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Article | 15/06/2003

Suivre l'évolution du niveau moyen de la mer, exemple de la Méditerranée

15/06/2003

Benoît Urgelli

ENS de Lyon / DGESCO

Benoît Urgelli

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Apport des missions altimétriques satellitaires à la connaissance de l'évolution temporelle du niveau moyen de la Méditerranée.


D'après P.Exertier, P.Bonnefond et F.Barlier de l'Observatoire de la Côte d'Azur (OCA), voir l'article source).

Résumé

La topographie de la surface de la mer, qui est directement reliée à la forme du géoïde et à la signature des effets océaniques, est accessible par la technique de l'altimétrie satellitaire. L'apport des missions altimétriques Seasat (lancé en 1978), Geosat (1985) puis ERS­1 (1991) et TOPEX/Poséidon (1992) à l'étude de la Méditerranée est considérable. Les premières cartes du géoïde marin, avec des précisions relatives de 10-20 cm suivant les solutions, ont beaucoup contribué à la compréhension des phénomènes géophysiques. Ensuite, grâce, d'une part, aux réductions d'erreurs d'orbites satellitaires et, d'autre part, au développement de méthodes de calcul d'orbite, la précision des déterminations du niveau moyen absolu de la surface de la mer est passée de quelques mètres à quelques centimètres. L'analyse des données de TOPEX/Poséidon en Méditerranée, présentée ici, a permis de déterminer l'évolution temporelle du niveau moyen de la mer. L'amplitude des variations inter-annuelles est de l'ordre de 20 cm avec un maximum en octobre/novembre et un minimum en mars. D'autre part, la combinaison des données de ERS­1 et de TOPEX/Poséidon a permis d'améliorer la résolution spatiale des cartes sans perte de précision, faisant apparaître les principales caractéristiques de la circulation en Méditerranée et ses variations saisonnières.

L'altimétrie satellitaire

L'océan joue un rôle clé sur le climat global de la planète et son évolution dans le temps. Pour comprendre ce rôle puis développer des techniques de modélisation du climat, notamment à des fins de prédiction, il est nécessaire de comprendre la dynamique de la circulation océanique globale. Cette compréhension implique une observation précise de la circulation et de ses variations dans le temps qui, pour être réaliste, doit être opérée avec suffisamment de résolution spatiale et temporelle par un satellite altimétrique ou, mieux, une série de satellites.

La mesure altimétrique est la mesure de distance par radar entre le satellite et la surface de la mer. L'orbite du satellite servant de référence, l'altimétrie permet de déterminer la surface topographique moyenne des océans, dont les hauteurs sont rapportées à un ellipsoïde de référence.

Principe de la détermination des hauteurs de mer à partir des mesures altimétriques

Figure 1. Principe de la détermination des hauteurs de mer à partir des mesures altimétriques

Par exemple, le zéro du marégraphe de Marseille, référence du nivellement français, est en continuité avec la surface topographique moyenne de la mer.


Toutefois, il faut souligner que la surface de la mer varie en permanence sous les effets conjugués des marées, des vents et de la pression atmosphérique. Aussi, est-il toujours nécessaire de préciser l'intervalle de temps sur lequel on considère la moyenne.

Qu'apporte la connaissance de la surface topographique moyenne des océans ?

La surface topographique moyenne révèle avant tout le relief de la mer créé par les inhomogénéités du champ de gravité terrestre, ce qui contribue d'abord à la détermination du géoïde dans les zones océaniques. Elle incorpore également le relief de la "topographie dynamique" de l'océan, qui est lié à la présence des courants et à la densité inhomogène des eaux océaniques.

Comme on le démontre en océanographie, les courants océaniques suivent les courbes de niveau de la topographie dynamique avec une vitesse proportionnelle à la pente locale. Aussi, l'analyse de ce relief apporte-t-elle une contrainte importante dans la détermination de la circulation océanique globale. Ce dernier signal est cependant nettement plus faible que le signal dû au géoïde aux grandes longueurs d'onde ; il est en effet presque partout inférieur au mètre et de longueur d'onde supérieure à 30 km.

L'étude de la mer Méditerranée

La Méditerranée se caractérise par une topographie dynamique de faible amplitude, d'environ 5 à 10 cm. Pour établir la cartographie des courants à partir de la mesure altimétrique, une connaissance indépendante et très précise du géoïde est donc nécessaire. Or, si le géoïde à grande longueur d'onde (sur plusieurs milliers de kilomètres) est connu à mieux que quelques centimètres, la précision se dégrade en deçà de 1000 km. Ainsi, la précision avec laquelle le géoïde en Méditerranée peut être connu est, aujourd'hui, très sensiblement inférieure à celle avec laquelle la surface topographique moyenne est déterminée, notamment grâce aux données de TOPEX/Poséidon. Au-delà de l'étude de la circulation océanique, se dessine un objectif très ambitieux pour l'altimétrie : l'étude des variations séculaires du niveau moyen absolu des océans. Dans ce domaine, il s'agit d'extraire de séries pluriannuelles de mesures, des signaux infimes de l'ordre de quelques millimètres à quelques centimètres par an. Dans le contexte d'un réchauffement de la planète, ces tendances, superposées à la variabilité de la topographie dynamique, mettront en évidence l'élévation lente du niveau moyen de l'océan sous l'effet conjugué de la dilatation thermique, de la fonte des glaces et des glaciers, des précipitations, etc.

