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Article | 02/07/2012

Les impacts dans le système solaire

02/07/2012

Pierre Thomas

ENS de Lyon - Laboratoire de Géologie de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Formation et évolution des planètes, chronologie relative et absolue, cratères d'impact de météorites dans le système solaire.


La revue Le Règne Minéral publie en ce mois de juin 2012 un cahier spécial consacré aux météorites différenciées. Cet article est un premier jet destiné à ce numéro spécial, premier jet qui a dû être réduit pour satisfaire aux contraintes éditoriales de la revue. Vous trouverez donc cet article (un peu diminué) dans ce premier numéro des Cahiers du Règne Minéral intitulé Les météorites différenciées. Vous y trouverez plus d'une quinzaine d'autres articles consacrés aux météorites. Page de garde et table des matières vous sont proposées en annexe à la fin de cette version en ligne.

Depuis 1959, survol de la face cachée de la Lune par la sonde soviétique Luna 3, toutes les planètes ont été survolées au moins une fois par une sonde spatiale, ainsi que leurs principaux satellites et quelques astéroïdes. Quasiment toutes les surfaces "solides" visitées sont perforées d'innombrables cratères de météorites, sauf la Terre, Vénus, Europe et Titan qui n'en montrent que peu, et Io où les sondes n'en ont trouvé aucun. Et malgré cette abondance de cratères, les météorites sont des objets rares, que musées et collectionneurs s'arrachent, assez rare pour que Le Règne Minéral y consacre un numéro spécial. Que sont ces cratères de météorite, comment se forment-ils, pourquoi y en a-t-il si peu sur Terre et y ont-ils (eu) une action notable malgré leur faible nombre ?

Les impacts formateurs

La Terre et donc la vie terrestre ne seraient pas là sans les impacts. Il y a 4,56 Ga, le système solaire était constitué d'une nébuleuse où se condensaient des poussières ferro-silicatées (au centre) ou ferro-silicato-glacées en périphérie. Celles-ci se sont progressivement rassemblées en planétésimaux, corps kilométriques en orbite autour du Soleil en formation. Ces planétésimaux se sont heurtés les uns les autres, et ces milliards d'impacts ont fini par donner des corps de 1000 à 3000 km de diamètre. Ces derniers sont à leur tour entrés en collision pour former le système solaire interne que nous connaissons avec ses 4 planètes. La chaleur dégagée par ces impacts a entraîné la fusion des planètes en formation, qui se sont donc différenciées en noyau ferreux et manteau silicaté pendant leur formation. Ce gymkhana cosmique a duré moins de 100 millions d'années, et s'est (relativement) calmé après. Mais tout n'a pas été aussi régulier que relaté ci-dessus. À la fin de cette période d'intenses collisions, un corps de la taille de l'actuel Mars, et surnommé Théia, a heurté tangentiellement la Terre, et en a arraché quelques pour-cents de la masse. Une partie de ces débris, plus sans doute d'autres provenant de l'objet impacteur, se sont mis en orbite autour de la Terre, se sont accrétés et on ainsi formé la Lune. D'autre part, des objets venus du système solaire externe heurtent aussi la Terre nouvellement formée et, venant d'au-delà de la zone où se condense la glace, y amène la majeure partie des 1021 kg d'eau qu'on trouve aujourd'hui sur notre planète. Sans collisions et sans impacts, il n'y aurait pas (ou très peu) d'eau sur une Terre qui d'ailleurs n'existerait pas.

A-t-on des témoignages directs et "palpables" de ces collisions à l'origine de la Terre et des planètes ? Il est possible que les météorites de la classe des méso-sidérites soient des témoins de ces collisions : deux corps déjà différenciés seraient entrés en collision. Un corps riche en fer aurait partiellement fondu en heurtant la croûte silicatée d'un deuxième corps et s'y serait en partie mélangé. Il reste à dater l'âge de ces impacts pour savoir s'ils sont bien contemporains de ce gymkhana interplanétaire.

Figure 1. La formation des planètes par collisions successives

Sur ces dessins d'artiste, deux étapes de la formation des planètes sont représentées.

À gauche, le début du processus. Des planétésimaux (de taille kilométriques s'agglomèrent en chutant les uns sur les autres. Ainsi naissent des corps de plusieurs centaines à 1 ou 2 milliers de kilomètres de diamètre, qu'on pourrait appeler proto-planètes. L'artiste a dessiné ce corps grossissant couleur"lave", signifiant par-là que l'énergie cinétique apportée par les planétésimaux se transforme en chaleur, que la proto-planète grossit chaude et "fondue" et qu'elle se différencie en même temps qu'elle croît.

