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Article | 30/03/2004

Diagenèse et variation du rapport isotopique des foraminifères

30/03/2004

Cyril Langlois

AGPR à l'ENS-Lyon

Emmanuelle Puceat

ATER à l'ENS-Lyon

Florence Kalfoun

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Incidence des processus diagénétiques sur les valeurs des rapports isotopiques.


Table des matières

Question

« J'ai eu une question fort pertinente d'une élève de terminale : au cours du processus de fossilisation des Foraminifères, le teneur en isotopes ne peut-elle pas subir de variations ? Ainsi qu'en serait-il du lien avec la température ? »

Réponse

Le problème de l'altération diagénétique des foraminifères extraits des carottes sédimentaires et utilisés pour les mesures isotopiques est bien réel. Mais cette altération est difficile à estimer. Il semble cependant qu'elle ait été insuffisamment prise en compte jusqu'à récemment, comme le montre un article récent, que l'on va utiliser ici pour répondre.

Jusqu'ici, les études utilisant le composition isotopique des foraminifères pour des reconstitutions des températures jugeaient la préservation des échantillons sur la base de leurs critères optiques, c'est-à-dire de leur aspect au microscope électronique à balayage (présence ou non de recristallisation) (figure 1).

Images de foraminifères planctoniques obtenues au microscope électronique à balayage

Figure 1. Images de foraminifères planctoniques obtenues au microscope électronique à balayage

Les images a-f correspondent à des tests bien conservés et contrastent avec celles des tests à texture peu préservée (images g-i). a, Globotruncanita stuarti, Maastrichtien. b, Globigerinatheka index avec épines préservées, Éocène moyen. c, Globoquadrina tripartita, Éocène moyen, coupe transversale dans la paroi montrant une texture microgrenue. d, Globoquadrina tapuriensis, Oligocène inférieur, détail des pores hexagonaux. e, Hantkenina lehneri, Éocène moyen, détail de la base d'une épine tubulaire. f, Guembelitrioides nuttalli, Éocène moyen, base des épines, Éocène moyen. g, Globoquadrina tripartita, Éocène terminal, détail des pores recristallisés. h, Acarinina praetopilensis, Éocène moyen, coupe transversale dans la paroi grossièrement recristallisée. i, Morozovella aragonensis, Éocène moyen, coupe dans la paroi recristallisée.


En effet, le principal biais des valeurs isotopiques pourrait venir de la cristallisation diagénétique de calcite secondaire qui viendrait brouiller les valeurs initiales des tests, puisque cette calcite cristallise alors à des températures différentes de la calcite d'origine. Ainsi, si la calcite secondaire se forme au fond de l'eau, au cours de l'enfouissement, au contact d'eau de fond, froide, les compositions isotopiques seront biaisées vers des valeurs de δ18O plus positives. Inversement, si par exemple des eaux de percolation chaudes circulent dans les sédiments, les valeurs isotopiques risquent d'être diminuées. De même pour les prélèvements dans des sédiments de plate-forme ou de bassin actuellement émergés, où de l'eau météorique, de faible valeur isotopique, a pu percoler.

Une précipitation de calcite exogène, qui viendrait se déposer dans les tests sous forme de gros cristaux de calcite (recristallisation « macroscopique »), est donc une source d'erreur potentielle. Mais dans ce cas, l'examen des tests au microscope suffit à éliminer les foraminifères affectés.

La majorité des études se sont donc longtemps contentées de sélectionner pour les mesures isotopiques une dizaine de foraminifères (à chaque niveau de la carotte), en vérifiant au microscope, optique ou électronique à balayage, qu'ils paraissaient bien préservés et exempts de tout remplissage par des cristaux de calcite issus d'une cristallisation secondaire à partir des carbonates de l'eau de mer ou au sein du sédiment (figure 1).

P. N. Pearson et al. [1] écrivent que « la majorité des chercheurs acceptaient les estimations de températures de surface (SST) obtenues à partir d'échantillons pour lesquels des différences isotopiques claires entre espèces de surface, de profondeur et benthiques étaient préservées ainsi que, pour les jeux de données ordonnées dans le temps, pour lesquels des valeurs raisonnables - et les tendances et les événements qui peuvent être corrélés [d'une carotte à l'autre] - étaient observées ».

