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Image de la semaine | 13/11/2006

Soufre natif, gypse et sulfato-réduction

13/11/2006

Pierre Thomas

ENS de Lyon - Laboratoire des Sciences de la Terre

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Formation de soufre natif par sulfato-réduction de gypse, nappe des gypse (Savoie).


Soufre natif et calcite, nappe des gypses (Bramans, Savoie)

C'est la cinquième, et dernière, semaine que nous exploitons l'affleurement de Bramans (73), affleurement découvert par hasard sur le bord de la N6 pendant mes vacances. Après la tectonique, le métamorphisme, voici la sulfato-réduction.

La série sédimentaire du Trias supérieur de Savoie comprend essentiellement du gypse avec, interstratifiés dans ce gypse, des niveaux de carbonates sombres, car riches en matière organique. Ces niveaux de carbonates ont très souvent été transformés en boudins par la tectonique. C'est au voisinage de, ou dans, ces masses de carbonates sombres que l'on retrouve de la calcite associée à du soufre.

Le gypse contient du soufre oxydé (SO42-). Les masses carbonatées sombres sont riche en carbone réduit (C organique). Ces 2 composés peuvent réagir selon une réaction d'oxydo-réduction :

S oxydé + C réduit --> S réduit + C oxydé

Ici, en notant C* le carbone organique, on a :

2 CaSO4 + 3 C* --> 2 S + 2 CaCO3 + CO2

Le soufre des sulfates se retrouve donc sous forme de soufre élémentaire (on dit soufre natif). Le carbone de la matière organique se retrouve sous forme de CO32- dans les cristaux de calcite.

Soufre natif au sein d'un filonnet de calcite traversant une masse de carbonates sombres (riches en matière organique)


Boudin carbonaté contenant du soufre natif

Un autre boudin carbonaté contenant du soufre natif

Ce soufre peut théoriquement être apparu lors de trois moments de l'histoire de la région.

1 - Lors de la sédimentation et/ou de la diagenèse précoce.

Cette réduction pourrait avoir eu lieu de façon minérale ou plus probablement biologique à l'intérieur du sédiment (avant la diagenèse ou pendant sa phase précoce), sous l'action de bactéries (bactéries sulfato-réductrices). Dans un milieu riche en matière organique, pauvre en O2, mais riche en un autre oxydant (le sulfate), les bactéries « préfèrent » respirer plutôt que de fermenter, mais c'est une respiration où O2 est remplacé par un autre oxydant (ici le sulfate) : c'est une respiration anaérobie. Cela se passe au fond de toutes les lagunes marines (l'eau de mer contient des sulfates) en voie d'eutrophisation.

2 – Cette réaction pourrait être abiotique (minérale) et avoir eu lieu pendant la diagenèse profonde, à relativement haute température, ou pendant le métamorphisme et la déformation.

3 – Cette réaction pourrait enfin avoir eu lieu très récemment, lors de l'exhumation et de l'hydratation superficielle, que ce soit par la voie biologique ou abiotique.

Une analyse isotopique permettrait de trancher entre les origines biologique ou abiotique, la sulfato-réduction biologique fractionnant beaucoup les isotopes du soufre (intégration préférentielle des isotopes légers), avec un fractionnement de 40 unités "delta" entre les isotopes lourds et légers du soufre.

Mais un examen attentif de l'affleurement permet de trouver des boudins fracturés avec des fractures perpendiculaires à la direction d'étirement. La fracturation et le remplissage des fracture ont eu lieu pendant le boudinage, c'est à dire pendant l'épisode tectono-métamorphique. Or ces fractures sont parfois remplies du mélange calcite + soufre natif, ce qui suggère que la formation du soufre est contemporaine de l'épisode tectono-métamorphique.


En parcourant à fond ce merveilleux affleurement, on peut trouver sur une même surface de gypse des plis syn-schisteux et du soufre natif.

Plis syn-schisteux et soufre natif

Ce soufre semble donc d'origine métamorphique, ce que devraient confirmer d'éventuelles données isotopiques. Ce qui est certain, par contre, c'est qu'il n'est en aucun cas d'origine volcanique ; comme ne l'est pas non plus la quasi totalité du soufre exploité dans le monde, contrairement à une opinion très répandue (voir anecdote en bas de page).

Ce soufre est si répandu dans la nappe des gypses de Savoie qu'il a même été à l'origine de noms de lieux, comme le montre cet extrait de la carte IGN de la Vanoise.

Extrait de la couverture IGN de la Vanoise (au NNE de l'Aiguille de Peclet)

Figure 8. Extrait de la couverture IGN de la Vanoise (au NNE de l'Aiguille de Peclet)

Pour deux sites (entourés en rouge), la toponymie vient directement de la présence de soufre.


Anecdote. Retournant à sa voiture, chargé d'échantillons, l'auteur de ces lignes rencontre des personnes venues ramasser des galets pour leur jardin. Ces derniers lui demandent ce qu'il a ramassé et, instruits de la présence de soufre natif, ils s'étonnent : « Il y a des volcans dans la région ? ».