À droite l'artiste a dessiné deux proto-planètes de quelques milliers de kilomètres de diamètres en train de rentrer en collision. Ce genre de collisions peut être destructeur, ou au contraire constructeur en additionnant les masses, comme cela a sans doutes été le cas lors de la formation des plus grosses planètes telluriques (Terre et Vénus). En cas de choc tangentiel, la collision peut avoir un effet intermédiaire, et créer un satellite, comme la Lune.


Le grand bombardement tardif... et la suite

Vers -4,45 Ga, la Terre, la Lune et les planètes ont acquis leur taille définitive ; les objets sur des orbites elliptiques qui recoupent les orbites quasi-circulaires des planètes se raréfient, et le bombardement décroît progressivement. Le bombardement décroît, mais pas régulièrement. Les observations et datations sur la Lune, ainsi que des modèles d'évolution des orbites dans le système solaire montrent une recrudescence de ce bombardement vers -4/-3,8 Ga, ainsi qu'une augmentation de la taille de certains objets impacteurs. On parle de grand bombardement tardif (late heavy bombardment = LHB en anglais). Ainsi sont nés la majorité des grands bassins (d'un diamètre > 400 km) qu'on voit sur Mercure, Mars et la Lune. Sur cette dernière, ces bassins d'impact ont presque tous été ultérieurement remplis par du basalte, donnant ainsi les mers lunaires, vaste taches circulaires sombres qu'on voit au télescope. L'origine du grand bombardement tardif est à rechercher dans l'évolution des orbites des planètes géantes, évolution qui déstabilise les orbites des objets situés au-delà de Neptune et en précipite certains dans le système solaire interne.

Figure 2. Rhéa, satellite de Saturne

Rhéa est un satellite de Saturne, d'un rayon de 764 km. Sur cette image, obtenue en novembre 2005, on voit que sa surface est entièrement constellée de cratères de météorites de toutes tailles. La majorité de ces cratères date du grand bombardement tardif, âgé de -4 à -3,8 Ga.


Le bassin lunaire ("caché") Orientale

Figure 3. Le bassin lunaire ("caché") Orientale

Le bassin Orientale, situé sur la face cachée de la Lune, est le plus récent et le mieux conservé des grands bassins lunaires datant du grand bombardement tardif. Il date de -3,8 Ga. Tous les autres bassins ont été totalement ou partiellement envahis par les basaltes des mers lunaires dont le maximum s'est épanché vers -3,5 Ga. Ce bassin montre quatre structures concentriques dont l'origine est à rechercher dans des mécanismes de rebond. La structure la plus externe a un diamètre de 950 km... ce cratère d'impact a donc à peu près la taille de la France. Le corps impacteur à l'origine de ce bassin devait avoir 40 à 50 km de diamètre.


À partir de -3,8 Ga, le nombre des impacts diminue progressivement pour se stabiliser au voisinage du très faible taux actuel. Cette diminution est spectaculaire pour les gros impacteurs. Si on regarde la Lune, ou Mercure, les cratères de diamètre supérieur à 100 km et entourés d'un système de raies rayonnantes claires attestant de leur âge géologiquement récent (plus jeune que 1 milliard d'années) se comptent sur les doigts de la main.

Giordano Bruno, cratère lunaire à rayures claires

Figure 4. Giordano Bruno, cratère lunaire à rayures claires

Ce cratère lunaire de 22 km de diamètre et situé sur la face cachée de la Lune, juste à la limite de la face visible, est un exemple typique de cratère "récent" (géologiquement parlant). Son jeune âge se manifeste par tout un système de raies claires s'échappant radialement du cratère. Ces raies claires sont constituées de débris de roches finement broyées par l'impact, éjectés lors du choc et retombés aux alentours. Pourquoi ces trainées de débris sont-elles plus claires que les roches sur lesquelles elles sont déposées et qui sont vraisemblablement de même nature ? Le vent solaire frappe en permanence la surface de la Lune (mais n'arrive pas sur Terre à cause de l'atmosphère et du champ magnétique), modifie sur quelques microns la surface des matériaux qu'il bombarde, ce qui rend cette surface plus sombre. En quelques centaines de millions d'années ces raies claires disparaissent, et leur présence autour d'un cratère atteste qu'il est récent. Récent, mais de combien ? Un comptage des (petits) cratères affectant ses éjectas suggère un âge de 4 Ma. Un âge beaucoup plus récent a été proposé : l'impact aurait eu lieu le 18 juin 1178. En effet, des moines de l'abbaye de Canterburry ont noté dans leurs archives qu'une très grande lueur avait eu lieu cette nuit-là sur le bord de la Lune, au NE. Or, Giordano Bruno est situé juste derrière l'horizon du point signalé par les moines. De plus, la mi-juin est connue pour être une époque riche en étoiles filantes. Alors ???


