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Article | 30/01/2008

Où est tombée la météorite du 25 janvier 2008, ou de l'intérêt des forums sur le web

30/01/2008

Pierre Thomas

Laboratoire de Sciences de la Terre - ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Une météorite a été observée en France le 25 janvier 2008. La diffusion rapide des informations sur internet permet d'accumuler des témoignages, de les recouper et, avec un peu de rigueur, de localiser le point de chute... éventuel.


Des milliers de témoins ont vu un objet lumineux traverser le ciel français le vendredi 25 janvier 2008 vers 18h10, soit 35 minutes après le coucher du soleil : la chute d'une météorite. D'innombrables témoins affirment l'avoir vu tomber relativement près d'eux, là, juste derrière la haie, la ferme, la colline … Les témoignages les plus pris en compte par la presse proviennent de la région de Bourges, et presse, radio, télé… ont annoncé « chute d'une météorite près de Bourges », et la bulle médiatique a fait le reste. Deux exemples parmi tant d'autres sur Le Point et France Info.

Suite à un appel lancé sur ce site, des témoignages ont été recueillis et ont donné lieu à un article présentant la méthode de localisation à partir de donnés réelles et de témoignages complets.

Observation des météorites : limites d'une observation unique

Personnellement, je connais deux témoins qui ont vu cette chute de météorite :un dans les Dombes entre Lyon et Bourg en Bresse, et un à Chalon sur Saône. Dombes, Chalon sur Saône et d'autres… cela fait beaucoup. Soit il s'agit d'une météorite unique, mais comment peut-on la voir de sites si éloignés les uns des autres, soit elle s'est fragmentée en de nombreux fragments en arrivant dans l'atmosphère, soit même il s'agissait d'un essaim de météorites.

Il faut tout d'abord remarquer qu'en janvier à 18h10, c'est le crépuscule, et que le ciel est déjà très sombre. Et estimer la distance d'un objet très brillant dans le presque noir du ciel crépusculaire est impossible. Il est impossible de faire la différence à l'œil nu entre une lampe de quelques watts (style lampe de poche) située à 100 m de distance et 10 m de haut, une lampe de quelques centaines de watts située à 1 km de distance et 100 m de haut, ou une lampe de quelques centaines de milliers de watts située à 300 km de distance et 30 km de haut (si ce n'est que la lampe située à 300 km paraîtra un peu plus bas qu'en réalité à cause de la rotondité de la Terre). Si la lumière est très brillante, on a l'impression qu'elle est proche. Et quand elle disparaît derrière la haie du voisin, on est sûr qu'elle est tombée dans le champ juste derrière la haie, et non pas qu'elle a disparu derrière l'horizon.

Il faut ensuite savoir ce qui se passe quand une météorite arrive dans l'atmosphère. La mécanique et l'astronomie nous disent que toutes les météorites arrivent avec une vitesse supérieure à 11 km/s. Les frottements sur les hautes couches de l'atmosphère échauffent fortement sa surface, et ionisent l'air à son voisinage : un phénomène lumineux apparaît, surtout dû à la boule et à la traînée d'air ionisée, et non pas à l'objet lui-même. Ce phénomène lumineux débute à environ 120 km d'altitude.

Une fois la traversée de l'atmosphère commencée, plusieurs phénomènes entrent en jeu. La surface de la météorite se vaporise, et si la météorite est petite, elle se vaporise entièrement. C'est le phénomène classique de l'étoile filante. Le phénomène lumineux est d'autant plus important que la météorite est grosse. Quand le phénomène lumineux est intense, on ne parle plus d'étoile filante, mais de bolide. Le phénomène lumineux cesse avec la vaporisation complète de l'objet.

En plus de cet échauffement, les frottements freinent et ralentissent la météorite. C'est pendant ce freinage atmosphérique que la météorite se brise fréquemment en plusieurs fragments, comme l'a fait la navette Columbia lors de sa catastrophique rentrée dans l'atmosphère le 1er février 2003.

