Image de la semaine | 09/10/2017
Fractures ouvertes dues à un étalement latéral, conséquence de la liquéfaction sismique d'un sable gorgé d'eau
09/10/2017
Résumé
Sable sec ou mouillé, qui coule ou casse sous l'effet d'un séisme, plage de Cucao (ile de Chiloé, Chili).
Le jour de Noël (25 décembre) 2016, un violent tremblement de terre (magnitude 7,6) affecte l'ile de Chiloé, au Chili. Il n'y a pas eu de victimes dans cette région relativement peu peuplée, mais des dégâts matériels parfois importants. Deux jours plus tard, des amis (dont Albert Jambon, auteur des photographies présentées ici) étaient sur l'ile de Chiloé pour visiter son célèbre parc national et ils ont pu observer les structures sismiques faites sur une plage.
Le séisme était un séisme de magnitude 7,6. L'intensité MSK (échelle qui va de 1 à 12) était comprise entre 7 et 8 sur le site de la plage de Cucao. Le séisme a eu lieu après une grande marée, à marée basse. Les marées décroissant en cette fin décembre 2016, les hautes eaux suivantes n'ont pas effacé les fractures sismiques induites dans le sable mouillé situé en haut de l'estran, en particulier là où la topographie de la côte faisait qu'aucune vague ne déferlait sur cet estran. C'était le cas sur le versant Est d'un cordon littoral séparant l'océan d'un cours d'eau, émissaire venant du lac Cucao. Ces circonstances exceptionnelles (marées décroissantes, plage à l'abri des vagues...) a permis à des structures faites dans du sable d'être encore visibles 48h après le séisme.
Ces structures sont principalement des fentes ouvertes, établies dans du sable mouillé (donc cohésif)), fissures perpendiculaires à la ligne de plus grande pente, et donc parallèles à la côte. Ce type de fissures ouvertes sont classiques quand un fort séisme affecte un substrat meuble (sable, alluvions …) localisé sur une pente.
Source - © 2016 D'après USGS, modifi |
Les substrats meubles imbibés d'eau ont parfois des comportements mécaniques assez particuliers, qui obéissent à des lois physiques assez complexes. Tout un chacun a pu remarquer que quand on marche sur une plage de sable mouillé, ce sable "s'assèche" temporairement autour de son pied. Quand on retire son pied, souvent, l'empreinte légèrement creuse que le pied vient de quitter se remplit d'eau et est donc plus mouillé qu'avant et qu'autour, et forme comme une suspension de grains de sable dans de l'eau. Ce phénomène qui n'est pas du tout intuitif peut s'expliquer très qualitativement et en simplifiant énormément de la façon suivante : quand le pied exerce une pression (verticale) sur le sable, cela tend à écarter horizontalement les grains de sable les uns des autres. Les espaces entre les grains devenant plus grands, l'eau qu'ils contenaient dispose de plus de place et a tendance à baisser, d'où l'assèchement temporaire observé (cf. figure ci-dessous7). Dans cette expérience simplissime, les grains aussi bien ceux à la base de la figure 7 que ceux au fond du creux laissé quand on enlève son pied sont largement séparés de leurs voisins par beaucoup d'eau. Un tel mélange eau-sable avec des grains souvent non jointifs et "baignant" dans l'eau peut avoir un comportement de "liquide", les grains de sable ainsi séparés pouvant très facilement se déplacer les uns par rapport aux autres.
Source - © 2016 D'après WikiDébrouillards, modifié, CC2.0
Le passage d'ondes sismiques intenses correspond à une succession de compressions et de dilatations. En mettant en jeu une physique voisine de celle de l'expérience précédente, cela peut donner temporairement à un substrat meuble un comportement de liquide. C'est ce qui a dû arriver ce 25 décembre 2016 sur la plage de Cucao. La partie imbibée d'eau de mer à la base du sable de la plage s'est liquéfiée lors du passage des ondes sismiques. Ce niveau temporairement liquide a eu tendance à couler vers le bas, c'est-à-dire à s'étaler en direction du chenal à l'Est de la plage dans le cas des images 1 à 11. On parle d'étalement latéral (lateral spreading en anglais). Le sable mouillé mais non totalement imbibé d'eau situé au-dessus du niveau saturé d'eau n'a pas acquis ce comportement liquide, il a été entrainé vers le chenal par l'écoulement sous-jacent, mais en "cassant" et non en "coulant", d'où toutes les cassures photographiées ce 27 décembre 2016.
Dans ce cas précis, la liquéfaction des niveaux de base du cordon littoral n'a eu aucune conséquence gênante, car il n'y avait aucune habitation sur le cordon littoral. Mais si des bâtiments voire une ville entière sont bâtis sur un tel substrat qui se liquéfie lors d'un fort séisme, les dégâts peuvent être spectaculaires. Cela a été le cas par exemple, lors du fort séisme du 27 février 2010 qui a affecté le Centre-Sud du Chili) et dans d'autres pays sismiques, comme le Japon…
Source - © 1964 USGS
Que ce soit à Chiloé ou à Niigata, nous voyons donc que les mouvements du sol peuvent être importants, mouvements au niveau de la faille qui joue, comme mouvements périphériques dans le cas de Chiloé en 2016. Mais il ne faut pas oublier qu'à côté des mouvements telluriques qui se font de façon discontinue sur des grandes failles (les séismes), il y a aussi des mouvements continus et asismiques, comme en témoigne le temple de Pouzolles vu la semaine dernière (cf. Les colonnes du temple de Sérapis, à Pouzzoles, et les Principles of Geology de Charles Lyell). Une même faille peut d'ailleurs jouer par à-coups sismiques sur certains fragments et par mouvement lent asismique (on parle de creep, en anglais). La célèbre faille de San Andrea possède de tels fragments jouant de façon sismique et discontinue et d'autres jouant de façon asismique et continue.
Nous vous avons montré 4 images prises sur le bord du chenal en direction de l'aval. Nous vous montrons aussi 3 images du bord de ce même chenal, mais prise en direction de l'amont. Nous vous montrons aussi sept images prises relativement loin du bord, au centre du cordon littoral, là où la pente est faible ou nulle.