Figure 5. Hokusai, cratère à rayures claires sur Mercure

Les rayures claires s'étendent sur environ 1000 km à la surface de Mercure pour les plus longues.


Si les cratères récents de grande taille sont rares, ils sont d'autant plus nombreux qu'ils sont petits. À L'échelle géologique, la surface de la Lune est véritablement "labourée", broyée par des micro-impacts. Après 3,8 Ga de ce bombardement par des petites météorites, toute la surface de la Lune est soit occupée par un petit cratère, soit recouverte des débris d'un cratère voisin. C'est ce qui explique que la surface de la Lune soit poudreuse et que les astronautes y laissaient de belles traces de pas. Ce sol en partie constitué par les éjectas des gros impacts et broyé par la chutes des micro-météorites est appelé régolite. Mais que les futurs astronautes se rassurent ; si la chute des micro-météorites a complètement façonné le sol lunaire pendant des milliards d'années, le risque d'en recevoir une pendant une promenade lunaire est quasi-nul.

Le régolite lunaire

Figure 6. Le régolite lunaire

L'astronaute Charles Duke, d'Apollo 16, se trouve sur les bords d'un petit cratère qui occupe la moitié gauche de l'image. Charles Duke et la jeep lunaire donnent l'échelle. Ce cratère a « un certain âge » car (1) on ne voit plus les blocs anguleux tapissant les parois de tout cratère récent, et (2) l'intérieur du cratère principal est lui-même perforé de plus d'une dizaine de mini-cratères ayant à peu près le diamètre des roues de la jeep. Le substratum rocheux de ce site a été broyé et/ou recouvert par les éjectas du cratère principal, qui ont eux-mêmes été broyés et recouverts par les éjectas de la dizaine de mini-cratères visibles. Une image à plus haute résolution montrerait encore plus de cratères encore plus petits. C'est ce bombardement permanent de mini- et micro-météorites qui, en 3,8 Ga, a transformé le substratum rocheux en une couche de poudre nommée régolite dans lequel se sont imprimées les traces de pas de Charles Duke.


Impacts et chronologie

Plusieurs fois dans cet article, on cite des âges en millions ou milliards d'années, même pour des sites dont on n'a ramené aucun échantillon pour des datations en laboratoire. Comment obtient-on ces âges ? Sur un corps sans érosion comme la Lune, un cratère de météorite est "éternel", à moins d'être détruit par un cratère plus jeune ou recouvert par une coulée de lave. Une surface nouvelle, par exemple une coulée de lave qui vient d'être émise, le fond ou les éjectas d'un cratère qui vient de se former... n'est perforée d'aucun cratère de météorite. Avec le temps qui passe, cette surface reçoit de plus en plus de météorites. La densité de cratères (nombre de cratères par unité de surface) est donc fonction de l'âge de cette surface. Plus une surface est vieille, plus elle est cratérisée. On peut déjà rien qu'avec cette méthode comparer les âges de différentes surfaces, ce qu'on appelle la chronologie relative. Depuis la Lune, des échantillons ont été ramenés, qui ont permis de mesurer (par radiochronologie) l'âge en millions ou milliards d'années de diverses surfaces, et ainsi d'obtenir une relation âge / densité de cratères. En comptant les cratères sur une surface d'où ne provient aucun échantillon, on peut alors proposer un âge. Cette courbe lunaire peut ensuite être transposée sur d'autres planètes, en faisant un certain nombre de corrections en fonction de la gravité de la planète, de sa distance à la ceinture des astéroïdes… C'est en comptant les cratères de météorites qu'on a pu établir une chronologie de tous les évènements de tout le système solaire.

Impacts et chronologie relative, limite mer-continent sur la Lune

Figure 7. Impacts et chronologie relative, limite mer-continent sur la Lune

Plus une surface est vieille, plus elle aura reçu de météorites, et plus sa densité de cratères (nombre de cratères par unité de surface) sera élevée. Sur cette photo du bord occidental de l'Océan des Tempêtes (Lune), on voit tout de suite que le quart gauche de l'image est littéralement criblé de cratères, alors que la partie droite en a beaucoup moins. La partie droite de l'image est une surface beaucoup plus jeune que la surface du quart gauche. Ces jeunes plaines de droite sont en fait de gigantesques épanchements de basalte datés de -3,2 Ga par les échantillons ramenés par la mission Apollo 12. La gauche de l'image, elle, a subi le grand bombardement tardif, et a un âge de 3,8 à 4 Ga. C'est ce qu'on appelle les continents lunaires. Même sans compter les cratères, on peut aussi se rendre compte que les mers sont plus jeunes que les continents : à la frontière entre les deux unités, on voit du basalte des mers recouvrir et remplir partiellement des cratères des continents.


