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Article | 23/12/2009

Le Coniacien (Crétacé supérieur) de la région d'Étretat, du Fond d'Étigue à la Porte d'Amont

23/12/2009

Bernard Hoyez

Université du Havre

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Une excursion de 4 km le long des falaises calcaires normandes, près d'Étretat.


Contexte géologique

Les falaises de la Seine-Maritime offrent la plus belle vitrine de la craie en France. Cette roche s'est déposée au Crétacé supérieur sur la bordure Ouest du continent européen, à côté de l'Atlantique Nord qui commence à s'ouvrir avec un fort taux d'expansion et sous un climat dominé par un effet de serre considérable. Le niveau marin est alors le plus élevé des temps phanérozoïques. La boue crayeuse, largement produite par des nano-organismes, est constituée de calcite faiblement magnésienne. Le très faible résidu argileux des craies blanches témoigne de l'aridité que subissaient les masses continentales émergées environnantes. Le faciès craie débute dans le Cénomanien inférieur (99,6 Ma). Il perdure jusqu'au Danien (60,9 Ma) en Europe du Nord et en Mer du Nord, mais généralement, dans le bassin anglo-parisien, une lacune stratigraphique plus ou moins longue correspond au sommet du Crétacé. Au Nord de la Manche, la surface d'érosion paléocène préserve le Campanien supérieur (70,6 Ma), alors qu'au Sud de la Manche, au Cap d'Ailly, elle s'enfonce jusqu'au Campanien basal (83,4 Ma).

Schéma cartographique montrant l'extension du Crétacé supérieur

Figure 1. Schéma cartographique montrant l'extension du Crétacé supérieur

Crétacé supérieur = craie pro parte.

Carte nspirée de Mortimore et Pomerol, 1987


En suivant les falaises du Pays de Caux, du SW au NE, les couches de craie dessinent un synclinal (synclinal d'Ailly) et un anticlinal (anticlinal de Penly), à grands rayons de courbure. Le flanc Sud du synclinal d'Ailly est affecté par une faille qui abaisse le compartiment SW d'une centaine de mètres (faille de Fécamp – Lillebonne). Les différences de faciès sont nettes de part et d'autre de la faille de Fécamp. Ainsi, du côté SW, les couches turono-coniaciennes sont plus condensées et lacunaires, les ondulations du fond sont précoces et les silex nettement plus abondants. Ces caractères peuvent être résumés sous le qualificatif de « faciès d'Étretat » et cette excursion est l'occasion d'en faire l'analyse.

Schéma panoramique des falaises du Pays de Caux

Figure 2. Schéma panoramique des falaises du Pays de Caux

Panorama d'environ 90 km.


Organisation et méthodes d'observation

Pour aborder l'étude du Coniacien de la région d'Étretat, il n'est pas conseillé de débuter les observations par le site célèbre de l'aiguille et des arches. En effet, ce secteur de falaise est le siège de phénomènes sédimentaires particulièrement déroutants. Mieux vaut commencer un peu au Nord de la Porte d'Amont où ces phénomènes sont moins complexes, puis revenir ultérieurement vers Étretat lorsque l'œil est familiarisé aux principaux repères.

Pour une excursion en groupe, il est suggéré de laisser stationner une partie des véhicules à Étretat, sur le parking gratuit, entre la chapelle Notre-Dame-de-la-Garde et le monument à Nungesser et Coli, afin d'éviter la marche de retour. Les participants se regroupent dans les autres véhicules pour rejoindre la valleuse du Fond d'Etigue située à moins de 5 km au nord-est. Le parking à l'extrémité de la piste menant à cette valleuse représente le point de départ de l'excursion. En préambule, deux recommandations de sécurité doivent être rappelées :

  • les chutes de pierres sont fréquentes et il faut se tenir à l'écart de la falaise ;
  • l'horaire de marée doit impérativement être respecté car quatre bonnes heures de marche sont à prévoir : pour ce trajet, il est conseillé de démarrer deux heures avant l'étale de basse mer.
Localisation du lieu de l'excursion

Vue oblique de la section de falaise étudiée

L'objectif essentiel du parcours est de reconstituer la stratigraphie locale. Deux handicaps viennent compliquer la tâche.

1) Les fossiles intacts sont rares. La détermination des espèces-clés, basée sur des caractéristiques évolutives, est délicate pour un non spécialiste. C'est pourquoi, on utilisera ici la méthode de la stratigraphie événementielle, de préférence à la biostratigraphie.

2) La stratification n'est pas plane mais ondulée. Le fond sédimentaire présente un aspect en « monticules et cuvettes », se déplaçant latéralement au cours du temps. Ceci conduit à de fortes variations de faciès et d'épaisseur des couches, à l'ablation locale de portions importantes de la série stratigraphique ou à des dilatations. Retenons donc qu'une seule verticale ne conduit pas à une coupe standard. La série stratigraphique sera une reconstitution virtuelle faite à partir de coupes partielles.

La stratigraphie événementielle considère que des phénomènes physiques exceptionnels, de courte durée à l'échelle géologique, sont susceptibles de laisser une empreinte dans la série stratigraphique. La nature de cet enregistrement peut être diverse : lithologie, géochimie, structure de dépôt. La chronique des « événements » forme une succession idéale de niveaux-repères auxquels sont attribués des noms. Elle permet un calage temporel de haute résolution.

L'application locale de la stratigraphie événementielle rencontre des difficultés liées au fait que les niveaux-repères de référence ont été définis à une certaine distance, en Angleterre. Ceux-ci peuvent être absents ou ubiquistes et être l'objet de confusion. La méthode doit être étayée si possible par d'autres méthodes stratigraphiques. La datation des coupes reste hypothétique et provisoire tant que d'autres arguments ne viennent confirmer ou infirmer les propositions. C'est le cas de la coupe d'Etigue à la Porte d'Amont pour laquelle l'interprétation ici présentée diffère de celle précédemment décrite (Hoyez, 2009).

Pour analyser la série stratigraphique observée sur le terrain, la démarche adoptée est la suivante. Premièrement, on dispose du log de référence où sont reportés les principaux événements reconnus au Sud de l'Angleterre (Mortimore et al. , 2001 ; Jarvis et al. , 2006). Ce document sert de guide, en partant de l'hypothèse qu'une partie des niveaux-repères référencés peuvent se retrouver dans la coupe levée.