Cependant, on a constaté que les températures ainsi obtenues pour les eaux de surface tropicales de la période éocène étaient étonnamment basses, et donnaient surtout un gradient latitudinal de température curieusement faible. On en a conclu qu'à l'époque, la circulation océanique devait être très différente de l'actuelle. Cependant, les calculs montraient que ce faible gradient exigeait un flux de chaleur océanique latitudinal excessif, et aucun modèle numérique n'est parvenu à simuler un tel régime climatique. Le même problème est apparu ensuite pour les estimations de température du Crétacé. Or sur ces deux périodes, de nombreux autres indices géologiques suggèrent un climat global chaud sans glace aux pôles.

On a donc reconsidéré la possibilité d'une erreur systématique sur les valeurs isotopiques de l'oxygène des foraminifères planctoniques extraits des carottes.

Jusque là, le principal argument avancé pour attester de la validité de ces valeurs isotopiques, et de l'absence de biais diagénétique, provenait de l'examen concomitant des valeurs isotopiques du carbone (13C). Le principe était le suivant : la valeur isotopique du carbone typique de la calcite sédimentaire, diagénétique, est du même ordre de grandeur que les variations isotopiques inter-spécifiques des foraminifères planctoniques. Par conséquent, si de la calcite diagénétique se dépose sur les tests, on devrait s'attendre à voir disparaître les différences isotopiques en 13C entre les différentes espèces examinées.

Mais il peut aussi se produire une recristallisation microscopique des tests, qui peut modifier les teneurs isotopiques sans affecter pour autant l'aspect extérieur du test. C'est particulièrement vrai pour les espèces planctoniques, dont les tests sont plus fins et plus poreux que ceux des espèces benthiques, et offrent donc une plus grande surface exposée aux réactions diagénétiques. Ainsi, d'après Pearson et al. [1], « les coquilles de foraminifères planctoniques intactes des espèces actuelles non-encroûtantes, ou des juvéniles, sont translucides et paraissent « vitreuses » au microscope optique. Ce type de préservation est rare dans le matériel ancien ».

Ces auteurs ont donc effectué de nouvelles mesures isotopiques, sur des foraminifères planctoniques éocènes et crétacés provenant de carottes pour lesquelles la préservation du matériel est reconnue comme exceptionnellement bonne, et en sélectionnant soigneusement les individus par un examen approfondi de leur microstructure cristalline pour ne garder que les individus « vitreux ».

Si les différences isotopiques inter-spécifiques qu'ils obtiennent suivent assez bien les différences connues, indicatrices de la profondeur à laquelle vivent ces espèces, en revanche la gamme générale des valeurs est plus basse que celles publiées auparavant, donc indiquent des températures générales plus élevées ! Ils en concluent que ces valeurs pourraient « être représentatives des « vraies » valeurs, chaudes, des températures de surface, tandis que le matériel plus recristallisé aurait été biaisé par une fraction de calcite diagénétique déposée dans les eaux froides du fond ».

De plus, cette interprétation expliquerait aussi, selon ces auteurs, la faiblesse des gradients de température latitudinaux obtenus jusque là : les températures des eaux profondes et des eaux diagénétiques, responsables du biais, ont, à une époque donnée, des températures relativement homogènes quelle que soit la latitude, comparativement aux eaux de surface. Les gradients latitudinaux réels des eaux de surface de l'Éocène et du Crétacé auraient donc pu être beaucoup plus prononcés. Et les températures des eaux qu'ils obtiennent, d'environ 28-30°C, paraissent beaucoup plus en accord avec les résultats de modélisation et les indices géologiques disponibles pour cette période (par exemple la distribution des organismes inféodés à des températures élevés,comme les coraux, les reptiles…).

Pour terminer, un autre biais des valeurs isotopiques des foraminifères dû à la température a été mis en évidence : c'est celui qui résulte du séchage des échantillons de foraminifères par un passage au four qui était pratiqués dans certains protocoles de préparation [2] ! Les auteurs qui ont démontré ce biais préconisent donc d'éviter cette pratique !

Références :