Relation âge / densité de cratères sur la Lune

Figure 8. Relation âge / densité de cratères sur la Lune

La densité de cratères sur une surface planétaire, nombre de cratères de météorites par unité de surface, dépend de l'âge de cette surface : plus une surface est vieille, plus elle est cratérisée. Sur la Lune, on peut quantifier cette relation âge / densité de cratères. En effet les astronautes des missions Apollo ont ramené des échantillons, qui ont pu être datés par les méthodes de la radiochronologie. On a pu ainsi établir cette courbe, qui permet de dater tous les terrains lunaires, même ceux où l'on est jamais allé. Dans le détail, on ne fait pas que compter les cratères globalement : on les dénombre en les séparant par tranches de diamètre, ce qui augmente les possibilités de discriminer des surfaces d'âges différents. Cette relation âge / densité de cratère est ensuite transposée aux différentes surfaces des planètes et des satellites, avec des corrections qui prennent en compte la masse de la planète, sa distances à la ceinture des astéroïdes et de Kuiper. On peut ainsi proposer des âges pour les surfaces de Mars, des satellites de Saturne… mais avec de grandes incertitudes dépendant des modèles de flux de météorites et comètes dans le système solaire.


La morphologie et les effets des cratères d'impacts

Quelle que soit la planète qu'on survole, les cratères d'impact ont tous un air de famille. Les plus petits (D < 10 km, pour la Lune) ont une forme de bol, une profondeur approximativement égale au dixième de leur diamètre, des bords relevés, et sont entourés d'une couronne de débris appelés éjectas, éjectas clairs quand ils sont jeunes. Ces cratères sont appelés cratères simples. La météorite arrive avec une énorme énergie cinétique. En arrivant sur la cible (le sol de la planète), cette météorite est stoppée quasi-instantanément et ne s'enfonce que très peu. Une partie de son énergie cinétique est transformée en chaleur ce qui en général vaporise la météorite (si elle dépasse une certaine taille), et fond une partie de la cible. L'autre partie de l'énergie comprime violemment la cible. Cette hyper-compression se déplace en profondeur sous forme d'une onde de compression à partir du point d'impact. En passant, cette onde de compression fracture la cible, la chauffe, et engendre des transitions de phase d'ultra-haute pression. Par exemple, le carbone devient diamant, l'olivine peut devenir ringwoodite… Une fois l'onde de compression passée, la matière se décomprime violemment, ce qui éjecte "vers le haut" une énorme quantité de matière, débris fragmentés, partiellement fondus, métamorphisés… dont la majorité retombe dans et autour de la cavité engendrée par cette éjection, mais dont une minorité peut être éjectée à très grande distance, voire quitter la planète. On peut estimer que le diamètre du cratère est égal à environ 20 fois le diamètre de la météorite (dans le détail, cela dépend bien sûr de la nature de cette dernière). Les météorites ramassées sur Terre contiennent souvent des traces de chocs, par exemple de la ringwoodite. Cela signifie qu'elles ont été extraites de leur corps parent (astéroïde, Mars…) par une violente collision.

Encke C, cratère simple sur la Lune

Figure 9. Encke C, cratère simple sur la Lune

Ce beau cratère, nommé Encke C, est situé entre l'Océan des Tempêtes et la Mer des Îles. Son diamètre est de 9 km. Sa morphologie est caractéristique des cratères simples : forme de bol, profondeur égale à environ 1/10 du diamètre, bords surélevés par rapport à la plaine environnante, entouré d'éjectas, clairs quand ils sont jeunes… Tous les cratères lunaires d'un diamètre inférieur ou égal à 10 km ont cette morphologie. C'est également la morphologie de tous les "petits" cratères sur toutes les planètes, par exemple le Meteor Crater en Arizona.