Événements enregistrés au Sud de l'Angleterre

Deuxièmement, à partir des observations faites aux différentes stations, on construit un log synthétique, en ne retenant que certains niveaux remarquables (marne, silex, hardground) auxquels on attribue un nom local servant d'identificateur.

L'étape finale, si l'on était dans le cadre d'un travail exploratoire, consisterait à comparer le log levé sur le terrain et le log de référence pour estimer leur similitude et à proposer une correspondance entre les niveaux. Il est évident que dans le cadre de cette excursion, le travail d'interprétation a déjà été réalisé et la correspondance des noms est donc directement proposée.

Les stations

Au cours du trajet, nous marquerons un temps d'arrêt plus long à certaines stations présentant un intérêt particulier ou utiles à la construction de la coupe générale. L'utilisation des way-points GPS facilitera le repérage.

Station 1 : Le chemin bétonné d'accès à l'estran, côté Est, au Fond d'Étigue

Objet : se familiariser avec les faciès anormaux de la craie : marne, silex et hardgrounds [49° 43' 44" N, 0° 16' 5"E]

Cette station est la seule qui ne présente pas de risque de chute de pierres. Elle permet de voir de près tous les faciès et d'échantillonner sans danger. Dans sa partie haute, on y observe une succession d'environ 5 séquences craie/silex dans lesquelles les silex sont particulièrement épais et contrastés. Cette succession est dénommée « couches de Vaudieu », car nous allons la rencontrer au Roc Vaudieu, mais également à l'Aiguille de Belval (ou bien encore, mais ce n'est pas au programme, à l'Aiguille d'Étretat et à la Porte d'Aval). Le banc de silex inférieur possède un débit caractéristique en coussin, à sa face supérieure. Dans la craie, au-dessus de ce banc, un filet marneux est dégagé par l'érosion, c'est la « marne Vaudieu » [alias Belle Tout 1, en Angleterre]. Il est important de mémoriser cet ensemble, car il constitue un excellent repère facilement identifiable à distance.

La marne Vaudieu (Belle Tout 1) - Fond d'Étigue

Figure 6. La marne Vaudieu (Belle Tout 1) - Fond d'Étigue

Partie supérieure du chemin bétonné.


Environ 3 m au-dessous se place un banc de craie parcouru de filets marneux ondulés à structure flammée passant vers le haut à un début de hardground. Sur cette paroi altérée, les filets apparaissent en relief.

Craie à texture flammée (Shoreham 2) – Fond d'Étigue

Figure 7. Craie à texture flammée (Shoreham 2) – Fond d'Étigue

Partie moyenne du chemin bétonné.


1 m au-dessous : un hardground gris dont la surface supérieure est marquée par une encoche.

1 m encore au-dessous et généralement jusqu'au cordon de galets littoraux, sur une épaisseur d'au moins 2 m : une succession de hardgrounds. Les plus inférieurs sont coalescents et l'érosion marine a dégagé le remplissage des terriers.

Rappel général : les hardgrounds sont des niveaux crayeux présentant une induration, accompagnée parfois d'un encroûtement d'oxyde de Fe et de Mn, voire de phosphate ou de glauconie. Une bioturbation intense et des marques de dissolution sont également associées. Ils correspondent à une halmyrolyse (altération chimique au contact de l'eau de mer) précoce de la boue crayeuse, liée à des courants de fond. Ils traduisent un phénomène diagénétique dont la durée peut être longue, ce qui pose le problème de leur valeur en stratigraphie événementielle.

En plus de la transformation de la roche dans le corps du hardground, une lacune de sédimentation ou même une érosion du fond sédimentaire souligne parfois le sommet du hardground. Ainsi des degrés d'évolution caractérisent les hardgrounds, depuis les craies noduleuses jusqu'au hardgrounds tronqués.

Dans le cadre de la stratigraphie séquentielle, les hardgrounds apparaissent différenciés à certains stades de la séquence de troisième ordre. Par exemple, les craies lithifiées ferrugineuses à perforation de Thalassinoides caractérisent plutôt la base de séquence (SB), les hardgrounds à minéralisation ou à patine phosphatée ou glauconieuse caractérisent plutôt la surface transgressive (TS), les horizons à craie noduleuse caractérisent plutôt le cortège transgressif (TST) ou la surface d'inondation maximale (MFS).

Les hardgrounds successifs, observés dans la tranchée d'Étigue, caractérisent le Coniacien inférieur, mais leur condensation ne permet pas ici de les identifier individuellement. Des déterminations non publiées de M. Fouray font état de Micraster normanniae typiques à la base de la falaise.

Hardgrounds du Coniacien inférieur – chemin du Fond d'Etigue

Gros plan sur deux hardgrounds

Figure 9. Gros plan sur deux hardgrounds

Remarquer, dans le hardground inférieur, les perforations soulignant d'anciens terriers dont le remplissage est dégagé par l'érosion actuelle. Observer la teinte du hardground supérieur imprégné d'oxyde de fer.


Station 2 : 50 mètres à l'Est du Fond d'Étigue

Objet : cuvettes et monticules, replacer les premiers niveaux-repères dans un panorama [49° 43' 47"N, 0° 16' 4"E]

Prenons un recul d'une cinquantaine de mètres pour observer la structure de la stratification. Le Fond d'Étigue correspond approximativement à une cuvette sédimentaire. Sur le côté Est, les couches se relèvent, mais ce pendage apparent ne doit rien à la tectonique. Il est dû à des ondulations du fond sédimentaire, de longueur d'onde hectométrique et d'amplitude décamétrique. L'activation ou la réactivation de ces structures sont fortement liées aux hardgrounds, donc aux courants supposés les engendrer.

Au cours du temps, le déplacement des monticules s'opère généralement d'Est en Ouest, avec des couches formant un prisme d'accrétion sur le flanc Est de la cuvette et des couches en « on-lap » sur le flanc Ouest. L'engraissement sur le flanc aval (Ouest) du monticule est supposé d'origine mécanique. Le modèle de déplacement du fond s'apparente à celui de dunes ascendantes avec une dérive apparente vers l'Ouest. Les couches les mieux préservées se situent sur le flanc Est des cuvettes ; les hardgrounds sont mieux marqués et se chevauchent en top-lap sur le flanc Ouest.

Ce modèle est schématique et ne correspond pas à tous les cas de figures, mais il fournit souvent un fil conducteur pour mieux comprendre les changements latéraux. À chaque grande ondulation, on pourra vérifier son applicabilité.