Phénomènes lumineux résultant de l'entrée de la navette Columbia dans l'atmosphère après la destruction de son bouclier thermique

Figure 1. Phénomènes lumineux résultant de l'entrée de la navette Columbia dans l'atmosphère après la destruction de son bouclier thermique

La rentrée d'une météorite de taille conséquente s'accompagne des mêmes phénomènes lumineux.


Si la météorite est suffisamment grosse, elle ne se vaporise pas totalement et va atteindre le sol. Mais les frottements la ralentissent, et elle va finir par atteindre la vitesse d'équilibre de la chute d'un corps dans l'air atmosphérique (celle d'un parachutiste qui aurait oublié son parachute), à savoir entre 200 et 300 km/h en basse altitude. À cette vitesse, les frottements ne réchauffent plus la météorite ; au contraire, le mouvement relatif air-météorite refroidit efficacement sa surface. L'altitude où cette vitesse d'équilibre est atteinte dépend de la masse de la météorite. Si les toutes petites météorites sont vaporisées avant d'atteindre cette vitesse d'équilibre (étoiles filantes classiques), une météorite plus grosse atteindra cette vitesse d'équilibre à plusieurs dizaines de kilomètres d'altitude ; une très grosse météorite (plusieurs milliers de tonnes) arrivera au sol sans avoir significativement ralenti, et creusera un cratère.

Ce qu'il faut retenir, c'est que pour la très grande majorité des météorites, qui sont petites, la vitesse d'équilibre est atteinte à plusieurs dizaines de kilomètres d'altitude. Alors elles tombent avec une vitesse modérée (quelques centaines de km/h) d'une hauteur de plusieurs dizaines de kilomètres de haut dans l'air glacé de haute altitude. L'ionisation de l'air (à l'origine du phénomène lumineux) cesse, la surface de la météorite se refroidit, et elle n'émet plus de lumière (sauf si elle est tellement grosse qu'elle n'a pas le temps de se refroidir pendant sa chute, voire qu'elle arrive non ralentie à la surface du sol).

Il est donc très probable que tout ce qu'ont vu les témoins se situait à plusieurs dizaines de kilomètres d'altitude, ce qui explique que le phénomène lumineux ait été vu par la moitié de la France. Si un objet tombant très près d'un observateur, derrière une haie, était encore lumineux (c'est-à-dire très chaud) en arrivant au sol, cela aurait alors été un très gros fragment, qui de plus aurait enflammé les végétaux du sol sur lequel il serait tombé. Feu de broussaille et gros fragment, cela aurait été très facilement retrouvé.

Mais, même s'il est probable que tous les témoins ont vu un phénomène lumineux bas sur l'horizon, mais lointain et ayant lieu dans la haute atmosphère, on ne peut pas exclure une météorite fragmentée ou un essaim, avec des fragments arrivant au sol. Comment savoir ?

Météorites et internet : le cas de la météorite du 25 janvier 2008

En consultant un moteur de recherche sur le web et en tapant "météorite Cher", ou "météorite 25 janvier", on tombe sur des forums très intéressants. Si on élimine les farfelus qui ont vu des petits hommes verts ou qui annoncent la fin du monde, il reste de nombreux témoignages sérieux mais non quantitatifs (ni direction, ni hauteur, ni trajectoire …), et surtout quelques témoignages disant quelque chose du genre « j'ai vu la météorite depuis tel endroit précis se dirigeant dans telle direction précise ».

Par exemple, le message 7 (d'un certain Sevy42 de Montbrison dans la Loire) du forum infoclimat compare et confronte les messages de son forum, et dit le 25 janvier à 23h09 :

« 25/01/2008 - 23:09 Il y a donc pour l'instant 5 témoins : -Chambéry : direction ouest -Genève : direction ouest-sud-ouest -Montbrison (42) : direction sud-ouest -Bordeaux : direction sud-est -Nevers : direction sud Donc si le bolide a touché le sol il est peut être pas très loin du Cantal, de la Haute-loire, de la Lozère...  »

Ces observations sont compatibles, car si, sur une carte, on trace une ligne orientée à l'Ouest de Chambéry, à l'Ouest-Sud-Ouest de Genève, au Sud-Ouest de Montbrison, au Sud-Est de Bordeaux et au Sud de Nevers, ces lignes se recoupent quelque part au Sud/Sud-Ouest du Massif Central. Quelques heures après la chute de la météorite, des témoignages quantifiés concordaient, suggéraient un objet unique et une localisation approximative.