Mécanisme de formation d'un cratère simple

Figure 11. Mécanisme de formation d'un cratère simple

La météorite arrive avec une énorme énergie cinétique. En arrivant sur la cible (le sol de la planète), cette météorite est stoppée quasi-instantanément et ne s'enfonce que très peu. Une partie de son énergie cinétique est transformée en chaleur ce qui en général vaporise la météorite (si elle dépasse une certaine taille), et fond une partie de la cible. L'autre partie de l'énergie comprime violemment la cible. Cette hyper-compression se déplace en profondeur sous forme d'une onde de compression à partir du point d'impact (ligne jaune continue). Une fois l'onde de compression passée, la matière se décomprime violemment. Cette dépression progresse dans la cible immédiatement derrière l'onde de compression ; une onde de "relâchement" en quelque sorte (ligne jaune pointillée). Cette onde de dépression éjecte "vers le haut" une énorme quantité de matière, débris fragmentés, partiellement fondus, métamorphisés… L'énergie de l'onde de compression et de l'onde de relâchement qui la suit diminue rapidement au cours de sa progression, et n'est bientôt plus capable de mettre les roches en mouvement. La majorité des débris éjectés retombe dans et autour de la cavité engendrée par cette éjection, mais dont une minorité peut être projetée à très grande distance, voire quitter la planète. On peut estimer que le diamètre du cratère est égal à environ 20 fois le diamètre de la météorite (dans le détail, cela dépend bien sûr de la nature de cette dernière). Une fois tous les débris retombés, le cratère a une profondeur égale à 1/5 à 1/10 de son diamètre.


Sur la Lune, quand le cratère a un diamètre supérieur à 10 km, des phénomènes de rebonds internes entrainent la formation d'un piton central. Les bords du cratère, très élevés, ont tendance à s'effondrer et à engendrer des espèces de terrasses. Entre le piton central et le bord du cratère, remontée du fond et couches d'éjectas fondus entrainent une morphologie assez plate. Tout cela engendre un cratère appelé complexe. Toutes les transitions existent entre cratères simples et complexes. Et pour un diamètre supérieur à 200 km, le piton central devient anneau central, et le cratère change de nom et s'appelle un bassin. Ces diamètres de transition changent avec la gravité de la planète. Sur Terre, par exemple, la transition cratère simple / cratère complexe a lieu vers 5 km de diamètre, et la transition vers le bassin à anneau central dès 40 km de diamètre.

La présence de glace dans le sous-sol (sur Mars) ou d'une atmosphère dense (sur Vénus) ou d'autres conditions locales peuvent également entrainer des variations morphologiques, en particulier pour les éjectas.

Copernicus, un cratère lunaire complexe

Figure 12. Copernicus, un cratère lunaire complexe

Copernicus est sans doute le plus beau cratère complexe de la Lune, très apprécié des astronomes amateurs car particulièrement spectaculaire presque au centre de la face visible. Avec son diamètre de 93 km, il est caractéristique des cratères complexes. De sa bordure au centre, on voit (1) une succession de terrasses, qui correspondent à des effondrements des bords, (2) une plaine bosselée, sans doute constituées d'éjectas partiellement fondus, et (3) un piton central occasionné par le rebond du fond du cratère dans les secondes ou minutes qui suivent l'impact, un peu comme le rebond que l'on voit là où tombe une goutte d'eau dans une flaque. C'est également la morphologie de tous les "moyens" cratères sur toutes les planètes, par exemple le cratère de Steinheim am Albuch (Bade-Würtemberg - diamètre d'environ 3 km), à environ 30 km au Sud-Ouest du cratère de Nördlingen-Ries (Bavière - 24 km de diamètre, rempli de sédiments lacustres).


Mécanisme de formation d'un cratère complexe

Figure 13. Mécanisme de formation d'un cratère complexe

Les cratères de plus grande taille ont une morphologie différente. Le début du mécanisme d'impact est identique à celui des cratères simples. Mais la fin du processus est différente. L'onde de relâchement, en plus d'éjecter des débris, entraine un relèvement du fond du cratère ; son fond périphérique s'aplatit, et son centre se relève et forme un piton. Pour les plus grands de ces cratères, le piton monte si haut qu'il retombe et s'affaisse en son centre, devenant ainsi un anneau central. Les bords de la dépression deviennent instables, et s'effondrent vers le centre, formant ainsi une série de terrasses emboitées.


Laplace A, 9 km de diamètre, cratère lunaire de morphologie intermédiaire entre cratère simple et cratère complexe

Figure 14. Laplace A, 9 km de diamètre, cratère lunaire de morphologie intermédiaire entre cratère simple et cratère complexe

Couche d'éjectas fondus et remontée du fond du cratère insuffisant pour engendrer un piton central ont entrainé un fond horizontal.