Modèle sédimentaire théorique des « monticules et cuvettes »

Rappelons cependant qu'au Danemark, certains monts de craie se déplacent vers l'amont courant, le piégeage des particules crayeuses étant assuré par des colonies de bryozoaires (Anderskouv et al., 2007).

Depuis ce point de vue, on remarque que les couches de Vaudieu à silex, observées à la station 1, sont recouvertes par des craies dont la stratification est plus serrée et moins apparente. Ces dernières comportent un hardground ferrugineux, dénommé « HG Belval ». Ce hardground est ici très net, mais on verra que ce n'est pas toujours le cas et qu'il peut disparaître.

Au-dessous des couches de Vaudieu, examinons successivement vers le bas les différents hardgrounds et les couches associées :

  • À environ 2 m sous la marne Vaudieu, un hardground peu apparent, désigné ici sous le nom de HG Bocage. Nous l'assimilons au « HG Nostrils » de la coupe de Culver Cliff dans l'île de Wight (Jarvis et al., 2006) ou encore au « banc à éponges à Echinocorys » de la coupe de Seaford (Mortimore et al., 2001). C'est ce hardground qui recouvre la craie à structure flammée dans la tranchée d'Etigue.
  • À environ 4 m sous la marne Vaudieu, un niveau de silex semi-continu encadré de deux couches de craie marneuse. On remarque les filets marneux ondulés, semblables à ceux observés dans le chemin d'accès à la plage. Cet ensemble est dénommé ici « doublet de Bénouville ». Il disparaît et réapparaît latéralement, mais on peut le reconnaître tant vers Yport qu'au Sud d'Étretat. Nous l'assimilons au niveau Shoreham, constitué en Angleterre par la succession d'une marne non volcanogénique (marne Shoreham 1), d'un banc de silex tubulaires (silex tubulaires Shoreham) et d'une marne volcanogénique (marne Shoreham 2). La marne Shoreham 2 est très visible dans les falaises entre Fécamp et Saint-Martin-aux-Buneaux, alors qu'elle reste très discrète à l'Est de Dieppe. Entre la marne Shoreham 2 et la marne Vaudieu, on dénombre 9 séquences craie/silex,ou moins du fait de condensation sédimentaire.
  • Directement sous le doublet de Bénouville (Shoreham) ou à faible distance, un ensemble plus gris constitué d'un ou de plusieurs hardgrounds accolés, assez constant et bien marqué, dénommé ici « HG Courtine ». Les irrégularités sédimentaires (érosion, obliquité) y sont fréquentes. Dans les coupes anglaises, les variations de faciès sont également sensibles et on désigne ce groupe de hardgrounds sous le nom de « hardgrounds Light Point ». En essayant de suivre ce niveau vers Étretat, nous constaterons qu'il est responsable d'une partie des géométries accidentées qui affectent les couches, au sommet du Coniacien inférieur.

Des corrélations stratigraphiques à grande distance dans tout le NW de l'Europe sont basées sur les horizons marneux, principalement dans le Turonien et le Coniacien. Certaines marnes sont détritiques, d'autres d'origine volcanique. Ces dernières sont essentiellement constituées de minéraux argileux de type smectite (bentonites) et dériveraient de l'altération de cendres en milieu marin. Un certain nombre de critères minéralogiques et géochimiques ont été utilisés pour argumenter de l'origine volcanique, en particulier une anomalie négative en Europium (élément appartenant aux terres rares ou lanthanides). Le volcanisme acide serait relié au rifting conduisant à la formation de l'Atlantique Nord.

Station 3 : Cuvette de la Haye Est

Objet : les niveaux-repères les plus élevés, les paramoudras, la sédimentation dans les cuvettes [49° 43' 37"N, 0° 15' 23"E]

Nous progressons vers le SW. Après avoir atteint l'axe de la cuvette du Fonds d'Étigue, les couches se relèvent et culminent , formant le « monticule du Cap d'Etigue », ondulation très molle dont la base est masquée par d'importants éboulis. Nous poursuivons jusqu'à atteindre l'axe de la cuvette suivante ou « cuvette de la Haye Est ». Le HG Belval est presque à hauteur du platier et les couches précédemment décrites sont invisibles. La structure pseudo- synclinale permet d'observer les couches les plus élevées stratigraphiquement, ce qui nous permet de compléter notre log vers le haut et de définir d'autres niveaux-repères. La vitesse de sédimentation dans cette cuvette est très forte et les séquences craie/silex sont très épaissies. Les silex de sommet de séquence se démultiplient et ajoutent des fréquences plus élevées à la fréquence de base. Ces séquences expansées n'offrent pas le même aspect que les séquences ordinaires. La sédimentation soutenue est également associée à des silex à développement vertical pouvant atteindre 5 mètres de longueur. La forme en poire renversée, dite paramoudra, est la plus classique. Il s'agit d'une silicification secondaire autour d'un axe effilé dont l'origine est diversement interprétée : terrier de ver (Batichnus paramoudrae) ou cheminée d'échappement de fluide.


Paramoudra éboulé sur le platier

Les silex verticaux se rencontrent à différents niveaux, mais deux couches particulières en présentent en abondance. L'épaisseur des couches à paramoudras est variable, atteignant parfois 5 à 8 mètres. La variation d'épaisseur est due à des convexités locales de la surface supérieure. Des anomalies sédimentaires accompagnent les couches à paramoudras : stratification oblique, chevauchements intra-banc, slumping. Latéralement ces curiosités s'atténuent ou disparaissent, faisant place à une couche « ordinaire ». Dans la cuvette de la Haye Est et jusqu'à la valleuse du Curé, les couches à paramoudras sont particulièrement bien exposées, à mi-hauteur de la falaise. La couche inférieure à paramoudras se retrouve plusieurs fois dans les falaises de Vattetot, Vaucottes (Roche aux Anglais) et Yport (Pointe du Chicard) où on la repère du premier coup d'œil. Les paramoudras effondrés s'accumulent sur le platier en formant parfois un chaos de boules jaunes.

Au-dessous de la couche 1 à paramoudras, on distingue 2 bancs crayeux épais séparés par un gros banc de silex. Le banc supérieur contient un niveau marneux que nous désignons sous le nom de « marne Les Loges ». Cet ensemble ne s'exprime bien que dans les séries dilatées, au niveau des cuvettes, mais il est caractéristique. Nous le retrouverons à différentes reprises jusqu'au Trou à la Mine. Entre Yport et Fécamp, ce niveau marneux est un repère essentiel. Dans de précédents écrits (Hoyez, 2009 ; Mortimore, 2001), il a été assimilé à la marne Shoreham, ce qui semble inexact. Cette marne appartient au Coniacien moyen et elle correspond à l'une des marnes Belle Tout (Mortimore et al., 2001). Dans l'état actuel de la reconnaissance, nous l'assimilons à la marne Belle Tout 2, mais il subsiste une incertitude.