TOPEX/Poséidon en Méditerranée : la résolution d'un problème de précision

La mise en évidence des phénomènes océanographiques et géophysiques (zones de fractures, bathymétrie, etc), qui affectent la forme de la surface de la mer dans l'espace et dans le temps, fait de l'altimétrie un outil puissant pour les sciences de la Terre qu'il est nécessaire de maîtriser du point de vue géodésique. En effet, si le principe de l'altimétrie est simple, la réalisation des mesures et l'exploitation des données restent complexes du fait de la très grande précision nécessaire : la pente de la surface de l'océan peut varier de 1 m sur 100 km à 0,1 m sur 3000 km, et il faut pouvoir la mesurer avec une précision meilleure que dix pour cent (si possible un pour cent).

Cela entraîne des contraintes techniques très sévères sur les instruments de mesure ainsi que sur la modélisation des corrections de propagation des signaux. Cela implique aussi un calcul d'orbite très précis et une connaissance approfondie du géoïde, principales sources d'erreurs, qui limitent l'analyse des données altimétriques. Pour réduire ces sources d'erreurs, il convient d'améliorer les modèles orbitographiques de forces perturbatrices, essentiellement d'origine non gravitationnelle, ainsi que la connaissance du champ de gravité de la Terre.

Dans l'objectif de la mission d'océanographie spatiale franco-américaine TOPEX/Poséidon, un effort dans ce sens a été entrepris de façon très large. C'est ainsi qu'ont été réduits les postes d'erreurs, qui rendaient impossible la mesure des variations du niveau global des océans à partir des missions altimétriques précédentes. Les progrès réalisés ces dernières années dans la connaissance du modèle dynamique pour le calcul de l'orbite de TOPEX/Poséidon (coefficients du champ de gravité à grande longueur d'onde et modélisation des forces de surface, essentiellement) ont permis de gagner environ un ordre de grandeur, portant à 3-4 cm l'erreur estimée sur la position radiale du satellite. L'utilisation des systèmes de poursuite laser et DORIS a, bien entendu, beaucoup contribué à ce résultat. D'un autre point de vue, le développement de méthodes de calcul d'orbite à caractère pseudo-géométrique -c'est-à-dire indépendantes des méthodes dynamiques classiques-, qui conduisent à l'utilisation de systèmes de poursuite spatiaux continus comme le Global Positioning System, a également joué un rôle important pour le contrôle et la validation de la mission. Dans ce sens, la technique d'arcs courts, qui s'appuie sur des observations de télémétrie laser, a été déterminante pour la calibration des deux altimètres TOPEX (opérationnel) et Poséidon (expérimental), permettant d'atteindre une précision proche de 2 cm sur la position radiale du satellite.

L'apport des données TOPEX/Poséidon en Méditerranée de septembre 1992 à fin 1993

La mission TOPEX/Poséidon est la première mission spatiale où l'on a cherché à obtenir a priori, notamment grâce à une altitude élevée, une très grande précision dans la détermination du mouvement orbital du satellite ainsi que dans le système de mesure altimétrique. C'est par une amélioration très importante de la connaissance du champ de gravité, mais aussi par l'installation sur la plate-forme spatiale de systèmes de poursuite les plus performants (DORIS, SLR, et GPS à titre expérimental), que les spécifications sur l'erreur d'orbite ont été très resserrées par rapport aux missions antérieures.

Une application majeure de cette méthode a consisté en une expérience de détermination du niveau moyen absolu de la Méditerranée ainsi que de ses variations saisonnière et inter-annuelle. La surveillance du niveau moyen des mers est certes une application naturelle de l'altimétrie, mais la qualité extrême qu'elle exige des mesures s'est avérée hors d'atteinte des systèmes altimétriques lancés avant TOPEX/Poséidon.

Cette application relève pratiquement de l'altimétrie absolue et requiert des mesures d'une précision nettement sub-décimétrique, d'une reproductivité exceptionnelle et dépourvues de toute dérive artificielle. Après trois ans d'exploitation en orbite, TOPEX/Poséidon a prouvé qu'il répondait à ces critères. L'analyse des premiers mois de données altimétriques (de septembre 1992 à fin 1993) ont révélé toute la potentialité de ce système.