Bessel, 15 km de diamètre, cratère lunaire de morphologie intermédiaire entre cratère simple et cratère complexe

Figure 15. Bessel, 15 km de diamètre, cratère lunaire de morphologie intermédiaire entre cratère simple et cratère complexe

Couche d'éjecta fondus et remontée du fond du cratère insuffisant pour engendrer un piton central ont entrainé un fond horizontal


Figure 16. Rachmaninoff, bassin à anneau central sur Mercure

Ce très beau bassin à anneau central est situé sur Mercure, il a été photographié en septembre 2009. Son diamètre est de 290 km. Il est représentatif des bassins à anneau central. Cet anneau proviendrait de l'affaissement sur lui-même d'un piton central hyper-développé. On voit très bien que ce bassin est entouré d'éjectas disposés radialement. Dans ces éjectas, on devine des alignements de petits cratères, dits cratères secondaires. Ils ont été formés par la chute des plus gros débris issus du cratère principal. Cette morphologie est caractéristique de tous les "grands" cratères sur toutes les planètes, comme par exemple le cratère de Gosses Bluff en Australie.


Cratère à éjectas lobés sur Mars

Figure 17. Cratère à éjectas lobés sur Mars

Par rapport aux morphologies "standards", la forme des cratères peut changer en fonction des conditions locales. Une atmosphère dense sur Vénus, la présence de glace dans le sol de Mars…, tout cela peut modifier la morphologie des cratères. Ce très beau cratère, d'un diamètre de 20 km, est situé dans la région d'Hephaestus Fossae. La météorite qui l'a engendré est tombée sur un sol gorgé d'eau (sous forme de glace), eau qui auparavant avait coulé à cet endroit et qui avait creusé de belles vallées encore visibles. La chaleur dégagée par l'impact a fait fondre la glace contenue dans les éjectas, qui, au lieu de retomber autour du cratère comme des "retombées pulvérulentes", se sont écoulées comme des coulées de boues. Les petits cratères (simples) des environs ne sont pas entourés de tels éjectas lobés : ils n'étaient pas assez profonds pour atteindre la couche de glace. Les cratères, dans ce cas, jouent un peu le rôle de sondes naturelles pour connaitre la profondeur de l'eau dans le sous-sol martien.


Cratère Aurelia, à éjectas lobés sur Vénus

Figure 18. Cratère Aurelia, à éjectas lobés sur Vénus

Comme autour de nombreux cratères martiens, les éjectas de ce cratère, de 32 km de diamètre, semblent avoir coulé autour du bassin, plutôt qu'être retombés sous forme de débris pulvérulents. Vu la température de surface de Vénus (+450°C), on ne peut invoquer la présence d'eau dans le sol pour expliquer cette morphologie très fréquente pour les cratères de Vénus. Il faut sans doute chercher cette morphologie des éjectas dans la forte densité et la forte viscosité de l'atmosphère, dont la pression au sol est supérieure à 90 atmosphères terrestres.


Les impacts sur Terre et leurs effets

Les cratères d'impacts sont rares sur Terre. En 2012, on en compte 182 "certifiés", et de nombreux autres "suspectés". Pourquoi si peu ? Les petits impacteurs (diamètre inférieur à quelques centimétres ou décimètres), de loin les plus nombreux, sont arrêtés par l'atmosphère et finissent sous forme d'étoiles filantes. C'est là une différence majeure avec les corps sans atmosphère, et cela explique l'absence de régolite sur notre planète. Ceux d'un diamètre décimétrique à pluri-métrique sont souvent brisés en plusieurs morceaux (dont quelques-uns peuvent atteindre le sol), voire explosent complètement lors de leur traversée de l'atmosphère. Leur résistance à cette traversée dépend évidemment de leur nature : une météorite métallique résiste mieux qu'un fragment cométaire. Les plus gros impacteurs (diamètre supérieur à quelques dizaines de mètres) traversent l'atmosphère quasiment sans dommage, et forment un cratère. Mais celui-ci va être la proie de l'érosion, va pouvoir être recouvert de sédiments, être entrainé en subduction s'il tombe sur un fond océanique…, d'où leur relative rareté. Quand ils sont préservés, ce sont de véritables "musées" de l'impactisme. On peut y étudier la nature des éjectas, des produits de fusion, la fracturation associée… ce qui, pour l'instant, ne peut être fait que sur Terre. Et n'oublions pas qu'un impact colossal a eu lieu au Mexique il y a 65 Ma, et que cet impact a très vraisemblablement participé à l'extinction des dinosaures non aviens. Sans cet impact, les mammifères qui existaient déjà auraient sans doute continué à "végéter" à l'ombre des dinosaures, et nous ne serions pas là pour en parler.

L'anneau central du cratère de Gosses Bluff, Australie

Figure 19. L'anneau central du cratère de Gosses Bluff, Australie

Cette photo est centrée sur l'anneau central du cratère de Gosses Bluff en Australie. Cet anneau central, parfaitement visible, mesure 6 km de diamètre. Mais l'érosion a presque estompé le bord du cratère, très peu visible, qui dessine un vague cercle concentrique à l'anneau, 8 km à l'extérieur de ce dernier. Ce cratère date de -145 Ma.