Au-dessus de la couche 1 à paramoudras, à deux ou trois séquences, se place un hardground désigné ici « HG Vattetot », puis encore après 3 à 5 séquences un autre niveau caractéristique, formé d'un hardground mince recouvert d'une passée marneuse souvent en encoche. Parfois c'est le caractère érosif qui domine et le vocable « HG Yport » peut convenir, parfois seule la marne apparaît et on la désigne alors par « marne Yport ». Entre les niveaux Vattetot et Yport se développe une autre couche à paramoudras (paramoudras 2), moins nette que la couche 1, et surtout caractérisée par des silex tordus. Les hardgrounds Vattetot et Yport montrent de fortes ondulations et sont associés à une intense activité érosive. Ils peuvent se rejoindre et ne former qu'un seul hardground. Latéralement, les couches sous le HG Yport montrent de considérables variations d'épaisseur. Les courants responsables de ces hardgrounds semblent avoir été forts mais leur durée d'action courte.Vers l'Est jusqu'au Chicard ou vers l'Ouest jusqu'au Roc Vaudieu, les HG Vattetot et Yport sont bien apparents, alors qu'ils sont invisibles dans les falaises de la Baie de Criquebeuf, zone à sédimentation active.

Au-dessus du niveau Yport le taux de sédimentation devient plus élevé, se traduisant dans les cuvettes par des séquences plus épaisses. À partir de Vaucottes (La Pucelle) vers l'Est se creuse la grande cuvette de Criquebeuf où les séquences du Coniacien supérieur se dilatent considérablement et deviennent plurimétriques. Ces séquences dilatées sont traversées par des colonnes de paramoudras dépassant parfois 15 mètres de hauteur. Il semble évident que l'origine de telles structures ne peut pas s'expliquer par des terriers verticaux. De Grainval à Fécamp, à la base des séquences dilatées, le niveau marneux Yport conditionne les exurgences de la Roche-qui-pleure. 0 l'Ouest d'Etigue, l'épaississement des séquences est beaucoup moins prononcé que dans la Baie de Criquebeuf.

À Etigue Ouest, à une dizaine de mètres au-dessus du HG Yport, un autre niveau-repère est bien visible. Il s'agit d'un niveau de silex très épais. À ce niveau stratigraphique, les ondulations des strates sont atténuées et on peut donc suivre ce silex régulièrement en haute falaise. Nous l'appelons « silex Froberville ».

Entre le niveau Yport et le silex Froberville se placent une dizaine de séquences d'épaisseur décroissante, rarement bien identifiables, mais vers leur base 3 séquences bien marquées avec 3 gros silex [Brandeville 1,2 et 3, ici dénommés] constituent un bon repère.

Une dizaine de mètres au-dessus du silex Froberville, un autre silex très net et tabulaire, situé à 1 m au-dessus d'un hardground, constitue un bon marqueur. Nous le désignons sous le nom de « silex Epreville ». Les couches qui surmontent ce silex en sommet de falaise sont ici difficilement observables et il faut aller entre Yport et Fécamp pour les voir se développer sur une vingtaine de mètres d'épaisseur. La confrontation avec d'autres coupes entre Saint-Pierre-en-Port et Veulettes permet de faire la correspondance entre le silex Epreville et le silex Seven Sisters en Angleterre.

Vue de la falaise à l'Ouest de la cuvette de la Haye Est

Station 4 : Monticule de la Haye Ouest

Objet : série condensée sur un monticule, entre la marne Vaudieu et le niveau à paramoudras [49° 43' 31" N, 0° 15' 13"E]

Après la cuvette de la Haye Est, les couches dessinent un large dôme culminant à environ 200 m à l'Est de la valleuse du Curé, lieu à partir duquel un autre panorama peut être observé. Au-dessus de la marne Vaudieu, à une douzaine de mètres au-dessus du platier, les couches de Vaudieu à silex sont bien apparentes surmontées par des séquences craie/silex minces parmi lesquelles le HG Belval reste discret.

Cet arrêt nous permet d'observer en continu les couches entre la marne Vaudieu [Belle Tout 1 ?] et l'horizon à paramoudras 1. Les séquences craie/silex semblent se superposer sans hiatus important, bien que leur épaisseur soit réduite car la sédimentation s'opère sur un monticule.

Partie médiane de la falaise – monticule de la Haye Ouest

Sous la couche 1 à paramoudras, on distingue assez nettement le niveau marneux « Les Loges ». Ce niveau, malheureusement reste en hauteur dans la falaise. Pour l'échantillonner, il faut se déplacer dans la baie de Criquebeuf, entre Yport et Fécamp. Il y affleure en deux endroits au niveau du platier dont une à proximité du casino de Fécamp.

À 1 à 2 m sous la marne Les Loges, se place un hardground, ici désigné « HG Etigue ». À l'image du HG Vattetot sus-jacent, il donne lieu au creusement de profondes cuvettes. Paradoxalement, en certains points, il peut ne pas apparaître.

Entre le HG Belval et le HG Etigue, les séquences craie/silex sont très bien soulignées et on en dénombre jusqu'à 30. Localement, un des silex est plus net et plus continu que les autres. Il est désigné ici sous le nom de « silex Gerville ».

Station 5 : La valleuse du Curé

Objet : recul des falaises [49° 43' 28" N, 0° 15' 4"E]

Cette valleuse se trouve approximativement au quart du parcours, sur la commune de Bénouville. C'est une valleuse perchée qui présente un intérêt historique et un témoignage du recul des falaises. En 1883, en guise de pénitence, l'abbé Desson de Saint-Aignan fit réaliser par ses ouailles un escalier de 283 marches permettant l'accès à la mer. Celui-ci s'est effondré en juillet 2001. Entre la valleuse et le cap qui fait suite à l'ouest se dresse un autre monticule sédimentaire (monticule du Cap de la valleuse du Curé). Ce pseudo-anticlinal montre en son cœur des niveaux appartenant au Turonien supérieur, notamment un ou deux filets marneux ; mais comme les conditions d'affleurement sont assez médiocres, on choisit de réserver leur observation plus loin dans des conditions plus favorables.

