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Article | 14/01/2005

Japet, satellite de Saturne, survolé à 60 000 km par la mission Cassini-Huygens

14/01/2005

Pierre Thomas

Laboratoire de Sciences de la Terre / ENS de Lyon

Florence Kalfoun

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Survol de Japet le 31 décembre 2004. Découverte d'une ride topographique quasi-équatoriale. Informations concernant la constitution des zones claires et sombres de la surface.


Avant les nouvelles de Titan qui vont arriver dans quelques heures, il faut parler de Japet, survolé de près pour la première fois lors de la nuit de la Saint Sylvestre 2004-2005.

Japet a été survolé pour la première fois "de près" ("seulement" 60 000 km ) dans la nuit du 31 décembre 2004 au 1er janvier 2005. Auparavant, les deux survols les plus rapprochés avaient été effectués à environ 1  000 000 km, par Voyager en août 1981, et par Cassini le 15 octobre 2004. Japet à un diamètre de 1436 km.

La figure 1 est la meilleure image Voyager, la figure 2 montre ce que Cassini a obtenu de plus précis en octobre 2004 et la figure 3 présente la meilleure carte disponible avant ce 31 décembre 2004, ainsi que la localisation des zones couvertes par le dernier survol.

Japet vu par Voyager en 1981

Figure 2. Japet vu par Cassini en octobre 2004

En haut, les meilleures photographies de Japet vu par Cassini en octobre 2004. En bas, les images sont été surchargées des latitudes et longitudes



Ce qu'on savait de Japet peut se résumer de la façon suivante.

  • La surface de Japet est cratérisée ; il s'agit donc d'une surface âgée.
  • Les trois quarts de la surface sont constitués d'un matériel clair, d'albédo 0,6 et vraisemblablement constitués de glace d'H2O comme composé principal.
  • Le quart restant est constitué de terrains très sombres, constituant une énorme tache centrée sur +90° de longitude, 0° de latitude. Son albédo est de 0,04 . Cette région sombre a été nommée Cassini Regio. Ce nom a été donné en 1981, avant que l'actuelle mission n'ait également été nommée Cassini, et tout cela en l'honneur de Giovani Cassini, qui a découvert Japet en 1672. Les études spectrales indiquaient une forte signature "organique" provenant de cette tache sombre, un peu comme du goudron ou de la suie. La limite entre les terrains clairs et sombres est relativement nette.

    La localisation de cette tache sombre (Cassini Regio) ne semble pas aléatoire. Dans son mouvement orbital autour de Saturne, Japet présente toujours le même hémisphère dans la direction face à son mouvement (hémisphère "avant "), et donc toujours le même hémisphère opposé au mouvement. C'est d'ailleurs le cas de la quasi totalité des satellites du système solaire, aussi bien de la Terre, de Jupiter, de Saturne… Et bien, Cassini Regio est parfaitement centrée au milieu de l'hémisphère avant, comme si cette face avant était salie par des poussières organique sombre récoltées lors de ses révolutions autour de Saturne. On pourrait faire une analogie avec un véhicule en mouvement sous la pluie : l'avant est mouillé, alors que l'arrière reste sec.

Cette interprétation pose quelques problèmes majeurs.

  • (1) Qu'est cette poussière organique que Japet aurait récoltée sur sa face "avant" au cours des milliards d'années ?
  • (2) Pourquoi la limite entre terrains clairs et sombres est-elle si nette ?
  • (3) Pourquoi est-ce le seul satellite à s'être "sali" à l'avant, alors que quasiment tous les satellites du système solaire ont les mêmes caractéristiques orbitales avec faces avant et arrière ?

Une des explications possibles au 1er et 3ème problème pourrait être la suivante : à un moment de son histoire, Japet aurait émis (volcanisme) beaucoup de méthane dans l'espace tout au long de son orbite. Ce méthane, décomposé par les UV solaires, serait devenu poussières de composés organiques, poussières que Japet aurait récupérées sur sa face avant lors de son mouvement circum-saturnien. Une autre explication propose que ces poussières noires proviennent des satellites externes (par quels mécanismes ?), satellites qui ont eux aussi un très faible albédo.

Rappelons que, sur un corps de glace d'eau plus ou moins riche en glace de CO2, CH4 et autres composés organiques, le volcanisme correspond à une émission superficielle d'H2O, CO2, CH4… liquides et/ou gazeux.

La NASA vient de publier de superbes images et les premiers résultats des analyses spectrales. Le hasard des trajectoire fait que Cassini a survolé Japet juste au-dessus de Cassini Regio. La figure 4 montre une vue générale de Japet. Mais la structure la plus étonnante visible sur cette image est la ride topographique qui semble partager Japet en deux, en suivant presque parfaitement l'équateur. La partie visible de cette ride, qui continue de l'autre côté (hélas non imagé) mesure 1300 km de long, 20 km de large et 13 km de haut.