Les éjectas du Meteor Crater, Arizona

Figure 20. Les éjectas du Meteor Crater, Arizona

Le Meteor Crater de l'Arizona est le plus célèbre des cratères terrestres (diamètre de 1200 m). Son âge très récent (49 000 a) fait qu'il n'est quasiment pas érodé. On peut en particulier voir ses éjectas, amoncellements de blocs anguleux de calcaires très clairs d'âge permien (2 à 3 m d'épaisseur) surmontant moins d'1 m d'une couche de blocs de grès rouge du Trias, qui eux-mêmes reposent sur des strates en place de ce même grès triasique rouge. Le calcaire permien blanc "en place" se trouve 10 m plus bas, sous le Trias rouge. C'est en étudiant de tels éjectas, l'ordre et la disposition de leur retombées qu'on compare avec leur situation avant l'impact … que l'on peut bien comprendre le mécanisme des impacts.


Shatter-cones, cratère de Vredefort, Afrique du Sud

Figure 21. Shatter-cones, cratère de Vredefort, Afrique du Sud

Le cratère de Vredefort (Afrique du Sud) est l'un des plus grands (300 km de diamètre) et des plus vieux (2 Ga) cratères encore identifiables sur Terre. Son grand âge fait qu'il est très érodé, et qu'on peut voir les fractures qu'il a occasionnées sous lui dans son substratum. Ces fractures ont souvent une disposition bien particulière, car elles forment des sortes de cônes dont la pointe est dirigée vers le centre du cratère. Ces structures sont appelées shatter cones (cônes de percussion, en français). Des études ont montré que, pour que de telles structures prennent naissance, la surpression subie lors du passage de l'onde de compression devait dépasser 20 000 atmosphères (2 GPa).


Éjectas partiellement fondus, cratère de Vredefort, Afrique du Sud

Figure 22. Éjectas partiellement fondus, cratère de Vredefort, Afrique du Sud

Le cratère de Vredefort (Afrique du Sud) est l'un des plus grands (300 km de diamètre) et des plus vieux (2 Ga) cratères encore identifiables sur Terre. Son grand âge fait qu'il est très érodé, et qu'on peut voir les fractures qu'il a occasionnées dans le substratum, ici constitué de migmatites archéennes. Certaines de ces fractures se sont ouvertes pendant les mouvements associés à l'impact, et des éjectas partiellement fondus les ont remplies. La photo montre une carrière exploitant (pour des pierres ornementales polies) des gneiss et migmatites. Une telle fissure remplie d'éjectas partiellement fondus occupe tout le fond de cette carrière. On y voit des blocs de gneiss et migmatites, pris dans une matrice très sombre, vitreuse, qui ressemble à de l'obsidienne. Cette matrice sombre est en fait constituée de gneiss totalement fondu lors de l'impact et solidifié rapidement. Une telle formation est parfois appelée suévite, bien qu'en général ce terme soit réserver à des roches dont la proportion de verre est plus faible.


Tectites

Figure 23. Tectites

Une partie des éjectas des cratères sont fondus. Si de tels fragments fondus sont éjectés très loin du cratère sur une trajectoire balistique en dehors de l'atmosphère terrestre, un peu comme un missile balistique, ils peuvent se solidifier pendant ce vol balistique, en état de micro-gravité. Ils forment alors des "gouttes de verre", de couleur noire ou verte, et plus ou moins transparente. Des mouvements complexes de la goutte encore liquide pendant son vol balistique peuvent donner à cette goutte des formes étranges, comme ici des "poires allongées". Si ces fragments de verre sont retrouvés sur Terre, ils se nomment tectites. L'image présentée ici montre 2 photos d'une même tectite, l'une éclairée par devant (à gauche) et l'autre vue par transparence (à droite). Cette belle tectite transparente de couleur verte appartient à la catégorie appelée moldavite, qui provient de République Tchèque. Ces moldavites sont issues du cratère du Ries (Bavière), cratère de 24 km de diamètre, âgé de 15 Ma, et situé à 400 km à l'Ouest des zones où l'on peut trouver des moldavites moldaves.