Éboulis de la valleuse du Curé, colonisé par la végétation

Figure 17. Éboulis de la valleuse du Curé, colonisé par la végétation

L'ancienne galerie-escalier a été complètement emportée dans l'effondrement. Les limites de l'arrachement sont nettes dans la falaise. Au premier-plan, une accumulation de paramoudras.


Station 6 : Fontaine aux Mousses

Objet : source à travertin [49° 43' 24" N, 0° 14' 45"E]

En progressant, nous observons plusieurs ondulations et nous arrivons à la Fontaine aux Mousses. Nous stationnons sur un platier tapissé de très gros silex. Le HG Belval s'est hissé ici à une vingtaine de mètres de hauteur et présente un karst. Celui-ci est encore actif et des venues d'eau s'en échappent. Elles ont édifié un cône de travertin, cimentant à sa base un ancien cordon de galets, vestige d'un niveau marin plus élevé. En plus d'une curiosité géologique, cette construction présente un intérêt botanique et ornithologique par les communautés qu'elle abrite.

La Fontaine aux Mousses

Galets de silex et de craie cimentés par le travertin

Station 7 : Cap de Belval

Objet : les couches du Turonien supérieur [49° 43' 20" N, 0° 14' 44"E]

Nous franchissons le cap prolongé vers la mer par une série d'écueils, vestiges d'anciennes arches. En léger décalage se dresse l'Aiguille de Belval, monolithe de près de 40 mètres, les pieds dans l'eau même aux grandes marées. Le cap franchi, les couches pendent très faiblement vers le SW sur plusieurs centaines de mètres et sont donc moins sujettes aux variations latérales.

L'absence du cordon de galets au niveau du cap permet d'observer en continu les couches les plus basses. Il s'agit de craies à gros silex noirs tubulaires (Thalassinoides). À plusieurs reprises au cours du trajet, depuis l'Est du Fond d'Etigue, de tels silex sont apparus sur le platier. Généralement, ces craies à silex dessinent des monticules courts (moins de 50 m de longueur), fortement bombés, non liés à des hardgrounds et qui procèdent d'une activité constructive et non destructive. C'est du moins l'aspect qu'elles présentent à Étretat, car ici on n'en voit que la partie supérieure plutôt horizontale. L'attribution stratigraphique repose sur l'analogie de faciès avec les silex Lewes (voir la coupe d'Elétot à l'Est de Fécamp), correspondant à une période de haut niveau marin du Turonien supérieur.

Presque au sommet de la série à silex se placent deux niveaux marneux flammés : marnes Pierrefiques 1 et 2, ici dénommés. Au tiers supérieur des silex Lewes se place généralement la bentonite Lewes, que nous assimilons aux marnes Pierrefiques.

Au-dessus de la marne Pierrefiques 2, des niveaux de hardground envahissent la craie. Un premier ensemble de hardgrounds successifs (HG Villainville 1 à 3), de couleur blanche, forme un seuil en relief à la base de la falaise. Il comporte des niveaux fossilifères et est recouvert par un dernier gros banc de silex (silex Lewes supérieur).

Les craies suivantes ( 8 m environ) sont tendres et riches en petits silex cariés soulignant médiocrement la stratification. Plusieurs niveaux de hardground peu nets s'y intercalent, ainsi qu'un filet marneux très mince (marne Nungesser). Un hardground coloré et plus résistant couronne les craies tendres. Il est lui-même recouvert par un niveau de silex assez continu. Ce couple montre des analogies avec le couple hardground Navigation et silex Cliffe en Angleterre. L'interposition occasionnelle d'un mince filet marneux, assimilable aux marnes Navigation conforte cette interprétation.

Environ deux mètres au-dessus, au moins 3 hardgrounds se succèdent. Ils sont tachés d'oxyde de fer et apparemment dolomitisés. Ils forment une bande plus sombre qui tranche sur la teinte générale de la falaise. Il s'agirait du hardground Hope Gap. Ces couches en Angleterre forment la limite entre la zone à Micraster normanniae et la zone à Micraster decipiens. Un autre hardground se détache au-dessus et pourrait correspondre au hardground Beeding.

Enfin, le HG Courtine [alias Light Point] et le doublet de Bénouville [les 2 marnes Shoreham] sont très nets. Ils nous permettent de faire le lien avec la coupe de la station 2.

Les couches à silex de Vaudieu ne sont pas ici reconnaissables et sont recouvertes par le HG Belval très ferrugineux.

Ayant interprété la coupe de la falaise au SW du Cap de Belval, on peut s'approcher ensuite, au plus près selon la marée, de l'Aiguille de Belval dans laquelle on reconnaîtra tous les niveaux qui viennent d'être cités.

L'Aiguille de Belval ou Demoiselle de Bénouville

Station 8 : Monticule du Bout de la Ville

Objet : silex difformes vers la fin du Coniacien inférieur [49°43'6" N, 0°13'57" E]

À partir de l'Aiguille de Belval, les couches s'inclinent faiblement en dessinant une large cuvette. Au niveau de l'axe de la cuvette, le HG Belval atteint presque le platier, masqué par des éboulis. Vers le haut de la falaise, la couche à paramoudras réapparaît après avoir disparu sur le monticule de Belval. Puis, un autre monticule se dessine dont on franchit l'axe au niveau des « Pisseuses de Bénouville », modestes exurgences travertineuses qui sourdent au niveau du hardground Light Point, sous le niveau Shoreham. Les hardgrounds coalescents et karstifiés sont mis en valeur.

On traverse une autre petite cuvette, puis les couches s'élèvent fortement pour dessiner un vaste monticule. Arrêtons nous sur son flanc nord-est, juste à droite de grands éboulis, pour examiner les phénomènes sédimentaires sous le HG Courtine [alias Light Point]. Nous remarquons de gros silex désorganisés et surtout certains silex à développement vertical. Ces phénomènes se cantonnent à un niveau stratigraphique ; au-dessous les hard-grounds ne sont pas affectés.

