affecté la Bretagne, la Normandie et le Nord ainsi que le Sud de la Grande Bretagne avec des rafales maximales mesurées dépassant les 180 km/h. En 1990, une série de plusieurs tempêtes exceptionnelles par leur répétition et dans une moindre mesure par leur intensité avait affecté la France de fin janvier à début février.

Les mesures alors effectuées furent les suivantes.

 

1987

1990

Ouessant

176 km/h

162 km/h

Brest

148 km/h

140 km/h

Bréhat

172 km/h

151 km/h

Belle-Ile

162 km/h

162 km/h

Rennes

137 km/h

127 km/h

La Hague

143 km/h

165 km/h

Caen

140 km/h

130 km/h

Abbeville

119 km/h

151 km/h

Paris

115 km/h

129 km/h

Tempête du 1-2 décembre 1976
Tempête du 1-2 décembre 1976

Tempête du 15 octobre 1987
Tempête du 15 octobre 1987

Tempête du 3 février 1990
Tempête du 3 février 1990

Tempête du 11-12 février 1990
Tempête du 11-12 février 1990

Tempête du 26 février 1990
Tempête du 26 février 1990

Tempête du 7 février 1990
Tempête du 7 février 1990

Tempête du 25 au 26 décembre 1999
Tempête du 25 au 26 décembre 1999

Tempête du 27 au 28 décembre 1999
Tempête du 27 au 28 décembre 1999

D'autres tempêtes ont atteint la France dans le passé, par exemple les 10-12 janvier 1978, 6 juillet 1969, 12 mars 1967, 7 août 1948, 4-6 décembre 1896. Néanmoins, on peut affirmer que les deux ouragans que la France vient de subir sont exceptionnels par leur intensité, par le territoire concerné, par des rafales supérieures à 120 km/h et par la gravité et l'ampleur des conséquences.

Des phénomènes climatiques en rapport avec l'Oscillation Nord Atlantique (ONA)

D'après Gilles Reverdin, Laboratoire d'Études en Géophysique Spatiale de Toulouse.

Depuis les années 1970, des tempêtes de plus en plus intenses et nombreuses et des hivers doux et humides se manifestent dans le nord de l'Europe. Ils alternent avec des hivers froids. Les scientifiques parlent d'oscillation atmosphérique et océanique dans l'Atlantique Nord (North Atlantic Oscillation, NAO en anglais), analogue à celle du Pacifique équatorial (El Nino Southern Oscillation ou ENSO).

Qu'est-ce que l'ONA ?

L'ONA se caractérise par un mouvement Est-Ouest des masses d'eau chaude dans le bassin océanique Nord Atlantique. Cette oscillation accentue les différences de pressions atmosphériques entre l'anticyclone des Açores et la dépression d'Islande. Aux latitudes tropicales, l'ONA n'a pas la même intensité que l'ENSO. On constate également un relâchement des alizés de l'Atlantique et une élévation de la température des eaux de surface (+4°C près des côtes angolaises). Les remontées océaniques sur les côtes de l'Afrique sont alors perturbées. S'il s'agit d'un couplage océan-atmosphère dans Atlantique, il se manifeste plutôt au niveau de l'Atlantique Nord subtropical ou subpolaire. Cependant une école suggère un mode quasi-décennal dans l'Atlantique tropical lié au contraste Nord-Sud de température dans les tropiques. Cette variabilité aurait un impact climatique aux latitudes élevées de l'Atlantique Nord en hiver.

L'indice ONA et les conséquences climatiques

Pour caractériser cette oscillation, on a défini un indice ONA qui mesure la différence de pressions entre deux stations situées à Stykkisholmur en Islande et Ponta Delgada aux Açores. L'indice est positif quand les pressions sont plus élevées que les moyennes saisonnières aux Açores et plus basses que les moyennes saisonnières en Islande. Dans le cas contraire, l'indice ONA est négatif.

Les anomalies de pressions associées à un indice positif (comme c'est le cas actuellement, avec 20 mbar de différences de pressions par rapport à la moyenne) durent plusieurs semaines et se manifestent toujours entre décembre et mars.

Cette différence de 20 mbar entre les deux stations entraîne un dénivelé de la surface océanique de 20 cm et des vents d'Ouest violents en altitude. Ces vents contraignent le déplacement des dépressions vers l'Europe du Nord et une partie de la France. Un air marin doux et humide isole cette région du froid polaire continental.

Au même moment, le climat du Portugal, de l'Italie, du Maroc et des Balkans est sec, alors que les côtes américaines de l'Ouest Altantique connaissent des températures très basses. Les scientifiques ont constaté que l'indice ONA élevé prédomine depuis le début des années 1970, avec quelques interruptions. Les tempêtes de 1989, 1990, 1995 et 1999 sont associées à des indices ONA élevés.

ONA, ENSO et PNA

Ce que l'on comprend de l'ONA n'a pratiquement rien à voir avec le phénomène ENSO. En climatologie, on parle de El Nino assez spécifiquement pour le phénomène océanique équatorial qui touche la langue d'eau froide qui se trouve près de l'équateur. ENSO concerne principalement des interactions océan-atmosphère où le moteur atmosphérique est l'énergie latente associée à la condensation de la vapeur d'eau. Il n'y a rien de tout cela avec ONA. Les manifestations atmosphériques d'ENSO se font ressentir dans l'hémisphère Sud et dans toutes les régions tropicales (ou presque).

Aux latitudes moyennes, une des répercussions la plus importante concerne la PNA (Pacific North America oscillation), équivalent atmosphérique de ONA, mais qui, à la différence de ONA, est fortement couplée à ENSO.

Lorsqu'on compare les indices ENSO et ONA durant les années 1983 et 1984, on constate qu'un fort indice ENSO est associé à un faible indice ONA et vice-versa. À un El Niño exceptionnel dans le Pacifique correspondait donc, ces années là, une situation La-Niña dans l'Atlantique. Tout se passe comme si le régime des vents de la ceinture tropicale constituait une courroie de transmission entre le Pacifique et l'Atlantique. Le lien 1983-1984 entre ONA et ENSO est possible, mais certainement pas typique et pourrait être une occurrence assez aléatoire, en dehors de l'Atlantique tropical.

Les modèles des climatologues semblent montrer un lien entre le réchauffement de la planète et l'augmentation de l'indice ONA. Mais les incertitudes de ces modèles, liées au manque de connaissances quantifiables sur les couplages entre océan et atmosphère, ne permettent pas de trancher les débats sur ce sujet.

Bibliographie

J.-P. Dufour, Un petit El Nino atlantique influence le climat, Le Monde, samedi 15 janvier 2000.

A. Chapel et al., Océans et atmosphère, Éd. Hachette, 1996.