Quelques jours plus tard (sans doute le 27 mais date et heure ne sont pas précisées) sur un forum du site Sur La Toile, un certain Ludwig fait des commentaires pertinents sur la fragilité des témoignages, explique cette fragilité, et écrit :

« Pendant ce temps, des spécialistes ne se fiant à aucun témoignage isolé mais soucieux de les interpoler tous, parvenaient à estimer l'hypocentre probable, aux environs d'Albi ».

Ces spécialistes sérieux, qui sont-ils ? Lui-même, un club d'astronomie, des témoignages web… collectés par d'autres et réutilisés par Ludwig ? Il(s) utilise(nt) sans doute la méthode précédente mais avec plus de témoignages quantitatifs, positionnent sur une carte de France tous ces témoignages quantifiés, reportent la direction du trajet de la météorite, et constatent que ces trajectoires se recoupent au-dessus du Tarn.


Je ne sais pas, bien sûr, si les témoignages sont authentiques et fiables, mais la méthode est très intéressante, et n'est possible que depuis l'existence de ces forums sur le web. C'était absolument impossible sans un gros et long travail d'enquête il y a seulement 10 ans.

Juste après avoir découvert cette carte sur le web, je me suis aperçu que la description de "mes" deux témoins (Dombes et Chalon sur Saône), qui m'avaient indiqué la direction de chute (précise pour l'un, approximative pour l'autre) étaient parfaitement compatibles avec une "chute" dans le Tarn, ce qui renforce à mes yeux la qualité du travail et la crédibilité des témoignages utilisés par l'auteur de cette carte.

Sur ce, il n'est pas certain que la météorite ait réellement atteint le sol quelque part aux environs d'Albi, et se précipiter dans la région n'est pas forcément synonyme de trouvailles. Peut-être a-t-elle (elle ou ses fragments) été entièrement consumée dans la haute atmosphère ? On ne saurait néanmoins que conseiller cette méthode quand on va chercher une météorite dont la chute a été vue par de très nombreux témoins, que ce soient les amateurs, les chasseurs de météorites, les scientifiques. Et c'est ce que devrait faire la presse avant d'orienter les gens vers Bourges et d'ameuter tout un village du Berry (Trouy).

Un cas ancien : la météorite du 9 janvier 1992, état de New-York (USA)

Cette météorite du 25 janvier 2008 rappelle celle du 9 octobre 1992.

Le 9 octobre 1992 au soir, un objet lumineux traversa le ciel sur plus de 700 km, du Kentucky au New Jersey au USA. Cette boule de feu, unique au début de sa trajectoire (du Sud-Ouest vers le Nord-Est), se scinda en plusieurs dizaines de fragments lumineux. Un de ces fragments, le seul qui soit arrivé au sol et qu'on ait retrouvé, d'un poids de 12 kg, tomba sur la voiture de Miss Michelle Knapp, en perça le coffre et s'enfonça d'une dizaine de centimètres dans le goudron.

Une photographie est déjà parue sur Planet-Terre. Des vidéos de la chute issue d'un site donnant de nombreux renseignements sur cet événement sont aussi disponibles.

Et malgré les milliers de témoins à avoir vu (et souvent filmé) la chute, seul un morceau a été retrouvé (il eut été difficile de ne pas le retrouver). Les autres fragments se sont sans doute vaporisés dans la haute atmosphère, ou, si certains ont atteint le sol, ils sont encore perdus dans les taillis du New Jersey.