Base de la falaise à environ 300 mètres au NE du Roc Vaudieu

Station 9 : Au Nord-Est du Cap Vaudieu

Objet : stratifications obliques vers la fin du Coniacien inférieur [49°43'6" N, 0°13'46" E]

Nous nous déplaçons d'environ 150 m, juste après le sommet du monticule. Les couches commencent à replonger vers la droite. Le niveau de Shoreham s'estompe, mais le hardground Courtine [alias Light Point] sous-jacent se poursuit nettement. Plus bas, les hardgrounds Hope Gap et Beeding, altérés et sombres, suivent régulièrement avec un faible pendage la base de la falaise. Entre les HG Beeding et Courtine, sur une épaisseur de plusieurs mètres, on distingue nettement un ensemble à stratifications obliques, soulignées par des silex épais. Il exprime vraisemblablement le déplacement de dunes hydrauliques, c'est-à-dire des reliefs positifs d'une cinquantaine de mètres de longueur d'onde progressant sur un fond initialement plat.


Station 10 : Le Roc Vaudieu, une réplique de l'Aiguille d'Étretat

Objet : phénomènes sédimentaires au Coniacien inférieur [49°43'8" N, 0°13'26" E]

En progressant vers le SW, les couches à silex sous la couche chaotique sont bien développées et arrivent en pied de falaise. Nous arrivons au Roc Vaudieu, une muraille plus trapue que la demoiselle de Bénouville, reposant sur un platier surélevé, armé par les hardgrounds du Coniacien inférieur. La face Sud, bien dégagée, est l'occasion d'une observation parfaitement située des silex à stratification oblique.

Face Sud du Roc Vaudieu

Station 11 : Le platier au SW du Roc Vaudieu

Objet : terriers silicifiés [49°42'59" N, 0°13'2" E]

Une fois franchi le Cap Vaudieu, nous abordons une longue section de falaise caractérisée par de faibles ondulations. Même si des éboulis occupent çà et là le pied de falaise, la qualité et la constance des affleurements sont excellentes. Cette section peut servir de référence locale au Coniacien moyen. Nous marchons sur le platier qui se découvre progressivement des blocs éboulés et nous constatons que nous sommes sur le sommet d'un immense banc de silex, mamelonné mais continu, rapporté ici au Coniacien inférieur. À environ 300 m au Sud du Roc Vaudieu, ce banc est tapissé de grosses tubulures horizontales qui résultent de la silicification de terriers (Bathichnus paramoudrae). De tels objets sont connus à différents niveaux stratigraphiques (Coniacien moyen de Grainval près de Fécamp ou silex Lewes du Turonien supérieur).

Bathichnus paramoudrae, Coniacien inférieur, Vaudieu

Station 12 : À mi-chemin, entre Vaudieu et Porte d'Amont

Objet : une coupe exceptionnelle par sa régularité et par sa rythmicité [49°43'0" N, 0°12'54" E]

Nous arrivons à mi-distance entre le Roc Vaudieu et la Pointe du Trou à Mines. Prenons du recul pour voir sans déformation toutes les couches, en s'aidant éventuellement de jumelles. Le niveau marneux Shoreham atteint presque la base de la falaise. Vers le sommet, l'épais silex Froberville se suit sans problème.

Repèrons d'abord les niveaux marneux au nombre de quatre :

  1. la marne Vaudieu [= marne Belle Tout 1 ou marne White Fall en Angleterre ?], avec la particularité locale que le silex qui la recouvre est ferrugineux ;
  2. la marne Cuves (ici dénommée) [= marne Belle Tout 1 supérieure probablement], environ 22 m au-dessus ;
  3. la marne Les Loges [= marne Belle Tout 2 ?], environ 26 m encore plus haut ;
  4. une marne, pouvant être le niveau Yport [= marne Belle Tout 3 ?].

Certaines marnes ne sont pas toujours évidentes. On les individualise mieux soit sur des arrachements frais (teinte plus grise) soit sur de vieux affleurements patinés (teinte plus claire).

Au-dessus de la marne Les Loges, il n'y a pas ici de paramoudras (mais des petits silex dispersés). Les couches sont d'épaisseur réduite, sans rythmicité marquée. Les hardgrounds sont peu représentés sur cette coupe. En particulier, on remarque l'absence des hardgrounds Belval et Etigue, ce qui suggère une continuité de sédimentation. Seuls deux hardgrounds sont nets :

  • le HG Courtine [= Light Point], à la limite du cordon de galets ;
  • Le HG Vattetot, à une vingtaine de mètres du sommet de la falaise, à coloration ferrugineuse. Le HG Vattetot peut être comparé au HG Anvil de la coupe de Culver Cliff (Ile de Wight).

La coupe est remarquable par le développement des niveaux de silex qui présentent une netteté et une cyclicité rarement atteintes ailleurs. On peut pointer chaque silex, le numéroter et le suivre latéralement sur plusieurs centaines de mètres. On peut observer son changement ou sa multiplication quand le taux de sédimentation est plus fort dans les cuvettes.

Dans ces conditions, on relève par exemple :

  • 9 silex de la marne Shoreham à la marne Vaudieu ;
  • 20 silex de la marne Vaudieu au silex Gerville ;
  • 12 silex entre le silex Gerville et la marne Les Loges.

Au-dessus , la cyclicité est plus perturbée et le repérage stratigraphique incertain. À ce stade de la reconnaissance, il est supposé que la coupe de la station 12 représente le Coniacien moyen et qu'un peu plus d'une cinquantaine d'horizons significatifs de silex y sont présents.

Entre le Roc Vaudieu et le Trou à Mines

Cette coupe est l'occasion d'aborder 4 thèmes relatifs aux silex dans la craie :

  • l'origine de la silice formant les silex ;
  • la formation des silex ;
  • les facteurs favorisant leur formation ;
  • leur périodicité.

L'origine de la silice des silex

Le silicium contenu dans l'eau de mer provient originellement de l'altération des minéraux silicatés constituant la croûte continentale et est amené par les cours d'eau ou par les vents (poussières). Ce silicium peut également provenir des volcans océaniques (silice lithogénique) ou de phytolithes (silice biogénique continentale).

Dans des conditions normales de pH, le silicium est dissous dans l'eau de mer sous forme d'acide orthosilicique Si(OH)4 (encore écrit H4SiO4). Cette molécule fonctionne comme un acide tétraprotoné, les 4 protons se dissociant successivement et produisant une série d'ions monosilicates (SiO(OH)31- , SiO2(OH)22-, SiO3(OH)3-, SiO44- ) :

  • Si(OH)4 → SiO(OH)31- + H+
  • SiO(OH)31- → SiO2(OH)22- + H+
  • SiO2(OH)22- → SiO3(OH)3- + H+
  • SiO3(OH)3- → SiO44- + H+

À un pH de 8,1, la forme neutre Si(OH)4 est dominante (96.2% du Si total).