L'étude menée en mer Méditerranée a permis d'établir, à partir du calcul géométrique des arcs courts d'orbite, une carte très exacte de la surface moyenne de la mer, qui est très proche du géoïde.

Surface moyenne de la Méditerranée référencée à l'ellipsoïde GRS80

Figure 2. Surface moyenne de la Méditerranée référencée à l'ellipsoïde GRS80

Les hauteurs moyennes de la mer au-dessus de l'ellipsoïde sont en mètres. Cette surface a été obtenue à partir des données altimétriques des six premiers mois de la mission de TOPEX/Poséidon (Septembre 1992 à Mars 1993). La précision du niveau moyen est estimée à mieux que 1 cm, permettant de calculer les variations temporelles du niveau instantané par rapport au niveau moyen.


Différences moyennes par cycle (cercles) des hauteurs de mer issues des profils instantanés de TOPEX/Poséidon par rapport à la surface moyenne annuelle

Figure 3. Différences moyennes par cycle (cercles) des hauteurs de mer issues des profils instantanés de TOPEX/Poséidon par rapport à la surface moyenne annuelle

Les croix représentent la moyenne des différences de hauteur de mer aux points de croisement des profils moyens issus des surfaces saisonnières par rapport à ceux issus de la surface annuelle.


C'est la première observation spatiale des variations du niveau de la mer dans cette région à ce niveau de précision. Si les variations séculaires ne peuvent être mises en évidence sur une si courte période, l'analyse des variations saisonnières et intra-saisonnières du niveau moyen permet de vérifier la cohérence des mesures.

Ces variations ont une amplitude pic à pic d'environ 20 cm, avec un maximum et un minimum respectivement en automne et en hiver : ce phénomène est dû pour une large part à l'expansion/contraction thermique de l'eau (effet stérique) sous l'effet de variations de température.

Apport supplémentaire des données ERS-1

Enfin, et dans le but d'augmenter la résolution spatiale des données fournies par TOPEX/ Poséidon, ont pu être adjointes à l'analyse les données altimétriques du satellite européen ERS­1, lancé en 1991, dont la période de répétitivité est de 35 jours.

La résolution de la surface ainsi obtenue est donc considérablement augmentée (75 km d'intertrace pour ERS­1 contre 250 km pour TOPEX/Poséidon, sans altérer la précision globale du positionnement des profils moyens la constituant.


Cette augmentation de résolution permet notamment de mettre en évidence certaines structures de la topographie sous-marine.

Surface moyenne de la mer dans le bassin ouest de la Méditerranée obtenue à partir des données altimétriques de TOPEX/Poséidon et ERS

D'autre part, l'analyse conjointe des mesures de TOPEX/Poséidon et ERS­1 a permis de déterminer la circulation en Méditerranée avec une précision et une résolution spatiale très importante. Ces travaux, réalisés à CLS/Argos Toulouse, ont permis de cartographier la circulation générale et ses variations saisonnières, tout en mettant aussi en évidence des effets locaux (par exemple, le tourbillon de Ierapetra au Sud-Est de la Crête).

Conclusion

L'amplitude faible des phénomènes océanographiques (± 10 cm) et la signature complexe des phénomènes géophysiques (courtes longueurs d'onde du géoïde) rencontrées en Méditerranée peuvent être observées plus finement qu'ailleurs grâce à la topographie précise de sa surface.

Il en résulte que la Méditerranée est une zone d'étude privilégiée pour la géodésie spatiale, compte tenu, au surplus, de l'ensemble des techniques modernes qui y sont affectées. Notamment, elle constitue un test idéal des nouveaux projets d'altimétrie spatiale, comme TOPEX/Poséidon et ERS­1, pour la calibration et la validation de leurs données. Dans le but de déterminer la variation temporelle du niveau moyen absolu de la mer par les données de TOPEX/Poséidon, a été développée une méthode de calcul d'orbite locale, à caractère géométrique, qui permet d'obtenir une exactitude centimétrique sur la position du satellite.

L'analyse a permis pour la première fois d'observer des amplitudes fortes du niveau moyen, de l'ordre de 20 cm, avec une période caractéristique d'un an. De plus, la combinaison des données d'ERS­1 et de TOPEX/Poséidon a permis d'observer aussi, pour la première fois par altimétrie, les principales caractéristiques de la circulation en Méditerranée et notamment les variations saisonnières. Sur une échelle de temps plus grande, les données de TOPEX/ Poséidon, les données d'ERS­1 et ERS­2 (lancé en 1995) et aussi les données des missions à venir, permettront d'avoir accès à la variation à plus long terme du niveau moyen absolu en Méditerranée, avec une précision millimétrique.