Les impacts « aujourd'hui »

Contrairement à ce qui se passait avant -3,8 Ga, les impacts sont rares dans le système solaire. Sur Terre, les chutes observées ayant occasionné des dégâts se comptent sur les doigts des mains. On cite ainsi quelques toits abimés ou percés, un coffre de voiture cabossé… Aucun décès dû à une chute de météorite n'est formellement recensé, bien qu'il soit probable que quelques éleveurs de rennes aient perdu la vie en 1908, à cause de la chute de la Toungouska. À part l'évènement de 1908, aucune chute majeure ne fut recensée depuis l'invention de l'écriture. Sur la Lune, il y a aussi peu de chutes majeures, mais l'absence d'atmosphère permet au mini- et micro-météorites d'atteindre le sol. Quand cela ce produit sur la face nocturne de la Lune, cela se traduit par un petit éclair lumineux détectable au télescope depuis la Terre. Aucun de ces micro-impacts n'a été vu ou ressenti par les astronautes des missions Apollo. Sur Mars, le robot Opportunity a repéré un cratère d'une dizaine de centimètres de diamètre creusé dans du sable près de la crête d'une petite dune. Une météorite d'1/2 cm de diamètre a dû tomber là avant le passage du robot, mais après la dernière tempête locale. Sur les planètes géantes comme Jupiter, la très forte gravité attire beaucoup les astéroïdes ou comètes passant par-là, et les chutes majeures sont beaucoup plus fréquentes. En atteste la collision (multiple) de la comète Shoemaker Levy 9 sur Jupiter en juillet 1994.

Micro-cratère martien sur la route d'Opportunity

Figure 24. Micro-cratère martien sur la route d'Opportunity

Le long de ces 34 361 m de trajet à la surface de Mars, le robot Opportunity a découvert un micro cratère de météorite, de diamètre inférieur à la largeur de ses roues. Ce cratère a dû être causé par la chute d'une météorite d'un diamètre inférieur au cm, et qui doit se trouver enfoncé dans le sable au fond de ce trou. Ce cratère perce une dune de sable, et a donc eu lieu après la dernière forte tempête qui l'aurait effacé. Sur Terre, une telle micro-météorite aurait été arrêtée par notre atmosphère, 170 fois plus dense que l'atmosphère martienne.


Figure 25. Impacts de Shoemaker-Levy 9 sur Jupiter, juillet 1994

En 1992, la comète Shoemaker-Levy 9 passa très près de Jupiter. Ce passage eu 2 effets : 1) l'orbite de la comète fut modifiée, ce qui l'amena à recroiser l'orbite de Jupiter avec fortes probabilités de collision 2 ans plus tard, 2) les forces de marées brisèrent cette comète en au moins 21 fragments. Et effectivement, les 21 fragments tombèrent sur Jupiter à la queue-leu-leu entre le 16 juillet 1994, 20h et le 22 juillet 1994, 8h. Le plus gros impact libéra une énergie équivalente à 6 millions de mégatonnes de TNT, (600 fois l'arsenal nucléaire mondial). Chaque impact occasionna sur Jupiter une "tache noirâtre", d'un diamètre voisin de celui de la Terre. Cette couleur sombre proviendrait soit de la matière de la comète elle-même, matière pulvérisée dans l'atmosphère jovienne, soit plus probablement de composés organiques sombres provenant de l'intérieur de Jupiter et remontés à la surface des nuages par l'impact. Ces taches sombres s'estompèrent et disparurent en quelques mois.


A. Cahiers du Règne Minéral, juin 2012

Le premier numéro des Cahiers du Règne Minéral, s'intitule Les météorites différenciées. Il comporte 68 pages au format 21x30cm, plus de 120 illustrations inédites et a été réalisé par une équipe de spécialistes.

Les thèmes abordés dans ce cahier sont :

  • Introduction générale : Les chutes, croûte de fusion, les cratères, la différenciation, les astéroïdes, quelques anecdotes concernant des météorites différenciées, les accidents, l'utilité d'une collection, le réseau FRIPON (la "mission spatiale du pauvre").
  • Historique des chutes en France.
  • Monographie des chutes importantes en France : Caille (06), Juvinas (07), Chassigny (52), Albi-sur-Chéran (74).
  • Vesta et la mission Dawn.
  • Les météorites de Vesta et sa géologie.
  • Mars et Curiosity.
  • Les météorites martiennes et la géologie de Mars.
  • La Lune, un satellite de la Terre - les missions et pourquoi retourner sur la Lune.
  • Les météorites de la Lune et la géologie de la Lune.
  • Chondrites = achondrites à Enstatite et la Terre.
  • La Terre est une planète (le noyau)
  • Les fers et les textures de Windmannstätten.
  • Les pallasites et l'absence de manteau.
  • Les groupes rares (uréilites, etc).
  • Le pas encore et le presque déjà (les achondrites primitives).
  • Le volcanisme dans le système solaire.
  • Les impacts : second phénomène géologique majeur du système solaire.
  • Histoire de chocs (les mésosidérites, le hit and run, Chixulub et les dinosaures).
  • Rappel historique sur les missions spatiales.
  • Classification des objets différenciés.
  • Glossaire.