À un pH compris entre 9,75 et 12,2, c'est SiO(OH)31- qui prédomine.

Le silicium primaire, sous ses différentes déclinaisons, est consommé par certains organismes animaux ou végétaux pour la fabrication d'un test qui les supporte ou qui les protége (silice biogénique océanique). La plupart d'entre eux vivent dans le plancton (diatomées avec un frustule, radiolaires, ébriédiens, silicoflagellés avec un endosquelette), mais il existe des métazoaires benthiques, les spongiaires hexactinellidés et lithistidés, qui ont un squelette formé d'un feutrage de spicules siliceux.

Ces animaux ou ces végétaux (diatomées, silicoflagellés) très anciens ont connus différentes périodes de recrudescence au cours des temps géologiques. Le Crétacé supérieur est une de ces périodes privilégiées, ainsi la gaize albienne est constituée en grande partie de spicules ou bien encore la craie cénomanienne contient une grande quantité d'éponges préservées en silex. Les diatomées, qui se diversifient au Tertiaire, constituent actuellement une pompe à silice importante. Intervenant moins au Crétacé, la concentration en acide silicique de l'eau de mer devait être au moins dix fois supérieure.

La précipitation biogénique de la silice est dominante. Cette silice, dite opale-A, est une silice faiblement cristallisée ou amorphe contenant jusqu'à 10% d'eau. C'est l'activité enzymatique de l'organisme qui permet la production et la stabilisation de cette opale. Du fait de la sous-saturation en silice de l'eau de mer, lorsque l'individu meurt, son test est remis en solution. La silice bioprécipitée, bien que bénéficiant d'une assez forte production, n'est donc qu'une phase temporaire, car dans la grande majorité des cas, elle repart en solution, prête à être réutilisée dans un autre cycle. Cette dissolution des tests s'opère dans les centimètres superficiels du sédiment. Les fluides interstitiels s'enrichissent en silice dissoute sous forme de monomères Si(OH)4 qui regagnent généralement l'eau de mer. Cependant, sous certaines conditions, cette silice peut reprécipiter et entreprendre une évolution diagénétique qui la préservera à l'état solide.

La formation du silex

Actuellement moins de 3% de la silice biogénique est préservée dans le sédiment. La reprécipitation de la silice conduit à sa préservation. Dans le cas d'une forte productivité, une boue riche en calcite et silice se dépose sur le fond. La boue crayeuse est riche en matière organique. En profondeur, dans cette matière organique, prolifèrent les bactéries sulfato-réductrices produisant de l'hydrogène sulfuré. À la frontière rédox, c'est-à-dire entre la boue bactérienne anoxique inférieure et la boue riche en oxygène supérieure (à une profondeur d'environ 30 cm dans les sédiments actuels, ne dépassant pas le mètre), ce gaz se dissocie, s'oxyde en sulfate et produit des protons qui diminuent donc le pH.

H2S + O2 → SO42- + 2 H+

La calcite réagit et tend à disparaître ce qui entraîne une forte concentration en ions carbonate.

H+ + CaCO3 ↔ Ca2+ + HCO3-

La calcite est substituée par la silice si la concentration de celle-ci atteint un certain seuil. Des discontinuités dans la boue (restes organiques, terriers tapissés de mucus, fissures ou fractures, zones à faible porosité) servent souvent de germes à la paroi desquels la silice se met à cristalliser et à les pseudomorphoser. En particulier, les animaux fouisseurs pompent l'eau de mer et en irriguent le sédiment, provoquant une diffusion de l'oxygène et une dégradation de la matière organique. L'oxydation du carbone organique conduit à la réaction suivante :

  • CH2O + O2 → CO2 + H2O → HCO3- + H+

À la suite, la silice secondaire formée, dite lussatite ou opale C-T car elle est constituée d'une interstratification de cristobalite et de tridymite de basse température, se propage dans le sédiment sous forme de petits cristaux lamellaires ou de microsphérules d'environ 10 μm appelées lépisphères. L'opale C-T métastable va évoluer au cours de la diagenèse et de l'enfouissement. Elle se transforme en quartz alpha, en passant d'un état microcristallin à un état cristallin fibreux, la calcédoine. C'est l'opinion générale, mais certains pensent que les deux silicifications (opale CT et calcédoine) se réalisent indépendamment. La calcédoine remplace point par point la calcite de la craie. Le silex va ainsi grossir et par dilatations successives former un banc complet.

Évolution des différentes formes de la silice

Facteurs favorisant la formation des silex

Les facteurs déclenchant la précipitation de la silice sont vraisemblablement multiples, c'est la conjonction de certains de ces facteurs qui permet de réaliser un phénomène qui normalement (en se référant à l'actuel) est très rare. Différents paramètres peuvent jouer.

La concentration en silice des boues superficielles

La concentration en silice dépend surtout de la quantité de squelettes siliceux enfouis. L'accumulation d'opale est donc couplée à la productivité. Les facteurs écologiques favorisant la prolifération des organismes siliceux doivent jouer un rôle important dans la préservation de la masse de silice. Dans le cas du bassin épicontinental de la craie, il peut y avoir :

  • des causes locales : profondeur faible (limitée vraisemblablement à une centaine de mètres) du biotope des spongiaires, zones assez calmes protégées des courants, proximité du continent ;
  • des causes globales de nature géodynamique (tectonique, volcanisme) modifiant la composition générale de l'eau de mer, en particulier sa concentration en silice ;
  • des causes globale de nature climatique :

    • la position des continents à des latitudes où prévaut un climat tropical humide favorise l'altération des silicates et l'enrichissement des océans en silice dissoute ;
    • la formation de blooms de grande ampleur à l'occasion desquels la matière organique et les tests produits sédimentent rapidement sous forme d'agrégats. Ces phénomènes sont corrélés à une forte saisonnalité climatique. Ils sont favorisés par des modifications de la circulation thermo-haline, de la CCD ou des upwellings. Ces derniers sont clairement associés aujourd'hui à des eaux de surface très fertiles où pullulent les radiolaires et aux sédiments siliceux qui en dérivent.

    La configuration orbitale qui favorise le plus le contraste entre les saisons correspond à une excentricité forte et une inclinaison forte.

La température de l'eau

La solubilité de la silice diminue lorsque la température diminue. Les eaux froides préservent la silice.