Figure 4. Japet, vue générale centrée sur 0° lat, 90° long

Cette image montre au Nord (en haut) les régions de hautes latitudes, claires. On devine tout en bas les claires régions polaires Sud. Au centre du disque planétaire, on voit un vieux et grand cratère d'impact de 400 km de diamètre. Sur le bord Est, et à moitié dans la nuit, on découvre la moitié d'un autre bassin d'impact, de 600 km de diamètre, impact probablement plus jeune, car sa morphologie est moins émoussée. Mais la structure la plus étonnante visible sur cette image est la ride topographique qui semble partager Japet en deux, en suivant presque parfaitement l'équateur. La partie visible de cette ride, qui continue de l'autre côté mesure 1300 km de long, 20 km de large et 13 km de haut.


La figure 5 montre la meilleure image de l'extrémité occidentale de la partie visible de la ride équatoriale.

La ride "équatoriale" de japet au niveau du limbe

Figure 5. La ride "équatoriale" de japet au niveau du limbe

Noter que sa hauteur est suffisante pour déformer notablement la courbure du satellite


Quelle est l'origine de cette ride ? Tectonique (et dans ce cas compressive ou extensive ?), magmatique… ?

On peut noter que cette ride se situe juste au milieu de Cassini Regio. Le matériel sombre serait alors constitué de produits volcaniques retombés de part et d'autre de la ride (et dans ce cas, la localisation de Cassini Regio sur la face avant ne serait qu'une coïncidence). Et si le matériel sombre de Cassini Régio est sur la face avant car provenant de l'espace, alors ce serait la position de la ride au milieu de Cassini Regio qui serait une coïncidence.

Une belle énigme géologique de plus. Et cette "chaine de montagne" devient, "relativement parlant", la plus grande du système solaire. À l'échelle de la Terre, cela ferait une ride de 11 000 km de long, pour 160 km de large et… 100 km de haut ! Les rides médio-océaniques terrestres sont largement "battues".

Les figures 6 et 7 montrent deux "détails" de la transition entre terrains clairs et sombres. Dans ces deux images, prises sous deux angles différents, on observe que la limite est relativement nette, et que du matériel clair apparaît sous la pellicule sombre, notamment au niveau des nombreux cratères. On voit aussi que les terrains clairs, juste après la limite avec les terrains sombres, sont "subtilement " zébrés de traînées sombres parallèles, plus ou moins en connexion avec Cassini Regio. Quelle peut être l'origine de ces traînées sur ce corps sans atmosphère, donc sans vent ?

La figure 8 montre un détail du grand bassin oriental (diamètre de 600 km), vu ici sous un autre angle que dans la figure 4. Le rempart de ce cratère mesure 9 km de haut. Au pied de ce rempart, on observe un plus petit cratère (120 km de diamètre). Une moitié de ce "petit " cratère est recouverte par un gigantesque glissement de terrain provenant de la falaise principale. Un tel glissement qui s'est déplacé sur plus de 60 km sera riche d'enseignement sur les propriétés rhéologiques de la croûte de Japet (glace + ?).


Outre ses images "optiques", Cassini a aussi observé dans l'infra-rouge, ce qui apporte des informations et sur la température, et sur la composition chimique.

La figure 9 montre Japet en " visible" à gauche, sa brillance en IR "thermique " au centre, et la conversion de cet IR en température à droite.


La figure 10 montre deux compositions colorées. À gauche, il s'agit de la superposition des images à 1,01- 1,51 et 2 micromètres. Les zones claires sont riches en glaces d'H2O, les zones sombres sont pauvres en glace d'H2O. À droite, il s'agit de la superposition des images à 3- 3,21 et 3,60 micromètres. Les zones claires sont riches en matière organique, et les zones sombres sont pauvres en matière organique.


La figure 10 montre quatre images avec, de gauche à droite :

  • une image IR montrant l'abondance des "non ice minerals" ;
  • une image IR montrant l'abondance de la glace de CO2 ;
  • une image IR montrant l'abondance de la glace d'H2O ;
  • une composition colorée avec, en bleu, la glace d'H2O, en vert, la glace de CO2 et, en rouge, les minéraux non glacés.

Figure 11. Images montrant l'abondance de différents types de constituants à la surface de Japet

De gauche à droite : une image IR montrant l'abondance des "non ice minerals", une image IR montrant l'abondance de la glace de CO2, une image IR montrant l'abondance de la glace d'H2O, une composition coloré, avec, en bleu, la glace d'H2O, en vert, la glace de CO2 et, en rouge, les minéraux non glacés.


Encore une fois, après Phoebé (juin 2004), Titan (octobre et décembre 2004, puis …), Dioné (décembre 2004), un survol rapproché nous montre un monde complètement nouveau. Il ne nous reste qu'à attendre septembre 2007, pour avoir un survol de Japet à seulement 1000 km.

En attendant, prenons rendez-vous pour dans quelques jours pour commenter les résultats de Huygens après son atterrissage sur Titan ce 14 janvier, puis ce sera de nouveau Titan le 15 février, Encelade le 17 février…