La proximité du continent

La solubilité de la silice est plus élevée dans les eaux douces. En se jetant en mer, les cours d'eau augmentent la charge en silice à proximité des estuaires, favorisant la précipitation de l'opale CT préférentiellement dans la bande côtière.

Le déclenchement de la précipitation du silex serait lié à une modification des propriétés physico-chimiques de l'eau de mer au contact du sédiment. Comme il a été vu, la silicification s'opère au voisinage du front redox dans la boue dysoxyque. Le déplacement de ce front a une influence sur les réactions chimiques, particulièrement celles qui conduisent à la substitution de la calcite par la silice. Si les eaux sont plus oxygénées, le front rédox aura tendance à être bloqué et les premiers cristallites formés peuvent continuer leur croissance car ils restent dans une zone favorable. La pénétration de l'oxydation peut être guidée ou facilitée par des différences de perméabilités au sein de la boue, en particulier par l'existence de terriers ou d'empreintes de bioturbation. Une trop forte oxygénation qui placerait les premiers germes dans la zone oxyque pourrait avoir un effet contraire.

En résumé

En résumé, il est raisonnable de penser que l'oxygénation et également le refroidissement de l‘eau (solubilité de la silice) sont des facteurs principaux dans la formation des silex.

La paléo-oxygénation des océans, en particulier les fluctuations de la ZMO (zone à minimum d'oxygène) est un sujet actuellement bien étudié. Elle se révèle être sous la dépendance des paramètres de Milankovitch.

Périodicité des silex 

La périodicité des silex est vraisemblablement corrélée avec des variations climatiques dues à un forçage astronomique. L' hypothèse ici avancée ferait correspondre leur précipitation à une période froide et au développement de courants d'upwelling se faisant sentir jusqu'en bordure de la plate-forme continentale et des mers épicontinentales voisines. Quelle pourrait être la période de la formation des silex dans cette hypothèse ? En se basant sur une durée du Coniacien de 3,5 Ma, on peut tenter d'évaluer le nombre théorique de silex selon différentes périodicités astronomiques :

  • excentricité, période courte, 95800 ans : 37 silex ;
  • obliquité, 41000 ans : 85 silex ;
  • précession climatique, 21500 ans : 163 silex attendus.

Les données de terrain qui permettraient de choisir entre ces périodicités sont entachées de fortes incertitudes :

  • seule une partie du Coniacien (Coniacien moyen) est localement présente sur cette falaise ;
  • seule une partie de la falaise est clairement rythmique (environ 50 séquences).

En l'état actuel des connaissances, c'est la précession climatique qui offre la réponse la plus proche.

Station 13 : Le Cap du Trou de la Mine

Objet : slumping au sommet du Coniacien inférieur [49°42'55" N, 0°12'46" E]

À l'approche du Cap du Trou de la Mine, nous observons une exurgence importante au niveau du platier donnant lieu au développement d'une moulière. Le cap lui-même se prolonge vers la mer par deux gros écueils décalés qui formaient le soubassement d'une ancienne arche. Ces vestiges sont constitués d'une craie dure à nombreux petits silex ramifiés en forme de cornes de cerf. Sous le hardground Courtine, ces silex soulignent une stratification oblique et des slumpings. Certains silex impliqués dans le slumping sont fragmentés ou tordus, indiquant qu'ils étaient déjà formés et qu'ils ont été repris dans le glissement en masse. En faisant le tour du premier écueil, on pourra se représenter en 3D les déformations des couches.


La marne Vaudieu [= marne de Belle Tout 1 inférieure ?] est très nette et le silex qui la recouvre est imprégné localement d'oxyde fer. Trois silex au-dessus, un mince filet marneux apparaît.


Le cap franchi, s'ouvre le Trou à la Mine, une cavité karstique que l'on pénètre sur une quinzaine de mètres.

Station 14 : La grande cuvette de la Porte d'Amont

Objet : une profonde dépression entaillant le Coniacien inférieur et moyen [49°42'54" N, 0°12'42" E]

On se place entre le Trou à Mine et la galerie du Petit Val, en s'écartant de la falaise de manière à embrasser le panorama. Un hardground s'enfonce vers la droite, en débutant à mi-hauteur de la falaise, puis passant par le plancher de la galerie et atteignant finalement le platier. Il est vraisemblable qu'il s'agit du hardground Etigue, renforcé par le hardground Vattetot.

Cuvette de la Porte d'Amont

Le hardground reste bloqué dans son incision sur les hardgrounds du Coniacien inférieur, avec lesquels il forme un ensemble de bancs durs et ferrugineux exploités anciennement (Banc à Cuves). Il reste, en face de la galerie, une vingtaine de moëllons de cette pierre de taille, avec de belles stratifications obliques.

Seul le flanc Nord-Est de cette grande cuvette sédimentaire est observable et il faudra franchir le cap de la Porte d'Amont pour étudier le flanc symétrique, par ailleurs plus complexe. Une dépression sur le fond marin de plus de 40 m devait donc exister au Coniacien supérieur à l'emplacement actuel de la Porte d'Amont. En regardant bien les couches du Coniacien moyen, on constate que leur épaisseur s'amenuise vers l'axe de la cuvette ; ce qui signifie qu'une dépression, plus modeste, existait au début , puis au cours du Coniacien, et qu'elle s'est fortement amplifiée jusqu'à la fin du Coniacien.

Au-dessus du hardground, le remplissage de la cuvette est constitué de séquences très dilatées dans lesquelles les paramoudras sont fréquents. Vers le sommet, le silex Froberville est toujours présent.

Dans le remplissage de la cuvette, des coupes non-publiées de Breton et Juignet font état d'une association de foraminifères à Gavelinella thalmanni, Globotruncana linneiana et Bolivinitella eleyi attestant d'un âge post-Coniacien moyen à Santonien.

L'échelle de la Porte d'Amont mène à une plate-forme reposant sur les hardgrounds coniaciens coalescents. Si la marée ne permet plus d'atteindre cette échelle, le seul recours pour ne pas attendre la prochaine basse mer est de regagner l'échelle de la galerie du Petit Val et de parcourir les 600 mètres de cette galerie, à l'éclairage de la lampe de poche que vous aurez impérativement pensé à emporter. Le lapiez près de la Porte d'Amont est perforé de belles marmites-de-géant entretenues par des courants de marée assez violents. La remontée par l'escalier aménagé est propice à des points-de-vue plongeants, en particulier sur les vestiges des anciennes arches démantelées.

Bibliographie

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